Barbara Vosberg, Deutsche Katholiken und das Heilige Land, im Spiegel der Publikationen des Deutschen Vereins vom Heiligen Land und der Deutschen Statthalterei des Ritterordens vom Heiligen Grab zu Jerusalem, 1855-1970
Barbara Vosberg, Deutsche Katholiken und das Heilige Land, im Spiegel der Publikationen des Deutschen Vereins vom Heiligen Land und der Deutschen Statthalterei des Ritterordens vom Heiligen Grab zu Jerusalem, 1855-1970, Münster, Aschendorff Verlag, 2019, 399 p.
Texte intégral
1L’intérêt catholique allemand pour la Terre sainte s’inscrit dans le cadre général européen du renouveau religieux du xixe siècle, du nouvel intérêt occidental pour l’Orient, « croisade pacifique ». Barbara Vosberg s’attelle à retracer la mise en place de ce mélange de diplomatie, de religion et de science qui culmine à la fin du xixe siècle, facette de la mission civilisatrice à l’apogée de l’ère coloniale. Un ensemble mis à mal, dans le cas allemand, par la Première Guerre mondiale. Si la présence allemande demeure par la suite, ses dimensions ne sont plus comparables aux ambitieux projets antérieurs.
2Pour étudier le rapport catholique allemand à la Terre sainte, l’autrice se penche sur ses deux principaux acteurs : le Deutscher Verein vom Heiligen Lande (DVHL, fondée au milieu du xixe siècle, Association allemande pour la Terre sainte, équivalent allemand de l’œuvre des écoles d’Orient), et la Deutsche Statthalterei des Ritterordens vom Heiligen Grab zu Jerusalem (lieutenance allemande de l’Ordre du Saint-Sépulcre, formalisée en 1932). Il existe une large union personnelle entre les deux, et les deux institutions ont Cologne pour siège. L’autrice en étudie l’action en s’appuyant sur les maigres archives – du fait des destructions de la Seconde Guerre mondiale – et sur Das Heilige Land, le périodique du DVHL. Son travail est logiquement chronologique, avec un bornage lié à la fois au contexte moyen-oriental et aux circonstances intérieures allemandes.
3La « croisade pacifique » allemande participe du mouvement européen vers la Terre sainte. L’appui officiel vaut principalement à partir de Guillaume II, soucieux d’obtenir les suffrages catholiques en politique intérieure et étrangère, après la fin du Kulturkampf ; les catholiques allemands, loyaux à Rome, étant également désireux de reconnaissance en Allemagne même, se regroupent en organes représentatifs d’un milieu principalement rhénan décrit par l’autrice, venant à l’appui de la hiérarchie catholique. Ils constituent aussi l’antenne allemande de réseaux internationaux (Ordre du Saint-Sépulcre), constitués d’élites aristocratiques ou bourgeoises. Si l’action catholique allemande en Palestine est d’abord pensée comme internationale, pour le bien du catholicisme, la nationalisation des buts s’inscrit logiquement dans l’évolution nationaliste de la fin du xixe siècle : l’action au bénéfice de la Terre sainte et des intérêts catholiques se fait sous obédience allemande (« echt katholisch », « gut deutsch »), avec l’idée de développer un réseau à vocation caritative, contre les rivaux français, et les autres confessions présentes sur place. En cela, et l’autrice ne le précise pas assez, l’action et la perception allemandes du contexte palestinien ne sont guère différentes des représentations françaises, par exemple par une méfiance, voire un mépris généralisé envers tout ce qui n’est pas catholique. Les catholiques allemands vont même jusqu’à développer un projet de colonies de peuplement, visant à marquer le terrain comme l’ont fait d’autres Allemands, liés à la secte protestante des Templer (projet inabouti toutefois). Leur projet éducatif se veut plus respectueux que celui des Français : la mission civilisatrice passe par l’acculturation, sans imposition d’un modèle culturel et linguistique. Si l’Autre (le local) est perçu avec distance, il peut progresser par une action raisonnée à son endroit, qui émane d’un Allemand catholique en quête de visibilité, sous le signe d’une devise partagée avec l’œuvre d’Orient (« Gott will es ! ») et avec la bénédiction de Rome (« Ce combat est désormais explicitement mené non pas contre, mais pour l’Orient, qui a conservé l’Eucharistie comme symbole de l’amour fraternel et de l’unité ecclésiale », p. 121). Avant 1914, en dépit de leurs protestations de germanité, ces catholiques allemands demeurent suspects d’être trop liés à Rome, de trop dépendre des congrégations françaises auxquelles certains sont rattachés. Alors qu’ils sont perçus comme trop allemands par leurs frères en religion français.
4Sur des fondements désormais installés (des établissements catholiques allemands et une abbaye bénédictine consacrée en 1910, bâtis sur un terrain donné par le Kaiser lors de son passage en Palestine en 1898), la Première Guerre mondiale apparaît comme la possibilité de réaliser de grands projets allemands, avec une guerre de défense, juste, au nom de Dieu, et en vertu de projets divins. Ces perspectives prometteuses (les catholiques allemands étant désormais avec les austro-hongrois les seuls représentants de leur confession) font long feu : le nationalisme déchaîné des catholiques allemands, en Allemagne ou en Palestine, est confronté à l’évolution embarrassante du conflit (génocide des Arméniens et appel au djihad tacitement approuvés par Berlin), et plus de réserve s’impose.
5Expulsés temporairement de Palestine parce que ressortissants d’une puissance vaincue, les catholiques allemands peuvent réinvestir leurs établissements dès 1920. Mais le contexte est désormais différent : à l’Empire ottoman succède l’Empire britannique, la Palestine devenant un mandat confié à la Grande-Bretagne. À la rivalité internationale, au nationalisme succède une proclamation plus forte de loyauté romaine : il s’agit alors de s’opposer à un avenir sioniste de la Palestine par une croisade, toujours pacifique, visant à affirmer les droits catholiques et chrétiens auprès des Lieux saints. Mais les moyens sont réduits : les catholiques allemands sont confrontés à la situation économique et financière désastreuse de leur pays, qui tarit également les flux de pèlerins. L’heure est au rapprochement avec les Églises orientales, à la mission et à la charité, à l’universalité de l’action, le tout aligné sur une politique romaine de plus en plus centralisatrice. S’immergeant dans l’environnement arabe (avec apprentissage de la langue), respectueux de l’identité arabe, les catholiques allemands reflètent également l’antijudaïsme traditionnel, qui confine à l’antisémitisme, voyant dans le projet sioniste une nouvelle illustration de l’aspiration juive à la domination mondiale. Leur combat s’affiche contre la libéralisation des mœurs dans une Palestine où pénètre une modernité portée par les sionistes et les protestants américains. En Allemagne, cette lutte passe par la mobilisation des appuis à l’effort catholique allemand, qui met de côté les références croisées (abandon du « Gott will es »). Une province allemande de l’Ordre du Saint Sépulcre est créée en 1928 parallèlement à un rajeunissement voulu des chevaliers ; et la défense du catholicisme en Terre sainte trouve son pendant dans la lutte contre le « paganisme moderne » (p. 211) qu’est le national-socialisme en Allemagne.
6En Palestine, comme leurs homologues français, les catholiques allemands ont maille à partir avec les autorités britanniques qui les considèrent comme les représentants d’un passé révolu. En Allemagne, les catholiques allemands sont mis au pas dès le 7 avril 1933 (mais le DVHL et l’Ordre ne sont pas interdits) : devant prêter allégeance à Hindenburg et Hitler, certains d’entre eux ont joué un rôle actif dans l’arrivée au pouvoir de ce dernier (le catholique von Papen est chevalier du Saint-Sépulcre). L’évolution de la Palestine laisse augurer soit une domination juive, soit une domination musulmane, deux options contraires aux ambitions catholiques ; d’où une réflexion sur la mise en place d’un dialogue avec l’islam, qui pourrait, pourquoi pas, conduire ses élites à la conversion au catholicisme !
7La Seconde Guerre mondiale consacre les difficultés : le contact est rompu entre l’Allemagne et la Palestine, le lien entre les catholiques allemands qu’est Das Heilige Land ne peut plus paraître faute de papier, le siège du DVHL est détruit avec ses archives lors des bombardements sur Cologne, alors que l’on célèbre ses 85 ans d’existence ; et toute activité est interrompue en 1941.
8Dans sa quatrième partie, l’autrice aborde l’après-guerre et les bouleversements engendrés par la nouvelle géopolitique du Moyen-Orient. L’impératif demeure la défense des Lieux saints et des chrétiens qui en sont proches. Si une nouvelle croisade est voulue par certains, c’est l’impuissance qui domine ; avec le constat que le retour des Juifs en Palestine peut être une partie du plan divin. La priorité est que la Terre sainte ne soit pas désacralisée ; dans le contexte de guerre civile qui domine, les catholiques allemands optent pour la charité, en passant par la Mission pro Palästina vaticane. Ce n’est qu’en 1950 que reprend une activité propre : un renouvellement des générations est à nouveau à l’ordre du jour, pour s’adapter aux circonstances issues du premier conflit israélo-arabe. Une évolution s’impose en 1964, au moment du pèlerinage de Paul VI : assistance, éducation, aide financière, assistance spirituelle, souci d’être un pont entre le Vatican, le catholicisme occidental et le Moyen-Orient. L’âge d’or est décidément passé, comme l’atteste la baisse des adhérents et des dons, à l’image de l’affaiblissement de la pratique catholique en RFA. Les catholiques allemands doivent adopter les nouvelles approches pour ne pas disparaître, en faisant leurs les efforts œcuméniques, les appels à la rencontre, à la connaissance mutuelle, pour sceller la fin du complexe occidental de supériorité. Dans le rapport de la jeune RFA au nouveau Moyen-Orient s’impose également le lourd héritage de la Shoah, qui accompagne la découverte du judaïsme vécu en Israël. En contrepoint aux anciens et durables préjugés, nos catholiques allemands contribuent à leur manière aux maîtres-mots de ces temps : « réflexion critique », « réparation » (Wiedergutmachung), « réconciliation » ; tandis que le dialogue religieux consacré par Vatican II mène à une prise de distance avec les notions de mission et de prosélytisme.
9Le rapprochement avec l’air du temps passe encore par une modernisation de l’approche catholique allemande de la Terre sainte : les pèlerinages deviennent des voyages touristiques et spirituels, tandis que la province allemande de l’Ordre du Saint-Sépulcre retrouve sa place dans un Ordre lui-même réorganisé pour être plus soumis à Rome. Outre de grandes figures connues (Konrad Adenauer), dont certaines ont pu être proches du national-socialisme (Hermann Josef Abs), la province allemande est en quête de rajeunissement, d’une plus grande ouverture aux problématiques nouvelles et veut s’engager dans une croisade pour un monde meilleur, dans une Europe placée sous le signe de la croix, dirigée contre le communisme. Ce renouvellement est définitivement acquis dans le cadre d’une soumission de la lieutenance allemande à l’autorité romaine et aux conclusions de Vatican II, à la fin des années 1960 et au cours des années 1970 ; lieutenance qui a pourtant du mal à accepter une Allemagne qui voit sa jeunesse se rebeller et aller à rebours de ses valeurs. À ce titre, l’autrice donne un développement intéressant sur la Spiegel-Affäre, au cours de laquelle le ministre de l’Intérieur Franz Josef Strauss tente de museler un hebdomadaire considéré comme trop libre, avec l’appui de la lieutenance allemande ; ce qui vaut à celle-ci la réputation d’une société secrète désireuse de miner la démocratie ouest-allemande. Dans le même temps en Terre sainte, la guerre des Six Jours introduit une nouvelle donne qui remet en cause les biais d’action, et pousse à agir pour le bien des populations au-delà des frontières de l’ancienne Palestine.
10En résumé, dans la longue durée observée par Vosberg, l’on passe de Godefroy de Bouillon à François d’Assise comme référence historique. Cette histoire multiséculaire est une solide synthèse permettant de découvrir un aspect plutôt méconnu, mais très réel et encore actuel : la présence et l’action catholique allemandes en Terre sainte. Par la reconstitution de divers milieux, Vosberg décrit en interaction la foi et la sociabilité des acteurs, les inscrivant dans une double allégeance – parfois difficile –, entre fidélité à la politique allemande et obéissance vaticane.
11En dépit de quelques données erronées et oublis, la démonstration est ample et exhaustive. Un index aurait d’ailleurs certainement été le bienvenu, et la bibliographie aurait gagné à aller voir au-delà des frontières de l’Allemagne : la massification de la production historiographique relative à d’autres pays européens impliqués dans le champ catholique en Terre sainte aurait permis des éléments de comparaison forts et un réel soutien des démonstrations de l’ouvrage.
Pour citer cet article
Référence papier
Dominique Trimbur, « Barbara Vosberg, Deutsche Katholiken und das Heilige Land, im Spiegel der Publikationen des Deutschen Vereins vom Heiligen Land und der Deutschen Statthalterei des Ritterordens vom Heiligen Grab zu Jerusalem, 1855-1970 », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 305-308.
Référence électronique
Dominique Trimbur, « Barbara Vosberg, Deutsche Katholiken und das Heilige Land, im Spiegel der Publikationen des Deutschen Vereins vom Heiligen Land und der Deutschen Statthalterei des Ritterordens vom Heiligen Grab zu Jerusalem, 1855-1970 », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/77122 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138uy
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