Emmanuel Pisani, Zohra Aziadé Zemirli (dir.), Renouveau et dynamiques de l’islamologie en Europe
Emmanuel Pisani, Zohra Aziadé Zemirli (dir.), Renouveau et dynamiques de l’islamologie en Europe, Paris, Éditions du Cerf, coll. « Patrimoines », 2023, 235 p.
Texte intégral
1L’ouvrage dirigé par Emmanuel Pisani et Zohra Aziadé Zemirli, issu d’un séminaire organisé en juin 2021 à l’Institut catholique de Paris, aborde différents aspects de la recherche sur l’islam en Allemagne, Belgique, France et Italie. Après une introduction, quatre parties regroupent les quinze articles qui composent ce volume. Elles portent respectivement sur l’étude de l’islam par-delà les frontières, les défis européens d’un objet commun de recherche, l’interdisciplinarité et la diffusion de la recherche au-delà du champ académique. Dans un souci de clarté, nous suivrons ici le plan des interventions du séminaire, plutôt que leur reclassement, liées aux grands équilibres du volume, par ses éditeurs.
2Un premier ensemble de contributions définit l’islamologie et sa pratique. L’introduction note qu’il s’agit de « l’étude de l’islam, ses sources scripturaires, ses penseurs, son droit, sa théologie, sa mystique, sa philosophie, qu’il convient de contextualiser de manière critique par rapport à un environnement politique et religieux spécifique et d’approcher en consonance avec un contexte textuel, non nécessairement islamique, qui relève d’un jeu d’interactions, de dialogues, de rencontres, de positionnements au sein d’environnements sociaux et intellectuels divers » (p. 7). À partir de cette définition, plusieurs auteurs soulignent l’importance de l’interdisciplinarité (Cédric Baylocq, Haouès Seniguer et plusieurs intervenants au séminaire de juin 2021).
3Les recherches réunies ici sont plus ou moins enclines à insister sur l’approche critique de la discipline. Abdessamad Belhaj en fait un point cardinal de son approche. Dominique Avon revient quant à lui sur la difficile réception de l’islamologie historico-critique à l’Université d’al-Azhar. La remarquable présentation de « l’islamologie à l’Institut catholique de Paris » par Emmanuel Pisani (p. 35-49), montre bien l’originalité de l’islamologie catholique, qui s’efforce à la fois d’œuvrer à la connaissance de l’islam par la méthode des sciences humaines et sociales, et de contribuer au dialogue interreligieux, en s’appuyant sur l’héritage du concile de Vatican II (1962-1965). Quatre autres contributions attestent du dynamisme de la recherche et de l’enseignement sur l’islam dans les institutions catholiques en Europe et au Liban (Michele Brignone, Michel Younès, Brigitte Maréchal et Abdessamad Belhaj, et Markus Kneer).
4À l’exception de la présentation, par John Tolan, de l’ambitieux projet sur le Coran européen (qu’il dirige en compagnie de Mercedes García-Arenal et de Jan Loop), et de celle, non publiée, du projet ANR-DFG Prophet par Dilek Sarmis, la majorité des autres participants au séminaire portent sur des initiatives et des projets d’organisation de l’islam dans les pays européens. Francis Messner présente deux projets de formation en études interreligieuses à l’Université de Strasbourg, en partenariat avec les universités de Bale, Tübingen et Heidelberg (Interreligio), et d’aide à la formation à l’interreligieux dans les entreprises (Relien). Comme énoncé précédemment, Brigitte Maréchal et Abdessamad Belhaj font le bilan de l’enseignement et de la recherche sur l’islam à l’Université catholique de Louvain, et appellent à « assumer les risques de la formation d’un leadership musulman en Europe » (p. 202) : « Les collaborations entre milieux universitaires et musulmans, d’une part, et entre disciplines et compétences variées sur l’islam, d’autre part, s’avèrent nécessaires pour bâtir des esprits et des intelligences qui permettent l’épanouissement de postures tolérantes » (p. 202). Mouez Khalfaoui propose un bref bilan de l’introduction des cours de religion (islamische Religionslehre) dans les cursus scolaires allemands, qui mettent en avant la dimension éthique plutôt que juridique de la religion, dans une perspective post-kantienne.
5Au-delà de l’enseignement et de la formation, la question des rapports entre l’islam et l’État apparaît dans deux contributions. Ines Peta décrit la longue marche vers la formalisation des relations entre l’État et les musulmans italiens, à travers la lutte contre la radicalisation et la signature en février 2017 d’un Pacte national pour un islam italien, qui doit servir de cadre pour accompagner les associations religieuses musulmanes vers la reconnaissance en tant qu’entités cultuelles par l’État. Michaël Privot revient sur une arlésienne, dont on parle depuis des dizaines d’années : la formation des imams, ces figures centrales de l’islam en Europe, à qui fidèles et pouvoirs publics confèrent souvent les attributs d’un quasi-prêtre. Il relate les difficultés rencontrées pour mettre en place une formation à l’échelle européenne, en raison de la complexité des structures institutionnelles, des intérêts divergents des parties, de la rotation rapide des interlocuteurs et du manque de financement et des problèmes légaux liés au cadre, en France, de la laïcité.
6Pour terminer, plusieurs auteurs des articles de l’ouvrage et d’interventions au colloque non publiées posent le problème crucial de la diffusion des résultats de la recherche en islamologie. Francis Messner évoquait, nous l’avons vu, la formation en entreprise. D’autres interventions, restées inédites, abordaient les cas des aumôniers musulmans (Anne Troadec), de la prison (Hala Jalloul-El Mir) et du monde associatif (Convivencia, présentée par Houssame Bentabet). L’espace numérique reste cependant le problème majeur, puisqu’Internet est massivement utilisé par les courants les plus conservateurs de l’islam, parfois financés par des puissances étrangères, pour promouvoir leur vision de l’islam, alors que les résultats de la recherche islamologique peinent à conquérir une visibilité notable. C’est la raison pour laquelle l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (IISMM), sollicité par le Groupe d’intérêt scientifique Moyen-Orient et mondes musulmans (GIS MOMM), a lancé une série de vidéos en ligne sous le titre « Abécédaire de l’islam », dont la réalisation est racontée par Anne Troadec. La présence de l’islam en ligne s’impose donc comme l’un des plus brûlants défis des années à venir.
7En parcourant avec intérêt ce volume, on regrettera peut-être un manque de travail éditorial. Dans l’introduction, on relève ainsi « non-étatique » (p. 8) au lieu de non étatique, « non-confessante » (Ibid.) au lieu de non confessante, « indument » (p. 13) au lieu d’indûment, une confusion entre le discours direct et le discours indirect (« La question posée était de mesurer comment ces programmes ont-ils pu… », p. 13), le nom par deux fois écorché d’une autrice (Semiç au lieu de Sarmis), « ambigüe » (p. 16) au lieu d’ambiguë et enfin « déroulé » (p. 19) au lieu de déroulement. Les titres courants de l’article de John Tolan portent encore « L’islamologie à l’Institut catholique de Paris », intitulé de l’article précédent d’Emmanuel Pisani. L’illustration floue de la mosquée de Cologne, en première de couverture, aurait sans doute pu être améliorée.
8Ce livre utile, qui offre un panorama des recherches islamologiques récentes et de leurs enjeux sociaux, ne prétend pas remplacer un bilan exhaustif de l’islamologie française et européenne, à l’image des cahiers et livres blancs publiés par le GIS MOMM pour la France (accessibles en ligne). Les grands projets collectifs, aux budgets parfois colossaux, oblitèrent quelque peu le dynamisme des recherches islamologiques conduites parfois par des individus ou des groupes informels. Les différentes contributions permettent de saisir l’ampleur et la variété, mais aussi les limites des efforts menés pour donner toute sa place à l’islam en Europe, sur les fronts de l’enseignement et de la formation, de l’élaboration de cadres institutionnels et de la recherche scientifique.
Pour citer cet article
Référence papier
Renaud Soler, « Emmanuel Pisani, Zohra Aziadé Zemirli (dir.), Renouveau et dynamiques de l’islamologie en Europe », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 278-279.
Référence électronique
Renaud Soler, « Emmanuel Pisani, Zohra Aziadé Zemirli (dir.), Renouveau et dynamiques de l’islamologie en Europe », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 14 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/77002 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138uj
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