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Comptes rendus

Marcel Metzger, La liturgie dans l’histoire. De la dernière Cène au concile Vatican II

Paris, Desclée de Brouwer, 2024 [1994], 266 p.
Alain Rauwel
p. 252-253
Référence(s) :

Marcel Metzger, La liturgie dans l’histoire. De la dernière Cène au concile Vatican II, Paris, Desclée de Brouwer, 2024 [1994], 266 p.

Texte intégral

1Marcel Metzger, doyen émérite de la Faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg, réédite après trente ans, sous une nouvelle couverture, son Histoire de la liturgie de 1994. Comme il le sait fort bien, puisqu’il a lui-même recensé le volume, La liturgie dans l’histoire est déjà le titre d’un recueil d’études de Pierre-Marie Gy (1990) ; ce sera donc maintenant aussi le titre d’un manuel de Metzger, que lira avec intérêt et profit quiconque souhaite obtenir une vue à la fois claire et référencée de l’évolution des pratiques cultuelles en christianisme occidental. Ce manuel, qui par sa forme ressemble davantage au polycopié d’un cours qu’à une synthèse problématisée, est fondé sur la conviction que l’histoire des pratiques devrait se raconter selon l’ordre des temps, « de la dernière Cène au concile Vatican II ». Une belle contre-proposition se lit pourtant dans la somme de Noëlle Maurice-Denis et Robert Boulet, publiée il y a 70 ans, Euchariste ou la messe dans ses variétés, son histoire et ses origines. Personne ne songe à faire de cet ouvrage, qui porte son âge, un horizon indépassable de la recherche en liturgie ; reste que son plan très singulier, remontant le fil des siècles depuis l’état moderne des rites, à travers les « champs de fouilles » médiévaux et antiques, jusqu’à la brume épaisse des temps apostoliques, invite à entretenir un autre rapport à la chronologie. L’université de Strasbourg, où Metzger a fait toute sa carrière, ne porte-t-elle pas le nom de Marc Bloch, celui-là même qui invitait à privilégier l’histoire rétrospective ? Celui aussi qui se méfiait de « l’idole des origines », comme si on avait tout dit, tout résolu, en décrivant de n’importe quelle question un état initial, toujours par la force des choses largement mythifié.

2De la mythification des origines en théologie moderne, le plan du livre de Metzger donne une assez bonne idée : trente pages sur le ier siècle, cinquante pages sur les deux siècles suivants, quatre-vingts pages pour « la liturgie dans l’Empire romain après la Paix des Églises ». Après cela, il ne reste que soixante petites pages pour aller de Grégoire le Grand à Bergoglio ! Il est vrai que l’auteur se simplifie la vie en s’en tenant, pour le deuxième millénaire, à l’Europe occidentale : plus de Byzance après le parting of the ways, guère de Réformes, ni Orient ni Extrême-Orient, et pas une once de Nouveau Monde, alors que l’histoire des pratiques rituelles est aujourd’hui largement renouvelée par la prise en compte des dubia, ces questions doctrinales envoyées par les missionnaires. Pas de doute, on a affaire dans cette synthèse à un « grand récit » fermement constitué. Cela ne signifie nullement que le récit soit faux au motif qu’il est grand. Mais il a un but, très clair, qui est d’insister sur ce qui se fit in principio, de dénoncer l’éloignement progressif de cette matrice et de louer ceux qui prétendirent, notamment au xxsiècle, la retrouver, au motif (un peu schématique, on en conviendra) que le temps des fondations aurait été « pastoral » tandis que les périodes postérieures auraient été marquées par la sécheresse de la codification, source de « décadence » et même de « dérive ».

3Relève à l’évidence du grand récit la manière dont Metzger explique les évolutions divergentes de la pratique grecque et de la pratique latine en s’appuyant sur les deux traditions d’explication mystagogique des rites. Ce sont les jugements de valeur des années 1950-1960 qui sont ici repris, opposant le « bon » symbolisme à la « mauvaise » allégorie. Le premier vient des Pères et aurait mieux survécu en Orient jusqu’à Nicolas Cabasilas, tandis que la seconde qualifierait les expositiones missae franques issues d’Amalaire (il n’y a pas de hasard à ce que les prestigieuses « Sources chrétiennes » aient publié Cabasilas dès 1967 et pas d’expositio latine avant 2022). Les historiens contemporains de la liturgie sont largement revenus de ce schématisme idéologisant, mais Metzger n’accueille guère leur travail, comme le montrent à la fois ses notes, faites de renvois très datés, et sa « Bibliographie élémentaire », dont la brièveté tourne à l’indigence. Ce retard d’une voire deux générations sur la recherche vivante l’amène, pour ne choisir qu’un exemple, à attribuer sans hésitation la préface de l’Hadrianum augmenté à Benoît d’Aniane, dans l’indifférence aux solides arguments contraires présentés par Philippe Bernard.

4Grand récit encore, et superlativement, dans le court dernier chapitre, centré sur le « Mouvement liturgique ». On peine à croire que des historiens chevronnés puissent avoir recours en 2024 au mythe de la continuité réformatrice de Prosper Guéranger à Vatican II, comme s’il y avait la moindre unité dans la succession d’initiatives des xixe et xxsiècles, comme si Beauduin et les bénédictins belges ne représentaient pas une option, l’école de Maria Laach une autre, le Centre national de pastorale liturgique (CNPL) parisien une autre encore, etc. L’idée selon laquelle tous ces courants conflueraient harmonieusement vise assurément à nourrir le messianisme conciliaire, hors de toute analyse raisonnée du jeu d’influences complexe des années 1960. Si d’ailleurs l’auteur croyait vraiment au caractère central de Sacrosanctum concilium, ne lui consacrerait-il pas des analyses plus détaillées ? Le caractère purement assertif de son propos le conduit ici à un dogmatisme qu’il réfute sévèrement chez autrui.

5Pour ce parcours à travers deux millénaires, sur quoi s’appuie Metzger ? Sur des textes, pour l’essentiel, qui décrivent comment, à tel moment et en tel lieu, on concevait une liturgie idéale. Que la mise en pratique de cet idéal, sa performance diraient les anglophones, ait ressemblé au livre normatif ou non, nous ne le savons ordinairement pas – et cela devrait nous inciter à plus de prudence dans le recours aux sacramentaires, lectionnaires et autres antiphonaires. Il nous reste en revanche bien des lieux de culte, de toutes époques, et bien des objets utilisés dans ces lieux. Ce patrimoine considérable autorise-t-il à affirmer avec Metzger que « les apports de l’archéologie sont limités » ? C’est un peu court, assurément, et un peu décevant de la part d’un chercheur qui donna, il y a plus de cinquante ans, un article en tous points fondamental sur « La place des liturges à l’autel » (Revue des sciences religieuses, 1971) où l’archéologie ne jouait pas un rôle secondaire. Heureusement, le fil du texte va contre cette déclaration de principe, en incluant bien des informations de valeur sur la mise en espace des célébrations. Preuve, s’il en était besoin, qu’un bon pédagogue et un savant à la documentation solide comme Metzger dépasse constamment, et pour le meilleur, les limites propres au milieu un peu étroit dans lequel et pour lequel ses écrits ont été conçus.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alain Rauwel, « Marcel Metzger, La liturgie dans l’histoire. De la dernière Cène au concile Vatican II », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 252-253.

Référence électronique

Alain Rauwel, « Marcel Metzger, La liturgie dans l’histoire. De la dernière Cène au concile Vatican II », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 14 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76897 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138u8

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Auteur

Alain Rauwel

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