Marialuisa Lucia Sergio, Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese
Marialuisa Lucia Sergio, Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese, Rome, Studium, 2022, 249 p.
Texte intégral
1Comment l’Église de Pie XII a-t-elle abordé l’histoire de la décolonisation en Algérie ? Telle est la question à laquelle Marialuisa Lucia Sergio s’attelle à répondre dans son livre. Ce dernier présente une recherche foisonnante, qui utilise une très abondante bibliographie française recouvrant la période de la ive République. L’autrice s’est ainsi plongée dans les Archives de la nonciature apostolique de Paris et surtout dans celles du pontificat de Pie XII (désormais accessible au Vatican), afin de nous offrir un ouvrage riche de références, et qui fourmille de citations concernant les problèmes politiques, diplomatiques, sociaux et religieux posés par son sujet.
2Pour ce faire, Lucia Sergio revient sur les rapports très ambigus qu’entretenait alors à l’époque l’Église de Pie XII avec les régimes autoritaires de droite de l’Europe méridionale – en particulier avec l’Espagne franquiste où la guerre civile fut vécue et soutenue par la majorité des catholiques comme une croisade anticommuniste.
3Très critique de la politique africaine entretenue durant la iiie République, l’Église estime à l’orée de la Seconde Guerre mondiale que seul le catholicisme est en mesure de sauvegarder la civilisation européenne dans les colonies. Le Saint-Siège propose donc en 1941 au régime de Vichy d’accorder au catholicisme un régime privilégié dans l’empire colonial français – demande restée sans succès. Les relations sont difficiles entre l’Église catholique et la « France libre » d’Afrique du Nord : l’épiscopat, fidèle au régime de Vichy, se montre méfiant envers la Résistance à laquelle participent des catholiques progressistes et des communistes (en réponse, le gouvernement provisoire de De Gaulle essayera de destituer une soixantaine d’évêques, destitution que seuls les trésors de diplomatie du nonce Angelo Roncalli réussiront à ramener à trois). Le rôle incontestable de l’Empire colonial dans la participation à la Libération de la France est reconnu lors notamment de la conférence de Brazzaville de 1944, temps capital de la prise de conscience par les hiérarchies ecclésiastiques de leur nécessaire adaptation. Cette reconnaissance, renforcée par le précédent débarquement américain en Algérie (opération Torch) de novembre 1924, rallume de nouvelles revendications nationalistes dans un État algérien fédéré à la France. Si l’ordonnance du 7 mars 1944 élargit ensuite les possibilités d’accès à la citoyenneté française, l’insurrection de Sétif du 8 mai 1945 et ses très nombreuses victimes amènent à un durcissement des mouvements nationalistes, l’archevêché d’Alger signalant en octobre 1946 leur affirmation sous une forme islamique.
4Les débats au sein de l’Assemblée constituante française sur la question algérienne opposent deux discours différents : le premier nie toute spécificité aux peuples coloniaux, là où le second leur reconnait une originalité et préconise des formes d’autogouvernement. Le Mouvement républicain populaire (M.R.P.) recommande notamment de mener une politique prudente d’émancipation des populations indigènes avec l’appui du Saint-Siège.
5La possibilité d’un départ de la France et par là même, le problème du maintien du christianisme, est scrutée avec intérêt par le Saint-Siège. Ce dernier dispose de plusieurs points d’appui en Afrique française. Les Pères blancs, très investis dans leur mission, l’avertissent de la menace que représente, pour les élites européennes, l’ignorance du patriotisme des indigènes par les autorités coloniales françaises. L’archevêché d’Alger se charge de même d’informer le Saint-Siège de la « dérive politique » du nationalisme arabe (5 juin 1949), en recommandant une politique sociale plus active de l’Église auprès des musulmans afin d’assurer la survie du christianisme en cas d’indépendance. L’Église catholique peut aussi compter sur la Délégation apostolique de l’Afrique française installée à Dakar. Si la hiérarchie épiscopale métropolitaine avait soutenu la candidature de l’évêque d’Angers, Mgr Henri Chappoulie, elle s’était heurtée à l’opposition de Mgr Montini, futur Paul VI, qui préférait un prélat non français. La Délégation apostolique incombe finalement à Mgr Marcel Lefebvre, proche par le passé de l’Action française de Maurras. La nomination de ce prélat, fervent accusateur de la propagation des idées libérales dans le clergé progressiste, ne permet ni l’indépendance politique d’un prélat non français, ni le renouveau incarné en Algérie par Mgr Duval, nommé évêque de Constantine et d’Hippone en 1947 – d’autant plus que la politique du Saint-Siège fait face aux exigences des pays voisins, notamment de l’Istiqlal marocain et du Néo Destour tunisien, dont elle doit tenir compte.
6L’encyclique Evangelii Praecones du 2 juin prévoit un renforcement de la coopération missionnaire en Afrique du Nord avec la multiplication des indigènes dans le clergé local et l’ordination de prêtres autochtones. Ce raffermissement doit lutter contre les injustices sociales, prévenir de la collectivisation de la propriété privée par le pouvoir arbitraire de l’État et combattre la diffusion de l’idéologie communiste. Mais le libéralisme de l’encyclique se heurte aux réticences de Pie XII. Les votes de l’ONU faisaient pourtant entrer la question du Maroc et de la Tunisie dans la diplomatie internationale : le Néo Destour lance un appel à Pie XII en faveur de l’indépendance de la Tunisie (31 janvier 1952) et l’Istiqlal lui demande dans le même temps de prendre position contre le colonialisme. Si la diplomatie française réplique en les accusant d’agir sous l’influence du Kremlin, des mouvements comme le Centre catholique des intellectuels français (CCIF) et le Comité chrétien d’Entente France Islam (CCEFI) commencent à critiquer ouvertement la politique française. François Mauriac dénonce par exemple un racisme générateur de crimes collectifs. Mais le Saint-Siège reste préoccupé par les risques d’une diffusion du communisme. À Paris, le nonce apostolique Roncalli, toujours proche des chrétiens traditionalistes, est réticent envers la Mission de France et les prêtres ouvriers. Le Saint-Siège se montre quant à lui sévère envers l’anticolonialisme radical de « Témoignage chrétien » pour qui la menace du nationalisme islamique et du communisme pour l’avenir des sociétés coloniales ne semble pas prise en compte. La diplomatie vaticane oppose donc une fin de non-recevoir à toute tentative de négociation de la part des mouvements indépendantistes du Maghreb pendant la crise des protectorats français d’Afrique du Nord.
7En Algérie, le nationalisme durcit ses positions avec la création du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA) le 23 mars 1954. Après les insurrections de la « Toussaint rouge » surtout localisées dans les Aurès et en Kabylie, le Front de libération nationale (FLN) se fixe pour but l’indépendance de l’Algérie par la lutte armée. Pour le gouvernement français, une Algérie indépendante est alors inconcevable. Si quelques intellectuels chrétiens de gauche se mobilisent contre la guerre, leur condamnation ne porte pas sur la question coloniale. Une initiative de paix du groupe lyonnais de « Pax Christi » échoue devant l’opposition de Mgr Duval qui refuse d’admettre un état de guerre dans son diocèse de Constantine. La neutralité politique du prélat était sous-tendue par un esprit œcuménique et pacifiste qui convenait parfaitement à l’esprit du pontificat de Pie XII. Il est nommé évêque d’Alger en 1954.
8Dans ses congrès de Lille et de Marseille (1954 et 1955), le Mouvement républicain populaire (MRP) apparaissait comme le principal protagoniste d’une « 3e voie », entre la solution de l’abandon de l’Algérie et celle du colonialisme, vouée à l’échec. Elle préconisait une association des protectorats nord-africains avec la France confortée par un programme d’investissements ; mais l’Algérie restait une province du territoire métropolitain et les réformes mises en œuvre par le gouverneur général Jacques Soustelle se heurtèrent à l’immobilisme du parti colonial, l’extension de l’insurrection conduisant à la proclamation de l’état d’urgence avec suspension des libertés publiques (3 avril 1955). Ces événements ont eu des répercussions sur la conférence de Bandung (avril 1955) où les mouvements nationalistes du Maghreb ont plaidé leur cause. L’archevêque du Caire servit d’intermédiaire à leurs protestations ; le mémorandum transmis au Saint-Siège accusait la France de pratiquer la torture en Algérie, sans toutefois mentionner le FLN La timide relance diplomatique du Saint-Siège qui s’ensuit prenait en considération la « 3e voie » suggérée par le M.R.P. en tenant compte des préoccupations de Mgr Duval pour qui la « Toussaint rouge » était une manifestation de la misère sociale des populations indigènes, mais aussi un effet du communisme et de la propagande nationaliste arabe diffusée par Le Caire. Le clergé de l’épiscopat d’Alger agissait pour les combattre et l’indépendance était prématurée. La guerre s’amplifiait et la faillite d’une politique d’intégration devenait manifeste. Le problème algérien devient un thème essentiel des élections législatives du 2 janvier 1956.
9Dans son message de Noël 1955, Pie XII affirme que les peuples extraeuropéens ont le droit à une liberté juste ; mais le Pape n’encourage pas l’Église catholique du continent africain à se mobiliser en faveur de l’indépendance. En fait, il cherche un équilibre entre l’autodétermination et une conception paternaliste de la mission civilisatrice européenne. Certains milieux catholiques s’en plaignent, à l’instar de Mauriac, déjà évoqué, qui prend position contre le MRP et pour le Front républicain de Mendès France. Après la nomination de Robert Lacoste comme gouverneur général de l’Algérie, la nonciature de Paris commence à considérer la présence coloniale française comme impossible. Mais le Saint-Siège maintient son adhésion à la politique de la « 3e voie ». Mgr Duval déplore les critiques injustifiées de la presse catholique métropolitaine qui incitent les « pieds noirs » à quitter l’Algérie avec les conséquences désastreuses qui s’ensuivirent pour l’Église.
10Les pleins pouvoirs au général Massu (7 janvier 1957) et le déchaînement de la violence à Alger suscitent la mobilisation du monde catholique. Les polémiques s’enchaînent. Le Saint Siège demande à l’Église de France de se désolidariser des mouvements d’extrême droite catholique, mais le député Jarosson demande de son côté la reconnaissance de Dieu dans la constitution de la ve République, et il lui recommande de ne pas se mobiliser contre le référendum constituant. La brutalité de l’offensive du plan Challe, déclenché par l’Armée française en 1959 pour démanteler le FLN, place le nouveau pontificat de Jean XXIII devant un dilemme. Il doit concilier les nécessités politiques de son ralliement à la ve République avec les exigences humanitaires en Algérie alors que de Gaulle déplore par l’intermédiaire de René Brouillet la remise en cause par l’Église de l’œuvre accomplie par la France.
11Sans s’identifier à la politique coloniale française, le Saint-Siège ne s’en distingue donc pas radicalement, trop préoccupé par l’avancée communiste dans ces pays. Il affiche une position intermédiaire entre la répression coloniale que les milieux romains condamnaient sans le dire et une indépendance que personne ne nommait jusqu’en 1958. Persuadé à long terme du caractère inéluctable de la décolonisation, le Saint-Siège se préoccupe de la survie du catholicisme, comme en témoigne l’encyclique Fidei donum de 1957 qui prône l’envoi de prêtres séculiers français en Afrique noire, mais aussi en Algérie et au Sahara. Il se heurte cependant à la résistance de l’Islam à tout prosélytisme. Le problème de la pauvreté était un élément central d’un discours de l’Église catholique qui prenait un sens politique, le pontificat de Pie XII considérant l’aide économique aux pays en voie d’émancipation comme un devoir de l’Occident afin de prévenir l’explosion des nationalismes. Le Saint-Siège souhaitait ainsi une décolonisation progressive qui l’obligeait à trancher entre une vision religieuse et le respect de la démocratie dans une dialectique permanente entre la religion et la nation, la foi et la politique.
Pour citer cet article
Référence papier
Michel Ostenc, « Marialuisa Lucia Sergio, Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 243-245.
Référence électronique
Michel Ostenc, « Marialuisa Lucia Sergio, Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 14 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76867 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138u4
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