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Comptes rendus

Hérold Pettiau, Anne Wagner (dir.), L’évêque contesté. Les résistances à l’autorité épiscopale des Pays-Bas à l’Italie du Nord

Paris, Classiques Garnier, 2023, 249 p.
Alexis Fontbonne
p. 268-270
Référence(s) :

Hérold Pettiau, Anne Wagner (dir.), L’évêque contesté. Les résistances à l’autorité épiscopale des Pays-Bas à l’Italie du Nord, Paris, Classiques Garnier, 2023, 249 p.

Texte intégral

1Publication des actes d’une journée du LODOCAT, cet ouvrage est composé de dix études de cas, rigoureusement cadenassées thématiquement et géographiquement, ce qui en assure la cohérence malgré une ampleur chronologique considérable, allant de l’an mil jusqu’au xviiie siècle. Il porte sur la construction de l’image négative de l’évêque dans une zone qualifiée successivement de Lotharingie puis de dorsale catholique. Les études montrent un certain état des luttes symboliques où des acteurs centraux du monde ecclésial ne sont cependant pas maîtres de l’économie des valeurs. Le volume représente un apport aux travaux de Myriam Soria ou à la thématique plus générale de l’anticléricalisme croyant en se concentrant sur un espace spécifique où se superposent fréquemment des pouvoirs en concurrence et qui a pu constituer une « zone frontière », que ce soit au moment de la réforme grégorienne, durant le grand schisme, les guerres de religion, mais aussi à chaque fois qu’un nouveau pouvoir princier cherche à s’imposer (royaume de France, ducs de Bourgogne, maison de Savoie).

2Dans ce cadre, il devient alors possible de mesurer les variations aussi bien des formes que des conditions d’efficacité de la contestation. Anne Wagner montre, à propos des évêques de Toul, que les accusations de comportements tyranniques sont récurrentes, mais relativement sans effet durant le haut Moyen Âge, tandis que la situation s’inverse au xie siècle : l’évêque est désormais remis en question à l’aune de l’idéal réformateur et si ces contestations s’intègrent dans des rapports de force locaux, elles permettent un renforcement des capacités d’intervention de la papauté. Si le célèbre cas de Manassès II de Reims, abordé par John S. Ott, montre que les grégoriens peuvent obtenir la déposition d’un évêque, après l’avoir initialement soutenu, cet interventionnisme pontifical peut lui-même être contesté : Pibon de Toul reproche à Grégoire VII d’avoir écouté les plaintes d’un inférieur contre son évêque. La dilapidation des biens épiscopaux semble constituer l’angle d’attaque le plus efficace, il permet la déposition de Mathieu de Toul au xiiie siècle, avant que ne s’y ajoutent des critiques morales, cette exigence d’un évêque qui doit avant tout être un bon gestionnaire se retrouve dans les Gesta des princes-évêques de Trêves au xve siècle (Christine Barralis). Ainsi, de Manassès II de Reims confisquant les biens de son prévôt à Renaud de Bar pressurant ses clercs pour rembourser l’emprunt nécessaire au paiement lié à sa nomination réclamé par Boniface VIII, les enjeux temporels – poids stratégique des évêchés pour l’aristocratie – peuvent entraîner les évêques dans des conflits avec les communautés cléricales et urbaines, de plus en plus unies (Michel Margue).

3Le caractère progressivement formel des demandes de déposition – Émilie Rosenblieh rappelle à raison que depuis Latran IV les critères de dignité épiscopale sont devenus un véritable droit opposable fondé sur l’âge, les connaissances, mais surtout les mœurs et en particulier l’accusation d’hérésie, dans son sens le plus large – donne une certaine unité discursive à l’immense variété des cas produits par le chevauchement des intérêts. Cette unité apparaît dans l’étude menée par Nicolas Ruffini-Ronzani sur Gaucher, candidat malheureux à l’épiscopat cambrésien dans le contexte de la réforme grégorienne. Ce prélat, soutenu par les clercs opposés à la partition du diocèse (Cambrai/Arras) et par l’empereur, est présenté comme un pacificateur opposé à des grégoriens qui s’appuient aussi bien sur une aristocratie guerrière rebelle que sur la population urbaine. La dénonciation des seigneurs pillards ne semble ainsi pas être une caractéristique des réformateurs, mais un élément de disqualification présent de part et d’autre dans le discours du temps.

4C’est dans ce cadre qu’il devient possible de nuancer la question de l’opinion publique soulevée par John S. Ott, à la suite des travaux de Leidulf Melve. Il est certain que le comportement épiscopal le plus scandaleux, combinant oppression des clercs et mœurs contraires aux valeurs grégoriennes, menace la fama de l’Église en général et peut conduire à remettre en cause la valeur même des symboles ecclésiastiques : Esther Dehoux montre comment, dans des sources littéraires, la crosse évolue en croche au service de l’avidité épiscopale. Mais l’on reprendra l’idée conclusive de Steffen Patzold d’une corrélation entre cette dimension et la capacité de diffusion des « médias » et surtout l’étendue des couches sociales pertinentes pour rappeler que cette question de la réputation et du scandale public peut participer d’un argumentaire, plus que de la réalité d’une opinion publique préexistante, voire même existante. Lorsque Manassès évoque les chansons concernant les mœurs de ses accusateurs, son prévôt et l’évêque de Langres, il peut être risqué d’y voir une description de la réalité, ce qui amènerait alors à accorder foi aux accusations elles-mêmes (le prévôt de la cathédrale de Reims est ainsi censé coucher avec sa sœur, une abbesse). L’allusion au scandale public semble ici, comme dans le cas des accusations grégoriennes, un élément au sein d’un argumentaire de disqualification, ce qui explique que la lettre de Manassès se retrouve dans les collections impériales en 1085. La multiplicité des réconciliations attestées montre que la couche sociale pertinente à la légitimation d’un évêque est d’une étendue bien trop réduite pour que l’on puisse parler d’une opinion publique. À la lecture de la conclusion de S. Patzold évoquant les scandales contemporains qui déstabilisent certains prélats, on se permettra aussi de rappeler combien, à l’époque actuelle, il est important de distinguer le « public » dont l’opinion réputée connue est sans cesse sollicitée dans le champ médiatique, de la réalité d’une « opinion publique ».

5La référence au scandale public doit donc être intégrée à un argumentaire qui peut faire écran à la compréhension des luttes tant il en conditionne les formes. La question de la dignité de l’évêché d’Utrecht s’insère dans les rivalités entre le concile et la papauté, auxquelles se surimposent les ambitions de Philippe le Bon qui varient en fonction des rapports de force – le duc de Bourgogne change de candidat au gré des chances de succès de chacun – rien de tout cela n’empêchant le prétendant initialement choisi par le chapitre, et d’abord soutenu par le concile puis par la papauté, de gouverner l’essentiel du diocèse, mais légitimant en revanche diverses interventions conflictuelles et révoltes (Émilie Rosenblieh). Si elles peuvent permettre à des pouvoirs concurrents de s’affronter pour l’autorité au sein de l’ecclésia, les catégories de la dignité ecclésiales pèsent cependant assez pour s’imposer y compris au discours protestant : c’est le cas du pamphlétaire de Maastricht Samuel Des Marets étudié par Julien Léonard qui, pour s’attaquer au prince évêque de Liège sans apparaître comme un rebelle à l’ordre fragile de la région, valorise le pouvoir princier tout en affirmant son incompatibilité avec la fonction épiscopale. C’est aussi dans ce cadre discursif que se traduit l’élimination des évêques et de leur clientèle, cœur de réseaux aristocratiques locaux contre lesquels l’absolutisme d’état des Savoie s’impose progressivement (Paolo Cozzo). La dimension discursive ne peut être abordée comme une simple surface des enjeux « réels », car la capacité à manipuler les symboles constitue une des dimensions de l’action : il en est ainsi de l’impopularité des évêques du xviie siècle, suscitée à la fois par leur mise en place autoritaire de la réforme et les dépenses consacrées à la magnificence de l’église, mais qui est réinterprétée comme l’une des dimensions légitimant un modèle pastoral fondé sur la souffrance (Frédéric Meyer).

6Fortement documenté, l’ensemble de l’ouvrage montre, dans toute sa diversité, combien les oppositions à la figure et au pouvoir de l’évêque sont venues depuis de multiples lieux sociaux et ecclésiaux dans la longue durée de l’histoire de l’Église.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alexis Fontbonne, « Hérold Pettiau, Anne Wagner (dir.), L’évêque contesté. Les résistances à l’autorité épiscopale des Pays-Bas à l’Italie du Nord », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 268-270.

Référence électronique

Alexis Fontbonne, « Hérold Pettiau, Anne Wagner (dir.), L’évêque contesté. Les résistances à l’autorité épiscopale des Pays-Bas à l’Italie du Nord », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 14 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76968 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138ug

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Auteur

Alexis Fontbonne

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