Hugh McLeod, Religion & the Rise of Sport in England
Hugh McLeod, Religion & the Rise of Sport in England, Oxford, Oxford University Press, 2022, 304 p.
Texte intégral
1Connu par ses travaux sur la sécularisation en Grande-Bretagne, et plus largement en Europe, l’historien Hugh McLeod examine ici les destins croisés de la religion et du sport en Angleterre à l’époque contemporaine. Comme il le résume, « in 1820 the power of the churches and the social reach of religion in English society was such that sportsmen were obliged, whether they liked it or not, to take account of and respond to their influence. By 2020 the power and reach of sport was such that religious were obliged, whether they liked it or not, to take account of and respond to this influence » (p. 256). L’auteur distingue quatre périodes. D’abord, dans la première moitié du xixe siècle, la religion tient le sport en lisière. Les Églises réagissent contre les jeux anciens, dont elles stigmatisent la brutalité, les débordements, l’empiètement sur le repos dominical, bref tout ce qui, en eux, contredit le sérieux de la vie chrétienne. Le puritanisme ambiant, en particulier chez les protestants évangéliques, n’épargne même pas le cricket.
2Les choses changent à la fin des années 1850. Deux romans parus en 1857 symbolisent le retournement qui s’opère alors : Two Years Ago, de Charles Kingsley, et Tom Brown’s School Days, de Thomas Hughes, marquent l’avènement de ce qu’un recenseur du premier appelle, par une expression qui fera florès, le christianisme des muscles (muscular Christianity). Ce mouvement s’accompagne d’une relecture positive de la place du corps et de la nature dans la vie chrétienne : Hughes publiera en 1879 un livre sur la virilité du Christ (The Manliness of Christ). Il s’agit désormais de réhabiliter l’exercice physique. Cela se voit d’abord dans les public schools, où s’impose l’idée d’une éducation complète, associant « body, intellect and heart », comme le répète le révérend Edward Thring, à la tête d’Uppingham de 1853 à 1887 (cité p. 59). La formule prend d’autant mieux qu’elle est bonne pour la santé, qu’elle favorise la discipline et qu’elle nourrit la fibre patriotique et coloniale des élèves dont un certain nombre sont appelés à devenir les cadres de l’Empire britannique. Les responsables des établissements catholiques ne sont pas en reste, qu’il s’agisse des jésuites de Beaumont ou des oratoriens de Birmingham : Newman lui-même assiste aux matchs les plus importants ! Mais la promotion des activités physiques passe aussi bientôt par les mouvements de jeunesse qui s’adressent aux classes moyennes et populaires. Ils escomptent que cela aidera à reconquérir le public masculin et ouvrier qui se détache de la religion, et plus largement à atténuer la question sociale.
3Le rapide développement du sport dans le dernier quart du xixe siècle doit donc beaucoup aux Églises, y compris, avec un léger retard, l’essor du sport féminin. L’idée motrice est de faire pénétrer dans le monde moderne les valeurs chrétiennes plutôt que de lui opposer, comme précédemment, un refus intransigeant. Mais les problèmes et les désaccords ne manquent pas dans cette évolution générale, qui prend, sur le terrain, des formes variées. Les Églises doivent s’employer, avec plus ou moins de succès, à canaliser la violence et les excès des supporters. Si certains sports, comme le cyclisme et le football, font consensus, d’autres, comme la boxe, divisent. La participation des femmes suscite des critiques, parce qu’on craint pour la décence et l’esthétique. Mais les controverses principales portent sur l’émergence du professionnalisme, le fléau des paris et surtout la tendance à empiéter sur le dimanche – à l’encontre de la répartition Saturday sport, Sunday religion, qui a la faveur des Églises.
4Celles-ci, du début du xxe siècle aux années 1960, continuent, à travers les clubs qu’elles ont fondés ou structurés, d’accompagner le développement du sport, alors même que la pratique cultuelle décroît sensiblement, et que le temps consacré au sport contribue précisément à réduire celui autrefois réservé à la religion. La question se pose alors de savoir si le ralliement aux valeurs du monde sportif, loin de maintenir l’appartenance aux Églises, ne contribue pas finalement à leur sécularisation interne. La pratique sportive étant devenue pour un certain nombre de gens leur dernier horizon religieux, les Églises en viennent à organiser ponctuellement des célébrations spécifiques (Sportsmen’s Services) où l’on explique sur tous les tons que les compétitions sportives disent quelque chose de la gloire de Dieu. En décembre 1950, le desservant de St Michael’s Lichfield conclut un sermon enthousiaste en se disant persuadé que « Jesus Christ was a sportsman » (cité p. 184).
5Même si le cricket, sport national, est surtout une affaire anglicane, l’auteur souligne le fait que, à la différence de ce qui s’observe alors sur le continent ou même en Écosse, la scène sportive anglaise ignore largement les fractures religieuses ou idéologiques alors qu’elle reflète souvent les différences de classes. Il rappelle par ailleurs les débats sur la chronologie de la sécularisation en Angleterre : Alan Gilbert la fait remonter au milieu du xixe siècle, l’associant aux progrès de la science et à la révolution industrielle ; Jeffrey Cox la place vers 1900, à la fin de l’ère victorienne, quand l’emprise sociale des Églises s’effrite ; Simon Green la voit démarrer vers 1930, avec le déclin de leur rôle politique ; Callum Brown la date seulement des années 1960, à cause de la révolution sexuelle. Mais pour McLeod, rejoignant ici son collègue américain David Hall, il importe de remarquer qu’en toute hypothèse l’influence religieuse persiste, fonctionnant comme un contre-courant au cœur du trend de sécularisation : « In the most apparently ‘secular’ periods religion has remained a significant force in some areas of life » (p. 163). Parmi ces areas of life, le sport, assurément.
6Les années 1970 marquent un nouveau tournant. Tandis que la religion s’effondre, le sport prend une place de plus en plus forte dans la société, au point d’être parfois perçu comme une nouvelle religion, aux formes variées. Dans Faith of our Fathers : Football as a Religion (1997), Alan Edge compare les supporters de Liverpool aux fidèles catholiques, les uns et les autres développant des formes analogues d’expression où l’individu se fond dans la communauté. Mais les adeptes du running tendent plutôt, au contraire, à l’individualisation du croire, dans une logique où chacun entend prendre en charge lui-même le sens de sa propre vie. Par ailleurs, dans le contexte d’une Angleterre multiconfessionnelle où les Églises chrétiennes sont désormais en concurrence avec d’autres confessions issues de l’immigration, le sport devient le lieu d’une affirmation prosélyte qui tire notamment parti de l’ostentation religieuse des vedettes des différentes disciplines.
7L’ouvrage est lesté d’une abondante bibliographie, essentiellement anglo-saxonne – ce qui est logique compte tenu de la géographie du sujet, mais donne quand même à penser. À l’appui des comparaisons incidentes avec notre pays, les références en langue française sont partielles et un peu datées. Même sur l’évolution générale du sport, on s’étonne de ne pas voir mentionnés, par exemple, les travaux de Paul Yonnet. Ceci confirme une nouvelle fois que, quoi qu’on prétende, il en va de la dimension internationale de la recherche comme de sa dimension interdisciplinaire : toujours louée, elle est rarement pratiquée. Chacun court avant tout dans son couloir linguistique, et comment s’en étonner ?
8Avec humour et bon sens, l’auteur termine cet excellent ouvrage en remarquant que toutes ces analyses sur les diverses formes d’intégration ou d’articulation entre sport et religion ne sauraient faire oublier que nombre de ses compatriotes se sont bornés à pratiquer l’un et l’autre sans se poser de questions existentielles. Et d’évoquer les obsèques d’un de ses collègues : « The eulogist mentioned his work as an historian and his roles in the local Labour Party and in his Anglican parish. But the order of service included a photo of him playing cricket, and the coffin was draped in the colours of Chelsea Football Club » (p. 256). Cohabitation très british, quand même : imagine-t-on le cercueil d’un de nos collègues recouvert d’un drapeau du Paris Saint-Germain ou de l’Olympique de Marseille ?
Pour citer cet article
Référence papier
Yvon Tranvouez, « Hugh McLeod, Religion & the Rise of Sport in England », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 246-247.
Référence électronique
Yvon Tranvouez, « Hugh McLeod, Religion & the Rise of Sport in England », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76877 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138u5
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