Yvon Tranvouez, Plus vite, plus haut, plus fort. Le père Didon, inspirateur des Jeux olympiques
Yvon Tranvouez, Plus vite, plus haut, plus fort. Le père Didon, inspirateur des Jeux olympiques, Paris, Cerf, 2024, 344 p.
Texte intégral
1La figure du Père Didon (1840-1900) a déjà fait l’objet de plusieurs travaux, parmi lesquels la thèse de doctorat soutenue par Simone Hoffmane à la Sorbonne en 1985. En cette année olympique, elle refait surface, par une biographie que lui consacre Yvon Tranvouez, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Bretagne occidentale et spécialiste des mutations du catholicisme français à l’époque contemporaine. Une telle publication est tout à fait opportune, car ce dominicain est l’inventeur de la devise « plus haut, plus vite, plus fort ». Elle fut au départ celle de l’association de sports athlétiques, que Didon avait fondée pour ses élèves d’Arcueil, avant que Pierre de Coubertin, qui le fréquentait alors, ne la reprenne à l’occasion du premier congrès du Comité international olympique, en 1894. C’est le Didon que donne à voir l’éditeur, à travers le titre de l’ouvrage et une couverture quelque peu anachronique, qui montre un stade bondé en arrière-plan. Mais, comme l’auteur le rappelle fort justement dans son prologue, la figure du père Didon ne doit pas être réduite à cette formule claquante, à l’heureuse postérité. Le corps du livre, qui présente un riche personnage dans toute sa complexité, le démontre.
2L’ouvrage suit un fil chronologique et met en valeur trois grandes phases dans la carrière de ce dominicain de la province de France. La première est celle de son ascension. Né en 1840 au pied du massif de la Chartreuse et ordonné en 1862, Henri Didon (ou Martin Didon, en religion) s’impose rapidement comme un brillant orateur. « Le Père Didon est une étoile qui se lève », écrit Le Figaro en 1867. En digne fils de Lacordaire, il mène une carrière de prédicateur, allant là où on l’appelle, à Paris comme en province, où sa capacité à improviser et à capter l’attention séduit. Soutenu par Léon XIII, ce chantre du libéralisme se présente comme le champion du catholicisme moderne, le fer de lance de la conciliation de l’Église avec la société nouvelle. Mais ses prises de position, parfois imprudentes, agacent. Et bientôt, ses adversaires l’accusent de transformer ses prêches en meetings. Sa bonne étoile pâlit et les années 1879-1880 marquent l’ouverture d’une période de disgrâce, qui dure environ une décennie. Il se consacre à l’écriture et publie en 1890 un monumental Jésus Christ, qui devient un succès de librairie. Commence alors le troisième temps de sa carrière, au cours duquel il est chargé de relancer le collège Albert-le-Grand d’Arcueil, qui était aux mains du Tiers-ordre enseignant. Didon multiplie les investissements et crée un véritable complexe scolaire, qui rassemble quatre écoles. Le pari est réussi. L’ensemble scolaire attire et s’impose comme un haut lieu du catholicisme libéral. Le père Didon y promeut une éducation à l’anglaise, qui associe les travaux intellectuels et la pratique sportive. La surveillance implacable, qui est alors le pilier de la discipline dans la plupart des institutions catholiques, cède la place à la confiance, en particulier lors des activités sportives. C’est dans ce cadre qu’il se rapproche de Pierre de Coubertin, qui souhaitait organiser des compétitions auxquelles participeraient communément les élèves des institutions catholiques et ceux des établissements publics. Didon, qui voyait le sport comme un moyen d’aller vers la République, lui réserve le meilleur accueil.
3L’ouvrage se referme par un chapitre transversal, consacré à la relation étroite que le dominicain noua avec trois femmes : Caroline Commanville – la nièce de Flaubert – Thérèse Vianzone et Gabrielle de Saint-Vincent Brassac, trois personnes sur lesquelles Didon exerça une profonde influence, par la parole ou par la plume. Ce sont les proches, les confidentes. C’est chez l’une d’entre elles, la marquise de Brassac, qu’il mourut subitement en 1900. Une telle fin ne manqua pas de susciter un certain malaise. Yvon Tranvouez interroge avec pertinence cette mort embarrassante et y voit surtout un « adultère cérébral ». Didon, qui est décrit avec justesse comme « narcissique », semble avoir avant tout aimé tenir ces femmes en haleine et se réfléchir en elles.
4Les formules incisives et la plume vive de l’auteur rendent cette biographie très agréable à lire. Elle l’est d’autant plus que le récit est entrecoupé de longs passages d’archives, bien choisis, qui permettent de s’immerger dans les sources et de plonger dans le milieu décrit. Sur le fond, l’apport de ce livre est triple. Tout d’abord, il offre une magnifique exploration des arcanes de l’ordre dominicain. En suivant Didon, on observe les rapports de force internes, les nuances entre la province de Toulouse et la province de France, plus libérale, et la manière dont une carrière se fait ou se défait dans l’ordre prêcheur à la fin du xixe siècle. Deuxièmement, cet ouvrage est une excellente fenêtre sur la prédication à l’époque concordataire, un sujet sur lequel l’histoire religieuse ne s’attarde guère aujourd’hui. L’auteur nous fait entrer dans la psychologie de Didon qui monte en chaire pour conquérir les âmes et il décortique ses techniques oratoires. Il nous rappelle comment on se presse pour écouter les meilleurs orateurs et aussi pour se faire voir. Il fait entendre le frou-frou des robes et sentir les parfums qui s’élèvent de l’élégant auditoire. Ce faisant, il nous fait pénétrer dans un univers mondain, notamment le Paris de la rive droite, qui se donne rendez-vous pour entendre les prédicateurs en vogue. Enfin, et c’est sans doute le principal apport de cette biographie, ce livre permet de saisir au plus près ce qu’est un catholique libéral de la fin du xixe siècle, à l’heure où l’intransigeantisme domine. Le libéralisme, qui se décline sous son versant religieux, exégétique, philosophique et scolaire, est le fil conducteur de cet ouvrage. Les passages consacrés à Arcueil sont, de ce point de vue, tout à fait éclairants. Ce complexe scolaire apparaît comme un véritable laboratoire du ralliement à la République, où sont formées des élites prêtes à se fondre dans le siècle. Mais le succès, qui reposait sur les réseaux que Didon avait tissés quand il était prédicateur, fut de courte durée. Arcueil ne survécut que quelques années à son prieur et ferma en 1906. La dispersion des restes du complexe scolaire accéléra l’effacement de la mémoire de Didon, d’autant plus qu’il avait toujours conservé des opposants au sein de son ordre.
5En étudiant en profondeur la vie et la postérité de Didon, Yvon Tranvouez observe avec brio la place du religieux dans la cité, qui forme la trame de son livre. Il se pose ainsi en digne héritier d’Émile Poulat, dont la carrière fut consacrée à éclairer les conflits entre la culture catholique et la culture moderne.
Pour citer cet article
Référence papier
Samuel Gicquel, « Yvon Tranvouez, Plus vite, plus haut, plus fort. Le père Didon, inspirateur des Jeux olympiques », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 299-300.
Référence électronique
Samuel Gicquel, « Yvon Tranvouez, Plus vite, plus haut, plus fort. Le père Didon, inspirateur des Jeux olympiques », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 13 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/77094 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138uu
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