1L’ouvrage intitulé Das österreichische Nationalbewusstsein présente les résultats d’une étude empirique menée en 2019. Les deux auteurs de cette étude sont les chercheurs Ernst Bruckmüller, spécialiste d’histoire économique et sociale, et Peter Diem, spécialiste des médias. L’étude des symboles de l’Autriche et la formation d’une identité nationale figurent parmi les thématiques de recherche communes aux deux auteurs. Le but de la présente étude est d’interroger la progression et l’ancrage d’un sentiment national autrichien. Pour ce faire, Bruckmüller et Diem ont fait le choix d’organiser un sondage en ligne, auprès de 1 072 participants issus de toute l’Autriche. Le livre est divisé en huit parties : une introduction exposant la méthode et une conclusion tenant lieu de bilan encadrent les six catégories sélectionnées par les auteurs. Les éléments associés au passé et au présent de l’Autriche, les émotions, les images et (auto)stéréotypes, la nation, les symboles de l’État et les partis politiques constituent les six axes de cette étude.

2Le chapitre introductif inscrit l’étude de 2019 dans la lignée des différents travaux menés depuis la seconde moitié du xx^e siècle sur l’émergence d’un sentiment national autrichien. Les auteurs citent de nombreux sondages menés depuis 1956 : si les questions posées peuvent varier sensiblement dans leur formulation, il s’en dégage toutefois une forte progression du « oui » à la question « L’Autriche est-elle une nation ? ». En 1956, seulement 49 % des personnes interrogées y répondaient par l’affirmative, alors que 46 % estimaient qu’il n’y avait pas à proprement parler de nation autrichienne – et que les Autrichiens faisaient partie de la nation allemande. Un tableau (p. 7) dresse l’évolution de ces résultats : la part de réponses favorables au sujet de l’existence d’une nation autrichienne n’a pas cessé d’augmenter depuis la fin des années 1960, pour atteindre 82 % en 2007. La part des sondés réfutant l’existence d’une nation autrichienne a, elle, diminué de façon drastique entre 1956 et 1964, passant sous le seuil de 10 % en 1970 et n’excédant plus 5 ou 7 % depuis lors. Dans ce propos introductif, Peter Diem et Ernst Bruckmüller interrogent ce sentiment d’appartenance national, non sans souligner sa coexistence avec un patriotisme à la fois local et régional. Les auteurs donnent une définition de la « fierté nationale », qui est « une attitude tout à fait singulière, car les personnes qui ressentent une fierté nationale sont fières d’une chose sur laquelle elles n’ont aucune prise – l’histoire, la nature, les habitants, les paysages. On pourrait définir la fierté nationale comme une manière tournée vers l’extérieur de s’identifier à sa propre nation – on est simplement fiers d’en faire partie » (p. 7, nos traductions). Les auteurs s’intéressent ensuite à la notion de lieu de mémoire, développée par Pierre Nora dans les années 1980, et ses apports pour la dimension culturelle de l’identité nationale. Ils citent les travaux sur les lieux de mémoire français (Pierre Nora), italiens (Mario Isnenghi), allemands (Étienne François, Hagen Schulze), et enfin autrichiens (Emil Brix, Ernst Bruckmüller, Hannes Stekl). Ernst Bruckmüller et Peter Diem, qui inscrivent sans équivoque la présente étude dans la droite lignée des Memoria Austriae, décrivent avec précision la démarche qui a sous-tendu l’étude des lieux de mémoire autrichiens. Selon eux, la méthode adoptée diffère de celle des autres ouvrages sur les lieux de mémoire, dans la mesure où les catégories sélectionnées ne seraient pas le fruit d’une discussion intellectuelle, mais d’un recensement des éléments qui permettent aux Autrichiens de se considérer comme tels, directement auprès des principaux intéressés.

3Peter Diem et Ernst Bruckmüller exposent les choix méthodologiques qu’ils ont faits pour établir le sondage réalisé en juin 2019 par l’Institut Integral. Ce sondage comporte des questions fermées, faisant le plus souvent appel à un système de notation de 0 à 10, et des questions ouvertes, appelant des associations spontanées et des réponses plus détaillées. Le questionnaire proposé, reproduit en intégralité (p. 11-13), permet de rendre compte de la grande variété des sujets abordés. Le risque inhérent à ce large spectre est celui d’un manque de cohésion, ce qui a d’ailleurs été critiqué par certains participants à l’étude. Les auteurs ne commentent pas la manière dont ont été sélectionnées les personnes participant au sondage, mais les tableaux présentant les résultats aux différentes questions permettent de rassembler plusieurs informations. En effet, les résultats globaux obtenus sur la totalité du groupe sont affinés à l’aide de six caractéristiques : le sexe, l’âge, le niveau de formation, la taille de la commune, la région et les préférences politiques. Sur les 1 072 personnes interrogées, la parité entre hommes et femmes est globalement respectée (respectivement 48 et 52 %). Toutes les classes d’âge sont représentées, même si les 18-25 ans (12 % des sondés) et les plus de 75 ans (7 % des sondés) sont les moins nombreux, ce qui semble néanmoins être en adéquation avec l’actuelle pyramide des âges en Autriche. La catégorie du niveau de formation fait apparaître un groupe majoritaire : 72 % des personnes interrogées n’ont pas le bac, alors que 16 % ont le bac et 13 % ont suivi des études dans l’enseignement supérieur. Le sondage donne la parole à des habitants de communes rurales et de grandes villes, mais aussi à tous les Bundesländer. Ce dernier point permet de révéler des disparités locales et régionales. Cependant, s’il peut paraître logique de donner la parole à moins de personnes dans les Länder les moins peuplés, cela peut amener à relativiser certains chiffres collectés dans ces régions : si 225 Viennois (21 % des sondés) ont participé à l’étude, seuls 37 habitants du Burgenland ont exprimé leurs opinions (soit 3 % des sondés). Ce pourcentage est certes conforme au poids démographique de la région, mais ce chiffre faible ne permet pas d’affirmer avec autant de force des résultats qui soient représentatifs pour toute la population de la région. Cet élément est assez peu commenté par les deux auteurs.

4La première catégorie présentée par Peter Diem et Ernst Bruckmüller rassemble les éléments que les personnes interrogées associent spontanément à l’Autriche (p. 14-23). Les résultats sont ici uniquement issus de questions ouvertes, ce qui constitue une particularité de cette catégorie. Les auteurs font émerger plusieurs sous-catégories : associations spontanées avec l’Autriche en général, associations avec l’histoire de l’Autriche, personnalités du passé et du présent, symboles de l’Autriche. Parmi les éléments les plus cités, les références au paysage alpin et à la nature sont prédominantes, c’est pourquoi les auteurs concluent à l’existence d’un « patriotisme du paysage » (Landschaftspatriotismus). En ce qui concerne les associations spontanées avec l’histoire de l’Autriche, deux grands ensembles prédominent : les guerres mondiales (principalement la Seconde guerre mondiale) et le passé impérial de la dynastie des Habsbourg. Des éléments se rapportant à la Seconde République et sa genèse n’apparaissent que de façon minoritaire. On peut remarquer ici que les auteurs ont fait le choix de citer et commenter tous les résultats, bien que l’on puisse s’interroger sur la représentativité d’éléments cités par une dizaine de personnes sur les 1 072 interrogées. Selon l’interprétation des auteurs, le regard porté par les Autrichiens sur leur histoire est globalement positif, « si l’on excepte l’implication de l’Autriche dans le national-socialisme, la seconde guerre mondiale et les camps de concentration » (p. 16). Or, si l’on relève toutes les occurrences ayant trait à ces événements, cela représente un nombre de citations qui est tout sauf négligeable. Du reste, comme les réponses se limitent parfois à un mot, elles peuvent être difficiles à interpréter, comme en ont conscience les auteurs : « Certains résultats font émerger plus d’énigmes qu’ils n’en résolvent » (p. 16). L’absence de contexte ou de justification plus détaillée constitue en effet une difficulté indéniable pour l’interprétation des résultats présentés dans l’ouvrage. La question portant sur les personnalités importantes du passé fait émerger très clairement une « triade mythique de l’Autriche moderne » (p. 17), qui rassemble Marie-Thérèse d’Autriche, Bruno Kreisky et François-Joseph I^er. Les auteurs de l’étude s’étonnent d’ailleurs de la large prédominance de la figure de Marie-Thérèse (citée par 22 % des sondés), ce qu’ils interprètent comme le possible résultat d’une représentation de l’impératrice comme magna mater de l’Autriche. Parmi les personnalités citées, Diem et Bruckmüller relèvent également quelques absences étonnantes, dont celle d’Otto Bauer, figure de la social-démocratie autrichienne. En ce qui concerne les personnalités importantes du temps présent, un duo de tête se dégage, avec le président fédéral Alexander Van der Bellen et le chancelier Sebastian Kurz. Parmi la centaine de personnalités citées, une grande majorité est issue du champ politique. Viennent ensuite des personnalités du monde du divertissement, puis des sportifs, et enfin des acteurs du monde de la culture. Ces derniers sont très minoritaires, ce que ne peuvent s’empêcher de déplorer les auteurs. Diem et Bruckmüller s’insurgent contre l’absence de héros autrichiens et de grandes figures culturelles parmi les personnalités citées, ce dont ils rendent coupables le système éducatif et la société de loisirs. Cette sous-représentation d’acteurs du domaine culturel tient cependant en partie à la question très large qui était posée : il n’est guère étonnant que, pour bon nombre de sondés, l’histoire soit d’abord associée à l’histoire politique du pays. On peut imaginer que les résultats auraient été tout autres si les auteurs avaient explicitement demandé aux sondés de citer des personnalités qu’ils associent à la culture autrichienne. Pour finir, les réponses à la question sur les symboles de l’Autriche font apparaître une prédominance des symboles officiels de l’État (aigle fédéral, drapeau, hymne), des éléments du paysage alpin, des édifices viennois, des éléments de la gastronomie et des représentants de la culture autrichienne (Mozart, Klimt, Strauss). Comme le relèvent les auteurs, il est intéressant de constater que la fête nationale n’est pas citée et ne serait donc pas spontanément perçue comme un symbole de l’Autriche.

5La deuxième catégorie présentée (p. 24-45) est celle des émotions : les auteurs y étudient d’abord l’attachement des Autrichiens à l’État, à leur commune et à leur région, puis interrogent l’existence d’une identité dépassant le cadre de l’État. Dans cette partie, les résultats sont issus de questions fermées, avec un système de notation allant de 0 à 10. Les auteurs retiennent la pertinence d’un seuil de 6,6/10 (chiffre utilisé notamment dans le marketing, pour juger de la viabilité de la commercialisation de produits). La première question de cette série porte sur l’attachement à l’Autriche. Les opinions exprimées sont très favorables, puisque la moyenne obtenue est de 8,62/10. La plus grande différence apparaît selon les classes d’âge : les plus jeunes sont moins enclins à dire qu’ils aiment l’Autriche (moyenne de 7,72) que les plus âgés (moyenne record de 9,41 chez les plus de 75 ans). Les auteurs formulent plusieurs hypothèses pour expliquer cette note plus basse chez les plus jeunes Autrichiens : la première hypothèse, souvent privilégiée par Diem et Bruckmüller tout au long de l’ouvrage, évoque des manquements dans le système éducatif. Dans un second temps, les auteurs se demandent si cela ne serait pas lié à une plus forte conscience européenne et/ou internationale de la part des 18-25 ans. Comme on le remarque ici, l’une des difficultés majeures de cette étude empirique tient à l’analyse des questions fermées, qui ne sont pas nécessairement complétées par des questions ouvertes qui permettraient une justification des choix. La démarche quantitative déployée ici permet d’observer des phénomènes, sans toutefois pouvoir y apporter des explications certaines. Le patriotisme local (moyenne de 7,90/10 sur l’attachement à sa commune) et le patriotisme régional (moyenne de 7,95/10 sur l’attachement à son Bundesland) sont également très forts, et c’est tout particulièrement le cas chez les plus âgés et dans les communes les plus petites. L’attachement régional est néanmoins moins marqué dans le Vorarlberg et en Basse-Autriche. Un autre tableau (p. 30) présente la manière dont les Autrichiens perçoivent les habitants des différents Länder, ce qui permet aux auteurs de confronter hétéro- et autostéréotypes. Vu de l’extérieur, c’est le Land de Vienne qui obtient la plus mauvaise note (6,42/10) et est le moins apprécié par tous les autres Länder, sans exception, ce qui n’est pas sans refléter une certaine rivalité entre la capitale et le reste de l’Autriche. Les chiffres montrent également que la Carinthie et la Styrie sont les régions où le patriotisme régional est le plus ancré. La suite du sondage tend à montrer que les Autrichiens n’ont pas un très fort sentiment d’attachement à l’Europe (moyenne de 6,34/10) et se conçoivent très peu comme des citoyens du monde (5,73/10). Sans grande surprise, les partisans du FPÖ sont ceux qui ont attribué les notes les plus faibles à ces deux dernières catégories.

6Le troisième grand axe de cette étude (p. 46-79) interroge les images et stéréotypes sur l’Autriche. Les personnes interrogées ont été amenées à choisir, parmi une sélection de caractéristiques, celles qui leur semblaient le plus correspondre à l’Autriche. Parmi les éléments qui emportent le plus l’adhésion des sondés, on retrouve les affirmations selon lesquelles l’Autriche est un pays avec un beau paysage et un bon environnement (98 %), un pays avec une bonne sécurité sociale (97 %), un pays avec une grande histoire (97 %), un pays avec une grande culture (96 %). Ces affirmations ne sont absolument pas remises en cause, quels que soient l’orientation politique, l’âge ou l’ancrage géographique des sondés. D’autres thèmes, tels que les conditions de travail, la xénophobie ou l’intégration, font apparaître des clivages, majoritairement politiques. La question F7 (p. 74-75) demande aux personnes interrogées de citer les éléments qui unissent la nation. Les réponses majoritairement données font de nouveau apparaître en tête le paysage autrichien, puis l’histoire et la mentalité de ses habitants. Pour finir, la question F21 porte sur les droits des minorités et l’estimation de leur prise en compte par la population et par les autorités autrichiennes. Parmi les personnes interrogées, les plus diplômés et les partisans des Verts expriment le plus fort scepticisme.

7La quatrième catégorie (p. 80-85) repose sur une question centrale, que l’on peut s’étonner de trouver aussi tard dans l’ouvrage, puisqu’elle en constitue le cœur : « L’Autriche est-elle une nation ? ». Le résultat est surprenant, compte tenu du propos liminaire de l’ouvrage : 73 % des sondés répondent par l’affirmative, ce qui est moins que ce qui était attendu. Pour 7 % des sondés, l’Autriche commence lentement à se sentir comme une nation, 8 % des sondés affirment que l’Autriche n’est pas une nation, alors que 13 % préfèrent ne pas se prononcer. Jusqu’en 2010, le pourcentage des Autrichiens affirmant l’existence d’une nation autrichienne était en hausse constante. Or, les chiffres de 2019 sont les plus bas atteints depuis 1980. Les auteurs sont assez critiques face à ce résultat, qu’ils imputent au format de l’enquête (en ligne, et non en face à face ou par téléphone), au rôle de l’entrée de l’Autriche dans l’UE (qui date pourtant de 1995) et à une méconnaissance des enjeux nationaux de la part des plus jeunes. Les résultats à cette question laissent apparaître une grande différence selon les classes d’âge : les 18-39 ans ont répondu « oui » à 62 %, alors que ce taux est de 91 % chez les plus de 75 ans. De même, à la question « Avez-vous le sentiment de faire partie de la nation autrichienne ? », 86 % des sondés ont répondu par l’affirmative, contre 14 %. Une fois encore, les 18-39 ans semblent être les moins convaincus.

8La cinquième catégorie se concentre sur les symboles de l’État. Près de 90 % des personnes interrogées sont en mesure de citer les premiers mots de l’hymne autrichien. Les auteurs ont fait le choix de poser une question fermée au sujet de la fête nationale, en laissant une alternative entre le 26 octobre et le 1^er mai. Il aurait certainement été encore plus intéressant d’en faire une question ouverte, afin de voir l’éventuelle émergence d’autres dates concurrentes. Si la date du 26 octobre n’a pas posé problème à 92 % des sondés, il y a en revanche une confusion au sujet de ce qui est célébré, entre la date de départ des troupes d’occupation et l’adoption de la neutralité. Le dernier symbole abordé dans l’étude est le drapeau et ses deux versions (avec ou sans armoiries). Les personnes interrogées ont dû donner leur opinion sur le drapeau représentant l’aigle fédéral et son utilisation réservée (ou non) aux autorités officielles. Le choix de la question peut sembler surprenant, dans la mesure où elle semble davantage refléter un goût personnel qu’un attachement à ce symbole.

9La dernière catégorie présentée concerne les partis politiques (p. 90-97). Les participants au sondage ont été amenés à donner une note à chacun des partis. La moyenne globale est de 3,16/10, ce qui fait clairement apparaître une grande lassitude à l’égard de la politique et des partis. L’émergence du scandale « Ibizagate » à l’époque où le sondage a été mené a très certainement accentué ces mauvais résultats. Les préférences politiques exprimées au sein de chaque groupe permettent de voir comment se comportent les groupes d’électeurs et les différents camps politiques. Ces chiffres permettent également d’analyser quels sont les partis qui arrivent le mieux à capitaliser les opinions favorables : lors des élections de 2019, l’ÖVP et le FPÖ ont obtenu de meilleurs résultats que ce que laissait penser l’évaluation de l’opinion publique. Le SPÖ et les Verts ont obtenu des résultats assez proches de ce qui était attendu, alors que les NEOS ne sont pas parvenus à convertir dans les urnes les opinions favorables à leur égard. Les tableaux présentés par les auteurs dans ce chapitre permettent de dresser les caractéristiques de l’électorat de chaque parti (sexe, âge, région, niveau de formation), mais aussi de faire ressortir les affinités et inimitiés entre les différents partis.

10Dans le dernier chapitre, Peter Diem et Ernst Bruckmüller concluent à un changement du sentiment autrichien au début du xxi^e siècle. Si l’étude reflète une baisse d’adhésion à l’idée d’une nation autrichienne, il n’en demeure pas moins que les opinions formulées à l’égard de l’État autrichien sont largement positives. Les auteurs insistent sur l’importance du « patriotisme du paysage », l’adoption générale des symboles de l’État et le sentiment de paix sociale. Les différences les plus notables se manifestent avant tout entre les classes d’âge, mais aussi, dans une moindre mesure, entre les régions. Dans leur conclusion, les auteurs adoptent un discours très critique sur le déconstructivisme et rejettent le concept d’une « construction » de la nation. Pour finir, ils insistent sur le rôle joué par les médias dans la transmission des représentations de l’Autriche.

11La conclusion principale de cette étude est donc l’absence de remise en cause fondamentale de l’existence d’une nation autrichienne ou de la cohésion de la petite République alpine. L’étude de Peter Diem et Ernst Bruckmüller présente un nombre très important de données, sur de nombreux sujets différents. On pourra néanmoins regretter que, malgré la structuration en chapitres, les données ne soient pas particulièrement hiérarchisées. De plus, s’il est appréciable qu’une question ouverte vienne compléter une question dite fermée, ce n’est pas systématique. L’une des limites de l’étude est donc son caractère descriptif : lorsque les personnes interrogées ne sont pas amenées à justifier leurs réponses, il est difficile d’analyser les causes expliquant certains phénomènes. Par exemple, il serait intéressant de savoir à quoi tiennent les erreurs factuelles commises par les sondés sur des éléments de l’histoire autrichienne. Cela relève-t-il vraiment d’un problème de transmission à l’école ? Cela témoigne-t-il d’un simple désintérêt, ou bien y a-t-il des confusions historiques qui seraient entretenues, dans le discours public notamment ? En l’absence de justifications apportées aux réponses, les auteurs de l’étude se trouvent assez souvent contraints de formuler des hypothèses, où transparaît parfois leur opinion personnelle. Par exemple, lorsqu’il apparaît que les plus jeunes sont moins enclins à affirmer que l’Autriche est une nation (question F11), Ernst Bruckmüller et Peter Diem commencent par se demander si les jeunes seraient de « moins bons Autrichiens » (p. 81) que leurs aînés, ou bien s’ils n’ont pas compris la question. Le fait que les plus jeunes Autrichiens puissent rejeter le concept même de nation n’est évoqué qu’à la marge, phénomène envers lequel les deux auteurs ne cachent pas une certaine incompréhension, si ce n’est de la réprobation. Il n’en demeure pas moins que le relatif désintérêt de la jeunesse quant à l’appartenance à une nation autrichienne reste l’un des principaux résultats de cette étude, qui ne manque pas de susciter de nouvelles interrogations et pavera très certainement la voie à de nouveaux sondages, notamment auprès des plus jeunes.