Navigation – Plan du site

AccueilNuméros208Comptes rendusLionel Obadia, L’au-delà. Penser ...

Comptes rendus

Lionel Obadia, L’au-delà. Penser la vie après la mort à travers l’histoire et les cultures

Lyon, Éditions Eyrolles, 2024, 184 p.
Régis Dericquebourg
p. 261-263
Référence(s) :

Lionel Obadia, L’au-delà. Penser la vie après la mort à travers l’histoire et les cultures, Lyon, Éditions Eyrolles, 2024, 184 p.

Texte intégral

1Lionel Obadia, professeur d’anthropologie sociale à l’université de Lyon 2, se propose de dresser dans cet ouvrage un panorama analytique et typologique des conceptions de l’au-delà et du traitement social de la mort. Balayer les cultures et les religions pour mettre à jour leurs conceptions de l’au-delà et du traitement de la mort à travers les siècles est une tâche immense. Toutefois, en mêlant l’érudition et l’esprit de synthèse, l’auteur réussit à livrer au lecteur une perspective sur les imaginaires post-mortem de l’homme, cet être qui ne se résout pas à sa finitude et à l’inconnaissable.

2Nous ferons ressortir plusieurs points du livre. Tout d’abord, l’auteur relève deux orientations dans l’usage de l’imaginaire de l’après-mort : le sacré et la métaphysique, cette dernière pouvant réfuter la vie après la mort, le néant remplaçant alors l’au-delà. Ensuite, il évoque les formes de vie après la mort issue des imaginations. Il en relève quatre : 1) une succession de réincarnations immédiates dans une forme de vie ou dans un corps humain uniquement, 2) un au-delà sans retour, 3) une résurrection des corps après un temps historique, 4) des intervalles entre des réincarnations. En second lieu, l’auteur montre aussi que l’au-delà a suscité des œuvres d’art et une littérature abondante tels le Livre des morts des anciens Égyptiens, Le Livre des morts tibétain (le Bardo Thödol), Le livre des morts chrétien (l’Ars moriendi), La Divine Comédie (Dante), L’épopée de Gilgamesh… dans lesquels des territoires avec leurs règles apparaissent comme des royaumes puisque finalement, les hommes imaginent les au-delà en transposant leurs sociétés et en en accentuant certains traits. En troisième lieu, l’auteur relève le lien entre l’au-delà et les morales religieuses. En effet, il peut être un lieu d’expiation des fautes, un paradis ou un lieu de probation (le purgatoire depuis le xiie siècle). Il peut aussi être une errance (revenants, fantômes, Esprits, spectres). Parfois, on vise l’immortalité sur terre (« l’immortel terrestre ») grâce à une vie saine (taoïsme). La recherche d’un élixir d’immortalité y précède les travaux des alchimistes (plus modestes, car recherchant seulement l’élixir de longue vie), ainsi que les recherches en biologie sur la longévité et le transhumanisme qui veut prolonger la vie le plus longtemps possible, voire abolir la mort même si cela peut paraître une utopie (mais les utopies sont des guides de l’action). Enfin, l’auteur fait le constat que l’imagination de l’au-delà est finalement assez pauvre à l’instar des rites funéraires : conservation, destruction, abandon dans la nature ou sur des tours (chez les zoroastriens), inhumation, auxquels s’ajoutent les dons du corps à la médecine et la cryogénie (nouvelle espérance en la résurrection terrestre). De nos jours, on cherche de nouveaux moyens de se débarrasser des cadavres, toujours aussi inquiétants et encombrants qu’autrefois : par le compostage, par la dilution dans l’eau (aquamation), par la transformation en engrais, par la dispersion des cendres dans l’espace. Les rituels du traitement du cadavre apparaissent eux aussi limités. Pour nous, cette pauvreté est peut-être une conséquence de la sidération de la personne vivante face au cadavre qui est quelqu’un passé du sujet conscient et parlant à l’objet, un être non parlant. La médiumnité et le spiritisme théorisés par Allan Kardec (1804-1869) tentent de remédier au silence du défunt en affirmant qu’une communication serait encore possible avec lui. Dans l’expérience médiumnique, le mort conserve son pouvoir anxiogène : il incarne un danger potentiel pour les vivants puisqu’il peut incorporer l’un d’eux et en faire un possédé qu’on soumettra parfois à un exorcisme.

3L’auteur n’oublie pas mentionner les états de conscience modifiés dans lesquels lors d’une mort « non définitive », la personne aurait touché l’au-delà sous la forme d’un tunnel de lumière. C’est un des récits récurrents des réseaux sapienzo-gnostiques selon l’expression proposée par Jean Séguy pour désigner ledit Nouvel-âge qui recycle des idées gnostiques et des références à des sagesses anciennes. Lionel Obadia les fait entrer dans la laïcisation des représentations de l’au-delà. Effectivement, on se rappellera que les francs-maçons annoncent le décès d’une personne en disant qu’elle est entrée dans la « lumière éternelle » ou qu’elle est passée à « l’Orient éternel », une expression romantique qui élude le mot « mort » et le religieux. Une autre version laïque de la mort est le prolongement du défunt dans le virtuel informatique et peut être la possibilité de le faire communiquer avec les vivants grâce à l’intelligence artificielle qui puisera dans le stock de ses écrits et de ses paroles antérieures pour fabriquer des énoncés. Pour l’auteur, les contours et la géographie de l’au-delà s’en trouvent plus nébuleux encore que ceux que les religions ne l’avaient décrit.

4Sur la question d’une possible transformation actuelle du rapport à la mort et à l’au-delà, Lionel Obadia reste prudent. Il constate qu’il y a toujours une domestication de la mort, qu’il y a toujours une angoisse face à la finitude qu’est la mort, que la question de l’au-delà est plus large que celle de la mort et que les mutations qu’on constate dans ce domaine ne sont sans doute que la poursuite de mutations passées. On n’en finit jamais avec la confrontation à la mort et on ne révolutionne pas tout ce qui l’entoure et ce qu’elle produit dans la culture.

5Finalement, le livre de Lionel Obadia initie les lecteurs au vaste domaine qui s’est créé dans l’histoire des civilisations autour de la mort avec clarté et pédagogie, notamment avec ses résumés de chapitres. Nous ne pouvons que l’apprécier et le conseiller à un large public comme c’est le but de la collection dans laquelle il s’insère.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Régis Dericquebourg, « Lionel Obadia, L’au-delà. Penser la vie après la mort à travers l’histoire et les cultures », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 261-263.

Référence électronique

Régis Dericquebourg, « Lionel Obadia, L’au-delà. Penser la vie après la mort à travers l’histoire et les cultures », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76943 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138ud

Haut de page

Auteur

Régis Dericquebourg

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
  • Logo Éditions de l’EHESS
  • Logo CNRS - Institut des sciences humaines et sociales
  • OpenEdition Journals
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search