1« [E]s hat doch eine herrliche Lage das Gratz! », écrit Johann Nestroy (1801-1862) en mai 1861 à son fidèle ami viennois Ernst Stainhauser. Comme le précise d’emblée l’auteur de ce petit ouvrage, Harald Miesbacher (à qui l’on doit notamment l’important online Dossier Werner Schwab, réalisé en 2018 avec Daniela Bartens), le nom de Nestroy est traditionnellement associé à l’histoire théâtrale viennoise ainsi qu’au théâtre des faubourgs de Vienne. On sait en revanche moins que le comédien et dramaturge viennois a passé des moments clés de sa vie à Graz et qu’il n’a jamais véritablement rompu les liens avec la capitale de la Styrie. C’est ce que montre cet ouvrage à l’aide de sources méconnues et jusqu’ici peu exploitées, tirées surtout de la presse locale.

2Dans un premier chapitre (« Die frühen Grazer Jahre », p. 9-38), l’auteur nous rappelle que Nestroy, alors encore méconnu, fit ses armes d’acteur (alternativement avec Presbourg) sur les planches du théâtre de Graz, entre 1826 et 1831, où il interpréta de nombreux rôles aussi bien chantés (notamment Figaro dans Le Barbier de Séville de Rossini et Kaspar dans Der Freischütz de Weber) que parlés (surtout dans le registre comique, comme Longimanus dans Der Diamant des Geisterkönigs, Fortunatus Wurzel dans Das Mädchen aus der Feenwelt oder Der Bauer als Millionär ou Rappelkopf dans Der Alpenkönig und der Menschenfeind de Raimund, Staberl dans Die Bürger in Wien et Bims dans Aline de Bäuerle, ou encore Tobias Unglück dans Das Gespenst auf der Bastei de Meisl). C’est également à Graz que Nestroy entama sa carrière d’auteur dramatique avec Der Zettelträger Papp et Zwölf Mädchen in Uniform le 15 décembre 1827 (dans cette pièce, le personnage de Sansquartier allait devenir l’un des rôles phares de Nestroy) d’une part et qu’il connut l’échec de son premier mariage avec Wilhelmine von Nespiesni d’autre part, avant de trouver – toujours à Graz – en la chanteuse et comédienne Marie Weiler (« die Frau ») sa future compagne.

3Le deuxième chapitre (« Nestroys Gastspiele in Graz in den Jahren zwischen 1836 und 1854 », p. 39-56) se concentre sur les tournées de Nestroy, dès lors reconnu tant comme comédien que comme dramaturge, au théâtre de Graz de 1836 à 1854 : au total, Nestroy y revint six fois (en 1836, 1846, 1847, 1848, 1849 et 1854) pour des tournées d’au moins une semaine. En outre, avec 144 mises en scène (dont 43 fois Lumpacivagabundus) entre 1833 et 1839 sous l’ère Joseph Pellet, Nestroy fut, loin devant Raimund, l’auteur le plus joué sur les planches de Graz à cette époque ; la permanence de ce succès est également attestée sous l’ère Karl Remmark, à partir d’avril 1844. C’est aussi à Graz que Friedrich Hebbel assista à une représentation de Der Schützling en 1847 et qu’il salua en Nestroy un auteur qu’il estime plus que « das Meiste, was sich in Wien auf Jamben-Stelzen bewegt ».

4Le troisième chapitre (« Johann Nestroys letzte Lebensjahre in Graz (1860-1862) », p. 57-78) a pour objet – comme l’indique son titre – les dernières années de la vie de Nestroy, qu’il passa en grande partie à Graz (1860-1862). Parvenu quasiment au terme de son activité de directeur du Carltheater de Vienne, Nestroy acheta en mai 1859, dans le quartier huppé St. Leonhard (Elisabethstraße 765), une maison dans laquelle il passa, après y avoir entrepris d’importants travaux, plusieurs mois par an de l’automne 1860 à sa mort, le 25 mai 1862. C’est également au cours de cette période que Nestroy entretint une riche correspondance avec son ami viennois Stainhauser, correspondance qui réserve une large place au commentaire (critique et ironique) de la situation politique au sein de l’Empire des Habsbourg. La fin du chapitre documente l’émoi suscité par la mort de Nestroy et les conditions de son enterrement.

5En guise d’élargissement, un quatrième chapitre, intitulé « Grazer Theaterleben zu Nestroys Zeiten » (p. 79-103), propose un éclairage à la fois concis et efficace sur la vie théâtrale et culturelle à Graz à l’époque de Nestroy. L’exemple de Graz montre à quel point les théâtres de l’époque étaient gérés comme de petites entreprises et se voyaient donnés à bail à des Theaterunternehmer privés (p. 85) : pour la seule période au cours de laquelle Nestroy fut en lien avec le théâtre de Graz, celui-ci passa successivement aux mains de Johann August Stöger (lequel fit beaucoup jouer les féeries de Raimund, souvent avec Nestroy dans les rôles principaux), Joseph Pellet, Ferdinand Funk, Karl Remmark, Franz Thomé, Adolf Schwarz et Anton Balvánsky (qui intégra au répertoire les opérettes d’Offenbach), dans des conditions financières souvent très précaires, dans un contexte de concurrence féroce avec d’autres types de spectacles (saltimbanques, artistes de cirque, dompteurs, etc.) et de censure littéraire, dont Norbert Bachleitner a montré la prégnance en Autriche de 1751 à 1848 (voir son ouvrage de référence Die literarische Zensur in Österreich von 1751 bis 1848, Vienne, Böhlau, 2017).

6La partie proprement textuelle de l’ouvrage est complétée par une vingtaine de pages d’annexes (p. 105-125) soigneusement sélectionnées, qui rassemblent des documents relatifs à la vie de Nestroy, des critiques contemporaines de représentations données à Graz ainsi que des hommages et éloges funèbres à la mémoire de Nestroy parus dans la presse de l’époque.

7Au total, cet ouvrage de dimension modeste (133 pages) remplit parfaitement sa fonction : fournir une contribution à la réception de Nestroy hors de Vienne, à la recherche sur l’histoire du théâtre à Graz ainsi qu’à l’histoire du théâtre en Autriche au xix^e siècle.