Navigation – Plan du site

AccueilNuméros31DossierNorbert Elias et « l’idéal du nous »

Dossier

Norbert Elias et « l’idéal du nous »

Norbert Elias and ‘the We-ideal’
Claire Pagès

Résumés

L’article retrace la manière dont le sociologue Norbert Elias comprend ce qui conduit un individu à dire « nous », à faire corps mentalement avec un groupe, mais aussi à refuser de faire corps ou de se sentir partie prenante, ou encore à dénier faire partie intégrante d’un nous auquel il est pourtant lié par d’étroites relations d’interdépendances. Sa théorie sociale et groupale de l’identité qui refuse le partage entre individu et société conduit Elias, d’une part, à développer l’idée que deux types d’images – image du je et image du nous – organisent la manière dont l’individu s’appréhende lui-même et, d’autre part, à forger l’idée que la représentation qu’il a de lui-même est constituée à la fois d’un idéal du moi et d’un idéal du nous. Après avoir présenté en détail cette pensée de l’identité qui, sur des bases freudiennes, aménage et modifie la perspective et la topique freudiennes en profondeur, nous proposons de souligner les questions qu’elle pose et, pour certaines, laisse en suspens.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 N. Elias, Les Allemands. Luttes de pouvoir et développement de l’habitus aux XIXe et XXe siècles [1 (...)
  • 2 Elias parle usuellement des « membres d’un groupe » ou des « membres d’une société ». Il évoque éga (...)

1Si l’individu se trouve pour Norbert Elias susceptible de participer à des expériences qualifiables d’esprit de corps, ce n’est pas en vertu de phénomènes de fusion ni d’union libidinale ou spirituelle, mais plutôt en vertu du fait que son identité est indexée sur le « nous » du groupe dont il est membre. Elias ne propose pas à proprement parler de théorie de la notion d’esprit de corps, quoiqu’il ait parfois tendance à présenter la façon dont opère l’idéal du nous à la manière d’un esprit de corps1. Nous livrons ici, en nous appuyant sur sa pensée, un faisceau d’analyses relatives aux coordonnées sociales de certaines actions et réactions commandées par le psychisme de l’individu, relatives aussi à des mécanismes d’identification de l’individu à un groupe ou de définition de l’individu comme membre d’un groupe2. Nous commencerons par rappeler ce qu’il en est chez Elias des relations entre individu et société, avant de présenter sa conception de la maîtrise de soi et de souligner son patronage freudien. Nous verrons qu’Elias présente l’originalité d’associer dans la représentation que l’individu se fait de lui-même deux types d’image, une image de soi et une image du nous, ce qui le conduit à distinguer deux types d’idéaux gouvernant la vie psychique, un idéal du moi et un idéal du nous, concept original qu’il introduit pour prolonger et compléter la seconde topique freudienne. Nous nous arrêterons pour finir sur les présupposés et difficultés de cette conception très suggestive de l’identité groupale.

Individu, société et maîtrise de soi

  • 3 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion [1965], P.-E. Dauzat trad., M. Wieviorka préf., (...)
  • 4 N. Elias, La société des individus, op. cit., p. 105.
  • 5 Ibid., p. 49.

2Les analyses qui suivent doivent être réinscrites dans le cadre plus général de la conception qu’Elias se fait des rapports entre individu et société. Cette fausse dichotomie qui a entravé jusqu’ici la compréhension des phénomènes humains doit être dépassée – c’est l’objet de La société des individus – au motif de l’intrication réelle des deux dimensions : il est tout aussi absurde de postuler des individus sans société que de postuler des sociétés sans individus3. D’une part, il n’existe pas d’individu à part de la société. L’homo clausus, monade individuelle autonome, isolée et fermée sur soi, est ainsi pure fiction : « La seule idée du “je suis”, et plus encore celle du “je pense”, suppose l’existence d’autres hommes et la coexistence avec d’autres – bref, l’existence d’un groupe, d’une société »4. Plus largement, ce n’est pas seulement la pensée mais toute l’existence de l’individu qui se dessine en relation avec la société déterminée dans laquelle il vit, puisqu’il se trouve lié à ses autres membres par « une foule de chaînes invisibles »5 (liens de travail ou de propriété, liens instinctifs ou affectifs, réseau de dépendances qui s’est tissé depuis sa petite enfance et qu’il ne lui appartient pas de dissoudre purement et simplement). D’autre part et solidairement, il ne saurait exister de société, comparable à une structure et flottant dans les airs, à part des individus ou abstraction faite de leurs membres historiques réels :

  • 6 Ibid., p. 105.

La société et ses lois ne sont rien en dehors des individus ; la société n’est pas simplement un « objet » « face » aux individus isolés ; elle est ce que chaque individu désigne lorsqu’il dit « nous ». Ce « nous » ne résulte pas de ce qu’un grand nombre d’individus, qui disent « je » en parlant d’eux-mêmes, se réunissent a posteriori et décident de constituer un groupe.6

  • 7 Id., Mozart. Sociologie d’un génie [1980-1991], M. Schröter éd., J. Étoré et B. Lortholary trad., P (...)
  • 8 Id., La civilisation des mœurs [1939, t. I de Über den Prozeß der Zivilisation], P. Kamnitzer trad. (...)

3Se trouve chez Elias associée à cette thèse (individu socialement constitué et existence de la société dans le corps socialisé des individus) une seconde thèse relative à l’historicité des formes de la maîtrise de soi. Dans son maître ouvrage, Le processus de civilisation, il décrit le long processus, coextensif de la formation de l’État moderne en Occident, de transformation des modalités du contrôle de soi. Ce processus voit la forme de la contrainte externe peu à peu céder la place à des mécanismes de plus en plus sophistiqués d’autocontrôle ou d’autocontrainte : les sociétés modernes exigent des adultes qui en sont membres un degré très élevé de différenciation des fonctions du ça, du moi et du surmoi7. Dans le cours du processus de civilisation, sont à distinguer différentes phases témoignant de mécanismes distincts de restriction pulsionnelle, en particulier la phase curiale-aristocratique et la phase bourgeoise-industrielle. Dans le premier cas, la dépendance de l’aristocratie de cour et le contrôle pulsionnel dont elle fait montre se rapportent au respect dû aux personnes haut placées sur l’échelle sociale. Dans le second cas, le contrôle de soi possède une motivation plus impersonnelle et procède de contraintes d’interdépendance moins visibles (division du travail, concurrence, etc.), renforçant l’impression chez le sujet qu’il agit de son propre chef8. Auparavant ont existé des modèles davantage externalistes de la contrainte, dans lesquels la restriction était étayée principalement par des interdits sociaux incarnés. L’impression d’autonomie affective n’est pas que biaisée : l’impersonnalisation de la contrainte va de pair avec son intériorisation qui conduit à la formation du surmoi sous la forme que nous connaissons.

  • 9 Id., La dynamique de l’Occident [1939, t. II de Über den Prozeß der Zivilisation], P. Kamnitzer tra (...)
  • 10 Id., La société des individus, op. cit., p. 99.
  • 11 Id., La civilisation des mœurs, op. cit., p. 418.
  • 12 Loccit.

4Cela ne signifie pas que l’autocontrainte apparaisse ex nihilo. Il n’existe pas d’homme humain dépourvu tout à fait de capacité d’autocontrôle de sa vie pulsionnelle : « […] l’être humain a toujours connu l’autocontrainte, le Surmoi ; tous ces phénomènes n’ont pas de point zéro. Mais on ferait erreur aussi si l’on prétendait que tout cela a toujours existé sous la même forme »9. Néanmoins, le mode de régulation qui devient dominant avec la figure du surmoi semble à Elias une figure largement historique, essentiellement moderne. Une retenue particulièrement forte et semi-automatique de toutes les réactions instinctives ou affectives dirigées vers les autres, caractéristique de la modernité, n’a cessé de s’accentuer depuis l’époque de la Renaissance10. Le surmoi possède dans cette théorie des coordonnées sociales et historiques : « Cet élément, ce “surmoi”, se transforme tout comme la structure psychique et le moi individuel pris comme un tout, en fonction du code de comportement social et des structures de la société »11. Autrement dit, Elias comprend le juge intérieur comme une partie introjectée de l’individualité qui se fait le porte-parole immanent des codes de conduites ou des mœurs, si bien qu’il en vient à nommer « surmoi » le code de comportement social qui s’est incorporé à la personne au point de devenir « en quelque sorte un élément constitutif du moi individuel »12.

Culture et maîtrise de soi

  • 13 Cela ouvre la question nommée par Freud en 1926 dans « Inhibition, symptôme et angoisse » question (...)
  • 14 S. Freud, L’avenir d’une illusion [1927], dans Id., Œuvres complètes XVIII, J. Laplanche éd., Paris (...)

5Cela s’inscrit en partie dans la lignée des élaborations freudiennes. En effet, Elias est largement tributaire des analyses de ce que Freud nomme « refusement ». Le processus particulier qu’il nomme progressivement die Versagung, terme traduit en français par frustration ou par le néologisme « refusement », désigne un renoncement pulsionnel lié à une non-satisfaction trouvant sa source dans une frustration et plus spécialement dans un « refus culturel » (Kulturversagung). Nous désignerons par là la situation d’une personne à laquelle un état de culture refuse une satisfaction (quoique cet état possède également des facteurs internes : l’ambiguïté tient à ce que la frustration possède des modes internes et externes). Le type de refoulement qu’est le refusement culturel selon Freud divise en quelque sorte le désir en deux branches, dont une partie à l’expression consciente ou préconsciente suit les contours de ce qu’un état de la société permet ou autorise et une autre, refoulée, semble mener sa vie propre dans l’inconscient indépendamment des normes sociales du désir13 : « […] nous appellerons refusement le fait qu’une pulsion ne peut être satisfaite, interdit le dispositif qui fixe ce refusement, et privation l’état qu’entraîne l’interdit »14.

  • 15 Ibid., p. 151.
  • 16 Loc. cit.

6Le refusement désigne en somme ce qu’on peut appeler la genèse culturelle et historique du surmoi, que Freud qualifie de « progrès de l’âme humaine » dans L’avenir d’une illusion : « Il va dans le sens de notre développement qu’une contrainte externe soit peu à peu intériorisée, du fait qu’une instance animique particulière, le sur-moi de l’homme, l’adopte au nombre de ses commandements »15. On trouve chez Freud cette double dimension du surmoi qu’Elias reprendra à son compte : l’intériorisation de l’interdit porté par le surmoi qualifie, d’une part, le développement humain ou culturel (les vrais porteurs de culture sont ainsi ceux chez qui le surmoi s’est formé mais très nombreux sont ceux qui n’opèrent un contrôle de leurs passions et pulsions qu’en vertu d’une contrainte externe) ; d’autre part, cette intériorisation qualifie le développement individuel ou développement de l’enfant : « Tout enfant met sous nos yeux le processus d’une telle mutation, ne devenant moral et social qu’en passant par elle [l’intériorisation de la contrainte externe reprise par le surmoi] »16.

  • 17 N. Elias, La civilisation des mœurs, op. cit., p. 367.
  • 18 Id., La société des individus, op. cit., p. 66.
  • 19 Loc. cit.

7Elias considère ce processus comme une « loi fondamentale sociogénétique » : « Chaque individu doit parcourir pour son propre compte en abrégé le processus de civilisation que la société a parcouru dans son ensemble ; car l’enfant ne naît pas “civilisé” »17. Néanmoins, plus le niveau d’autocontrainte attendu des membres adultes est élevé, plus le surmoi adulte est exigeant, plus ce qu’Elias nomme « processus individuel de civilisation »18 est douloureux car il existe un gouffre entre la vie pulsionnelle de l’enfant et l’empire du surmoi dont l’adulte qu’il deviendra doit témoigner19. Aborder la formation du surmoi via l’éducation parentale – les parents constituant les représentants ou relais des canons sociaux en matière de comportement, représentants du principe de réalité – présente l’avantage d’entrer dans les ressorts de l’individualisation de la contrainte ou de l’individualisation ou stylisation individuelle des normes sociales de conduite.

  • 20 Id., La civilisation des mœurs, op. cit., p. 417.

8Que la théorie eliasienne de l’autocontrainte possède un patronage freudien peut néanmoins être nuancé. Si chez Elias les normes sociales sont très solidement enracinées dans cette partie de l’individu qu’est le surmoi, offrant au jeu social une assise individuelle extrêmement solide, chez Freud au contraire l’intériorisation est souvent très superficielle ou très fragile et constitue un vernis que bien des situations peuvent venir ébranler. En témoignent les comportements licencieux qui prolifèrent selon Freud pour peu que leurs auteurs aient l’assurance du secret ou de l’impunité, mais aussi les comportements violents qui sont légion quand éclatent des conflits majeurs qui déstabilisent la société en profondeur. Il est manifeste par ailleurs qu’Elias donne une lecture restrictive du surmoi, comme instance des interdictions et refoulements d’origine sociale portant sur les manifestations pulsionnelles et affectives, instance à l’origine des sentiments de pudeur et de honte20. Nous y reviendrons, la théorie freudienne du surmoi est de plus large portée, engageant les questions de la culpabilité au sens du besoin de punition et de l’agressivité.

Les images de soi

  • 21 Nous allons revenir sur l’articulation chez Elias entre la théorisation du surmoi et de l’autocontr (...)
  • 22 N. Elias, La société des individus, op. cit., p. 241.
  • 23 Ibid., « La transformation de l’équilibre “nous-je” », p. 208 et 234.

9Cette discussion va de pair chez Elias avec une analyse des « images de soi » qui président aux différents types d’identité qu’on rencontre dans l’histoire et aux différentes modalités de l’identification21. Ces images de soi sont principalement de deux sortes : image du « je » et image du « nous ». En réalité, ces deux images – le fait de s’appréhender soi-même comme étant un « je » individuel et celui de se penser comme le membre d’un groupe, d’une famille ou d’une communauté – coexistent toujours. Il n’est pas d’identité du je sans identité du nous et vice versa, mais la pondération du rapport entre « je » et « nous » ainsi que la configuration de ce rapport se modifient dans l’histoire22. Elias oppose ainsi des stades historiques ou des sociétés dans lesquels l’identité du nous prime sur l’identité du moi, dans lesquels par exemple on se définit principalement comme membre d’une famille, d’un clan ou d’une tribu23. À l’inverse, aujourd’hui, dans le rapport entre identité du je et identité du nous, la première domine au point d’occulter – fallacieusement – la seconde et de nous laisser penser que nous serions des « homo clausus », des monades, autonomes et déliées de relations de dépendance à l’égard des autres membres du ou des groupes auxquels nous appartenons.

  • 24 Voir B. Lahire, Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations, Paris, (...)
  • 25 N. Elias, « Trop tard ou trop tôt. Notes sur la classification de la théorie du processus et de la (...)

10Elias étudie les formes pathologiques de configuration du rapport je-nous dans les images de soi qui caractérisent les membres d’une société donnée. Cette composition des deux images prend de nos jours une forme paradoxale, puisque la puissance de l’image du je ou du moi est en capacité d’occulter l’existence d’une image du nous. Il s’agit d’un déni, car la réalité des interdépendances sociales spécifiques et leur puissance s’attestent dans les analyses du monde contemporain : ce n’est pas parce que nous nous appréhendons comme des monades que cette représentation idéologique n’entre pas en contradiction avec la réalité de l’ontologie sociale24. Il est par ailleurs indéniable pour Elias que cette représentation largement illusoire de soi-même – l’autosuffisance – est tributaire d’une certaine image collective du nous ou d’une société d’entrepreneurs individuels. Cette image de l’homme (conscience de soi isolée, autonomie) est coextensive d’un système économique qui a cet individualisme pour corollaire et se révèle des plus avantageuses d’un point de vue économique, dans la compétition concurrentielle, elle qui supporte en effet l’idéologie libérale de l’entrepreneur25.

  • 26 Voir C. Pagès, « L’excès d’individuation : pathologie d’une communauté culturelle », Revue français (...)
  • 27 N. Elias, La solitude des mourants [1982], S. Muller et C. Nancy trad., Paris, Christian Bourgois, (...)

11Il s’agit d’une forme pathologique qui exige une clinique spécifique26 dans la mesure où cette domination de l’image du je intervient dans le développement exponentiel de certaines formes de souffrance : souffrances liées à l’isolement, à la solitude – celle des mourants et agonisants relégués en coulisse pour qu’on ne les voie pas27 –, à l’incapacité à avoir des relations affectives spontanées en direction d’autrui, à tendre la main vers l’autre, à s’avouer dépendant ou tributaire. Cette modalité de l’identification comme moi autonome se révèle pathogène en même temps qu’elle est appelée par tout un système économique et une organisation du travail.

  • 28 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion, op. cit., p. 57.
  • 29 Ibid., p. 69.
  • 30 Ibid., p. 155.

12Mais Elias diagnostique d’autres pathologies de la configuration je-nous. Il a par exemple analysé les différentes manières dont les représentations dominantes du groupe dont l’individu fait partie imprègnent la conscience individuelle. Ce qu’Elias nomme « un cordon invisible et élastique »28 entre image de soi, image que son groupe possède de lui-même et image qu’il entretient de ceux qu’il appréhende comme ses autres est susceptible de prendre des configurations entravant l’estime de soi ou la capacité de tirer une estime de soi. Dans les Logiques de l’exclusion, il s’intéresse en particulier au phénomène qui voit une image souillée du nous occulter l’image de soi des individus. Ainsi, au début des années 1960 en Angleterre, à Winston Parva, petit faubourg industriel en expansion de Leicester, Elias observe un quartier ouvrier, qui est l’objet d’un processus de déqualification et d’exclusion de la part d’un autre quartier ouvrier et du quartier bourgeois de la localité – quartiers plus anciens sociologiquement –, reprendre à son compte cette identification négative, s’appréhender lui-même négativement et s’identifier à sa fraction inférieure (alors que celle-ci est minoritaire)29. Ces résidents des lotissements reprenaient à leur compte les formules négatives utilisées par les habitants des autres quartiers pour les exclure : « La plupart semblaient accepter, en rechignant, le statut inférieur que leur attribuaient les groupes établis. Alors que la quasi-totalité d’entre eux étaient britanniques, beaucoup se voyaient comme des étrangers ! »30.

Idéal du moi, idéal du nous

  • 31 Ibid., p. 53.
  • 32 Ibid., p. 60.
  • 33 Loccit.
  • 34 Ibid., p. 53.

13L’analyse eliasienne gagne en détermination quand est introduite la notion qui va se révéler extrêmement suggestive d’idéal du nous. Cette théorie de l’idéal du nous – mais il n’est pas certain qu’on puisse parler ainsi d’une théorie unifiée – se trouve développée pour faire pièce à une forme de rationalisme. Elias s’inscrit toujours en faux contre ce qu’il nomme l’« héritage des vieilles lumières »31 ou « idéal de rationalité des vieilles lumières »32 selon lequel le comportement des hommes répondrait à une intention rationnelle – sans quoi celui-ci pourrait être qualifié d’irrationnel. Au contraire, selon Elias, nombre de comportements humains sont motivés par des fantasmes et des motivations affectives. C’est pourquoi il propose de substituer à cette perspective rationaliste « une théorie du charisme de groupe et de l’idéal du nous »33, dans la mesure où cet idéal du nous charrie des fantasmes relatifs à l’être du groupe (du « nous ») et à ses autres (ses « eux »). Une configuration sociale donnée possède bien sûr une assise historique et matérielle mais se nourrit de quantité de fantasmes. À cet égard, il n’y a aucun sens à qualifier de telles données sociales de rationnelles ou d’irrationnelles34.

  • 35 Ibid., p. 60.
  • 36 Ibid., p. 61.
  • 37 Nous sommes obligés de reconnaître que très souvent, sous la plume d’Elias, les notions d’image et (...)

14La thèse d’Elias est alors celle-ci : « L’image et l’idéal du nous [Das Wir-Bild und Wir-Ideal] d’une personne font autant partie de son image et de son idéal du moi [seines Selbstbildes und Selbstideals] que l’image et l’idéal de soi de la personne unique qui dit “je” »35. Autrement dit, l’identité collective fait partie de son identité personnelle. Dans la formule « Moi, Pat O’Brien, je suis irlandais », remarque Elias, il n’est pas difficile de voir que se mêlent une image du je et une image du nous. L’idéal du nous, tout comme l’idéal du moi, est toujours composé « de fantasmes et d’images réalistes » : « À cette différence près que, dans l’image et l’idéal du moi, les fantasmes représentent des expériences purement personnelles d’un processus collectif, alors que dans l’image et l’idéal du nous, ce sont des versions personnelles de fantasmes collectifs »36. Le plus souvent, l’image ou l’idéal du nous est peu visible. Toute une enquête sociologique s’avère nécessaire pour reconstituer les images du nous des différents quartiers de Winston Parva (image d’habitants véritables ou image d’habitants de seconde zone) qui piègent les habitants de ce faubourg dans des relations conflictuelles inextricables37.

  • 38 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion, op. cit., p. 61.

15Cet idéal du nous est davantage observable lorsque sa part ou son contenu fantasmatique s’accentue nettement et prend tout à fait le pas sur tout contenu réaliste. La montée du nazisme et le nazisme lui-même vont offrir justement à Elias le moment stupéfiant d’une telle dissociation entre fantasme et réalité, dissociation accompagnée d’un déni de reconnaissance. Alors, on voit mieux que les individus sont mus non seulement par la relation psychique qu’ils entretiennent à eux-mêmes, mais aussi par l’image qu’ils entretiennent de leur groupe d’appartenance, image qu’ils partagent avec les autres membres de ce groupe ou la plupart d’entre eux38.

  • 39 J. Lacan, « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie » [1950], dans (...)
  • 40 Ibid., p. 136.

16Cet idéal du nous ne se confond avec aucun « surmoi collectif », idée dont Lacan a produit la critique légitime : il fait valoir que le surmoi reste « une manifestation individuelle, liée aux conditions sociales de l’œdipisme », qu’« aucune forme du surmoi n’est inférable de l’individu à une société donnée »39 et que « le seul surmoi collectif que l’on puisse concevoir exigerait une désagrégation moléculaire intégrale de la société »40. C’est bien dans la psychologie individuelle qu’Elias ancre l’idéal du nous en vertu de l’idée déjà mentionnée qu’il est absurde de postuler une société sans individu. L’idéal du nous se distingue donc de tout inconscient collectif et autres archétypes.

  • 41 N. Elias, La société des individus, op. cit., p. 239.
  • 42 Ibid., p. 240.

17La notion d’habitus social est forgée par Elias pour éviter l’alternative stérile ou la dichotomie entre individu et société41 : tout individu, si différent soit-il de tous les autres, si spécifique soit-il, ou si individualisé soit-il, porte cette marque spécifique qu’il partage avec les autres membres de sa société qu’est l’habitus. Tout individu, quoique à différents degrés, et ce en fonction des époques et des sociétés, présente l’habitus d’un certain groupe, qui constitue en « quelque sorte la terre nourricière sur laquelle se développent les caractères personnels par lesquels un individu se différencie des autres membres de sa société »42.

  • 43 Id., Mozart. Sociologie d’un génie, op. cit., p. 163.

18Si on se demande sur quel type de groupe se trouve étayé cet idéal du nous, on rencontre différents cas de figure. Ce qu’Elias nomme « habitus social » peut renvoyer à un groupe étroit, comme c’est le cas dans l’étude de la configuration établis/marginaux à Winston Parva. L’idéal du nous est ici celui des membres des trois quartiers distincts (quartier bourgeois, quartier d’ouvriers établis et quartier d’ouvriers marginaux). Il existe sans doute des idéaux du nous renvoyant davantage à une position sociologique ou à une classe. Ainsi, dans La civilisation des mœurs, Elias réfléchit aux modèles identificatoires de l’aristocratie de cour, des bourgeois, etc. en France, en Allemagne et en Angleterre. Le chapitre liminaire montre justement qu’un antagonisme social (entre la bourgeoisie allemande porteuse de culture et l’aristocratie allemande de cour) précède l’opposition identificatoire entre la France (civilisation) et l’Allemagne (culture). Dans son Mozart, il spécifie également les modalités relationnelles des artistes à Vienne à l’égard de l’establishment aristocratique de la cour, insistant sur l’ambivalence chez Mozart de son idéal du nous, lui qui a à la fois désiré la reconnaissance de l’aristocratie pour son œuvre de musicien et refusé de s’identifier à cette aristocratie, en dépit du titre de noblesse octroyé par le pape43. Dans ces cas-là, le ou les « nous » correspondent à des groupes sociaux d’appartenance.

  • 44 Id., La société des individus, op. cit., p. 239.
  • 45 Id., Norbert Elias par lui-même, op. cit., p. 75.

19Enfin, Elias soutient l’existence d’un habitus national ou d’un caractère national44. Cet habitus national, à lire Elias, semble correspondre à un constituant de l’habitus social. Cette dimension de l’habitus est en particulier considérée dans ses écrits sur l’histoire de l’Allemagne et la montée du national-socialisme réunis dans Les Allemands. Luttes de pouvoir et développement de l’habitus aux XIXe et XXe siècles. Le texte spécifie le processus de formation de l’État en Allemagne en le distinguant des processus français et anglais, ainsi qu’en s’appuyant positivement sur des analogies, entre la situation de l’Allemagne dans l’entre-deux-guerres et celle de l’Angleterre dans les années 1960, pour penser la question du déclin par exemple. Elias compare les images du « nous » (Wir-Bild) de différentes nations européennes et leur genèse. Ces développements présupposent les acquis de la première partie de la Civilisation des mœurs, « Culture et civilisation », qui confrontait déjà « la formation de l’antithèse “culture” – “civilisation” en Allemagne » (chapitre I) et « la formation du concept de civilisation en France » (chapitre II). Dans ce travail inaugural, il a montré que dans les États allemands, la culture des classes moyennes et du prolétariat était très peu influencée par le stade aristocratique propre au processus de civilisation, qui fut au contraire décisif en France et en Angleterre45.

  • 46 Ibid., p. 76.
  • 47 Ibid., p. 77.

20Le surmoi et le moi idéal allemands ouvraient un espace toujours bien plus vaste pour des explosions de violence dans les classes moyennes, le prolétariat et la paysannerie que ne l’autorisaient, par exemple, les modèles anglais ou français46. Les anciennes autorités étant balayées par la défaite de 1918, se forma alors une structure de la personnalité fondée sur le principe de l’obéissance et de la discipline à l’égard d’un monarque puissant, dans un État où la partie externe du surmoi avait disparu. C’est ainsi que, sous la République de Weimar, de nombreux Allemands commencèrent à appeler de leurs vœux un homme fort qui leur redonnerait la possibilité de se dominer. C’est qu’ils n’avaient pas appris à faire cela par eux-mêmes, souligne Elias47.

  • 48 Id., Les Allemands, op. cit., p. 99-122.
  • 49 Ibid., p. 14.
  • 50 Ibid., p. 419.
  • 51 Ibid., p. 420-421 et p. 423.
  • 52 Ibid., p. 433.

21Ces travaux ont pour cœur l’« habitus national »48 et cherchent à établir les liens entre le destin et les expériences d’un peuple sur la longue période et l’habitus social qui lui est propre. Cela signifie que cette histoire n’est pas tant faite par des volontés individuelles que par des jeux de représentations et de fantasmes. Théoriquement, cela suppose que l’on ne peut comprendre certains phénomènes historiques comme la montée du national-socialisme sans analyser les évolutions de l’habitus national des Allemands. En retour, pour Elias, l’habitus national d’un peuple reste incompréhensible si on l’appréhende en termes fixistes ou statiques comme un caractère ou une donnée de la biologie49, et il doit être rapporté à l’histoire et à l’évolution politique de celui-ci sur la longue durée. Autrement dit, le destin d’un peuple se sédimente au cours des siècles dans un habitus que partagent des individus d’un même groupe national. Elias ménage ainsi une large place à ce que possède de spécifique la formation de l’État allemand. Il insiste sur un processus long, chaotique et partiel. L’État-nation est plus lent à se réaliser en raison, en particulier, de la taille du territoire à unifier50. Les expériences cumulées de fragmentation et de longs siècles d’impuissance ont porté les Allemands à se penser comme un peuple incapable de vivre ensemble sans discorde. L’image que les Allemands avaient d’eux-mêmes était ainsi très affectée par ces longs siècles d’impuissance51. La réaction spécifique à l’expérience traumatique de cette désunion s’exprime dans le désir d’un leader fort qui apporterait unité et consensus. Cette image d’unité possède bien sûr un caractère illusoire et Elias s’efforce de dégager un idéal du nous qui était plus éloigné de la réalité en Allemagne que dans le cas des autres pays. Ainsi, la recherche d’un idéal commun en dehors de la vie courante fut renforcée et prolongée par la représentation de la supposée perte de grandeur nationale via l’image idéalisée du puissant Reich impérial des temps anciens que chaque Allemand assimilait alors comme une part de son identité et qui constituait une partie de la réponse à la question : qu’est-ce que je suis en tant qu’Allemand52 ?

22Plusieurs traits de l’idéal du nous ou de l’image de soi des Allemands possèdent une incidence spécifique sur l’histoire. D’abord l’écart entre idéal du nous et réalité ; ensuite les représentations dégradantes des autres groupes qui peuvent soutenir cet idéal du nous. Il s’agit pour Elias d’ancrer sur le terrain sociologique la prise en compte des mentalités comprises comme résultat d’un long processus de sédimentation et d’idéalisation. Il entend proposer une alternative à la description arendtienne d’une société « massifiée » qui fondait l’analyse de la genèse du totalitarisme nazi dans Eichmann à Jérusalem. Elias corrèle l’accumulation de revers historiques qu’a connus l’Allemagne et le déficit d’estime de soi. Un processus de formation de l’État moins régulier qu’ailleurs en Europe, davantage fait de ruptures, serait venu marquer un habitus national où alternent la perte d’estime de soi et la dilatation exaltée de la fierté germanique.

  • 53 Ibid., p. 33.
  • 54 É. Neveu, « Elias et les Allemands », Revue française de science politique, no 5, 1997, p. 648.
  • 55 N. Elias, Les Allemands, op. cit., p. 474.

23Elias peut ainsi comparer la tâche qui attend le sociologue et celle de Freud53, raison pour laquelle Érik Neveu évoque une « psychanalyse sociale de l’habitus national »54. Elias montre comment s’est formée progressivement en Allemagne une représentation irréaliste ou irrationnelle des Juifs. Le degré de barbarie auquel les leaders de la nation allemande sont arrivés correspond à l’intensité de leurs craintes concernant leurs aspirations pour l’Allemagne55. Les efforts de ces leaders sont animés du désir de satisfaire une image de soi idéale ; ils furent si monstrueux car les ressources de l’Allemagne étaient bien maigres en comparaison de la Grande Allemagne qu’ils désiraient.

  • 56 Id., Humana conditio [1985], L. Cantagrel trad., F. Bretschneider préf., Paris, Éditions de l’EHESS (...)

24C’est l’image idéale qui a ici valeur causale car la violence engagée est sans rapport avec la puissance réelle des ennemis supposés. Elias insiste beaucoup sur le fait qu’ont été détruits, exterminés, des hommes qui ne représentaient aucun danger. Certes, les représentations et croyances sociales qui guident les actions sont toujours faites à la fois d’une image idéalisée de la société impliquée et d’une image dévalorisante d’une société adverse ou d’un adversaire supposé56. Pourtant, dans le cas du IIIe Reich, les deux images représentaient des déformations extrêmes de la réalité : la vocation de grandeur constituait un déni de la réalité du pays et la « contre-image » de la minorité la plus visible – les Juifs allemands – était sans rapport avec son pouvoir réel.

  • 57 Id., Les Allemands, op. cit., p. 468.
  • 58 Ibid., p. 452-453.
  • 59 Ibid., p. 453.

25On peut en général, précise Elias, se libérer d’une oppression en résistant à l’oppresseur mais seulement quand les gens ont un système d’idéaux et de valeurs qu’ils peuvent opposer à celui de leurs dirigeants. Quand ils sont identiques, quand leur conscience et leur « idéal du nous » sont du côté des oppresseurs, alors les tensions et les conflits sont intériorisés et toute hostilité à l’égard de l’oppresseur devient inadmissible. En effet, les hommes n’ont pas seulement une image d’eux-mêmes comme individus mais aussi comme membres d’un groupe, si bien que des liens étroits relient la conscience de soi des individus à leur société57. Un leader doit être capable de remplir un rôle dans l’image idéale qu’une nation a d’elle-même58. La différence entre les types de leaders qui prédominent dans les panthéons historiques des nations particulières sera l’indice des différences entre les images de soi idéales et entre les idéaux du nous de ces nations59.

  • 60 Id., Humana conditio, op. cit., p. 89.
  • 61 Id., Les Allemands, op. cit., p. 527.
  • 62 Nous nous permettons de renvoyer à Christian Ingrao, La promesse de l’Est. Espérance nazie et génoc (...)
  • 63 N. Elias, Les Allemands, op. cit., p. 475.

26Tout en indiquant qu’il ne saurait résoudre la question de savoir quels traits de caractère national ont rendu possibles les inhumanités du Troisième Reich60, Elias combine donc des explications de type historique, sociologique, psychologique et psychanalytique pour composer comme une psychologie sociale du nazisme qui ménage une large place à l’histoire sociale des affects. Deux types de facteurs ont ainsi contribué à l’effondrement de la civilisation associé au nom d’Hitler et au national-socialisme. C’est d’abord un développement long extrêmement perturbé de l’Allemagne, qui fait du Reich un symbole de grandeur et, au moment du déclin, prend sa restauration pour but, la tradition autocratique conférant à la majorité des Allemands une conscience faible et dépendante dans les affaires publiques. De tels facteurs ne conduisent pas nécessairement à l’effondrement mais préparent la voie à une forme spécifique de naufrage de la civilisation. Entrent ensuite en ligne de compte des causes « immédiates » : parmi elles, le rôle central joué, d’un côté, par le conflit entre les aspirations héritées et l’image de soi nationale des groupes allemands les plus puissants et, de l’autre, la perte renouvelée de la puissance allemande après 1918. La crise des années 1930 porte le conflit à son sommet. La difficulté ne vient pas du moment où le pouvoir décline de facto mais de celui où ses acteurs sont contraints de prendre conscience de la relative perte de puissance et de ce qu’il y a à craindre quant à leur position dans le rang des nations. Les nazis feraient revivre chez les Allemands la croyance en une puissance de premier rang, représentation collective imaginaire. Le degré d’oppression, de violence, de barbarie dont ils usèrent correspond alors au niveau d’effort qui était nécessaire pour donner à l’Allemagne une nouvelle fois l’apparence de la grandeur et pour empêcher le choc de la découverte que les jours de la prééminence allemande et du rêve de l’empire étaient passés61. Il est bien question de causalité affective, d’où la difficulté de déraciner ces images illusoires du nous. On peut penser, écrit Elias, que les Allemands auraient pu apprendre à vivre avec une image moins exaltée d’eux-mêmes sans le meurtre de millions de Juifs62. Mais il est rare, ajoute-t-il, qu’une formation sociale devenue plus faible se soumette pacifiquement à un rétrécissement de son pouvoir, à un abaissement de son statut social, à un changement de l’image de soi, de l’image du nous, de l’identité63.

Questions et problèmes. Surmoi et idéal du moi

  • 64 Id., La civilisation des mœurs, op. cit., p. 417.

27Elias parle de « surmoi » à propos du code de comportement social si profondément inscrit dans la nature humaine qu’il est devenu un élément constitutif du moi individuel64 ; puis, avec la question des images, il mobilise davantage la question de l’idéal du moi et du nous. Chez Elias, les deux concepts, néanmoins distincts, participent d’une même réflexion sur les canons sociaux des conduites (canon culturel dans le cas du surmoi, davantage groupal dans le cas des images du nous). Il est vrai que ces concepts de surmoi et d’idéal du moi se trouvent chez Freud largement confondus entre 1923 (date d’introduction du concept de surmoi dans « Le moi et le ça ») et 1933. La distinction en est tardive. Pendant une dizaine d’années, on trouve donc des textes indiquant que l’idéal que le moi se forge de lui-même et les exigences qui en résultent correspondent au surmoi. On trouve encore affirmé que le surmoi est le porteur de l’idéal du moi ou qu’il remplit la fonction de l’idéal.

28C’est un point particulièrement délicat de la métapsychologie freudienne de distinguer idéal du moi et surmoi. Cette distinction possède néanmoins une grande importance car sont en cause deux étiologies psychiques d’ordre différent. Le surmoi est une instance qui provient d’une scission ou d’un clivage avancé du moi. Il a une origine très ancienne (l’instance parentale ou l’instance à l’égard de laquelle il a existé, ce que Freud nomme une « dépendance durable »). En réalité, le surmoi est davantage l’héritier du surmoi parental que de la personne des parents et des éducateurs. Par la suite, il s’impersonnalise et devient relativement indépendant alors que le moi demeure poreux aux identifications et influences des proches. Le surmoi hérite par contre de la part d’agression intériorisée qui situe en son cœur le besoin de punition. On ne peut ainsi s’en tenir à la formule selon laquelle le surmoi est le porteur de l’idéal du moi, son porte-voix en quelque sorte. Le surmoi se situe à la croisée de plusieurs logiques, celle de la critique et de la moralité, et celle de la domination et de la culpabilité – non pas le sentiment névrotique de culpabilité mais la culpabilité comme besoin de punition – qui ne sont pas exactement les mêmes.

  • 65 S. Freud et W. C. Bullitt, Le Président T. W. Wilson. Portrait psychologique [1930], Paris, Payot, (...)

29Quant à l’idéal du moi, ce n’est pas une instance, comme le sont le surmoi et le moi. Il possède un statut d’image ou est fait d’images. D’autre part, ces images sont alimentées et renouvelées par des identifications actuelles. Comme l’affirment Freud et William C. Bullitt : « L’enfant emprunte à l’atmosphère de son foyer et de son milieu, ses idées sur l’homme tel qu’il doit être ; ces idées font partie de son idéal du moi et déterminent la forme de ses convictions. Cet homme idéal n’a pas de nature stable ; son aspect change continuellement dans le temps et dans l’espace »65. L’idéal du moi est ici compris comme moi idéal, c’est-à-dire comme imaginal (autrement dit, ne sont pas bien distingués idéal du moi et moi idéal).

  • 66 S. Freud, « Abrégé de psychanalyse » [1938-1940], dans Id., Œuvres complètes XX, J. Laplanche éd., (...)

30Freud souligne que si le moi est en relation avec le monde présent, le surmoi est tout entier tourné vers le passé : « On voit que ça et surmoi, en dépit de toutes leurs distinctions fondamentales, manifestent une concordance en ceci qu’ils représentent les influences du passé, le ça celle du passé hérité, le surmoi essentiellement celle du passé repris aux autres, alors que le moi est principalement déterminé par ce qu’il a lui-même vécu, donc par ce qui est accidentel et actuel »66.

  • 67 Id., « La nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse » [1933], dans Id., Œuvres com (...)
  • 68 Ibid., p. 147-148.
  • 69 Nous ne pouvons malheureusement ici rentrer dans le détail de la généalogie du surmoi proposée par (...)

31Alors que l’idéal du moi (compris comme moi idéal) est connecté à l’actuel, le surmoi possède une certaine autonomie ou un certain hermétisme. Plus exactement, après sa connexion originaire aux imagos parentales et à ses substituts et après une exposition aux idéaux socialement valorisés, il se ferme et devient davantage que le moi imperméable au changement. Freud insiste sur le fait que le surmoi n’est pas influencé, contrairement au moi, par les identifications actuelles mais par un passé et qu’« aussi longtemps que ce passé agit à travers le sur-moi, il joue dans la vie humaine un rôle puissant, indépendant des conditions économiques »67 : « […] se produisent aussi des identifications avec ces parents ultérieurs, celles-ci fournissent même régulièrement des contributions importantes à la formation du caractère, mais elles ne concernent alors que le moi, elles n’influencent plus le sur-moi qui a été déterminé par les imagines parentales plus précoces »68. D’ailleurs, il n’est pas tout à fait exact de parler à propos du surmoi d’une logique identificatoire (imitative ou introjective seraient plus justes). Si la puissance de domination du surmoi peut faire alliance avec des forces venant actuellement de la société ou si ces dernières comme imaginaire social peuvent être mises au service du surmoi, cela ne signifie pas que celui-ci serait poreux69. Le surmoi est au contraire ce qui ne fléchit pas.

32Ce que décrit Elias relève essentiellement de la logique des images. L’idéal du nous est donc bien nommé (ou plutôt il relève de ce qu’on appelle plus exactement moi idéal). En disant que la civilisation participe à l’habillage de ce qui constitue l’idéal du nous, Freud préfigure d’ailleurs l’affirmation d’Elias touchant l’image du nous, image qui entre dans la composition de l’image de soi.

  • 70 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion, op. cit., p. 69.

33Premier point difficile : l’idéal du moi (il serait plus exact de dire le moi idéal) constitue une idéalisation produite par le moi à l’aide d’images. De même, si l’idéal du nous existe psychiquement, il est un produit de l’instance d’idéalisation, à savoir le moi. Autrement dit, c’est un idéal du nous du moi. En effet, le nous n’est pas une instance topique qui produirait ses propres idéalisations. Il faut comprendre non seulement comment le moi représente psychiquement le nous, mais comment il produit du groupe d’appartenance (le nous) des images idéalisées, exaltées, sublimées ou au contraire des images dégradées, des images souillées du nous70. C’est bien ce phénomène qui requiert Elias : comment l’image du nous par rapport à laquelle le moi se positionne parce qu’il fait partie de ce nous (comme groupe) se trouve très déformée à l’égard de la réalité, contribuant à une représentation fantasmatique de soi-même chez l’individu. Pourtant, si on comprend assez bien comment le moi peut produire des images déformantes et idéalisées de lui-même, reste à expliquer à la faveur de quels processus le moi génère aussi une image idéalisée du nous dont il fait partie.

  • 71 Ibid., p. 59.

34Ce qui reste également largement dans l’angle mort de la pensée d’Elias tient au rapport de l’idéal du moi et de l’idéal du nous, dont il ne livre pas de modèle métapsychologique. Restent dans l’ombre les modalités de la conjonction entre idéal du nous et idéal du moi, car le premier ne se substitue pas du tout chez Elias au second mais il s’agit pour lui de deux composants à part entière de l’image de soi ou de l’identité personnelle : « L’image et l’idéal du nous d’une personne font autant partie de son image et de son idéal du moi que l’image et l’idéal de soi de la personne unique qui dit “je” »71. Plus exactement, Elias suppose qu’image et idéal du moi possèdent deux parties : l’image et l’idéal du nous et l’image et l’idéal de soi. Cela s’accorde parfaitement avec son ontologie sociale mais soulève des questions au regard du statut métapsychologique du moi. Elias n’explique pas vraiment comment s’ajointent ou se composent les deux idéaux du moi et du nous, se contentant de parler dans certaines sociétés de prédominance de l’un sur l’autre (prédominance de l’identité du nous sur l’identité du je et inversement), même si l’on ne peut superposer tout à fait la théorie des deux identités (du je et du nous) et celle des deux idéaux (du moi et du nous). La théorie freudienne présente à cet égard l’avantage de proposer un modèle génétique qui articule certaines formes de communauté et l’idéal du moi.

  • 72 S. Freud, « Pour introduire le narcissisme » [1914], dans Id., Œuvres complètes XII, J. Laplanche é (...)
  • 73 Id., « Psychologie des masses et analyse du moi » [1921], dans Id., Œuvres complètes XVI, J. Laplan (...)

35Freud ne possède certes pas de concept constitué d’idéal du nous et envisage l’idéal du moi comme une reprise à la fois de la critique parentale et de toutes les autres voix critiques qui se sont fait entendre par la suite : « […] les éducateurs, les professeurs et la troupe innombrable et indéterminable de toutes les autres personnes du milieu ambiant (les semblables, l’opinion publique) »72. L’idéal du moi possède donc des modèles très divers chez un même individu donné : « Chaque individu est une partie constitutive de nombreuses masses, lié de nombreux côtés par identification, et il a édifié son idéal du moi selon les modèles les plus divers. Chaque individu a ainsi part à de nombreuses âmes de masse, celle de sa race, de la classe, de la communauté de croyance, de l’appartenance à un État, etc. […] »73. Bien que l’identification aux parents constitue la principale identification et source de l’idéal du moi, cet idéal est aussi un idéal du nous car s’y agglomèrent une quantité d’identifications différentes, y compris à des masses (à des « nous ») et pas seulement à des individus.

36Dans cette configuration freudienne, il n’y a pas nécessairement de « nous » constitué, de « nous » commun que partageraient sous forme d’image (souvent déformante à l’égard de la réalité) différents membres d’un groupe (qu’il soit social ou national), même si certaines masses sont prégnantes. Chez Elias, au contraire, l’idéal du nous renvoie à un « nous » bien déterminé et surtout partagé : le nous allemand dans le livre consacré à la formation de l’État allemand et à la montée du national-socialisme, ou encore l’idéal du nous du groupe établi du quartier ouvrier de Winston Parva qui conduit ses habitants à s’identifier aux meilleurs d’entre eux, à se considérer comme supérieurs aux ouvriers arrivés plus tardivement dans les lotissements formant l’autre quartier ouvrier dont les habitants sont tenus pour des intrus et des marginaux, etc. L’action de l’image fantasmatique de ce « nous » est manifeste dans la description que donnent Elias et Scotson de ces ouvriers qui, empêtrés dans un mythe de l’authenticité, désignent leur quartier comme « le village » et se désignent eux-mêmes comme « les villageois », bien qu’il s’agisse d’un faubourg industriel sans activité agricole. La configuration décrite par Elias présuppose un « nous » aux contours bien arrêtés : ces ouvriers forment un groupe très uni reposant sur l’étroitesse de réseaux familiaux sur plusieurs générations centrées autour de la mère.

  • 74 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion, op. cit., p. 60.
  • 75 N. Elias, « Les transformations de l’équilibre “nous-je” » [1987], dans Id., La société des individ (...)

37Les cas considérés par Elias présupposent presque toujours des groupes ou des « nous » à l’identité forte (« je suis irlandais », les « villageois » de Winston Parva, les Allemands dans l’entre-deux-guerres, les membres de l’aristocratie française de cour, etc.). D’où les modèles identificatoires qu’il envisage : « Moi, Pat O’Brien, je suis irlandais », « Je suis mexicain », « Je suis bouddhiste », « J’appartiens à la classe ouvrière », « J’appartiens à une vieille famille écossaise »74. La question d’Elias tient au pouvoir identificatoire de certains « nous » : tribus, États, et au peu de pouvoir identificatoire à l’heure actuelle d’autres types de nous tels l’humanité : « Pour la plupart des individus, l’humanité comme cadre de référence de l’identité du nous est une tache blanche sur la carte de leurs émotions »75.

38Plusieurs questions se posent ici. Elias affirme que l’identité du nous fait partie de l’identité du moi ou que l’idéal du nous constitue l’identité de la personne à côté de son idéal du moi. Reste à déterminer exactement le modèle métapsychologique de leurs rapports. Mais se pose en outre la question de savoir, d’une part, si certaines personnes ne possèdent pas un idéal du moi connecté à un idéal du nous beaucoup plus diffus ou vague que celui décrit par Elias. Tout le monde ne se présente pas en disant « je suis Irlandais » ou « je suis un “villageois” de Winston Parva ». Peut-être que certains idéaux du moi sont associés à des « nous », à des identités de groupe, assez faibles. C’est d’ailleurs ce qui caractérise pour Elias le sujet moderne, le fait que l’identité du je soit devenue dominante et l’identité du nous assez falote, voire carrément déniée.

39D’autre part, se pose la question de l’articulation de différents idéaux du nous ou de différentes images du nous qui n’apparaît pas bien dans le propos eliasien, où l’individu semble membre d’un groupe ou d’une nation qui fonctionne comme identification dominante. Or nombre de personnes se trouvent plutôt à la croisée de différentes identités du nous. Elles diraient par exemple qu’elles sont à la fois irlandaises, femmes, membres de tel corps de métier, etc. Il faudrait alors un modèle permettant de penser l’articulation et la concurrence de différents idéaux du nous et leur incidence sur l’idéal du moi de telle personne. À cet égard, parce qu’elle ne possède pas de pensée déterminée de l’idéal du nous, la conceptualité freudienne fait place à l’intervention dans l’étayage de l’idéal du moi d’une pluralité d’identifications successives à des personnes, à des masses, à des référents culturels.

40Au moyen des concepts d’image du je et d’image du nous, d’idéal du moi et d’idéal du nous, Elias livre une réflexion suggestive sur les ressorts psychoaffectifs qui conduisent un individu à faire corps – au moins mentalement – avec un groupe, à dire « nous », mais aussi à ne pas faire corps avec lui (ce serait le cas de la majorité des contemporains d’Elias à l’égard de ce nous qu’est l’humanité), ou encore à dénier faire corps – cette fois-ci sur le plan d’une ontologie sociale – avec un nous dont il fait partie, se figurant ainsi semblable à une monade. Le modèle eliasien facilite la compréhension de ces différents phénomènes parce qu’au lieu de reconduire le clivage entre je et nous, il part de la co-constitution des individus et de la société. Bien que la puissance descriptive et explicative de cette théorie de l’identité soit indéniable, le modèle métapsychologique des deux images (du je et du nous) et des deux idéaux (du moi et du nous) reste très largement à élaborer.

41On ajoutera que la notion d’idéal du nous permet, dans le sillage tracé par Freud, de réaffirmer l’efficience du fantasme. Distinguant réalité psychique et réalité matérielle, Freud a soutenu que la première possède autant de poids, sinon bien plus, que la seconde. La notion eliasienne d’idéal du nous participe de la reconnaissance d’une telle étiologie psychique. Les images que les groupes se forgent d’eux-mêmes, de leur puissance, de leur rang, de leur destin, etc. conditionnent manifestement des choix politiques dramatiques et le consentement de millions de personnes à de telles décisions. C’est du moins ce que soutient Elias dans Les Allemands.

42L’analyse eliasienne de l’idéal du nous présente enfin le très grand intérêt de proposer un modèle social-historique de la formation du fantasme et de son efficience. Le plus souvent, on rapporte l’écart qui sépare une représentation fantasmatique de la réalité au pouvoir que possède l’esprit de s’auto-affecter, mais aussi à l’action de certains complexes qui président à la formation de ces fantasmes. On présuppose donc l’existence de complexes fondamentaux dont il faudrait rendre raison et qui restent très largement à historiciser. Les développements qu’on trouve chez Elias ont l’avantage de rapporter la dissociation entre réel et fantasme à l’action d’une représentation que le groupe possède de lui-même, à un idéal du nous, représentation distordue dont il est possible d’étudier la genèse et les coordonnées culturelles, sociales et historiques.

Haut de page

Notes

1 N. Elias, Les Allemands. Luttes de pouvoir et développement de l’habitus aux XIXe et XXe siècles [1989], M. Schröter éd., Paris, Seuil, 2017, p. 190-192.

2 Elias parle usuellement des « membres d’un groupe » ou des « membres d’une société ». Il évoque également l’existence de « sentiments d’appartenance » forts ou faibles pour tel ou tel type de groupe et l’erreur, révélée par la théorie processuelle du monde social, qu’il y a d’envisager « un individu isolé, pratiquement sans appartenance à aucun groupe » (La société des individus [1987], J. Étoré trad., R. Chartier préf., Paris, Fayard, 1991, p. 212). Néanmoins, ces formulations ont ceci de trompeur en français qu’elles laissent penser qu’il y aurait pour Elias des faits bruts ou réalistes d’appartenance, alors que toute sa sociologie promeut au contraire une conception relationnelle et dynamique des appartenances, médiées par un jeu de représentations.

3 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion [1965], P.-E. Dauzat trad., M. Wieviorka préf., Paris, Fayard, 1997, p. 251.

4 N. Elias, La société des individus, op. cit., p. 105.

5 Ibid., p. 49.

6 Ibid., p. 105.

7 Id., Mozart. Sociologie d’un génie [1980-1991], M. Schröter éd., J. Étoré et B. Lortholary trad., Paris, Seuil, 1991, p. 98.

8 Id., La civilisation des mœurs [1939, t. I de Über den Prozeß der Zivilisation], P. Kamnitzer trad., Paris, Calmann-Lévy, 1973, p. 326-327.

9 Id., La dynamique de l’Occident [1939, t. II de Über den Prozeß der Zivilisation], P. Kamnitzer trad., Paris, Calmann-Lévy, 1975, p. 244.

10 Id., La société des individus, op. cit., p. 99.

11 Id., La civilisation des mœurs, op. cit., p. 418.

12 Loccit.

13 Cela ouvre la question nommée par Freud en 1926 dans « Inhibition, symptôme et angoisse » question des « destins du refoulé ».

14 S. Freud, L’avenir d’une illusion [1927], dans Id., Œuvres complètes XVIII, J. Laplanche éd., Paris, PUF, 1994, p. 150.

15 Ibid., p. 151.

16 Loc. cit.

17 N. Elias, La civilisation des mœurs, op. cit., p. 367.

18 Id., La société des individus, op. cit., p. 66.

19 Loc. cit.

20 Id., La civilisation des mœurs, op. cit., p. 417.

21 Nous allons revenir sur l’articulation chez Elias entre la théorisation du surmoi et de l’autocontrainte et celle des images de soi dans la section « Questions et problèmes. Surmoi et idéal du moi ».

22 N. Elias, La société des individus, op. cit., p. 241.

23 Ibid., « La transformation de l’équilibre “nous-je” », p. 208 et 234.

24 Voir B. Lahire, Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations, Paris, La Découverte, 2013, p. 46-47.

25 N. Elias, « Trop tard ou trop tôt. Notes sur la classification de la théorie du processus et de la configuration » [1984/1990], dans Id., Norbert Elias par lui-même, J.-C. Capèle trad., Paris, Pluriel, 2013, p. 169. On trouve déjà chez Lacan une telle conception critique de la catégorie d’individu solidaire d’une forme d’utilitarisme : « […] il est clair que la promotion du moi dans notre existence aboutit, conformément à la conception utilitariste de l’homme qui la seconde, à réaliser toujours plus avant l’homme comme individu, c’est-à-dire dans un isolement de l’âme toujours plus parent de sa déréliction originelle » (J. Lacan, Écrits I, Paris, Seuil, 1999, p. 121 ; voir aussi p. 144).

26 Voir C. Pagès, « L’excès d’individuation : pathologie d’une communauté culturelle », Revue française de psychanalyse, vol. 88(2), 2024, p. 127-137.

27 N. Elias, La solitude des mourants [1982], S. Muller et C. Nancy trad., Paris, Christian Bourgois, 2012, p. 37 ; p. 117-118.

28 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion, op. cit., p. 57.

29 Ibid., p. 69.

30 Ibid., p. 155.

31 Ibid., p. 53.

32 Ibid., p. 60.

33 Loccit.

34 Ibid., p. 53.

35 Ibid., p. 60.

36 Ibid., p. 61.

37 Nous sommes obligés de reconnaître que très souvent, sous la plume d’Elias, les notions d’image et d’idéal sont associées et presque fondues, dans des expressions telles que « l’image et l’idéal du nous », « l’image et l’idéal de soi », « l’image et l’idéal du moi ». Cela possède l’inconvénient d’en rester à la compréhension de la notion d’idéal en termes d’image idéale ou idéalisée et de laisser dans l’ombre la part d’identification qui entre dans la constitution d’un idéal.

38 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion, op. cit., p. 61.

39 J. Lacan, « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie » [1950], dans Id., Écrits I, Paris, Seuil, 1999, p. 135.

40 Ibid., p. 136.

41 N. Elias, La société des individus, op. cit., p. 239.

42 Ibid., p. 240.

43 Id., Mozart. Sociologie d’un génie, op. cit., p. 163.

44 Id., La société des individus, op. cit., p. 239.

45 Id., Norbert Elias par lui-même, op. cit., p. 75.

46 Ibid., p. 76.

47 Ibid., p. 77.

48 Id., Les Allemands, op. cit., p. 99-122.

49 Ibid., p. 14.

50 Ibid., p. 419.

51 Ibid., p. 420-421 et p. 423.

52 Ibid., p. 433.

53 Ibid., p. 33.

54 É. Neveu, « Elias et les Allemands », Revue française de science politique, no 5, 1997, p. 648.

55 N. Elias, Les Allemands, op. cit., p. 474.

56 Id., Humana conditio [1985], L. Cantagrel trad., F. Bretschneider préf., Paris, Éditions de l’EHESS, 2016, p. 70, p. 83, p. 172.

57 Id., Les Allemands, op. cit., p. 468.

58 Ibid., p. 452-453.

59 Ibid., p. 453.

60 Id., Humana conditio, op. cit., p. 89.

61 Id., Les Allemands, op. cit., p. 527.

62 Nous nous permettons de renvoyer à Christian Ingrao, La promesse de l’Est. Espérance nazie et génocide (1939-1943), Paris, Seuil, 2016.

63 N. Elias, Les Allemands, op. cit., p. 475.

64 Id., La civilisation des mœurs, op. cit., p. 417.

65 S. Freud et W. C. Bullitt, Le Président T. W. Wilson. Portrait psychologique [1930], Paris, Payot, 2005, p. 194-195.

66 S. Freud, « Abrégé de psychanalyse » [1938-1940], dans Id., Œuvres complètes XX, J. Laplanche éd., Paris, PUF, 2010, p. 235.

67 Id., « La nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse » [1933], dans Id., Œuvres complètes XIX, J. Laplanche éd., Paris, PUF, 1995, p. 150.

68 Ibid., p. 147-148.

69 Nous ne pouvons malheureusement ici rentrer dans le détail de la généalogie du surmoi proposée par Christophe Dejours dans « Accident de la séduction et soumission : pour une généalogie du surmoi », Journées internationales Jean Laplanche, à paraître.

70 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion, op. cit., p. 69.

71 Ibid., p. 59.

72 S. Freud, « Pour introduire le narcissisme » [1914], dans Id., Œuvres complètes XII, J. Laplanche éd., Paris, PUF, 2005, p. 239.

73 Id., « Psychologie des masses et analyse du moi » [1921], dans Id., Œuvres complètes XVI, J. Laplanche éd., Paris, PUF, 2010, p. 66-68.

74 N. Elias et J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion, op. cit., p. 60.

75 N. Elias, « Les transformations de l’équilibre “nous-je” » [1987], dans Id., La société des individus, op. cit., p. 263.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Claire Pagès, « Norbert Elias et « l’idéal du nous » »Astérion [En ligne], 31 | 2024, mis en ligne le 04 février 2025, consulté le 14 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/asterion/11182 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138qo

Haut de page

Auteur

Claire Pagès

Université Paris Nanterre, Sophiapol • Agrégée de philosophie, ancienne directrice de programme au Collège international de philosophie, Claire Pagès est professeure à l’université Paris Nanterre. Spécialiste de philosophie sociale et de philosophie des sciences humaines, principalement du domaine allemand, elle travaille à l’articulation de la philosophie, de la psychanalyse et de la sociologie. Elle est l’auteure notamment de Hegel & Freud. Les intermittences du sens (CNRS Éditions, 2015), Lyotard et l’aliénation (PUF, 2011), Elias (Les Belles Lettres, 2017). Elle a également coordonné le volume Elias et les disciplines (Presses universitaires François-Rabelais, 2018) et le numéro de Rue Descartes consacré à Socialisme ou Barbarie (no 96, 2019/2).

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search