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Dossier
Spécificités et légitimité des sciences sociales critiques

Critique pour qui ? Politisation par l’enquête et objectivation de sa réception

Critique for whom? Politicising research and objectifying its reception
Maud Simonet

Résumés

En comparant sur plusieurs scènes la réception de mes recherches sur le travail bénévole – désenchantement pour les un.es, truisme pour les autres – et en prenant au sérieux le processus de politisation par l’enquête qui a été le mien, cet article propose une analyse située à la fois socialement et politiquement du désenchantement que produirait la sociologie catégorisée comme critique. Il met en lumière deux défenses de l’autonomie de l’engagement, au cœur de la critique de la critique : celui de l’autonomie de « l’engagement citoyen » des acteur.trices et de leur rapport au travail, et celui de l’autonomie du travail du chercheur.se et de ses « engagements », généralement présenté sous le topos de la « neutralité » de la recherche. Ce retour réflexif sur les effets de l’enquête sur les autres, mais aussi sur moi-même, vient questionner in fine la portée sociale et politique de cette « conception des mondes antagonistes » inscrite dans une « doctrine de la séparation des sphères » du travail et de l’engagement qui concerne ici tant l’objet que la pratique de recherche.

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Texte intégral

Je remercie chaleureusement Isabelle Clair, Sophie Rétif et Daniel Sabbagh pour leur relecture de ce texte, leurs remarques pertinentes et leurs conseils éclairants.

1En novembre 2021, je suis auditionnée par la commission « Éducation, culture et communication » du Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans le cadre d’une saisine intitulée « L’engagement bénévole : indispensable facteur de cohésion sociale et de solidarité ».

2Lorsque je termine mon intervention, devant une quinzaine de personnes présentes et quelques autres en ligne, la première rapportrice, responsable d’une fédération d’associations dans le secteur de la culture, déclare : « Merci, Mme Simonet, je pense que vous êtes face à une commission sidérée par ce que vous venez de dire, en tout cas en partie ».

3Le second rapporteur de la commission, représentant pour sa part le monde syndical, prend ensuite la parole, il me remercie également et poursuit : « Vous pointez la part d’ombre de ce sur quoi nous sommes appelés à travailler. On peut avoir un regard enchanté du bénévolat… Vous en montrez le côté obscur : le bénévolat au cœur de l’exploitation et la marchandisation que l’on n’avait pas encore abordées dans cette cruauté-là. Je ne sais pas si c’est la peine que l’on continue de travailler sur le bénévolat si c’est un marchepied ou un élément structurel du maintien de l’exploitation de l’homme par l’homme… ». Puis il conclut : « Ce que j’ai envie de retirer de votre exposé, c’est plus ce sur quoi on ne doit pas aller, donc, pour maintenir une forme originelle de l’engagement pour soi et les autres, et avec cette réalité que vous démontrez, que je ne nie pas, bien au contraire. C’est cette réalité-là qu’il nous faut transformer. Autrement, il n’y a pas de bénévolat en fait, donc il n’y a pas d’avis, on arrête là et on passe à autre chose ».

  • 1 En ce qui me concerne, je faisais simplement partie avec 14 autres chercheur.ses du comité scienti (...)
  • 2 RT 16 : réseau thématique « sociologie clinique » ; RT 24 : réseau thématique « Genre, classe, rac (...)
  • 3 Cette journée d’études proposait d’étudier « les processus de gratuitisation du travail spécifique (...)

4« Sidération », « part d’ombre », « cruauté », « côté obscur » : ces termes mobilisés par des personnalités qualifiées du monde associatif et syndical pour décrire le désenchantement produit par la présentation des résultats de plusieurs de mes recherches individuelles ou collectives sur le bénévolat et le volontariat en évoquent d’autres, moins déférents et plus dépréciatifs, issus cette fois du monde académique. « Ainsi l’auteure verse-t-elle dans la caricature quand elle fait du bénévolat et du workfare “les deux faces d’une même pièce” », écrivait un collègue économiste dans une recension de mon dernier ouvrage Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, compte-rendu qui s’achève en rappelant que « c’est aussi dans l’art de la nuance que réside le pouvoir de conviction d’une thèse ». « On pourra objecter que la critique radicale et qui peut sembler “grinçante” des processus de “gratuitisation”, d’encaissement et d’exploitation du travail ne s’applique pas toujours de manière aussi radicale au bénévolat », lisait-on plus récemment sur les listes de diffusion du réseau 35 « monde associatif » de l’Association française de sociologie, à la suite de l’organisation par un collectif de jeunes chercheur.ses1, d’une journée d’études inter-RT (16, 24, 35)2 intitulée « Qui encaisse le travail gratuit ? Exploitations, adhésions et résistances au sein du monde associatif »3.

  • 4 Pour une présentation de la construction de cette perspective on renverra à M. Simonet, « L’exploi (...)
  • 5 On citera notamment les travaux d’A. Aubry, « Le bénévolat d’hommes migrants en Suisse : travail g (...)
  • 6 L. Boltanski, Rendre la réalité inacceptable. À propos de « La production de l’idéologie dominante (...)
  • 7 F. Granjon, « La critique est-elle indigne de la sociologie ? », Sociologie, vol. III, no 1, 2012, (...)

5Cette perspective (en termes de travail gratuit) sur l’objet (bénévolat) à laquelle une trajectoire de recherche de plus de 25 années d’enquêtes individuelles et collectives en France et aux États-Unis m’a conduite4, et que je suis loin d’être la seule à mettre en œuvre aujourd’hui5, est donc caractérisée comme « critique ». Critique au sens où elle rendrait « la réalité inacceptable »6, à tout le moins ne pourrait être complètement audible ni prise en compte jusqu’au bout par le CESE, sauf à en stopper net les travaux (« [a]utrement, il n’y a pas de bénévolat en fait, donc il n’y a pas d’avis, on arrête là et on passe à autre chose »). Critique aussi au sens plus péjoratif où elle « exagérer(ait) jusqu’au déplaisant et au grotesque »7, tellement « radicale » qu’elle en deviendrait « grinçante », voire « caricaturale », au point qu’elle mériterait a minima d’être nuancée, et sur laquelle il conviendrait même d’« objecter », c.-à-d. de rétablir la véracité des faits.

  • 8 D. Naudier et M. Simonet éd., Des sociologues sans qualités ? Pratiques de recherche et engagement (...)
  • 9 V. Zelizer, « Transactions intimes », Genèses, vol. I, no 42, 2001, p. 121-144.

6Mais cette perspective qui contribuerait à un douloureux désenchantement, aux yeux de qui est-elle critique, caricaturale, grinçante ? Et comment et pourquoi produit-elle sur certain.es un tel effet ? En comparant sur plusieurs scènes la réception de mes recherches et en prenant au sérieux le processus de politisation de la chercheuse par l’enquête, je me propose ici de mettre en lumière et d’analyser deux formulations de l’autonomie de l’engagement, au cœur de la critique de la critique : l’autonomie de « l’engagement citoyen » des acteur.trices par rapport à la sphère du travail, d’une part ; l’autonomie du travail du chercheur par rapport à ses « engagements », généralement référé à un idéal de « neutralité », d’autre part8. La première renvoie à mon objet d’étude, la seconde à la pratique de la recherche, mais toutes deux s’inscrivent pleinement dans une « doctrine des sphères séparées » : celle du travail et celle de l’engagement. C’est cette « conception des mondes antagonistes », pour reprendre la belle formulation de Viviana Zelizer9, que je voudrais ici examiner, par ce retour sur les effets de l’enquête sur les autres, mais aussi sur moi-même.

Désenchantement pour les un.es, truisme pour les autres ? Vers une objectivation de la réception de l’enquête

7Quelques mois après l’audition devant le CESE, au lendemain d’une présentation de mes travaux devant une salle pleine d’étudiant.es de l’Université libre de Bruxelles, je recevais le message suivant de la jeune organisatrice de la manifestation, membre d’une union syndicale étudiante : « Merci d’avoir pris le temps qu’il fallait, de donner des mots et des concepts clairs aux gens quand ils n’arrivent pas à mettre des mots sur leur colère ».

  • 10 Voir M. Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, Paris, Textuel, 2018.
  • 11 Voir K. Kuehn et T. F. Corrigan, « Hope labor: The role of employment prospects in online social p (...)

8Comme devant le CESE, j’avais présenté mes travaux sur l’institutionnalisation du travail gratuit (bénévolat, volontariat, stages, etc.) sur le marché du travail10. J’avais analysé l’inscription de ces pratiques au cœur des logiques de l’emploi aujourd’hui, le développement du « hope labor » (« je travaille gratuitement aujourd’hui dans l’espoir de décrocher le boulot de mes rêves demain ») bien au-delà des industries créatives où il avait été débusqué11. J’avais mis en évidence l’élargissement des zones grises entre bénévolat et salariat et le dessin, en leur sein, de véritables carrières qui socialisent à l’absence et à l’attente de l’emploi : bénévole aujourd’hui, volontaire demain, un stage un peu rémunéré après-demain et après, peut-être, enfin un « vrai » emploi ?

9À l’opposé de la réception de mon travail par le CESE, mon intervention organisée par le syndicat étudiant avait suscité de nombreux hochements de tête, des airs entendus, mi-complices, mi-blasés. Lors de l’échange avec l’auditoire, la plupart des prises de parole visaient à présenter des expériences personnelles de l’institutionnalisation de l’une ou l’autre des formes de travail gratuit évoquées, dans le parcours d’études suivi pour les unes ou lors de la confrontation avec le marché du travail pour les autres. Si mon audition devant le CESE avait révélé, dans toute sa « cruauté », le « côté obscur » d’une réalité invisible (« cachée ») pour ses membres, les résultats de mes enquêtes semblaient, devant ce parterre d’étudiant.es, relever de l’évidence, au point de frôler la banalité, le lieu commun. La réaction de ce public, qui consistait non seulement à valider mes thèses, mais à les illustrer et les alimenter par des preuves, par l’expérience et par l’exemple, m’évoquait également celle de ces deux journalistes qui, à quelques mois d’intervalle, m’avaient interviewée à la parution de mon livre Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, l’une en face à face et l’autre par téléphone. Elles avaient toutes deux terminé l’entretien en m’indiquant que mon livre « leur avait beaucoup parlé »… étant donné qu’elles étaient stagiaires non rémunérées dans le journal pour lequel l’entretien était réalisé.

  • 12 Voir D. Haraway, « Situated knowledges: The science question in feminism and the privilege of part (...)

10Si l’interrogation « d’où parle-t-on ? » peut permettre d’éviter le « passe-passe divin » de l’objectivité scientifique – cette affirmation d’une vision totale qui nie son caractère partiel12 –, se demander « à qui parle-t-on ? » quand on présente les résultats de son travail n’est peut-être pas non plus exempt d’enseignements. Le grand écart entre ces deux types de réceptions, celle des membres du CESE, d’une part, celle des étudiant.es ou des jeunes journalistes-stagiaires, d’autre part, apparaît tout d’abord particulièrement illustratif du rapport social de l’auditoire à l’objet, qui articule ici, à travers la trajectoire professionnelle, à la fois un rapport de classe et de génération, et sans doute de manière plus subtile un rapport de genre.

  • 13 Voir G. Mensitieri, Le plus beau métier du monde. Dans les coulisses de l’industrie de la mode, Pa (...)
  • 14 Voir M. Hély, Les métamorphoses du monde associatif, Paris, PUF, 2009 ; M. Simonet, Le travail bén (...)
  • 15 Voir N. Percival et D. Hesmondhalgh, « Unpaid work in the UK television and film industries: Resis (...)

11Dans le monde universitaire comme dans celui de la mode13, dans les mondes associatifs14 ou dans les industries culturelles15, peu nombreux.ses sont en effet celles et ceux pour qui l’accès au marché du travail aujourd’hui n’implique pas cette période d’épreuve, plus ou moins longue, de démonstration de leur engagement dans leur carrière et de leur valeur (de « vrai.e » artiste, de « vrai.e » militant.e, de « vrai.e » chercheur.se) par des formes diverses de travail non, ou peu, rémunéré : bénévolat, volontariat, service civique, stage, etc.

  • 16 Voir M. Bascetta éd., Economia politica della promessa, Rome, Manifesto libri, 2015.
  • 17 Voir notamment la thèse de Julie Testi, La reconnaissance pédagogique des engagements bénévoles et (...)
  • 18 « Si les activités exercées dans le cadre de votre mission vous permettent d’acquérir des compéten (...)
  • 19 Voir F. Ihaddadene, « Le service civique au service de l’employabilité des jeunes ? », Revue Salar (...)
  • 20 Voir A. Aubry, « Le bénévolat d’hommes migrants en Suisse », art. cité ; S. Di Cecco, « Le demande (...)
  • 21 Voir M. Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, op. cit., p. 63-81.
  • 22 Dirigeant.e d’entreprise et enseignant.e sont les deux professions les plus fréquemment occupées p (...)
  • 23 F. Ihaddadene, La marchandisation de l’engagement des jeunes : les « dérives » du service civique (...)
  • 24 Ibid., p. 478.
  • 25 Voir M. Hély, « Des TUC aux “emplois d’avenir”. Comment la politique de l’emploi “à tout prix” fab (...)
  • 26 Voir M. Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, op. cit., p. 113-139. C’est d’aille (...)

12Si le bénévolat associatif, au sens où l’entend la saisine du CESE, n’est pas la seule pratique mobilisée dans cette « économie politique de la promesse »16 et ce régime de la preuve, elle en relève néanmoins, a minima sous la forme d’une préprofessionnalisation, de plus en plus reconnue comme telle sur le marché du travail et institutionnalisée dans les parcours scolaires eux-mêmes17. La chose est encore plus flagrante dans le cas du service civique, qui s’est vu assimilé à un stage universitaire il y a peu18 et qui se présente aujourd’hui explicitement dans ses campagnes publicitaires comme « au service de l’employabilité des jeunes »19. On pourrait aussi évoquer, en direction d’un autre public cette fois, les programmes de bénévolat mis en place en Italie ou en Suisse pour les personnes migrantes20 ou ceux qui, dans certaines communes françaises, visent les allocataires du RSA21. Devant des personnalités qualifiées du monde associatif et/ou syndical, ayant déjà une assez longue carrière professionnelle derrière eux, aux trajectoires souvent peu accidentées et ayant connu des statuts d’emploi protégés22, les processus que je décris peuvent sembler étrangers et relever d’un « dévoiement du bénévolat », pour reprendre les termes de l’une des membres de la commission. Non seulement il y a peu – ou moins – de risques qu’ils et elles aient été confronté.es à ces régimes de preuve et de promesse par le travail gratuit qui irriguent aujourd’hui le marché du travail, mais ils et elles appartiennent également, par leur pratique associative et/ou syndicale, à des univers qui défendent et promeuvent des définitions du « bon engagement » s’opposant à ces « dévoiements ». Comme l’ont montré les travaux de Florence Ihaddadene, la « rhétorique des dérives »23 – « éviter les dérives et les conséquences qui peuvent en résulter » – est au cœur des préoccupations associatives sur le service civique, même si, « bien loin de constituer un défaut d’un supposé cours normal des choses », lesdites dérives – « travail gratuit, substitution à l’emploi salarié, précarité des jeunes » – sont structurellement inscrites dans le dispositif lui-même24. Les représentant.es des grands secteurs associatifs qui siègent au CESE reçoivent ainsi mon travail depuis un point de vue situé non seulement socialement, mais aussi politiquement. Cette inquiétude quant aux « dérives », de plus en plus nettement perceptible à mesure que je présente mon travail, se manifeste en effet dans un contexte où, loin d’être extérieur aux processus que je décris, le monde associatif, depuis plusieurs décennies, a constitué, de gré ou de force, un des laboratoires des politiques de l’emploi : du développement des emplois aidés25 à la défense du bénévolat comme tremplin vers l’emploi26.

13« Ce que j’ai envie de retirer de votre exposé, c’est plus ce sur quoi on ne doit pas aller donc, pour maintenir une forme originelle de l’engagement pour soi et pour les autres », m’expliquait un des deux rapporteurs du CESE. Cette forme « originelle » de l’engagement qu’il faudrait maintenir coûte que coûte, dont il faudrait éviter qu’elle ne « dérive », ou ne dérive davantage, c’est donc celle d’un engagement qui resterait « autonome » par rapport à la sphère du travail rémunéré, indépendant de sa matérialité, ses injonctions, ses enjeux, mais aussi sans effets sur elle. Un engagement bénévole qui serait en soi « facteur de cohésion sociale et de solidarité », pour reprendre le titre de la saisine du CESE et qu’il faudrait, par conséquent, « naturellement » favoriser, comme on m’invitait à le faire en me demandant de formuler, à la fin de mon audition, « trois préconisations en faveur du bénévolat et des bénévoles ».

  • 27 Voir M. Simonet, « Le monde associatif : entre travail et engagement », dans Sociologie du monde d (...)
  • 28 Fortement répandue aux États-Unis, la description tocquevillienne de la démocratie américaine comm (...)
  • 29 « Une seule solution, l’association ? Socio-économie du fait associatif », Revue du Mauss, no 11, (...)
  • 30 M. Barthelemy, Associations : un nouvel âge de la participation, Paris, Presses de Science Po, 200 (...)
  • 31 Sandrine Nicourd et Bénédicte Havard Duclos en avaient proposé une analyse très pertinente dans le (...)
  • 32 M. Simonet, Le travail bénévole, op. cit., p. 72-83.
  • 33 M. Hély et P. Moulévrier, L’économie sociale et solidaire : de l’utopie aux pratiques, Paris, La D (...)

14Parmi les chercheur.ses sur le fait associatif, celles et ceux pour qui ces analyses en termes de « travail gratuit » paraissent si radicales et si grinçantes, partagent sans doute en partie ce souhait de préserver, et même de défendre, cette autonomie de la sphère de l’engagement. Depuis qu’elle s’est structurée, à partir des années 1990 et jusqu’au développement d’une sociologie du travail associatif dans les années 201027, la recherche française sur le monde associatif et le bénévolat, en partie du fait du poids de son héritage tocquevillien28, a largement traité ces objets avec un a priori positif : le développement du bénévolat serait en soi une bonne chose, et la « vitalité associative » un signe évident de vigueur démocratique. En témoignent les nombreux travaux scientifiques, de la revue du Mauss (Une seule solution, l’association ?29) aux Presses de Sciences Po (Associations, un nouvel âge de la participation ?30), qui reflètent l’espoir mis dans la forme associative, la pratique bénévole et leur développement31, espoir parfois associé à un projet utopique – celui de « la fin du travail » des années 199032 ou du « travail autrement »33 des années 2010.

  • 34 À titre d’exemple, on pourrait se pencher sur le développement et l’usage, bien au-delà des person (...)
  • 35 Davantage visibilisé, le recours au travail gratuit dans l’ESR a fait l’objet de nombreuses dénonc (...)

15Mais au-delà de ce rapport « positif » à l’objet, mes collègues « critiques de la critique » partagent aussi des trajectoires professionnelles proches de celles des acteur.trices de la « société civile » évoqué.es plus haut. Titulaires depuis de nombreuses années, ils et elles ont acquis une certaine stabilité professionnelle à un moment où les conditions d’intégration dans la carrière universitaire n’exigeaient sans doute pas aussi explicitement34 la part significative de travail gratuit – sur le principe du « hope labor » défini ci-dessus – qu’elle requiert aujourd’hui35.

  • 36 Normalienne à l’ENS Cachan, agrégée en sciences économiques et sociales, je suis entrée en poste a (...)

16Le désenchantement dont il est question ici, c’est donc celui d’une partie de la population qui veut, mais aussi qui peut préserver la « pureté » de son engagement, sa « forme originelle », c.-à-d. sa non – ou sa moindre – contamination par les enjeux du marché du travail, et notamment par la question des conditions de l’accès au travail rémunéré et à une certaine stabilité et protection dans celui-ci. Un privilège de classe et de génération dont je ne suis pas, comme mes collègues évoqué.es ci-dessus, moi-même exclue36, ce qui explique sans doute, en partie, qu’il m’aura fallu presque 30 ans pour poser les questions en ces termes, désormais (dis)qualifiés de « critiques ». Car le premier désenchantement que ces années d’enquête en France et aux États-Unis ont contribué à produire, c’est assurément le mien. On ne naît pas forcément sociologue critique, on peut aussi le devenir. Et le travail de recherche, alors, n’y est pas pour rien.

La politisation par l’enquête : renverser la question du savant et du politique

  • 37 Je ne nie pas des dispositions à l’engagement politique construites par une socialisation primaire (...)
  • 38 Laure Bereni, dans son bel article « Une nouvelle génération de chercheuses sur le genre. Réflexio (...)

17Dans la trajectoire presque consolidée de recherche qui est la mienne, la savante a devancé la politique et a largement contribué à la construire37. Si les sociologues ont beaucoup disserté sur ce en quoi l’engagement politique du chercheur pouvait « entacher » sa production scientifique, affecter sa « neutralité », « contaminer » son regard et son jugement, force est de constater qu’à l’inverse, la question de savoir ce que le travail de recherche, et notamment le travail d’enquête, pouvait faire politiquement au chercheur ou à la chercheuse a été peu discutée38. Or, en ce qui me concerne, j’ai justement le sentiment que c’est en inversant les termes de la relation entre le savant et le politique que je décris le mieux leur articulation dans ma trajectoire de recherche au cours de ces dernières décennies.

  • 39 A. Kaplan-Daniels, Invisible Careers: Women Civic Leaders from the Volunteer World, Chicago, The U (...)
  • 40 Voir le séminaire « Pratiques de la recherche et engagements » qui s’est tenu entre 2006 et 2009 à (...)
  • 41 Voir le séminaire « W3. Travail professionnel, travail domestique, travail militant » que nous avo (...)
  • 42 Comme le souligne bien Laure Bereni à propos des années 1990, alors que la production académique e (...)

18Bien sûr, nombreux sont les facteurs qui participent au cours de la carrière des chercheur.ses à produire ces déplacements théoriques, d’objets et/ou de corpus, qui sont souvent, en eux-mêmes, vecteurs de politisation et bien malin.e celui ou celle qui prétendrait les démêler et les hiérarchiser. C’est le cas par exemple de la rencontre avec d’autres chercheur.ses – déjà conscient.es des enjeux politiques du travail de recherche – ou avec leurs écrits, comme le met bien en lumière Laure Bereni dans son analyse des effets de politisation produits par la découverte des savoirs et du corpus féministe. En ce qui me concerne, la rencontre, au cours de ma thèse, avec Invisible Careers. Women Civic Leaders from the Volunteer World, l’ouvrage d’Arlene Kaplan Daniels39, sociologue féministe et élève du sociologue des professions Everett Hughes, a été déterminante dans mon projet de me consacrer prioritairement à l’étude de ce que j’appelais alors « les dimensions du travail au cœur de la pratique bénévole », qui me submergeaient sur le terrain. La lecture de cet ouvrage a sans aucun doute encouragé, à tout le moins légitimé, mon projet d’élaborer une « sociologie du travail bénévole », réinscrivant mes objets, sans que j’en prenne bien la mesure alors, dans une perspective matérialiste et féministe. L’organisation de séminaires avec Delphine Naudier dès le milieu des années 200040, puis dix ans plus tard avec Alexandra Oeser et Sibylle Gollac41 viendront assurément renforcer ma socialisation féministe en m’ouvrant à un vaste corpus de textes dont mes études de sociologie m’auront tenue complétement à l’écart42.

  • 43 Y. Lochard, A. Trenta et N. Vezinat, introduction au dossier « Le conflit, impensé du monde associ (...)
  • 44 Voir M. Simonet, Le travail bénévole, op. cit., p. 195-199.
  • 45 Voir M. Hély et M. Simonet, « Le monde associatif en conflits : des relations professionnelles san (...)
  • 46 Voir M. Hély, S. Rétif et M. Simonet, « Figures de l’employeur et formes du “dialogue social” dans (...)

19Reste que l’enquête, en tant que processus intellectuel, mais aussi et peut-être avant tout en tant qu’expérience sociale et parfois même épreuve physique et émotionnelle, peut également enclencher un processus de politisation de la savante, et ce sous différentes modalités et dans des tempos variables. Des moments de désenchantement, au sens d’une mise en question et à distance de « mon illusio associative », se sont ainsi produits au cours de plusieurs de mes enquêtes, individuelles ou collectives. Toutes portaient sur un conflit, cet « impensé du monde associatif » qui jette « une lumière nouvelle »43 sur celui-ci ; lorsque j’ai enquêté sur la grève des bénévoles des Restos du cœur en 2001 et mis en lumière le traitement des bénévoles grévistes-radiés par l’association44 ; lorsque Matthieu Hély et moi avons documenté la grève à Emmaüs de 2009 et découvert, à cette occasion, les conditions de travail des salarié.es de l’association45 ; en suivant, pendant ma recherche postdoctorale sur le volontariat en France et aux États-Unis, les trajectoires de certains volontaires issus des classes populaires qui seront exclus de leur association ; en mesurant, lors du traitement de l’enquête quantitative élaborée par Matthieu Hély, Romain Pudal, Sophie Rétif et moi-même, le déni dans lequel se trouvaient certains employeurs associatifs quant à la nécessité d’appliquer le droit du travail dans leur structure46 ; ou encore en entendant ce maire d’une petite ville du Nord de la France annoncer lors de la réunion de présentation de son programme de bénévolat aux allocataires du RSA de la commune « vous m’aidez à nettoyer la ville, je vous aide à trouver du travail, c’est donnant-donnant », avant de m’expliquer lors de notre entretien que les salariés municipaux ne l’avaient « pas très bien pris ».

  • 47 Y. Lochard, A. Trenta et N. Vezinat, art. cité.
  • 48 J. Krinsky et M. Simonet, Who Cleans the Park? Public Work and Urban Governance in New York City, (...)
  • 49 Cette sous-partie intitulée « Hearing it and bearing it » revient également sur la manière dont le (...)
  • 50 Il finira par percer dans la presse avant la sortie de notre livre et cet article du Daily News no (...)

20Outre ces confrontations, par l’analyse du conflit « par-delà l’image lisse du secteur »47, aux dimensions politiques de la recherche, mais aussi de l’objet lui-même, l’enquête peut aussi nous politiser par la manière dont elle nous fait prendre conscience, par l’épreuve des relations, de l’effectivité des rapports sociaux. Dans l’introduction de l’ouvrage Who Cleans the Park?48, John Krinsky et moi revenons sur cette violence des inégalités sociales et des rapports sociaux qui a traversé notre enquête sur les transformations du travail dans l’entretien des parcs de la ville de New York49. Ainsi de la découverte, très tôt dans l’enquête et sans qu’aucun de nous deux n’y soit préparé émotionnellement ni même intellectuellement, du caractère à la fois endémique et structurel du harcèlement sexuel des femmes allocataires de l’aide sociale mises au travail dans les parcs en contrepartie de leurs allocations. Ce système de faveurs et d’échanges sexuels, qui articule dépendance économique inscrite dans le statut, domination sociale et raciale et appropriation des corps, s’est peu à peu imposé à nous au fur et à mesure des entretiens, comme un secret connu de tous.tes, mais mal gardé50, et ce malgré la régulation officieuse et silencieuse dont il faisait l’objet. Dès lors que l’on réintroduit dans l’analyse le travail invisible et gratuit sous ses différentes formes (ici les allocataires de l’aide sociale au workfare et les bénévoles), ce n’est pas seulement la portée du rapport social de sexe, mais aussi l’étendue du rapport de classe – bien au-delà des relations qui se donnent à voir sur le lieu de travail – qui ne manquent pas de nous sauter au visage. Résonne ainsi encore fortement à nos oreilles le contraste révélateur des « bruits parasites » que nous avions enregistrés, Krinsky et moi, lors de deux entretiens effectués au cours de la même journée de l’été 2009. Lors de l’entretien du matin, c’est le bruit de la chasse d’eau qui, dans ce bâtiment délabré d’un parc du nord de Manhattan, couvrait les récits gênés – presque une confession – de ce fonctionnaire municipal nous détaillant les différents cas de harcèlement sexuel d’allocataires de l’aide sociale qu’il avait pu observer dans le district où il travaillait. Un peu plus tard, l’après-midi, dans un magnifique appartement d’un des plus beaux quartiers de la ville, c’est la petite cuillère de l’interviewer contre la tasse de porcelaine qui ponctuait les propos assurés de cette grande figure féminine de la philanthropie new-yorkaise, à l’initiative d’associations et de fondations pour la sauvegarde des parcs, contre ces « voyous de syndicalistes » qui « manipulaient » les travailleur.ses dans les parcs. D’un récit à l’autre, bien au-delà de cette journée singulière, l’exacerbation des rapports sociaux, de classe, de race et de genre, qui se jouaient sur ce petit espace du parc, dès lors que l’on y dépassait l’analyse du seul travail rémunéré, s’est avéré particulièrement prégnante tout au long de l’enquête.

  • 51 Voir I. Clair, « Nos objets et nous-mêmes : connaissance biographique et réflexivité méthodologiqu (...)
  • 52 Ibid., p. 3.
  • 53 À l’inverse, au cours de leur intervention dans le séminaire « Pratiques de la recherche et engage (...)
  • 54 Ce terme désigne la visite de travailleur.ses par la personne en charge de la campagne syndicale, (...)
  • 55 Je reviendrai toutefois par la suite pour faire d’autres entretiens, assister à la réunion d’infor (...)
  • 56 Voir M. Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, op. cit.

21Sous des formes et dans des temporalités différentes, en fonction des multiples liens qui relient « les sociologues et leurs objets »51, l’enquête comme processus, comme expérience et comme épreuve, tout à la fois nous déplace et nous remet à notre place. Pour certain.es d’entre nous, comme ce fut mon cas à plusieurs reprises, suivre l’objet, à l’étranger et/ou dans un service public que je ne connaissais pas, a conduit temporairement à une sortie de l’espace national, mais surtout du monde social qui m’était familier, à la fois privilégié, protégé et protecteur. Mais la dimension politique de l’enquête ne se résume pas à la confrontation aux rapports sociaux dans lesquels seraient pris.es les enquêté.es, et elles et eux seul.es. Parce que ces « émotions [sont] une manifestation de la connaissance biographique du social »52, l’heuristique politique de l’enquête découle aussi d’un retour sur soi, où par l’enquête, et souvent après elle, on prend également la mesure, qu’on le veuille ou non, de sa propre place dans le monde. Il peut s’agir ainsi d’éprouver sa position de dominant.e53, comme ce fût mon cas lors de ma participation à la campagne de syndicalisation des travailleurs (associatifs) des parcs lors de l’enquête. « Tu es la seule blanche ici, t’as remarqué que ta présence inquiète tout le monde ? Regarde les gens, ils se demandent quelle institution tu représentes et quelle mauvaise nouvelle tu viens leur annoncer », me lançait ainsi Pavel, l’organizer de la campagne alors que je l’accompagnais dans un « blitz »54 dans un quartier du Bronx. Il peut aussi s’agir, à travers l’interpellation des acteur.trices, de prendre conscience de la pluralité des points de vue, toujours socialement situés, sur la pratique ou le programme étudié, et de la responsabilité pour la chercheuse d’en rendre compte. « C’est vous la sociologue de Paris qui venez parler avec Monsieur le Maire de son programme de bénévolat pour les RSA ? », me demandait à brûle-pourpoint le buraliste du café-tabac de Combes-plages alors que j’étais revenue m’y attabler, après y avoir fait quelques entretiens dans la matinée, en attendant le bus qui devait me ramener quelques heures plus tard à la gare la plus proche. « Ici les RSA ils osaient plus rentrer dans le café. On a un jeune qui s’est suicidé l’an dernier… Nettoyer la plage pour Monsieur le Maire ça leur redonne une utilité et une fierté », tenait-il à faire comprendre à la sociologue de Paris qui avait fait l’aller-retour dans la journée55. Il m’invitait, ce faisant, à ne jamais oublier de prendre en compte la valeur de ce travail gratuit pour celui ou celle qui l’exerce – les valeurs au cœur de celui-ci – et jamais seulement la valeur – économique – qu’en retire celui qui se l’approprie56.

22La politisation par l’enquête peut ainsi découler à la fois de ces moments ponctuels de désenchantement, mais aussi, à plus long terme, de cette traversée du monde social qui nous ramène à notre place, non sans avoir éprouvé, à travers les relations sociales nouées, la force et la violence des rapports sociaux. Et puis, sur la durée, non plus celle de l’enquête mais de leur succession au fil de la trajectoire de recherche, c’est face à la systématicité des processus étudiés, leur répétition inattendue et parfois leur grotesque exagération, que réside sans doute un des ferments principaux de la politisation du chercheur ou de la chercheuse. C’est peut-être là le plus difficile à admettre et à expliciter : alors qu’on a justement cherché à tout faire pour présenter ses analyses de manière contextualisée, nuancée et mesurée, et que l’on ressent ce sentiment que la réalité est tellement plus grinçante et plus radicale qu’on ne l’avait anticipé. Face à ce que l’on ne peut s’empêcher de ressentir comme une forme de cynisme, on serait tout simplement tenté d’objecter en retour aux objecteurs : Critique… qui ? Moi ? Vous plaisantez… Ce que je vous raconte là est encore tellement loin du monde tel qu’il est ! Peut-être pas pour vous, pas pour moi non plus d’ailleurs, mais tel que par l’enquête, par mon travail de chercheuse, j’y suis depuis un bon moment déjà confrontée.

Conclusion

  • 57 V. Zelizer, « Transactions intimes », art. cité, p. 123.

Tels des girafes retournant au même bon vieux point d’eau, ceux qui étudient la société considèrent depuis le XIXe siècle que le monde social s’organise autour de principes concurrents et incompatibles : Gemeinschaft ou Gesellschaft, statut ou réussite, sentiment ou rationalité, solidarité ou intérêt personnel. Les mélanger, selon la théorie, revient à les contaminer l’un et l’autre : l’invasion du monde sentimental par la rationalité instrumentale a pour effet de le dessécher tandis que l’introduction du sentiment dans les transactions rationnelles entraîne inefficacité, favoritisme, copinage et autres formes de corruption.57

  • 58 Ibid.

23Lentement mais sûrement s’est ainsi imposé comme un allant de soi scientifique cette conception des « mondes antagonistes » : « domaines soigneusement séparés dont la saine gestion requiert des frontières bien tracées »58.

  • 59 Ibid., p. 143.
  • 60 S. Ahmed, « Killing joy: Feminism and the history of happiness », Signs, vol. XXXV, no 3, 2010, p. (...)
  • 61 Ibid., p. 581-582.

24Plusieurs courants et perspectives de recherches se sont toutefois inscrits en opposition à cette doctrine des sphères séparées, comme le retrace la sociologue américaine qui souligne qu’il y a pourtant beaucoup à gagner conceptuellement à questionner ainsi les frontières « vénérables et bien ancrées »59. Beaucoup à gagner certes, mais aussi beaucoup à perdre. Les féministes qui se sont largement attelées à déconstruire ces dichotomies (entre la famille et le travail, le productif et l’improductif, entre la maison et l’usine) en ont fait l’expérience. « La rabat-joie féministe gâche le bonheur des autres », nous rappelle Sara Ahmed60, car si elle est considérée comme celle « qui casse l’ambiance », c’est de l’ambiance « telle qu’elle pourrait être imaginée (rétrospectivement) comme partagée » qu’il s’agit ici61. C’est bien cette illusion d’un monde commun partagé que la sociologie qu’on dit critique vient remettre en cause en contestant l’évidence naturalisée de la séparation des sphères. Ce faisant, et au-delà du désenchantement, elle déplace la question de « l’hostilité des mondes » vers un autre horizon que celui de la sacralisation d’une frontière que nombreux.ses sont enjoint.es par leur condition à traverser. C’est à partir de cette entaille et de ce changement d’horizon, dans cette brèche que se dessinent alors de nouvelles questions : « Critique, pour quoi ? Et pour quoi faire ? ».

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Notes

1 En ce qui me concerne, je faisais simplement partie avec 14 autres chercheur.ses du comité scientifique.

2 RT 16 : réseau thématique « sociologie clinique » ; RT 24 : réseau thématique « Genre, classe, race. Rapports sociaux et construction de l’altérité » ; RT 35 : réseau thématique « monde associatif ».

3 Cette journée d’études proposait d’étudier « les processus de gratuitisation du travail spécifiquement à l’œuvre dans le secteur des associations et des ONGs. D’abord, car celui-ci est historiquement et structurellement caractérisé par le recours au travail non rémunéré aux côtés de statuts d’emploi diversifiés […]. Ensuite, parce qu’il a été, et demeure, le relais privilégié de politiques publiques d’(in)employabilité […] », en ligne : [https://afs-socio.fr/qui-encaisse-le-travail-gratuit-exploitations-adhesions-et-resistances-au-sein-du-monde-associatif/] (consulté le 3 septembre 2022). Elle se proposait ainsi de saisir « le monde associatif comme un vaste laboratoire de mise au travail gratuit observable dans différents domaines (sport, éducation, santé, social, humanitaire) ».

4 Pour une présentation de la construction de cette perspective on renverra à M. Simonet, « L’exploitation des bénévoles ? Des questions de l’enquête au questionnement des catégories », Sociologie, vol. IV, no 12, 2021, p. 411-418.

5 On citera notamment les travaux d’A. Aubry, « Le bénévolat d’hommes migrants en Suisse : travail gratuit et mise à l’épreuve civique », Critique internationale, vol. 3, no 84, 2019, p. 147-164 ; S. Di Cecco, « Le demandeur d’asile bénévole, nouvelle figure du “migrant méritant” ? », Revue européenne des migrations internationales, vol. XXXVII, no 1-2, 2021, p. 185-206 ; F. Ihaddadene, « Politiques d’engagement ou d’employabilité ? Concurrences au sein des programmes de volontariat à Madagascar », Critique internationale, vol. IV, no 81, 2018, p. 63-82.

6 L. Boltanski, Rendre la réalité inacceptable. À propos de « La production de l’idéologie dominante », Paris, Demopolis, 2008.

7 F. Granjon, « La critique est-elle indigne de la sociologie ? », Sociologie, vol. III, no 1, 2012, p. 79.

8 D. Naudier et M. Simonet éd., Des sociologues sans qualités ? Pratiques de recherche et engagements, Paris, La Découverte, 2011.

9 V. Zelizer, « Transactions intimes », Genèses, vol. I, no 42, 2001, p. 121-144.

10 Voir M. Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, Paris, Textuel, 2018.

11 Voir K. Kuehn et T. F. Corrigan, « Hope labor: The role of employment prospects in online social production », The Political Economy of Communication, [S. I.], vol. I, no 1, 2013, en ligne : [https://www.polecom.org/index.php/polecom/article/view/9] (consulté le 3 septembre 2022).

12 Voir D. Haraway, « Situated knowledges: The science question in feminism and the privilege of partial perspective », Feminist Studies, vol. XIV, no 3, 1988, p. 575-599.

13 Voir G. Mensitieri, Le plus beau métier du monde. Dans les coulisses de l’industrie de la mode, Paris, La Découverte, 2018.

14 Voir M. Hély, Les métamorphoses du monde associatif, Paris, PUF, 2009 ; M. Simonet, Le travail bénévole. Engagement citoyen ou travail gratuit ?, Paris, La Dispute, 2010.

15 Voir N. Percival et D. Hesmondhalgh, « Unpaid work in the UK television and film industries: Resistance and changing attitudes », European Journal of Communication, vol. XXIX, no 2, 2014, p. 188-203.

16 Voir M. Bascetta éd., Economia politica della promessa, Rome, Manifesto libri, 2015.

17 Voir notamment la thèse de Julie Testi, La reconnaissance pédagogique des engagements bénévoles et militants. Étude d’une politique universitaire qui fait long feu, thèse de doctorat de science politique, université Paris-Nanterre, 2021.

18 « Si les activités exercées dans le cadre de votre mission vous permettent d’acquérir des compétences qui sont en lien avec le cursus de formation que vous poursuivez, vous pouvez demander à votre lycée, université ou école de valider cette période d’engagement en lieu et à la place d’un stage », signale-t-on aujourd’hui sur le site gouvernemental du service civique, suite aux politiques, initiées par François Hollande et toujours en vigueur aujourd’hui, de généralisation de cette forme d’« engagement » à l’ensemble de la jeunesse ; en ligne : [https://www.service-civique.gouv.fr/aide-et-faq/faq-jeunes/decouvrir-le-service-civique#5c7fe39cd69e89030945bc74] (consulté le 3 septembre 2022).

19 Voir F. Ihaddadene, « Le service civique au service de l’employabilité des jeunes ? », Revue Salariat, no 1, 2022, p. 195-207.

20 Voir A. Aubry, « Le bénévolat d’hommes migrants en Suisse », art. cité ; S. Di Cecco, « Le demandeur d’asile bénévole », art. cité.

21 Voir M. Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, op. cit., p. 63-81.

22 Dirigeant.e d’entreprise et enseignant.e sont les deux professions les plus fréquemment occupées par les membres de cette commission.

23 F. Ihaddadene, La marchandisation de l’engagement des jeunes : les « dérives » du service civique à la Ligue de l’enseignement, thèse de doctorat de sociologie, université de Paris-Nanterre, 2018, p. 475.

24 Ibid., p. 478.

25 Voir M. Hély, « Des TUC aux “emplois d’avenir”. Comment la politique de l’emploi “à tout prix” fabrique des “demi-travailleurs” dans les associations », Savoir/Agir, vol. III, no 21, 2012, p. 47-53.

26 Voir M. Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, op. cit., p. 113-139. C’est d’ailleurs dans la construction d’un discours de vigilance contre « le rôle trouble de la puissance publique », dans le registre de la « dénonciation de l’instrumentalisation des associations par l’État » que s’opérera in fine la validation et l’annonce de la mobilisation de mon travail par le CESE : « [i]l y a toujours un rôle de la puissance publique que l’on suit depuis très longtemps, puisque l’on pointe toujours cette bascule du passage des subventions de fonctionnement aux appels à projet. Cela fait vraiment écho à des choses qui sont déjà à l’œuvre. On peut se donner comme piste de réflexion le fait que la question de la liberté associative et syndicale, de la liberté d’autodétermination, est évidemment au cœur d’une forme de solution ». Sur cette question de la dénonciation de l’instrumentalisation des associations par l’État, voir M. Simonet, Le travail bénévole, op. cit., p. 141-148.

27 Voir M. Simonet, « Le monde associatif : entre travail et engagement », dans Sociologie du monde du travail, N. Alter éd., Paris, PUF, 2012, chap. XI, p. 195-212.

28 Fortement répandue aux États-Unis, la description tocquevillienne de la démocratie américaine comme « nation d’associés » a été largement reprise et importée par des chercheur.ses français.es pour être opposée au cas français dans une approche comparative. Pour une analyse détaillée de la vision tocquevillienne du bénévolat et de ses usages scientifiques et politiques en France comme en Amérique, voir M. Simonet, Le travail bénévole, op. cit., p. 84-96.

29 « Une seule solution, l’association ? Socio-économie du fait associatif », Revue du Mauss, no 11, 1998.

30 M. Barthelemy, Associations : un nouvel âge de la participation, Paris, Presses de Science Po, 2000.

31 Sandrine Nicourd et Bénédicte Havard Duclos en avaient proposé une analyse très pertinente dans le dernier chapitre de leur ouvrage Pourquoi s’engager ? publié en 2005 chez Payot.

32 M. Simonet, Le travail bénévole, op. cit., p. 72-83.

33 M. Hély et P. Moulévrier, L’économie sociale et solidaire : de l’utopie aux pratiques, Paris, La Dispute, 2013.

34 À titre d’exemple, on pourrait se pencher sur le développement et l’usage, bien au-delà des personnels émérites, des « conventions de bénévolat » ou « conventions de collaboration bénévole » dans les universités.

35 Davantage visibilisé, le recours au travail gratuit dans l’ESR a fait l’objet de nombreuses dénonciations, voir A. Brik et A. Andréas, « Les universitaires, des travailleur.euse.s comme les autres ? Au sujet de la grève à l’université », Contretemps, 5 février 2020, en ligne : [https://www.contretemps.eu/greve-universite-precaires/] (consulté le 3 septembre 2022) ; S. Bouquin, « Université. Refuser ensemble le travail gratuit », Révolution permanente, 22 février 2020, en ligne : [https://www.revolutionpermanente.fr/Universite-Refuser-ensemble-le-travail-gratuit] (consulté le 3 septembre 2022) ; « L’amour de la recherche, à quel prix ? », tribune publiée le 31 mars 2021 dans Le Monde par un collectif de non-titulaires et de titulaires de l’ESR, ainsi que l’ouvrage récent d’A. Combes, Comment l’Université broie les jeunes chercheur. Précarité, harcèlement, loi du silence, Paris, Éditions Autrement, 2022.

36 Normalienne à l’ENS Cachan, agrégée en sciences économiques et sociales, je suis entrée en poste au CNRS l’année qui a suivi ma soutenance de thèse.

37 Je ne nie pas des dispositions à l’engagement politique construites par une socialisation primaire dans une famille « de gauche » auprès de deux parents ayant, jusque dans les années 1980 pour l’un, 1990 pour l’autre, conservé une adhésion et un militantisme local au sein du Parti socialiste.

38 Laure Bereni, dans son bel article « Une nouvelle génération de chercheuses sur le genre. Réflexions à partir d’une expérience située » publié sur Contretemps en 2012, montre bien comment, contrairement à ce qui s’est passé pour la génération précédente de chercheuses sur le genre, pour qui « la spécialisation académique a prolongé un engagement féministe antérieur », un certain nombre de chercheuses de sa génération sont arrivées à l’engagement féministe par le biais de leur spécialisation académique. Elle insiste notamment sur la mobilisation contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur comme « moment crucial de mise en visibilité politique » et d’articulation entre savoirs féministes et politisation. En ligne : [https://www.contretemps.eu/une-nouvelle-generation-de-chercheuses-sur-le-genre-reflexions-a-partir-dune-experience-situee/] (consulté le 3 septembre 2022).

39 A. Kaplan-Daniels, Invisible Careers: Women Civic Leaders from the Volunteer World, Chicago, The University of Chicago Press, 1988.

40 Voir le séminaire « Pratiques de la recherche et engagements » qui s’est tenu entre 2006 et 2009 à l’Iresco et qui donnera naissance à l’ouvrage collectif : D. Naudier et M. Simonet éd., Des sociologues sans qualités ?, op. cit.

41 Voir le séminaire « W3. Travail professionnel, travail domestique, travail militant » que nous avons organisé toutes les trois à Nanterre entre 2014 et 2015, puis seulement Alexandra Oeser et moi-même entre 2015 et 2016. Il se prolongera par un colloque international « Enjeux scientifiques et politiques du travail domestique » en 2017 et par un ouvrage collectif intitulé Work3. Travail domestique, travail professionnel, travail politique, à paraître en 2023.

42 Comme le souligne bien Laure Bereni à propos des années 1990, alors que la production académique et éditoriale sur les femmes et les études féministes deviennent de plus en plus dynamiques et visibles, les lieux de transmission universitaires sur ces thématiques demeurent quasi inexistants jusqu’à la fin de la décennie.

43 Y. Lochard, A. Trenta et N. Vezinat, introduction au dossier « Le conflit, impensé du monde associatif », La vie des idées, 22 novembre 2011, en ligne : [https://laviedesidees.fr/Le-conflit-impense-du-monde.html] (consulté le 3 septembre 2022).

44 Voir M. Simonet, Le travail bénévole, op. cit., p. 195-199.

45 Voir M. Hély et M. Simonet, « Le monde associatif en conflits : des relations professionnelles sans relations ? », dans L’année sociale, S. Béroud, N. Dompnier et D. Garibay dir., Paris, Éditions Syllepse, 2011, p. 125-139.

46 Voir M. Hély, S. Rétif et M. Simonet, « Figures de l’employeur et formes du “dialogue social” dans les entreprises de l’ESS », Mouvements, vol. I, no 81, 2015, p. 116-125.

47 Y. Lochard, A. Trenta et N. Vezinat, art. cité.

48 J. Krinsky et M. Simonet, Who Cleans the Park? Public Work and Urban Governance in New York City, Chicago, The University of Chicago Press, 2017, p. 15-16.

49 Cette sous-partie intitulée « Hearing it and bearing it » revient également sur la manière dont le collectif de recherche, ici binôme composé d’une outsider et d’un insider à la ville, s’est révélé être une ressource pour l’enquête, mais aussi pour tenir émotionnellement sur le terrain. Ces deux caractéristiques (la présence d’une étrangère et le travail dialogique en binôme, qui plus est bi-sexué) ont aussi constitué un dispositif de recherche favorable à la réflexivité sur les rapports sociaux dans l’enquête.

50 Il finira par percer dans la presse avant la sortie de notre livre et cet article du Daily News nous offrira un support pour confronter plusieurs responsables municipaux, associatifs et syndicaux à cette question et à leur silence, lors de notre « revisite » du terrain en 2014, au moment de la fin de la rédaction de notre ouvrage.

51 Voir I. Clair, « Nos objets et nous-mêmes : connaissance biographique et réflexivité méthodologique », Sociologie, vol. XIII, no 3, 2022, en ligne : [https://journals.openedition.org/sociologie/10578] (consulté le 3 septembre 2022).

52 Ibid., p. 3.

53 À l’inverse, au cours de leur intervention dans le séminaire « Pratiques de la recherche et engagements du sociologue » que j’animais avec Delphine Naudier à l’Iresco au milieu des années 2000 (voir D. Naudier et M. Simonet éd., Des sociologues sans qualités ?, op. cit.), Monique et Michel Pinçon-Charlot insisteront sur la violence symbolique de la prise de conscience, suite à leur « voyage en grande bourgeoisie », d’occuper une place dans la hiérarchie sociale beaucoup plus basse qu’il et elle ne l’imaginaient.

54 Ce terme désigne la visite de travailleur.ses par la personne en charge de la campagne syndicale, dans le but de leur faire signer une carte demandant la tenue d’élections pour la représentation syndicale dans l’entreprise. Du fait de l’offensive antisyndicale souvent déployée par les directions d’entreprises lorsqu’elles ont vent de ces campagnes, les visites s’effectuent sur un temps très court et généralement à l’insu de la direction.

55 Je reviendrai toutefois par la suite pour faire d’autres entretiens, assister à la réunion d’information sur le programme, et faire une journée de nettoyage dans celui-ci avec les allocataires du RSA qui y participaient.

56 Voir M. Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, op. cit.

57 V. Zelizer, « Transactions intimes », art. cité, p. 123.

58 Ibid.

59 Ibid., p. 143.

60 S. Ahmed, « Killing joy: Feminism and the history of happiness », Signs, vol. XXXV, no 3, 2010, p. 571-594.

61 Ibid., p. 581-582.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Maud Simonet, « Critique pour qui ? Politisation par l’enquête et objectivation de sa réception »Astérion [En ligne], 27 | 2022, mis en ligne le , consulté le 24 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/asterion/8469 ; DOI : https://doi.org/10.4000/asterion.8469

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Auteur

Maud Simonet

IDHE.S, CNRS • Maud Simonet est directrice de recherche en sociologie au CNRS à l’IDHE.S-Nanterre (UMR 8533). Ses recherches, menées en France et/ou aux États-Unis, portent sur le travail bénévole, le volontariat, le workfare et l’activation, et plus largement sur les processus d’invisibilisation du travail et les formes et enjeux contemporains du travail gratuit. Elle a publié en 2018 Travail gratuit : la nouvelle exploitation ? aux éditions Textuel et Who Cleans the Park? Public Work and Urban Governance in New York City aux University Press of Chicago en 2017 avec John Krinsky.

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