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Comptes rendus

Vincent Petit, Effacer la Révolution. Vie et mort des prêtres constitutionnels francs-comtois (1801-1830)

Besançon, Éditions Cêtre, 2019, 360 p.
Paul Airiau
p. 266-268
Référence(s) :

Vincent Petit, Effacer la Révolution. Vie et mort des prêtres constitutionnels francs-comtois (1801-1830), Besançon, Éditions Cêtre, 2019, 360 p.

Texte intégral

1Depuis ses premiers travaux au mitan des années 1990, Vincent Petit creuse avec constance sa voie : étudier l’histoire religieuse de la France-Comté, spécialement à partir du monde ecclésiastique. Depuis les années 2000, il utilise également cette histoire comme médiatrice afin d’analyser des évolutions et logiques plus larges, celles de l’Église postrévolutionnaire insérée dans une société en voie de sécularisation. C’est dire s’il peut capitaliser sur les abondants (et souvent militants) travaux des érudits locaux des xixe et xxe siècles, canonisés d’une certaine manière par cet axiome de Lucien Febvre, régulièrement cité (peu rigoureusement dans le référencement) par les historiens : « Je n’ai jamais su pour ma part et je ne sais toujours qu’un moyen, un seul, de bien comprendre, de bien situer la grande histoire. Et c’est d’abord de posséder à fond, dans tout son développement, l’histoire d’une région, d’une province » (« Le bibliothécaire, la bibliothèque et l’histoire », in Autour d’une bibliothèque. Pages offertes à M. Charles Oursel, conservateur de la Bibliothèque de Dijon de 1899 à 1942, à l’occasion de sa retraite, Dijon, Bernigaud et Privat, 1942, p. 111). C’est dire aussi s’il se situe au croisement de pratiques fondatrices de l’histoire religieuse contemporaine en France : l’histoire locale (diocésaine, régionale…...) ; la sociographie religieuse, articulée à la démarche prosopographique ; l’approche anthropologique. C’est dire enfin qu’il montre qu’il y a encore à creuser dans ces sujets qui ont déjà tant retenu l’attention : le rapport à la Révolution, spécialement au sein du clergé, à travers les conflits humains et mémoriels entre « constitutionnels » et « insermentés » ; le premier xixe siècle en sa reconstruction institutionnelle post-concordataire ; la complexe relation entre identités locales et logiques nationales et nationalisatrices.

2En travaillant sur les prêtres constitutionnels francs-comtois, il se positionne donc en digne héritier d’une illustre cohorte : Gérard Cholvy, Yves-Marie Hilaire, Jean-Marie Mayeur, Claude Langlois, Bernard Plongeron, Gaston Bordet, Yves Le Gallo. Il le fait à sa manière : dense, érudite, détaillée, voire pointilliste, fruit de minutieux dépouillements précisément exploités et exposés de manière détaillée – le texte aurait d’ailleurs gagné à être davantage aéré, au moins dans la présentation –, avec des montées en généralité parfois abruptes, mais fort éclairantes, qui trouvent leur aboutissement dans un « Épilogue » (chapitre 12) qui ressaisit une bonne partie de l’enquête réalisée.

3Le corpus comprend presque 550 ecclésiastiques du diocèse de Besançon constitué avec le concordat, retenus en fonction d’une série de critères : avoir prêté au moins un serment révolutionnaire (mais pas uniquement celui de « liberté égalité » en 1792), ou avoir été ordonné par un évêque constitutionnel, ou avoir été un religieux employé comme diocésain à partir de 1791, ou partager des positions constitutionnelles ; ne pas s’être rétracté avant 1803 ; être effectivement en service dans le diocèse à partir de 1803. Ces clercs représentent un peu moins d’un tiers du personnel diocésain, mais avec d’importantes variations locales. Ils sont, selon les arrondissements, entre 35 et 48 % des prêtres de l’ancien diocèse constitutionnel du Jura, entre 36 et 43 % des clercs diocésains de l’ancien diocèse constitutionnel de Haute-Saône, et seulement 16 à 22 % du personnel ecclésiastique de l’ancien diocèse constitutionnel du Doubs. Cependant, leur relative importance numérique ne fait rien, ou pas grand-chose, à leur difficile, voire impossible coalescence avec les anciens insermentés et le clergé nouvellement produit à partir de 1803.

4En effet, Vincent Petit le souligne en étudiant de manière détaillée et attentive nombre d’itinéraires et de situations locales, plusieurs facteurs font de la division cléricale un élément presque structurel du diocèse bisontin jusque dans les années 1820-1830. Tout d’abord, l’identité de celui-ci, bastion de la Contre-Réforme et frontalier, permet que la réorganisation ecclésiastique de 1791 (division en trois nouveaux diocèses) soit sapée par ceux qui s’y opposent. Au nom de la fidélité au pape, la hiérarchie réfractaire s’installe en Suisse, transformée en un pôle de résistance et de préparation à la reconquête, d’où elle alimente en publications, en pastorale et en clercs plus ou moins clandestins une opposition continue à l’Église constitutionnelle. Ensuite, l’opposition idéologique entre les deux clergés, rapidement radicale, ne disparaît pas avec le concordat. Deux camps opposés se constituent : d’un côté, les héritiers d’un courant catholique éclairé voyant dans la régénération révolutionnaire l’accomplissement du catholicisme, par pleine insertion dans des communautés politiques locales dont il était censé être l’expression aboutie ; de l’autre, des insermentés faisant primer la fidélité au Saint-Siège à toute articulation au politique, dépolitisant le catholicisme tout en espérant l’éradication du passé révolutionnaire, soumis à l’ordre consulaire et impérial tant qu’il s’entend avec le pape, voyant finalement dans la Restauration la possibilité d’un effacement religieux de la Révolution. Enfin, les scansions politiques permettent la domination progressive du camp intransigeant. Ancien évêque constitutionnel de Rennes nommé à Besançon par Bonaparte, Mgr Le Coz doit composer avec le clergé insermenté, ne réussit pas à imposer la fusion des clergés et ne peut contrôler la formation des prêtres, qui demeure dans la main des intransigeants par le biais notamment de nombreuses écoles cléricales (chapitre 5). Le retour des Bourbons est l’occasion d’une pulsion éradicatrice du clergé constitutionnel portée par les intransigeants, voulant unifier le monde clérical, ecclésiologiquement, politiquement, pastoralement, anthropologiquement, « chasse aux sorcières » (chapitre 8) cherchant la rétractation des constitutionnels par tous les moyens, ou presque, et qui se poursuit jusque dans les années 1830, ses apogées se situant en 1816-1817 et 1820-1821. Ajoutons des circonstances ponctuelles, soit des politiques administratives comme la nomination par Le Coz de constitutionnels dans des paroisses leur servant bientôt de bastions, ainsi que la succession rapide des archevêques après 1815, qui assure à l’administration cléricale intransigeante (et aux clercs plus largement) une vraie autonomie face au titulaire du siège.

5Deux clergés cohabitent donc à Besançon, réglant définitivement leurs comptes après 1814-1815, mais avec des constitutionnels dans l’impossibilité de l’emporter, par extinction naturelle et subissant une forte pression, souvent efficace, pour rétracter leurs serments ou attitudes sous la Révolution. Vincent Petit peut ainsi souligner les profondes divergences entre deux modèles cléricaux (chapitre 11). D’un côté, celui des insermentés, unitaire, voire uniformisateur, facilement clérical, batailleur, prêt au conflit avec les communautés locales et les autorités politiques, entretenant la mémoire des épreuves révolutionnaires, discréditant les constitutionnels – de mauvais prêtres, désobéissants, dévoyés –, construisant une mémoire ignorant la complexité des itinéraires, exacerbant a posteriori les oppositions et servant à créer un esprit de corps parmi des clercs d’origine paysanne connaissant par leur sacerdoce une ascension sociale. De l’autre, celui des constitutionnels, avec deux grands ensembles : des clercs issus de l’Aufklärung catholique, intellectuellement solides, fidèles au gallicanisme théologique, ayant une culture de la soumission aux lois jusque sous la République terroriste, solidaires de leur communauté paroissiale, résistant sans espoir à la pression intransigeante ; et des clercs (environ un tiers) paraissant parfois d’occasion, avec des religieux sécularisés, des ordonnés d’après 1791, mal insérés dans les réseaux cléricaux et villageois, aux parcours heurtés, aux mœurs plus incertaines.

6Au final, les intransigeants, engagés dans une forcenée réduction a quia des constitutionnels, obtiennent satisfaction, mais avec un résultat sociopolitique inverse de celui qu’ils recherchaient, soit l’oblitération du passé révolutionnaire. En effet, l’uniformisation des structures ecclésiastiques dans le cadre de la réorganisation concordataire donne une place accrue aux collectivités villageoises. La succession en de mêmes lieux de clercs constitutionnels, liés aux communautés paroissiales par des solidarités politiques, familiales et villageoises, enracine un catholicisme « patriote », « bleu », « démocrate », d’autant que les heurts politiques des années 1814-1840, faisant rejouer régulièrement les failles révolutionnaires, réactivent et entretiennent les clivages hérités. Sont ainsi déjà présents les germes des divergences dans la pratique et le vote qui se manifesteront après 1848 et sous la IIIe République.

7C’est donc un travail plus qu’utile que propose Vincent Petit, un approfondissement fort bien venu de la première partie de son Catholiques et Comtois. Liturgie diocésaine et identité régionale au xixe siècle (Cerf, 2011), où les constitutionnels avaient déjà été étudiés. Multipliant les exemples et les cas particuliers, il redonne chair à un passé conflictuel, ce que symbolise le répertoire biographique des constitutionnels qui occupe 63 pages d’annexes. À cet égard, combien sont exceptionnellement parlantes les illustrations de la couverture : deux portraits de Jean Henri François Marion (1764-1820), qui prête serment en 1791, démissionne en 1794 sans livrer ses lettres de prêtrise, reprend ses fonctions en 1795 et finit curé de Lons-le-Saunier, rallié aux Bourbons, chanoine honoraire, chevalier de la Légion d’honneur. Le premier, de 1818, par le portraitiste à succès Joseph Combette, présente un clerc à son apogée, revêtu de toutes les marques de sa notabilité : rabat, camail, croix honorifique ; il ne dit rien du passé ni des conflits latents avec les intransigeants. Le second, de la fin du xixe siècle, par Antoine Désiré Mazaroz, originaire de Lons-le-Saunier, décalque la pose du premier pour représenter Marion en l’officier municipal qu’il fut lors de sa carrière politico-administrative, menée parallèlement à son ministère à partir de 1795. Entre les deux œuvres, presque 80 ans, qui n’ont pas occulté la mémoire de Marion, réactivée en un sens explicitement constitutionnel et républicain : non point un catholicisme intransigeant, clérical, constitué en corps de bataille, mais un catholicisme participant à l’administration de la chose publique au service de tous.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Airiau, « Vincent Petit, Effacer la Révolution. Vie et mort des prêtres constitutionnels francs-comtois (1801-1830) », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 266-268.

Référence électronique

Paul Airiau, « Vincent Petit, Effacer la Révolution. Vie et mort des prêtres constitutionnels francs-comtois (1801-1830) », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76964 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138uf

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Auteur

Paul Airiau

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