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« Nombre des hommes » et « populatio » à la fin de la Renaissance : notes sur la généalogie des savoirs démographiques

‘Number of people’ and ‘populatio’ in the late Renaissance: some remarks on the genealogy of demographic knowledge
Luca Paltrinieri

Résumés

Dans un passage de ses cours au Collège de France, Foucault affirme que, avant le XVIIIe siècle, la « population » est un objet « présent-absent » dans les théories et les pratiques de gouvernement. Nous avons essayé de reconstruire l’histoire généalogique des savoirs proto-démographiques du gouvernement chez trois grands théoriciens politiques de la Renaissance : Nicolas Machiavel, Jean Bodin, Giovanni Botero, à partir de cette affirmation énigmatique. Si la problématique de savoir comment avoir une population nombreuse et florissante est bien présente chez les trois penseurs, le vrai obstacle à la naissance d’une conception moderne de la population est représenté par l’impossibilité d’agir directement sur la reproduction humaine, domaine qui relève directement de la volonté divine. Émerge alors, notamment chez Botero, la possibilité d’une politique « incitative », favorisant les mariages et l’éducation des enfants, qui annonce le populationnisme des mercantilistes. L’exemple de la « population » « présente-absente », à travers l’hypothèse foucaldienne, permet de revenir plus largement sur les objets de l’histoire des sciences qui ne sont ni « découverts » ni inventés de toutes pièces ; il faudrait plutôt affirmer que ce sont des objets « en train de se faire », qui acquièrent une réalité graduelle à travers le débat politique et savant.

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Texte intégral

  • 1 M. Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France 1977-1978, M. Senellart é (...)

1Vers la fin du cours dispensé en 1978 – Sécurité, territoire, population –, Foucault affirme que, dans l’art de gouverner du XVIe siècle, la « population » ne représente qu’un élément présent et absent, « mais plus absent encore que présent »1. Cette affirmation, qui paraît pour le moins énigmatique, mérite d’être précisée. D’un point de vue épistémologique, il faut en effet cerner les contours d’un objet « présent-absent ». D’un point de vue historique, il est question de savoir si le terme de « population » peut légitimement s’appliquer à la période historique de la Renaissance. Dans un premier temps, nous reviendrons sur l’interprétation que Foucault donne de l’émergence de la population comme objet du politique afin, dans un second temps, d’élargir le questionnement à la possibilité d’une histoire politique des savoirs dans le sillage foucaldien, tout en soutenant le besoin d’une distance critique par rapport à certaines de ses conclusions historiques.

Comment faire l’histoire d’une présence-absence ? Le cas de la « population » dans la généalogie foucaldienne

  • 2 Ibid., p. 77.
  • 3 Voir sur ces points P. Kreager, « Quand une population est-elle une nation ? Quand une nation est-e (...)
  • 4 Ibid., p. 44-45 et 341 sq.
  • 5 Foucault soutient précisément que les théories du premier libéralisme pourraient être lues comme l’ (...)

2Selon Foucault, la « population » émerge comme objet de la gouvernementalité libérale à partir du milieu du XVIIIe siècle, au moment où cette notion commence à apparaître à la fois comme une réalité enracinée dans le régime des êtres vivants et comme une collectivité d’individus ayant des intérêts communs que l’on subsume traditionnellement sous le concept de « public »2. Alors même que la croissance démographique des États devient le signe et la manifestation du bon gouvernement, la territorialisation progressive d’une communauté humaine dans des frontières dites « nationales » tend à confondre cette notion de population avec celle de « nation » en tant que « communauté de naissance »3. La nouvelle définition proposée par Foucault permet de comprendre comment la population peut devenir aussi bien un objet qu’un sujet à part entière : objet, puisqu’elle représente désormais le périmètre d’une intervention gouvernementale permanente allant de l’espèce au public, mais aussi sujet, dans la mesure où sa richesse et son bonheur ne cessent d’être les objectifs du gouvernement économique, qui, en revanche, doit agir en fonction de ces variables4. Ainsi, la population apparaît désormais comme un « nouveau personnage » traversé par des dynamiques propres relevant d’une « nature » spécifique, et dont l’existence elle-même implique en même temps une certaine naturalisation de la technologie gouvernementale : pour bien gouverner, il faut respecter la « nature » biologique et sociale de la population5.

  • 6 M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 283.

3Or, selon Foucault, cette « subjectivité/objectivité » de la population n’apparaîtrait pas dans la pratique de gouvernement liée aux théories de la « raison d’État » qui s’affirment au cours de la Renaissance et de la première modernité. En effet, selon la lecture foucaldienne, ces pratiques gouvernementales sont adossées au bonheur de l’État et non à celui de la population, car la raison profonde qui oriente le calcul gouvernemental (de Machiavel à Hobbes) reste toujours l’obtention de l’obéissance et non la valorisation de la dynamique des intérêts individuels. Par conséquent, si le bon Prince cherche à « enrichir ses sujets », c’est uniquement dans la mesure où cette richesse représente directement un élément de la richesse du souverain. Autrement dit, la population en tant que communauté d’intérêts individuels et d’êtres vivants ayant des besoins ne pouvait pas apparaître là où la finalité du gouvernement était uniquement l’obtention de l’obéissance des sujets du souverain. La thèse de l’« absence » de la population au cours de la Renaissance jusqu’à la fin du XVIIe siècle s’enracine ainsi dans la définition circulaire que Foucault donne de la raison d’État : « La raison d’État, c’est un rapport de l’État à lui-même, une automanifestation dans laquelle l’élément de la population est esquissé mais non présent, esquissé mais non réfléchi »6.

  • 7 Contre ces approches déshistoricisées, on pourra se reporter à l’article de Y. Charbit, « La cité p (...)
  • 8 Voir I. Hacking, The Social Construction of What?, Cambridge, Harvard University Press, 1999, tr. f (...)
  • 9 J.-Y. Grenier et A. Orléan, « Michel Foucault, l’économie politique et le libéralisme », Annales. H (...)

4La thèse défendue par Foucault est contestable et n’a pas manqué d’être contestée. Il est facile, en effet, de montrer que toute une série de savoirs proto-démographiques existaient bien avant la problématisation libérale du XVIIIe siècle. Pour un certain nombre d’historiens de la démographie, il serait même possible de remonter jusqu’à Platon pour retrouver les origines du raisonnement démographique sur la population optimale de la cité7. De ce point de vue, l’histoire des pratiques savantes pourrait être décrite comme une histoire des découvertes qui rapprochent progressivement la science de la vérité. En revanche, pour l’historien des sciences constructionniste, ce sont avant tout les scientifiques qui créent leurs propres objets de connaissance tout en les rendant disponibles pour des interventions pratiques inscrivant progressivement ces objets dans le réel8. À titre d’exemple, Yves Grenier et André Orléan n’hésitent pas à attribuer à Foucault la thèse « constructionniste » selon laquelle l’objet « population » serait une invention du XVIIIe siècle9.

  • 10 Sur la question cruciale de l’émergence en histoire des sciences, voir L. Daston éd., Biographies o (...)
  • 11 Il nous semble par ailleurs important de souligner l’importance de l’héritage de l’épistémologie hi (...)
  • 12 I. Tamba, « Histoires de démographe et de linguiste : le couple population/dépopulation », Lynx, no(...)
  • 13 C. Théré et J.-M. Rohrbasser, « L’entrée en usage du mot “population” au milieu du XVIIIe siècle », (...)

5Or, il nous semble que l’étrange formule de la « présence-absence » renvoie davantage à un modèle historique qui se distingue tout aussi bien de l’histoire des « découvertes » que de celle des « inventions ». En effet, la généalogie foucaldienne prétend davantage décrire des émergences et consiste à retracer l’histoire sédimentée de l’apparition d’objets dont la réalité est question de degré dans un continuum10. De ce point de vue, une histoire du concept de « population » dans le sillage foucaldien tendrait à s’opposer à une reconstruction essentialisante qui projette l’idée moderne de population sur des acceptions et des objets anciens11. Par exemple, si les savants et les hommes politiques du Moyen Âge ou de la Renaissance ont amorcé un questionnement que nous qualifierions aujourd’hui de « démographique », ce ne fut ni avec les mêmes mots ni avec les mêmes concepts, raison pour laquelle il vaudrait mieux parler de « nombre des hommes » plutôt que de « population » à l’époque prémoderne. Le mot de « population », qui existait en moyen français jusqu’aux XIVe-XVe siècles, avait en effet une tout autre signification : en tant que dérivation du verbe « populer », il indiquait déjà l’ensemble d’habitants d’un même lieu. Mais en tant qu’emprunt au latin « populatio », il renvoyait également aux sens de « ravage, déprédation, pillage »12. Le mot disparaît de la langue française au cours du XVIe siècle et reste inusité lors du siècle précédent13. C’est la raison pour laquelle, par exemple, Bodin ne parle pas de populatio mais de « multitude » (innombrable) ou de « nombre des hommes » (dénombrable).

  • 14 Sur le cas spécifique de la population, voir R. Descendre, « La ville et le monde. Comparatisme géo (...)
  • 15 P. Biller, The Measure of Multitude. Population in Medieval Thought, Oxford-New York, Oxford Univer (...)
  • 16 Sur cette question, voir aussi J. T. Noonan, Contraception. A History of Its Treatment by the Catho (...)
  • 17 P. Biller, op. cit., p. 364.
  • 18 J. Hecht, « L’idée de dénombrement jusqu’à la Révolution », dans Pour une histoire de la statistiqu (...)

6Toutefois, ce serait une erreur de croire que l’absence du terme signifie qu’un savoir sur le nombre des hommes soit totalement inexistant avant sa résurgence dans le répertoire politique14. Ainsi, la formule « présence-absence » signifie également que la population n’est pas un être complètement nouveau inventé ex abrupto au XVIIIe siècle par une pensée se réclamant de la « science » : l’émergence du concept de population est un processus long dont l’analyse implique la prise en compte d’un savoir de gouvernement très ancien, relatif au « nombre des hommes ». À ce sujet, le cas de la littérature théologico-morale du Moyen Âge est assez saisissant. Pierre Lombard et Guillaume d’Auvergne portaient un grand intérêt aux éléments d’économie et de politique « démographique » contenus dans le livre VII des Politiques d’Aristote15. Les questions de la densité de la population au sein de la cité, de la proportion entre hommes et femmes, de la propagation des êtres humains et même du contrôle des naissances et des politiques de natalité sont toutes, à différents titres et souvent à des fins pratiques, posées et débattues au sein de ses écrits16. Peter Biller a pu ainsi identifier dans les œuvres d’Engelbert d’Admont un usage du verbe regulare qui semble annoncer les théories modernes de la régulation démographique17. L’existence de nombreux documents qui, comme le Domesday Book, recensent la population européenne au cours du Moyen Âge est une autre preuve de l’intérêt que les monarchies médiévales portaient aux questions de population18.

  • 19 Voir J. et M. Dupâquier, Histoire de la démographie, Paris, Perrin, 1985, p. 47.
  • 20 M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 129 : « Le pouvoir du berger est un pou (...)

7Pourtant, l’on ne peut pas parler d’un savoir démographique stricto sensu, dans la mesure où ces différents types de questionnement ne sont pas réunis sous une même rubrique et peinent à constituer une discipline autonome. En effet, ce n’est pas l’absence de raisonnement quantitatif qui tend à instaurer une coupure entre la pensée du Moyen Âge et les méthodes démographiques modernes, mais la modalité du dénombrement qui privilégie l’énumération à la totalisation et qui décrit les cités, les territoires et les populations en se référant à des notions génériques comme « énormes » ou « innombrables »19. Si l’on suit Foucault, c’est surtout le modèle du gouvernement pastoral, fondé sur un rapport d’obéissance et de dépendance intégrale du troupeau à son berger, qui bloque la possibilité d’un savoir de la population en tant qu’ensemble d’habitants attachés à un lieu, et dont le nombre est cause et signe de la force du souverain. En effet, c’est moins l’occupation d’un territoire qui définit le populus chrétien, et c’est moins la connaissance fine de ses habitants qui définit l’activité de gouvernement, que la finalité du salut commun dans un au-delà20. Puisque l’art de gouverner le peuple chrétien s’inscrit dans une hiérarchie de fins ordonnées à une perfection non terrestre, la population ne semble pas y trouver une place. C’est la raison pour laquelle le dénombrement, tâche pastorale par excellence, est en réalité une énumération des fidèles.

  • 21 Ibid., p. 61-65 ; M. Senellart, « Michel Foucault : “gouvernementalité” et raison d’État », dans M. (...)
  • 22 H. Le Bras, Naissance de la mortalité. L’origine politique de la statistique et de la démographie, (...)
  • 23 Sur le lent essor d’une « conscience populationnelle » au croisement entre savoirs d’État, contrôle (...)

8D’un autre point de vue, on pourrait également dire que, au Moyen Âge, l’obstacle épistémologique à l’émergence d’un savoir démographique est en réalité politique. En particulier, deux conditions semblent manquer à l’appel. En premier lieu, il semble difficile, jusqu’à la Renaissance, de parler d’une pluralité des forces étatiques en concurrence. La finalité première du politique reste le « salut » du troupeau et non pas la sécurité de l’État21. En second lieu, pour pouvoir mobiliser le concept de « population », il faut attendre la dé-hiérarchisation de la société et la constitution d’un plan d’égalité généralisée, dans lequel tous les hommes peuvent être comptabilisés comme des unités22. Autrement dit, la persistance de différences de « nature » entre les sujets du souverain n’empêche nullement de les dénombrer séparément à l’intérieur de catégories distinctes. Mais il faut que le « peuple de Dieu » puisse devenir l’ensemble de sujets égaux, interchangeables et additionnables d’un souverain, pour qu’il soit transformé en une « force » susceptible d’entretenir une relation spécifique avec les autres « forces » de l’État. La question du nombre des hommes et de son augmentation se construit donc avec l’État et à travers l’État23.

Entre force et menace : Machiavel ou l’impossible population

  • 24 F. Meinecke, Die Idee der Staatsräson in der neueren Geschichte, Munich, Oldenbourg, 1924, tr. fr. (...)
  • 25 Voir Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 93-113. Voir aussi M. Senellart, « Machiavel à (...)

9Machiavel est souvent présenté comme le théoricien qui a rompu avec le continuum théologico-politique de la pensée médiévale et qui, en insistant sur la nécessité des choses terrestres, l’ordre de la nécessité et de la survie (la realtà effettuale), a inauguré un nouvel art de gouverner caractéristique de la raison d’État24. Pourtant, selon Foucault, il semble difficile de déceler une véritable discipline de l’État dans le corpus machiavélien, car toute la réflexion politique de l’auteur florentin vise à entretenir ou renforcer le lien entre le prince et son domaine et non à renforcer l’État en tant que tel. Dans le schéma foucaldien de la gouvernementalité, Machiavel apparaîtrait donc comme le dernier et illustre représentant du modèle juridico-politique romain, contre lequel s’affirme, à partir de la fin du XVIsiècle, la nouvelle raison gouvernementale qui met les techniques pastorales au service de l’État25. C’est pourquoi les larges développements que Machiavel consacre à la question du dénombrement des populations fonctionnent comme une sorte d’« analyseur politique » faisant écho à la thèse foucaldienne.

  • 26 Voir N. Machiavelli, Istoire fiorentine, dans Opere complete [1971], M. Martelli éd., Florence, San (...)

10Il n’est pas inutile de remarquer, dans un premier temps, que Machiavel utilise le terme « populazioni » dans certains passages des Istorie fiorentine. Toutefois, son usage du mot renvoie davantage aux peuplades de barbares qui envahirent et détruisirent l’Empire romain, plus qu’à l’ensemble nombrable des habitants d’un territoire. La « populazione » apparaît comme la foule innombrable qui envahit un territoire, le dévaste, chasse ou massacre les habitants. En somme, le mot se rapproche davantage de la signification médiévale du latin « populatio » au sens de « destruction » plutôt que de la signification moderne26. La population (« populazione ») se définit alors, du point de vue du Prince, comme le terme opposé et complémentaire du « peuple » (popolo) : si ce dernier représente la menace de sédition qui vient de l’intérieur du domaine conquis, la population représente la menace de l’invasion de l’extérieur.

  • 27 Par exemple C. E. Stangenland (Pre-Malthusian Doctrines of Population. A Study on the History of Ec (...)

11En revanche, Machiavel semble déjà affirmer ouvertement le principe populationniste selon lequel le grand nombre des hommes représente la force des républiques27. En effet, nous pouvons lire dans les Discours :

  • 28 N. Machiavelli, Discorsi sulla la prima deca di Tito Livio, F. Bausi éd., Rome, Salerno Editore, 20 (...)

Ceux qui projettent qu’une ville établisse une grande domination doivent employer toute leur industrie pour la remplir d’habitants ; car sans cette abondance d’hommes, ils n’arriveront jamais à rendre grande une ville.28

  • 29 Ibid., I, 6, p. 80.
  • 30 Cela est d’autant plus vrai dans le Prince, où la façon dont le prince peut se maintenir dans son t (...)

12En effet, le grand nombre permet aux républiques d’effectuer une politique de conquête : Rome a fondé sa puissance militaire sur sa « démographie » en favorisant l’accueil des étrangers ou alors en forçant les habitants des villes acquises à s’y établir. C’est la création d’une armée dite « populaire » qui lui a permis de conquérir de nouveaux territoires et c’est la force du nombre qui lui a permis de ne pas les perdre, à la différence de Sparte. Pourtant, cette force basée sur le nombre est aussi précisément la cause de sa faiblesse, car l’augmentation exponentielle de la plèbe est une cause possible de sédition à l’intérieur de la république (Machiavel parle, à ce propos, d’« infinite occasioni di tumultuare », littéralement d’« innombrables occasions de provoquer des tumultes »)29. Ainsi, si une grande population garantit la force militaire des républiques, elle représente, en même temps, une menace interne pour l’ordre politique qui se manifeste notamment sous la forme du peuple séditieux. En revanche, Sparte et Venise ont pu perdurer pendant une longue période grâce au maintien d’un ordre intérieur dont la possibilité repose sur la limitation du nombre des nouveaux citoyens, natifs ou étrangers. En somme, le problème de la quantité des hommes est toujours lié à celui de la conquête ou de la perte d’un territoire et du maintien du juste rapport entre la force du Prince et le nombre de gouvernés. L’on voit que c’est toujours le couple sémantique popolo/popolazione qui explique l’éloge du grand nombre, et c’est seulement par ce biais que la question du nombre apparaît dans les calculs d’un certain art de la domination30.

  • 31 Ibid., I, 58 : « La multitude est plus constante et plus sage qu’un prince », p. 237-245.
  • 32 Ibid., I, 49, p. 212. Sur la question de la vertu républicaine chez Machiavel, voir J. G. A. Pocock (...)
  • 33 Voir N. Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, op. cit., I, 4 : « Que la désunion (...)
  • 34 C. Larrère, L’invention de l’économie au XVIIIe siècle, Paris, PUF (Léviathan), 1992, p. 98.

13En revanche, lorsque dans les Discours, le peuple apparaît sous la forme positive du vivere civile (la vie civique) et comme le détenteur d’une forme de sagesse consistant à pratiquer la liberté comme un exercice de vertu, il n’est pas appréhendé sous l’angle de la quantité31. L’éloge des recensements des Romains est en effet encore lié à la signification romaine de la censure, en tant qu’arbitrage des mœurs, discipline de l’obéissance et de la vertu civique qui contribue à garder Rome libre32. De ce point de vue, la lecture foucaldienne doit être corrigée : l’« impossibilité » de la population chez Machiavel ne découle pas seulement de la réduction de l’art de gouverner à une technique politique au service de la domination du Prince. Cette impossibilité dérive également du fait que, même si dans les Discours Machiavel reconnaît l’existence d’une vertu civique impliquant une définition (pré)moderne de la liberté, il n’en continue pas moins d’interpréter la politique comme gestion d’une socialité conflictuelle opposant les « grands » au « peuple »33. Le Prince doit en effet se protéger d’un double danger, provenant à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. Nous pourrions donc soutenir que le but premier de l’action du Prince consiste à convertir la populatio, source de menace, en peuple assujetti, passif, là où la force du mercantilisme sera précisément de convertir « la prospérité populaire en puissance politique, faisant de la réussite du rapport interne du roi à ses sujets la condition de l’hégémonie politique extérieure »34.

Calculer la politique : Bodin

  • 35 Voir L. Catteuw, « Dénombrer pour mieux gouverner. Cens et censure dans l’élaboration de l’État mod (...)
  • 36 Voir R. Le Mée, Dénombrements, espaces et société, Cahiers des Annales de démographie historique, n(...)

14Si la lecture foucaldienne de Machiavel semble réductrice, le concept de gouvernementalité mobilisé dans cette approche, avec son accent sur les pratiques politiques plutôt que sur les théories savantes, nous apprend en revanche à étudier les transformations liées au développement administratif des grandes monarchies territoriales. En effet, vers le milieu du XVIe siècle, les dénombrements et plus généralement le problème de la connaissance chiffrée du royaume entrent définitivement dans la pratique gouvernementale35. Il s’agit d’abord d’usages liés à la diffusion de la Réforme : l’enregistrement des baptêmes devient régulier et obligatoire dans la Genève de Calvin, en 1541, et la pratique des registres de catholicité est systématisée après la tenue du concile de Trente en 1563 afin de dénombrer les adeptes des autres confessions. Mais la volonté de mettre en place des procédures de contrôle d’ordre religieux est bientôt doublée par le souci de légitimer des dispositifs de recensement relevant de l’État émergeant : en France, l’ordonnance de Villers-Cotterêts, réglementant l’enregistrement des baptêmes et des décès, date de 1539. Il est suivi d’une vague de recensements qui conduit à la promulgation de l’ordonnance de Blois (1579), laquelle réitère l’obligation faite aux curés et aux vicaires de déposer leurs registres aux greffes des tribunaux de justice royale. La création, par l’initiative de Sully en 1595, d’un « cabinet d’archives » pour centraliser et conserver les données statistiques achève cette séquence historique36.

  • 37 J. Bodin, Méthode pour faciliter la connaissance de l’histoire [1566], P. Mesnard trad., dans Corpu (...)
  • 38 Id., Les six livres de la République, Paris, Jacques du Puys, 1576, rééd. Paris, Fayard, 1986, livr (...)

15Les objectifs de cette connaissance chiffrée du nombre de citoyens sont principalement militaires et fiscaux ; il s’agit notamment d’entretenir de grandes armées permanentes. Le spectaculaire revirement de Bodin sur cette question peut être compris comme une illustration significative de l’entrée inévitable de ces pratiques administratives dans le champ de la pensée politique. En effet, en 1566, lors de la parution de sa Méthode pour faciliter la connaissance de l’histoire, Bodin est hostile au dénombrement des enfants, méthode qu’il considère comme une impiété, un sacrilège envers la loi divine et une source potentielle de désordre37. Dix ans plus tard, il dédie un chapitre entier de La République à la question de la « censure » et à celle de la connaissance du « nombre des sujets » afin de pouvoir les mobiliser à des fins militaires ou coloniales, ou encore de les employer dans des missions de travaux publics, ou enfin de prévoir les réserves de vivres38.

  • 39 Voir particulièrement Les six livres de la République, op. cit., livre V, chap. II.
  • 40 Par exemple J. J. Spengler, French Predecessors of Malthus, Durham, Duke University Press, 1942, tr (...)

16Par ailleurs, le célèbre adage faisant des hommes la principale source de richesses du souverain (« il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujects, trop de citoyens veu qu’il n’y a richesse, ni force que d’hommes ») est passé légitimement dans le registre de l’histoire : à plusieurs reprises Bodin évoque les bienfaits du « peuple infini qui se multiplie » et il espère attirer les étrangers par l’exemption d’impôts39. Ainsi, Bodin serait, pour certains, le précurseur, sinon l’initiateur, d’une approche économique des questions démographiques40. Toutefois, si nous nous appuyons sur l’intégralité de ce fameux passage (contenu à son tour dans un chapitre titré « Les moyens de remédier aux changements des Républiques, qui adviennent pour les richesses excessives des uns, et pauvreté extrême des autres »), nous découvrons que le plaidoyer pour le grand nombre relève moins d’une approche démo-économique que du souci de conserver un certain équilibre entre les différentes factions du corps politique, conçu comme une collectivité organisée hiérarchiquement, où chaque partie dépend de ses relations avec les autres. Un nombre élevé de sujets assure en effet une plus grande complexité de la population et empêche les séditions :

  • 41 J. Bodin, Le six livres de la République, op. cit., livre V, chap. II, p. 64.

La multitude des citoyens empesche tousjours les seditions et les factions : d’autant qu’il y en a plusieurs qui sont moyens entre les povres et les riches, les bons et les meschans, les sages et les fols : et il n’y a rien de plus dangereux, que le sujects soyent divisez en deux parties sans moyen : ce qui advient és Républiques ordinairement où il y a peu de citoyens.41

  • 42 Voir sur ce point Y. Charbit, The Classical Foundations of Population Thought from Plato to Quesnay(...)

17Il faut donc replacer l’affirmation de Bodin dans la continuité des considérations politiques relatives à la doctrine de la souveraineté absolue, entendue comme force de cohésion de la communauté politique42. Certes, chez Bodin, la contradiction machiavélienne entre la cité peuplée, expansive et conflictuelle d’une part, et la citée fermée, non expansive et pacifiée de l’autre, se trouve surmontée par l’assignation d’une valeur intrinsèque au nombre. En effet, la « force du nombre » et l’enrichissement équilibré permettent d’obtenir la juste « balance » entre les factions à l’intérieur de l’État, en limitant les disparités de richesses. Cependant, malgré l’originalité de l’approche bodinienne, nous ne pouvons pas encore parler d’une approche vraiment populationniste, au moins au sens démo-économique, et cela pour toute une série de raisons.

  • 43 J. Bodin, Les six livres de la République, op. cit., livre VI, chap. I, p. 8, 10. Sur ce point, voi (...)

18Premièrement, l’impératif de connaissance sous-tendant le dénombrement semble davantage concerner l’activité du censeur que celle du démographe ante litteram. Encore plus que le nombre, il s’agit en effet de connaître la « qualité » des personnes, de recenser les biens et, plus encore, de se renseigner sur « les mœurs la vie de chacun » afin de « reigler et morigerer les sujects »43. La censure désigne précisément le mode de gouvernement où la population n’apparaît pas au niveau de la pertinence et de la finalité de l’action politique car il s’agit d’obtenir avant tout l’obéissance de l’ensemble des sujets du roi.

  • 44 J. Bodin, Méthode pour faciliter la connaissance de l’histoire, op. cit., t. I, p. 412.
  • 45 Voir S. Goyard-Fabre, Jean Bodin et le droit de la République, Paris, PUF, 1989, p. 84.

19Deuxièmement, connaître les forces du royaume signifie reconnaître que le corps politique se compose de parties inégales. Ainsi, dans Méthode pour faciliter la connaissance de l’histoire, Bodin affirme que dans la République « aucun homme de bon sens ne pourrait supporter cette égalité, disons plutôt cette uniformité populaire, tandis que dans la Cité sagement constituée, les plus grandes et les plus petites, sans compter les classes moyennes, réalisent un accord merveilleux par le concours d’éléments différents »44. Agir politiquement signifie donc maintenir un équilibre entre des parties incommensurables : ce n’est pas le nombre des individus constituant le peuple dont se soucie le souverain, mais l’équilibre entre les différentes parties du corps social45. Le problème n’est pas tellement celui du rapport entre population et ressources mais celui du rapport entre la richesse des différentes « parties » du corps social, et notamment entre les membres productifs (le peuple) et non-productifs (les grands).

  • 46 D. Reyné, « Le regard souverain. Statistique sociale et raison d’État du XVIe au XVIIIe siècle », d (...)
  • 47 Sur cet édit, voir M.-C. Phan, « Les déclarations de grossesse en France (XVIe-XVIIIe siècles) », R (...)
  • 48 J. Bodin, De la démonomanie des sorciers, Paris, Jacques du Puys, 1580. Voir H. R. Trevor-Roper, Re (...)
  • 49 Voir E. Berriot-Salvadore, Un corps, un destin : la femme dans la médecine de la Renaissance, Paris (...)
  • 50 Voir le classique de Pierre Darmon, Le mythe de la procréation à l’âge baroque, Paris, Seuil, 1977. (...)

20Troisièmement, et plus généralement, le « regard du censeur » ouvre certes de nouvelles possibilités d’actions, notamment en matière de gouvernement de la pauvreté, d’éducation et d’organisation du travail46. Mais dans le répertoire des moyens d’action sur les familles et les groupes qui composent l’État, une rubrique est étrangement absente : c’est la question de la reproduction. Tout se passe comme s’il n’y avait pas de connexion entre le nombre des hommes et la reproduction humaine. Pour être plus précis, cette relation est bien prise en compte mais non pas comme un objet politique ou une matière possible d’intervention. Certes, l’édit de 1556 contre le recelé de grossesse et d’accouchement, initié par Henri II, condamnait à mort les « femmes qui déguisent, occultent et cachent leurs grossesses » et qui se délivrent de leur fruit « sans leur avoir fait impartir le saint sacrement du baptême »47. Mais la nécessité impose de resituer cet épisode historique dans le contexte des guerres de religion et de la persécution des « sacramentaires », et non dans le cadre historique des mesures populationnistes. De la même façon, on a cru retrouver dans la condamnation de la sorcellerie par Bodin les signes de l’affirmation du capitalisme naissant : les sorcières étant des avorteuses, elles auraient menacé la reproduction d’une main-d’œuvre dont le capital avait besoin48. Mais cette explication démo-économique oublie que l’opinion dominante, à la Renaissance, attribue exclusivement à Dieu le pouvoir de faire naître : ni la volonté souveraine ni celle des avorteuses ne pouvaient être suffisamment armées pour infléchir les schémas reproductifs49. L’enfantement appartenait à l’ordre des forces cosmiques : naître, c’était sortir du néant pour accéder à la lumière par une sorte d’intercession divine ; mourir, c’était retourner à la terre suivant le cycle naturel de la vie et de la mort50. L’ensemble des citoyens était toujours pensé comme un corps vivant se régénérant continuellement selon un ordre naturel qui constituait le cadre de l’action humaine.

  • 51 Voir S. Goyard-Fabre, Jean Bodin et le droit de la République, op. cit., p. 255-276 et H. Le Bras, (...)
  • 52 M. Foucault, Le gouvernement des vivants. Cours au Collège de France. 1979-1980, Paris, Gallimard-S (...)

21Remarquons également que chez Bodin, la question du « nombre des hommes » est inséparable de la croyance en une liaison harmonique entre les parties de l’univers, liaison qui plonge ses racines dans la mystique numérologique et astrologique. La réalité manifestée par le nombre se situe donc à un niveau plus profond de la politique : elle appartient au domaine de l’être et « assure la cohésion entre les choses et les idées »51. Ainsi, si la notion elle-même de « nombre des hommes » témoigne de la sagesse divine, la prolifération du nombre désigne précisément la cohérence entre la politique basée sur un calcul rationnel des forces et les lois par lesquelles Dieu gouverne sagement et prudemment le monde. C’est donc bien le rapport entre l’exercice du pouvoir et la manifestation de la vérité qu’il faut examiner pour comprendre les projets gouvernementaux liés aux premiers recensements sans y chercher les prémices du raisonnement démo-économique moderne52. En effet, ces projets ne témoignent ni de la volonté de rendre l’homme « maître et possesseur » de sa nature, ni de l’émergence d’une société civile fondée sur le principe de l’intérêt privé, mais bien plutôt de la première, timide, apparition de l’intervention humaine dans le régime de la nécessité naturelle voulue par Dieu.

L’intérêt et la génération : Botero

  • 53 M. Senellart, Machiavélisme et raison d’État, Paris, PUF, 1989.
  • 54 G. Botero, Della ragion di Stato, libri dieci. Con tre libri delle cause della grandezza e magnific (...)
  • 55 D. Taranto, « Le discours de la Raison d’État », dans A. Caillé, C. Lazzeri et M. Senellart, Le bon (...)
  • 56 M. Senellart, « Le problème de la raison d’État de Botero à Zuccolo (1569-1621) », dans C. Menassey (...)
  • 57 G. Botero définissait l’État comme « seigneurie solide sur les peuples » et la raison d’État comme (...)

22Selon la lecture foucaldienne, Botero aurait recentré la rationalité gouvernementale autour de la notion d’intérêt en faisant émerger la dimension de la vie économique, que Machiavel n’aurait pas su voir dans ses différentes analyses53. L’intérêt, chez Botero, ne concerne plus uniquement la puissance du Prince mais désigne aussi bien l’avantage des individus que le bien public. Il devient alors un principe d’ordre et de cohésion sociale : « L’interesse acqueta tutti » (« L’intérêt rend tout le monde paisible »)54. L’État apparaît désormais comme une « force régulatrice du jeu économique », administrant le jeu des intérêts privés et de l’utilité publique55. La politique devient ainsi une « science de l’État » se distinguant à la fois de l’imitation réfléchie du gouvernement divin et de l’habilité du Prince. Dès lors, l’action politique implique la constitution d’un savoir empirique, statistique et stratégique concernant la connaissance des conditions d’existence de chaque État en fonction de son histoire, de sa situation géographique et de ses ressources56. Il s’agit, selon les mots de Foucault, de « construire un savoir en même temps interne à l’exercice du pouvoir et utile à ce pouvoir même »57.

  • 58 G. Botero, De la raison d’État, op. cit., p. 259 et note 4 : Romain Descendre remarque comment le t (...)
  • 59 G. Botero, Delle cause della grandezza delle città, op. cit., livre II : notons que le mot apparaît (...)

23De là, l’extraordinaire attention, inhabituelle pour l’époque, que Botero voue à l’estimation du nombre des hommes, les genti ou les « vrais forces »58 de l’État : d’abord dans son discours intitulé Che numero di gente facesse Roma nel colmo della sua grandezza (1588), puis dans le livre III du Delle cause della grandezza delle città (1588) et enfin dans le livre VII de Della ragion di Stato (1589). À ce sujet, Botero, même s’il préfère recourir à l’usage des mots « genti » (qui a le plus souvent un sens militaire), « huomini » et « multitudine », est sans doute le premier à utiliser le terme de « populatione » dans un sens proche du sens moderne. En effet, dans Delle cause della grandezza e magnificienza delle città, il utilise ce terme à cinq reprises lors d’une discussion concernant la taille des villes, en le référant à la signification d’ensemble des habitants de la ville, mais surtout à la « propagatione de gli huomini » (procréation, propagation), selon un sens « actif » du terme comme synonyme de « peuplement » qui restera dominant jusqu’à la fin du XVIIIe siècle59.

  • 60 Ibid., p. 370 ; tr. fr., Des causes de la grandeur des villes, op. cit., p. 65-67. Sur le mot et le (...)
  • 61 Voir G. Botero, Delle cause della grandezza delle città, op. cit., p. 401-402 ; tr. fr, Des causes (...)
  • 62 Voir Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, op. cit., II, 5, p. 280 : « En effet, (...)
  • 63 Ainsi Joseph A. Schumpeter parle d’une « Botero-Malthus view of the matter » : « The Malthusian Pri (...)

24Or, cette double signification renvoie aux deux conditions déterminant le nombre des habitants de l’État : la virtù generativa degli uomini, c’est-à-dire la croissance constante par génération du genre humain (en d’autres termes la capacité de reproduction), et la virtù nutritiva delle città, la capacité des villes à produire des subsistances60. La première n’a pas changé « depuis 3000 ans » et elle pourrait rendre la croissance des villes « sans limites »61. Ainsi, l’accroissement de la population semble dépendre entièrement de l’augmentation de la capacité « nutritive » que l’homme peut amplifier indéfiniment par l’« industrie ». Mais, lorsque l’augmentation de la population dépasse les limites dans lesquelles la ville ou l’État peuvent « se conserver facilement », toute une série de facteurs préventifs ou répressifs interviennent, ramenant la population à l’« état de repos » : famines, pestes, tremblements de terre, stérilité. L’argument rappelle la « purgation » machiavélienne, les causes « qui viennent du ciel » : peste, famines, inondations, par lesquelles la nature régulait les excès de population62. Toutefois, il convient de ne pas rabattre les développements de Botero sur ceux de Machiavel, ni d’interpréter l’idée du rapport entre vertu nutritive et vertu générative comme une anticipation de l’opposition malthusienne entre croissance arithmétique des subsistances et progression géométrique de la population63. En réalité, le problème du nombre des hommes dans l’œuvre de Botero introduit toute une série de nouveautés qui annoncent les caractères de la population moderne.

  • 64 M. Senellart, Machiavélisme et raison d’État, Paris, PUF, 1989, p. 72-73.
  • 65 Voir à ce propos les chapitres VII et VIII de De la raison d’État, op. cit., p. 260-316.

25D’abord, le nombre des citoyens y apparaît, pour la première fois, comme une donnée entièrement positive, « substance vivante, active, laborieuse », elle assure la « possanza » (puissance) de l’État d’un point de vue à la fois militaire et économique64. Or, chez Botero, la « possanza » est au moins autant la force de l’armée – comme c’était le cas dans le sillage machiavélien – que la pouvoir conféré par la richesse, et plus particulièrement par l’activité économique qui permet d’enrichir le « particulier et le public »65. La vraie nouveauté du discours de Botero est alors d’établir, dans un premier temps, la connexion entre la force de l’État et la population dans le domaine de la production et de l’activité humaine, et, dans un second temps, de concevoir cette relation comme un fait moderne qui provient aussi bien de la recherche de stabilité que de la nécessité de conservation de l’État en tant que donnée primordiale du politique. 

  • 66 Voir M. Senellart, Les arts de gouverner. Du « regimen » médiéval au concept du gouvernement, Paris (...)

26Botero insiste sur ce dernier point pour marquer la singularité contemporaine de l’art de gouverner qui se tourne progressivement vers le fait productif. En effet, l’« industrie » et la population se relancent l’une l’autre. Mettre la population au travail signifie augmenter la richesse publique, distribuer aux gens des moyens qui permettront de fonder de nouvelles familles et de renouveler la force de travail. Si les hommes représentent désormais directement les « vraies forces » des États, c’est précisément parce que la population apparaît comme l’élément où le jeu des intérêts individuels converge vers la puissance collective de l’État. Selon Michel Senellart, penser l’économie comme facteur primordial de la puissance de l’État permet en effet au jésuite Botero de résoudre la contradiction entre l’exigence d’indépendance de l’État comme instance centrale du politique et sa soumission à l’autorité ecclésiastique, l’Église ne pouvant accepter une autorité qui lui soit supérieure. La solution économique, fondée sur la solidarité entre l’intérêt de tous et le bonheur de l’État, est ainsi conçue comme une alternative à l’intérêt égoïste du Prince machiavélien et à la politique « athée », à savoir la solution juridique qui jette les bases d’une souveraineté absolue66.

  • 67 Voir R. Descendre, L’état du monde, op. cit., p. 164 et P. Napoli, Naissance de la police moderne, (...)

27À la lecture de ce qui précède, l’on pourrait soutenir que Botero esquisse les contours d’une gestion continue des affaires publiques qui se présente elle-même comme une action de transformation de la composition et de la grandeur de la population. Connaître la population devient essentiel pour agir sur elle à travers une composition des forces, c’est-à-dire par une politique territoriale de croissance économique. La lutte contre la pauvreté, la mise au travail obligatoire et la répression de l’oisiveté en sont par ailleurs les principaux chapitres67. La mise en place d’une politique de population peut ainsi être pensée comme une action de transformation de la nature qui s’inspirerait de l’intervention humaine sur la propagation animale et végétale (l’agriculture et l’élevage), pour la transférer au genre humain :

  • 68 G. Botero, De la raison d’État, op. cit., p. 298. Descendre écrit à ce propos : « Botero voit dans (...)

Ne voyons-nous pas que le soin mis par les hommes à multiplier la laitue et les choux a plus d’effet que la fécondité de la nature qui fait pousser les orties et autres plantes semblables ? Bien que les louves et les ourses fassent des portées plus nombreuses que les brebis, et que l’on tue, sans commune mesure, bien plus d’agneaux que de louveteaux ou d’oursons, il y a néanmoins plus d’agneaux que de loups : n’est-ce pas parce que l’homme prend soin d’élever et faire paître les agneaux et qu’il chasse les loups et leur fait la guerre ?68

  • 69 Voir à ce propos l’article essentiel de P. Kreager, « Early modern population theory: A reassessmen (...)

28Mais cette tendance presque « prométhéenne », visant la transformation de la nature afin de la rendre productive, se heurte encore une fois à l’obstacle de la génération. C’est la fixité de la vertu générative qui en fait office : malgré tous les efforts du gouvernement pour augmenter la taille de la population, en favorisant notamment les mariages et la multiplication des noyaux familiaux, il semble néanmoins difficile de décider de la procréation elle-même. Fécondation et accouchement restent ici encore soumis au rythme du temps cyclique de la reproduction de l’espèce, expression d’une nature qui deviendra, au cours du XVIIe siècle, de plus en plus ordonnée et mesurable, mais dont les logiques profondes continuent de se soustraire à l’entendement humain. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour qu’une véritable « politique de la procréation » soit pensée par le haut et par le bas69.

29En somme, la difficulté posée par l’objet « population » chez Botero est typique d’une approche prémoderne : certes, la croissance de la population est indispensable pour un État fort, mais le « nombre des hommes » continue à dépendre, en dernière instance, de la répétition quotidienne de l’acte divin de la création. Pourtant, entre Bodin et Botero, un glissement s’était opéré de manière décisive. Là où Bodin évinçait tout simplement la question des « causes » de la croissance populationnelle (ou plutôt là où il ne les percevait pas), Botero définit une nouvelle sphère de l’action gouvernementale en préconisant le gouvernement indirect de la croissance : plus que d’investir directement la natalité, il s’agit d’intervenir à la fois sur la richesse, la production et le domaine des mœurs. Le souverain doit enrichir ses sujets pour qu’ils puissent perpétuer la cellule familiale et améliorer les conditions hygiéniques et morales, notamment à travers l’éducation des enfants et des parents, premier moyen de conservation de la population :

  • 70 G. Botero, De la raison d’État, op. cit., p. 298. Il faut se rappeler qu’ici le terme « éducation » (...)

En effet, même s’il n’y a pas de multiplication du genre humain sans union des hommes et des femmes, cette multiplication n’a pas pour seule cause la multiplicité des unions : il faut en outre élever soigneusement les enfants et assumer commodément leur entretien, sans qu’ils meurent prématurément ou s’avèrent inutiles ou peu utiles à leur patrie. La France a toujours été très abondamment et grandement peuplée ; Strabon l’explique en disant que les femmes françaises étaient excellentes tant par leur fécondité naturelle que par la diligence avec laquelle elles élevaient leurs enfants.70

  • 71 Voir les remarques de P. Kreager, « Early modern population theory: A reassessment », art. cité, p. (...)
  • 72 Voir G. Botero, De la raison d’État, op. cit., IV, 2.

30Bien évidemment, cet enrichissement et cette multiplication des familles font partie d’une stratégie de reconduction de l’ordre qui maintient une continuité avec les théorisations précédentes sur le « nombre des hommes » et la nécessité de conserver ou de composer un équilibre entre les différentes parties du corps social71. Il n’est donc pas étonnant que l’on retrouve chez Botero l’idée d’un enrichissement équilibré du corps social, qui se fera notamment par l’augmentation des mezzani72. Mais Botero innove là où il fait de la réduction de la pauvreté et de l’oisiveté, non seulement les moyens privilégiés pour l’obtention de l’obéissance, mais aussi pour l’augmentation de la production qui relance la multiplication du nombre des hommes. La répression de la « vie oiseuse » apparaît alors comme un moyen d’agir indirectement sur la population pour en augmenter la taille.

  • 73 P. Kreager, « Early modern population theory: A reassessment », art. cité.
  • 74 Voir R. Descendre, L’état du monde, op. cit., qui retrace à ce propos un parallèle avec Bacon : « D (...)

31Tous ces moyens « indirects » – réduction de la pauvreté, éducation, promotion des valeurs familiales chrétiennes – font partie de l’« antithèse stratégique » que la première modernité oppose à la thèse médiévale de l’impossibilité d’agir sur la génération/reproduction. Comme le dit synthétiquement Philip Kreager, il s’agit en effet de promouvoir l’idée qu’il existerait une marge de manœuvre pour une action humaine visant l’accroissement de la population, même là où le nombre dépend, en dernière instance, de la volonté divine73. Autrement dit, c’est l’impossibilité d’agir directement sur la génération, avant même sa transformation en « reproduction », qui permet de définir de nouveaux schèmes de gouvernement des mœurs et de l’économie. Avec Botero, non seulement les contours de l’objet « population » sont clairement dessinés, mais encore les principes fondateurs des modernes politiques de population sont définitivement posés74.

Conclusion

  • 75 M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966. On lira, à ce propos, J. Revel, Michel (...)

32Retracer l’histoire généalogique des savoirs proto-démographiques, centrée sur les modes de gouvernement, signifie examiner les théories anciennes à l’aune des concepts modernes. Mais cela ne revient ni à produire une histoire essentialisante, qui cherche à retrouver dans les mentalités du passé les mêmes présupposés qui gouvernent notre façon d’appréhender le monde, ni à poser de façon radicale l’incommensurabilité de ces pensées par rapport aux théories modernes. Dans Les mots et les choses, Foucault avait déjà fait usage de la discontinuité historique moins en tant que position de principe que comme analyseur dans le but de faire émerger différentes formes de transformations et de discontinuités75.

33Ainsi, sans présupposer l’existence de quelconques discontinuités, nous avons essayé de mettre en lumière les filiations conceptuelles pour analyser les transformations de la gouvernementalité à partir d’un objet précis, la question du « nombre des hommes » au cours de la Renaissance. L’on remarque alors une émergence progressive des problématiques démographiques modernes : entre Machiavel et Botero, en effet, la pensée politique s’affranchit lentement de l’alternative entre la populatio – entendue comme menace pour le Prince – et le « nombre des hommes » – entendu en revanche comme la source principale de sa puissance d’abord militaire et ensuite économique. On pourrait dire que la théorie politique découvre progressivement la valeur intrinsèque du nombre comme une variable sur laquelle il faut constamment intervenir pour l’augmenter ou bien la mettre en adéquation avec les autres « forces » de l’État. En particulier, en faisant de la conservation de l’État la fin et la matière première du gouvernement, Botero ouvre une perspective populationniste qui deviendra un trait caractéristique du mercantilisme au XVIIe siècle.

34En même temps, nous souhaitions également tester la grille foucaldienne de la gouvernementalité en la confrontant à la question de la procréation, que Foucault semble avoir étrangement sous-évaluée. Nous avons alors pu voir que dans le cadre des politiques de population, la volonté de transformation intégrale de la nature et l’« artificialisme » du mercantilisme naissant butent sur l’impossibilité d’agir sur le « fait » de la génération. Il s’agit alors moins de transformer intégralement la nature, que d’insérer l’action humaine dans un contexte de forces agissantes qui sont autant naturelles que divines. De ce point de vue, la population, entendue au sens moderne comme le concept qui permet de penser le rapport entre production économique et reproduction humaine, est encore absente. En revanche, ce « quasi-objet » aux contours indéfinis déjoue l’opposition nette entre un mercantilisme « artificialiste » et un libéralisme naturaliste, que Foucault lui-même semble avoir dessinée dans ses cours au Collège de France. La thèse de la présence-absence de la « population » à la Renaissance permet ainsi de se pencher sur la réalité d’un objet de savoir qui n’est ni « découvert » ni inventé de toutes pièces, mais qui acquiert sa réalité à fur et à mesure que le débat politique et savant se concentre sur l’analyse des causes et de moyens pour augmenter le « nombre des hommes ».

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Notes

1 M. Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France 1977-1978, M. Senellart éd., Paris, Gallimard-Seuil (Hautes Études), 2004, p. 283.

2 Ibid., p. 77.

3 Voir sur ces points P. Kreager, « Quand une population est-elle une nation ? Quand une nation est-elle un état ? La démographie et l’émergence d’un dilemme moderne, 1770-1870 », Population, no 6, nov.-déc. 1992, p. 1639-1655 ; J.-C. Perrot, « Les économistes, les philosophes et la population », dans Id., Une histoire intellectuelle de l’économie politique, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 1992, p. 144-190.

4 Ibid., p. 44-45 et 341 sq.

5 Foucault soutient précisément que les théories du premier libéralisme pourraient être lues comme l’affirmation d’un certain « naturalisme » qui s’opposerait à l’artificialisme de la raison d’État. Sur ce point, on lira avec profit Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1977-1978, M. Senellart éd., Paris, Gallimard-Seuil (Hautes Études), 2004, p. 70 sq.

6 M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 283.

7 Contre ces approches déshistoricisées, on pourra se reporter à l’article de Y. Charbit, « La cité platonicienne : histoire et utopie », Population, vol. LVII, no 2, 2002, p. 231-260.

8 Voir I. Hacking, The Social Construction of What?, Cambridge, Harvard University Press, 1999, tr. fr. Entre science et réalité. La construction sociale de quoi ?, Paris, La Découverte, 2001.

9 J.-Y. Grenier et A. Orléan, « Michel Foucault, l’économie politique et le libéralisme », Annales. Histoire, Sciences sociales, no 62(5), 2007, p. 1155-1182.

10 Sur la question cruciale de l’émergence en histoire des sciences, voir L. Daston éd., Biographies of Scientifics Objects, Chicago, University of Chicago Press, 2000. Sur la généalogie foucaldienne comme histoire des émergences, voir « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », dans M. Foucault, Dits et écrits, D. Defert et F. Ewald éd., avec la collab. de J. Langrange, Paris, Gallimard, 1994, rééd. 2001, vol. I, p. 1004-1025.

11 Il nous semble par ailleurs important de souligner l’importance de l’héritage de l’épistémologie historique canguilhemienne sur l’approche foucaldienne. Sur ce point précis, voir L. Paltrinieri, L’expérience du concept. Michel Foucault entre épistémologie et histoire, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 25-114.

12 I. Tamba, « Histoires de démographe et de linguiste : le couple population/dépopulation », Lynx, no 47, Du sens au sens : hommage à Michel Galmiche, 2002, p. 159-168. Sur l’histoire plus générale des savoirs démographiques, voir F. Cahen, Le nombre des hommes. La mesure de la population et ses enjeux (XVIe-XXIe siècle), Paris, Classiques Garnier, 2022.

13 C. Théré et J.-M. Rohrbasser, « L’entrée en usage du mot “population” au milieu du XVIIIe siècle », dans Le cercle de Vincent de Gournay. Savoirs économiques et pratiques administratives en France au milieu du XVIIIe siècle, L. Charles, F. Lefebvre et C. Théré éd., Paris, Ined, 2011, p. 133-163.

14 Sur le cas spécifique de la population, voir R. Descendre, « La ville et le monde. Comparatisme géographique et théorie de la croissance urbaine au début de l’âge moderne », dans G. Botero, Des causes de la grandeur des villes, R. Descendre éd. et trad., Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2014, p. 107-163 : « Conclure à l’inexistence théorique d’un objet du fait qu’il n’a pas encore été figé dans un seul signifiant, revient à s’interdire de comprendre les processus langagiers qui ont pu donner naissance au concept » (p. 152).

15 P. Biller, The Measure of Multitude. Population in Medieval Thought, Oxford-New York, Oxford University Press, 2000, surtout p. 253-382.

16 Sur cette question, voir aussi J. T. Noonan, Contraception. A History of Its Treatment by the Catholic Theologians and Canonists, Cambridge, Harvard University Press, 1966, tr. fr. Contraception et mariage. Évolution ou contradiction dans la pensée chrétienne, Paris, Cerf, 1969, et J.-L. Flandrin, L’église et le contrôle de naissances, Paris, Flammarion, 1970.

17 P. Biller, op. cit., p. 364.

18 J. Hecht, « L’idée de dénombrement jusqu’à la Révolution », dans Pour une histoire de la statistique, J. Affichard dir., Paris, Éditions de l’INSEE, 1987, t. I, p. 21-81.

19 Voir J. et M. Dupâquier, Histoire de la démographie, Paris, Perrin, 1985, p. 47.

20 M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 129 : « Le pouvoir du berger est un pouvoir qui ne s’exerce pas sur un territoire, c’est un pouvoir qui par définition s’exerce sur un troupeau, plus exactement sur le troupeau dans son déplacement, dans le mouvement qui le fait aller d’un point à un autre ».

21 Ibid., p. 61-65 ; M. Senellart, « Michel Foucault : “gouvernementalité” et raison d’État », dans M. Gauchet, La pensée politique, t. I, Paris, Gallimard-Seuil, 1993, p. 276-303.

22 H. Le Bras, Naissance de la mortalité. L’origine politique de la statistique et de la démographie, Paris, Gallimard-Seuil, 2000, p. 128-139. Pour une critique de l’approche de Le Bras, voir R. Descendre, « La ville et le monde. Comparatisme géographique et théorie de la croissance urbaine au début de l’âge moderne », op. cit., p. 151-158. De même, Philip Kreager conteste l’idée que Hobbes et Graunt, ce dernier auteur des Observations Made upon the Bills of Mortality de la ville de Londres (1662), seraient des précurseurs de la démarche statistique et donc d’une conception moderne de la population comme ensemble d’unités humaines commensurables. Au lieu de voir dans l’« invention » de la population un coup de force politique de l’absolutisme étatique, il penche pour une création graduelle du concept et de l’objet « population ». Ainsi, à travers sa lecture de Bulletins de Graunt, Kreager montre la persistance dans la démarche de l’arithmétique politique d’une approche prémoderne fondée sur l’incommensurabilité des groupes humains tissant entre eux des réseaux d’alliances et visant à donner un poids politique spécifique aux différentes sub-populations dans un État : « During the long eighteenth century, beginning with Graunt’s arithmetic and ending with the rise of institutionalized vital statistics, the idea of the state as essentially quantitative become normative. We see no sweeping away of early modern population arithmetic and the classical model. Rather, approaches that we would now call “statistical” gradually grew up within the idea of state and society as a hierachical network of distinctive but interrelated groups. […] First, the profusion of political arithmetic and sometimes more sophisticated applications of probability gradually changed how sub-populations were specified: they came to be aggregates without reference to processes of formation and relation to each other. Populations, in other words, could now be hypostatized as real on the basis of classification and enumeration, and their analysis, interpretation and importance for policy developed without observing processes that form and sustain them. » (P. Kreager, « The emergence of population », dans N. Hopwood, R. Flemming et L. Kassel, Reproduction. Antiquity to the Present Day, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 253-266).

23 Sur le lent essor d’une « conscience populationnelle » au croisement entre savoirs d’État, contrôle social, objectivation scientifique et économie politique, voir F. Cahen, op. cit., p. 27-76.

24 F. Meinecke, Die Idee der Staatsräson in der neueren Geschichte, Munich, Oldenbourg, 1924, tr. fr. L’idée de la raison d’État dans l’histoire des temps modernes, Genève, Droz, 1973, p. 31-51.

25 Voir Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 93-113. Voir aussi M. Senellart, « Machiavel à l’épreuve de la gouvernementalité », dans L’enjeu Machiavel, G. Sfez et M. Senellart dir., Paris, PUF, 2001, p. 211-227.

26 Voir N. Machiavelli, Istoire fiorentine, dans Opere complete [1971], M. Martelli éd., Florence, Sansoni, 1992, livre I, 1, p. 634-635, tr. fr. Machiavel, Œuvres complètes, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1952, p. 948-950 : « Ce furent ces peuplades [populazioni] qui détruisirent l’Empire romain. […] Leurs succès excitèrent des nouvelles peuplades [populazioni] à la destruction de l’Empire ». En français, « populazioni » est en effet traduit par « peuplades », qui correspond mieux au sens de « déplacement d’un ensemble humain ».

27 Par exemple C. E. Stangenland (Pre-Malthusian Doctrines of Population. A Study on the History of Economic Theory [1904], rééd. New York, August M. Kelley Publishers [Reprints of Economic Classics], 1966) fait de Machiavel un précurseur, sinon un fondateur, des doctrines populationnistes de la monarchie absolue. Ce point de vue est repris dans des interprétations plus récentes. Voir E. Vilquin, « Histoire de la pensée démographique jusqu’à 1940 », dans G. Caselli, J. Vallin et G. Wunsch, Démographie : analyse et synthèse. Vol. VII : Histoire des idées et politiques de population, Paris, Éditions de l’Ined, 2006, p. 11-54 ; D. Demarco, « Le dottrine della popolazione in occidente prima di Malthus », dans Le teorie della popolazione prima di Malthus, G. Gioli éd., Milan, Franco Angeli, 1987, p. 18-46.

28 N. Machiavelli, Discorsi sulla la prima deca di Tito Livio, F. Bausi éd., Rome, Salerno Editore, 2001, II, 3, tr. fr. Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, A. Fontana et X. Tabet trad., Paris, Gallimard (Bibliothèque de philosophie), 2004, p. 268.

29 Ibid., I, 6, p. 80.

30 Cela est d’autant plus vrai dans le Prince, où la façon dont le prince peut se maintenir dans son territoire ou en conquérir de nouveaux, est liée à « l’abondance des hommes ou de l’argent » (Il principe, op. cit., p. 272). Sur ces questions, voir aussi T. Berns, Gouverner sans gouverner. Une archéologie politique de la statistique, Paris, PUF, 2009, p. 38.

31 Ibid., I, 58 : « La multitude est plus constante et plus sage qu’un prince », p. 237-245.

32 Ibid., I, 49, p. 212. Sur la question de la vertu républicaine chez Machiavel, voir J. G. A. Pocock (The Machiavellian Moment: Florentine Political Thought and the Atlantic Republican Tradition, Princeton, Princeton University Press, 1975) et Q. Skinner (Liberty before Liberalism, Cambridge, Cambridge University Press, 1998), qui dégagent respectivement deux traditions différentes sous-jacentes au républicanisme machiavélien : la citoyenneté dans la polis classique (le zoon politikon) et la tradition « néo-romaine » des citoyens et des États libres. Sur l’institution de la censure dans la première modernité, voir T. Berns, op. cit., et surtout L. Bianchin, Dove non arriva la legge. Dottrine della censura nella prima età moderna, Bologne, Il Mulino, 2005.

33 Voir N. Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, op. cit., I, 4 : « Que la désunion entre la plèbe et le sénat romain rendait libre et puissante cette République » et Q. Skinner, Machiavel, Paris, Plon, 1989, p. 112 sq.

34 C. Larrère, L’invention de l’économie au XVIIIe siècle, Paris, PUF (Léviathan), 1992, p. 98.

35 Voir L. Catteuw, « Dénombrer pour mieux gouverner. Cens et censure dans l’élaboration de l’État moderne (Europe, XVIe et XVIIe siècles) », dans Démographie et culture, Actes du colloque de l’AIDELF, Québec, 2008, en ligne. URL : [http://www.erudit.org/livre/aidelf/2008/index.htm] (consulté le 20 décembre 2024).

36 Voir R. Le Mée, Dénombrements, espaces et société, Cahiers des Annales de démographie historique, no 1, 1999 ; G. Cabourdin et J. Dupâquier, « Les sources et les institutions », dans Histoire de la population française. 2 : de la Renaissance à 1789, J. Dupâquier éd., Paris, PUF, 1988, p. 9-50.

37 J. Bodin, Méthode pour faciliter la connaissance de l’histoire [1566], P. Mesnard trad., dans Corpus général des philosophes français (auteurs modernes), R. Bayer dir., Paris, PUF, 1951, t. V-3, p. 418.

38 Id., Les six livres de la République, Paris, Jacques du Puys, 1576, rééd. Paris, Fayard, 1986, livre VI, chap. I, p. 7-34.

39 Voir particulièrement Les six livres de la République, op. cit., livre V, chap. II.

40 Par exemple J. J. Spengler, French Predecessors of Malthus, Durham, Duke University Press, 1942, tr. fr. Économie et population. Les doctrines françaises avant 1800 (Cahier 21 de l’Ined), Paris, PUF, 1954, p. 26.

41 J. Bodin, Le six livres de la République, op. cit., livre V, chap. II, p. 64.

42 Voir sur ce point Y. Charbit, The Classical Foundations of Population Thought from Plato to Quesnay, Londres, Springer, 2010.

43 J. Bodin, Les six livres de la République, op. cit., livre VI, chap. I, p. 8, 10. Sur ce point, voir T. Berns, Gouverner sans gouverner, op. cit., p. 69-81 et L. Bianchin, Dove non arriva la legge. Dottrine della censura nella prima età moderna, Bologne, Il Mulino, 2005, p. 143-176. Sur le cas de Montchrestien, qui reprend et développe l’argumentation de Bodin, voir C. Théré, « Connaître le nombre des hommes chez Montchrestien et Cantillon. Le dénombrement, l’arithmétique politique et les principes du peuplement », dans A. Geury, Montchrestien et Cantillon. Le commerce et l’émergence d’une pensée économique, Lyon, ENS Éditions, 2011, p. 215-257.

44 J. Bodin, Méthode pour faciliter la connaissance de l’histoire, op. cit., t. I, p. 412.

45 Voir S. Goyard-Fabre, Jean Bodin et le droit de la République, Paris, PUF, 1989, p. 84.

46 D. Reyné, « Le regard souverain. Statistique sociale et raison d’État du XVIe au XVIIIe siècle », dans Id., La raison d’État : politique et rationalité, C. Lazzeri éd., Paris, PUF, 1992, p. 43-82.

47 Sur cet édit, voir M.-C. Phan, « Les déclarations de grossesse en France (XVIe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XX, no 1, janvier-mars 1975, p. 61-88.

48 J. Bodin, De la démonomanie des sorciers, Paris, Jacques du Puys, 1580. Voir H. R. Trevor-Roper, Religion, the Reformation and Social Change (Londres, MacMillan, 1969, tr. fr. De la Réforme aux Lumières, Paris, Gallimard, 1972), mettant en relation l’essor du capitalisme national avec l’orthodoxie persécutrice du calvinisme et de la Contre-Réforme, et consacrant un essai entier, publié ensuite séparément, à la persécution de la sorcellerie.

49 Voir E. Berriot-Salvadore, Un corps, un destin : la femme dans la médecine de la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 1993, p. 140-141.

50 Voir le classique de Pierre Darmon, Le mythe de la procréation à l’âge baroque, Paris, Seuil, 1977. Voir aussi J.-B. Van Helmont, Traité des maladies : « Le Tout-Puissant a fait toutes les créatures par la pure et simple conception de sa pensée, et par le commandement d’un simple Fiat il a logé à leur intérieur des vertus séminales pour les faire durer et continuer de siècles en siècles. En après, la créature provigne [multiplie] ce don reçu, non pas de rien, ni par un pur commandement, comme Dieu a fait à la première créature, mais par la puissance que ce Tout-Puissant a introduit en elle de créer son image séminale de soi, et de la transférer et dépeindre en son Archée » (cité dans A. Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, 1993, p. 289).

51 Voir S. Goyard-Fabre, Jean Bodin et le droit de la République, op. cit., p. 255-276 et H. Le Bras, Naissance de la mortalité, op. cit., p. 312.

52 M. Foucault, Le gouvernement des vivants. Cours au Collège de France. 1979-1980, Paris, Gallimard-Seuil, 2012, p. 8 sq.

53 M. Senellart, Machiavélisme et raison d’État, Paris, PUF, 1989.

54 G. Botero, Della ragion di Stato, libri dieci. Con tre libri delle cause della grandezza e magnificenza delle città, Venise, Gioliti, 1589, V, 5 et I, 10 (tr. fr. De la raison d’État, P. Benedittini et R. Descendre éd., Paris, Gallimard [Bibliothèque de Philosophie], 2014) ; Id., Delle cause della grandezza delle città, réédition anastatique par V. Marchetti et G. Zucchini de l’édition des deux livres en 1598 (Bologne, Arnaldo Forni Editore, 1990 ; une nouvelle version, éditée par Romain Descendre, est parue chez Viella en 2016, tr. fr. Des causes de la grandeur des villes, R. Descendre trad., op. cit.).

55 D. Taranto, « Le discours de la Raison d’État », dans A. Caillé, C. Lazzeri et M. Senellart, Le bonheur et l’utile. Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique, Paris, La Découverte, 2001, p. 257.

56 M. Senellart, « Le problème de la raison d’État de Botero à Zuccolo (1569-1621) », dans C. Menasseyre et A. Tosel, Figures italiennes de la rationalité, Paris, Kimé, 1997, p. 153-189.

57 G. Botero définissait l’État comme « seigneurie solide sur les peuples » et la raison d’État comme « la connaissance des moyens propres à fonder, conserver et accroître une telle Seigneurie » (De la raison d’État, op. cit., p. 67). Dans son cours du 9 janvier 1980, M. Foucault soutient, en écho à l’œuvre de Botero : « En somme, c’est l’idée que la rationalité de l’action gouvernementale, c’est la raison d’État, et que la vérité qu’il faut manifester, c’est la vérité de l’État comme objet de l’action gouvernementale. » (Le gouvernement des vivants, op. cit., p. 14-15).

58 G. Botero, De la raison d’État, op. cit., p. 259 et note 4 : Romain Descendre remarque comment le terme « genti » oscille entre un sens restreint militaire (les troupes) et un sens large, démographique (la quantité des gens).

59 G. Botero, Delle cause della grandezza delle città, op. cit., livre II : notons que le mot apparaît p. 328, 329, 332, 337, 365. Sur les deux sens du terme, voir p. 332 : « […] non si può negare ch’una moderata libertà e legitima franchezza non giovi grandemente alla popolatione d’un luogo, e perciò le città libere sono per l’ordinario (data la parità dell’altre cose) più celebri e più frequenti che le città soggette a principi et a monarchia. » et p. 365 : « se bene né il paese è abbondante, né il contado ameno, nondimeno tira a sé tanta gente, che ha fatto quel luogo, di villaggio, una delle più grosse popolationi di Spagna. » (l’italique est mien).

60 Ibid., p. 370 ; tr. fr., Des causes de la grandeur des villes, op. cit., p. 65-67. Sur le mot et le concept de « population » chez Botero, voir D. P. Aquaviva, « Alcune riflessioni su Giovanni Botero teorico della popolazione », dans G. Gioli, Le teorie della popolazione prima di Malthus, Milan, Franco Angeli, 1987, p. 169-175, et surtout R. Descendre, L’état du monde : Giovanni Botero entre raison d’État et géopolitique, Genève, Droz (Cahiers d’Humanisme et Renaissance, no 87), 2009, p. 153-171, qui insiste à raison sur la nouveauté du discours de Botero, portant sur la constitution d’un savoir causaliste sur le nombre des hommes. Voir aussi, du même auteur, « La ville et le monde… », op. cit., p. 151-158.

61 Voir G. Botero, Delle cause della grandezza delle città, op. cit., p. 401-402 ; tr. fr, Des causes de la grandeur des villes, op. cit., p. 65.

62 Voir Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, op. cit., II, 5, p. 280 : « En effet, de même que la nature dans les corps simples, quand s’y rassemble beaucoup de matière superflue, agit souvent par elle-même et opère une purgation qui rend ce corps sain, de même cela arrive dans le corps mixte du genre humain : quand toutes les provinces sont remplies d’habitants (de sorte qu’ils ne peuvent pas y vivre ni aller habiter ailleurs, tous les lieux étant occupés et remplis) et quand l’astuce et la malignité humaine est parvenue jusqu’à là où elle peut parvenir, il faut nécessairement que le monde se purge d’une de ce trois façons, afin que les hommes étant devenus peu nombreux et étant abattus, vivent plus commodément et deviennent meilleurs ».

63 Ainsi Joseph A. Schumpeter parle d’une « Botero-Malthus view of the matter » : « The Malthusian Principle of Population sprang fully developed from the brain of Botero in 1589: population tend to increase, beyond any assignable limit, to the full extent made possible by human fecondity, the means of subsistence, on the contrary, and the possibilities of increasing them […] are definitly limited. […] Malthus really did no more than repeat it, except that he adopted particular mathematical laws » (J. A. Schumpeter, History of Economic Analysis, New York, Oxford University Press, 1954, vol. I, p. 255-256). Pour une critique de ce parallélisme, voir L. Einaudi, « Di un quesito intorno alla nascita della scienza economica », La Riforma Sociale, vol. XLIII, mars-avril 1932, p. 219-225. Plus généralement, chez Malthus, c’est l’attraction entre les sexes qui reste un principe constant, et non pas la « vertu générative » elle-même. Comme il est connu, Malthus préconise précisément l’intervention sur la reproduction afin de la restreindre, ce qui, pour Botero, aurait été inimaginable. R. Descendre (« La ville et le monde », op. cit.) souligne de son côté la pluralité des discours hétérogènes qui ne s’excluent pas les uns les autres, notamment un discours économique et un certain pessimisme chrétien, qui marque le passage du livre II au livre III des Causes de la grandeur des villes.

64 M. Senellart, Machiavélisme et raison d’État, Paris, PUF, 1989, p. 72-73.

65 Voir à ce propos les chapitres VII et VIII de De la raison d’État, op. cit., p. 260-316.

66 Voir M. Senellart, Les arts de gouverner. Du « regimen » médiéval au concept du gouvernement, Paris, Seuil, 1995, p. 201 et Id., « La raison d’État antimachiavélienne. Essai de problématisation », dans La raison d’État : politique et rationalité, C. Lazzeri et D. Reynié dir., Paris, PUF, 1992, p. 15-42. Voir aussi, pour une discussion de ces thèses, R. Descendre, « Raison d’État, puissance et économie. Le mercantilisme de Giovanni Botero », Revue de métaphysique et de morale, n39(3), 2003, p. 311-321. Descendre relativise toutefois l’importance de l’économie, du moins comme « domaine » détaché de la force militaire : « Si l’économie, cœur des livres VII et VIII, constitue une part très importante des forze telles que les conçoit Botero, leur part militaire, proprement machiavélienne, reste centrale. Économie et population sont privilégiées d’abord et avant tout parce que la richesse et les hommes d’un État sont la base de sa puissance militaire. » (L’état du monde, op. cit., p. 136).

67 Voir R. Descendre, L’état du monde, op. cit., p. 164 et P. Napoli, Naissance de la police moderne, Paris, La Découverte, 2005, p. 40-41.

68 G. Botero, De la raison d’État, op. cit., p. 298. Descendre écrit à ce propos : « Botero voit dans la culture une spécificité humaine, et c’est la différenciation des domaines respectifs du culturel et du naturel qui, pour lui, rend possible et efficace l’intervention politique sur l’évolution démographique de la population » (L’état du monde, op. cit., p. 159-160).

69 Voir à ce propos l’article essentiel de P. Kreager, « Early modern population theory: A reassessment », Population and Development Review, vol. XVII, no 2, juin 1991, p. 207-227. Voir aussi P. Darmon, Le mythe de la procréation à l’âge baroque, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1977, et, plus récemment, É. Hache, De la génération, Paris, La Découverte, 2024.

70 G. Botero, De la raison d’État, op. cit., p. 298. Il faut se rappeler qu’ici le terme « éducation » maintient aussi son premier sens de « nourriture », y compris quand il s’agit de politiques, que l’on appellerait aujourd’hui « publiques », de soutien à la population. Voir aussi ibid., p. 300 : « Si bien que les deux choses étant nécessaires à la propagation des peuples, la génération et l’éducation, la multiplicité des mariages favorise peut-être l’une, mais fait sûrement obstacle à l’autre. […] Il ne suffit donc pas que le prince favorise les mariages et la fécondité s’il n’aide pas à l’éducation et à l’entretien de la progéniture, en pratiquant la bienfaisance envers les pauvres, l’aide aux miséreux, le secours de ceux qui ne peuvent marier leurs filles, établir leur fils, nourrir leur famille, en donnant de l’ouvrage à ceux qui peuvent travailler, en nourrissant gracieusement ceux qui ne le peuvent pas ». Voir sur ce point R. Descendre, L’état du monde, op. cit., p. 158-160.

71 Voir les remarques de P. Kreager, « Early modern population theory: A reassessment », art. cité, p. 215 : « Population growth was thus seen as necessary to the development of a strong state; however states could only develop their demographic and other resources if their population is well-ordered. The need of States to have sufficient numbers of people was thus an argument for their role as a regulator of individual choice. […]. »

72 Voir G. Botero, De la raison d’État, op. cit., IV, 2.

73 P. Kreager, « Early modern population theory: A reassessment », art. cité.

74 Voir R. Descendre, L’état du monde, op. cit., qui retrace à ce propos un parallèle avec Bacon : « Dans les deux cas, c’est le problème à la fois politique et économique des subsistances qui détermine l’apparition de la notion moderne de population. Dans les deux cas, c’est dans un contexte politique marqué par la raison d’État, et économiquement par le mercantilisme, que la population se met à être considérée dans sa totalité, et perd ses attributs sociaux et politiques, états, corps, “humeurs”, etc. » (p. 166).

75 M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966. On lira, à ce propos, J. Revel, Michel Foucault. Une pensée du discontinu, Paris, Mille et une nuits, 2010 et L. Paltrinieri, L’expérience du concept, op. cit., p. 5-24.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Luca Paltrinieri, « « Nombre des hommes » et « populatio » à la fin de la Renaissance : notes sur la généalogie des savoirs démographiques »Astérion [En ligne], 31 | 2024, mis en ligne le 30 janvier 2025, consulté le 15 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/asterion/11452 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138qv

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Auteur

Luca Paltrinieri

Université de Rennes • Luca Paltrinieri est maître de conférences en philosophie politique, philosophie des sciences humaines et sociales à l’université de Rennes. Il est membre du Centre Atlantique de Philosophie (CAPhi) et chercheur associé au LabTop (Université de Paris 8 Saint-Denis, Université de Nanterre La Défense, CNRS). Il a été directeur de programme au Collège International de Philosophie. Il est l’auteur d’un livre sur Foucault (L’expérience du concept. Michel Foucault entre épistémologie et histoire, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012) et de plusieurs articles sur Foucault et l’histoire des savoirs économiques et de politiques démographiques.

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