Daniela Link, Hermann Brochs „Die Verzauberung“. Ein Romanprojekt zwischen Mythos und Krise
Daniela Link, Hermann Brochs „Die Verzauberung“. Ein Romanprojekt zwischen Mythos und Krise, Bielefeld, [transcript] Lettre, 2023, 255 p., ISBN : 978-3-8376-6651-9.
Texte intégral
1Daniela Link analyse Le Tentateur sous l’angle du mythe lié au problème de l’irrationnel. Dès l’introduction, elle souligne que ce roman est « le roman des conflits, des contradictions et des ruptures » (p. 11) et, pour étayer son argumentation, elle s’appuie sur les thèmes clés de Broch : la théorie des valeurs, la problématique existentielle du mal et la théorie de la folie des masses.
2Pourquoi ce roman est-il « le roman des ruptures » ? Il existe plusieurs versions du roman, resté inachevé et composé de 1934 à 1951, date de la mort de Broch à New Haven. Ce récit à la première personne à la frontière entre la chronique, l’autobiographie et le journal se déroule sur neuf mois. Le roman repose sur une triple évolution : évolution de la nature, du printemps à l’hiver, évolution de la communauté villageoise succombant au « Tentateur », Marius Ratti, évolution du narrateur lui-même. La trame narrative est tissée par l’opposition entre rationnel et irrationnel. Le roman décrit ainsi l’installation de l’hystérie collective, alors que le narrateur, l’homme de science, tombe dans le piège d’une conception régressive et archaïsante. Deux formes d’irrationnel s’opposent : Mère Gisson, la guérisseuse, et Marius Ratti, l’apprenti-sorcier maléfique.
3La progression de l’irrationnel se traduit par des rites païens, puis par l’arrivée de Marius Ratti qui fait miroiter aux villageois la reprise de l’exploitation de l’or. Même le narrateur ne parvient plus à contrecarrer l’évolution, bien plus, il est lui-même fasciné par l’hystérie collective qui conduit à un sacrifice humain, le meurtre d’Irmgard, la Fiancée de la Montagne. La folie est suivie d’un état d’abattement du narrateur. Ainsi, comme le souligne Daniela Link, sont illustrées les trois étapes de l’hystérie collective mises en évidence par Broch dans La Théorie de la folie des masses (Massenwahntheorie) composée entre 1939 et 1948 : la Vorpanik ou perte de la rationalité, la Panik et le meurtre du bouc-émissaire, enfin la Ernüchterung, révélant que l’angoisse n’a pas été surmontée. Cette construction triangulaire réunit le narrateur, Ratti et Mère Gisson.
4Daniela Link s’interroge à juste titre dans le chapitre 4 sur le rôle de la mémoire individuelle ou collective et du souvenir permettant d’abolir les limites du temps. Ainsi, par le truchement de la mémoire, le vécu se transforme en mythe. Le chapitre 5 aborde le statut et la fonction du mythique. Il ne suffit pas de relier uniquement le mythe au pôle irrationnel, car il possède sa propre rationalité dans sa structure organisationnelle. Le roman s’insère d’ailleurs dans un courant philosophique et littéraire inspiré de Jakob Bachofen, de Nietzsche, de Ludwig Klages (Der Geist als Widersacher der Seele), de Frazer et de C.G. Jung et se nourrit du mythe de Demeter et Perséphone (l’un des titres envisagés était Demeter ou la tentation), comme le met en évidence Daniela Link (p. 57).
5Daniela Link analyse justement la place prépondérante de la nature. Le narrateur a quitté la ville pour trouver refuge dans le village de Kupron, préservé de toute urbanisation. Alors que la ville représente un lieu de malédiction, la campagne représente un havre de sécurité et de sagesse symbolisé dans le personnage mythique de la Mère Gisson, anagramme du mot allemand Gnosis, qui réunit en elle les qualités du « créateur de religion » (der religiöse Heilsbringer) décrit dans les essais. Broch reprend ainsi les idéologèmes du Heimatroman et introduit un élément d’ambiguïté en faisant de Ratti, le magicien démoniaque, l’avocat de la vie rurale.
6Le roman se nourrit de la montée du nazisme (p. 189) et Daniela Link souligne justement les allusions à l’histoire, à la réalité politique. Broch propose, en effet, sous forme allégorique, une explication du phénomène d’hystérie collective. À la haine et à l’angoisse s’oppose l’amour de la Mère Gisson dont la mort ne peut rétablir l’ordre. Le propos de Broch est de faire réfléchir le lecteur et de le ramener à ses propres responsabilités en montrant la présence du mal qui s’exerce dans la séduction du faux prophète. Cet aspect est d’autant plus accentué dans la dernière version du roman.
7Le dernier chapitre consacré à la « crise de la médecine » est original et mérite notre attention. Deux formes de savoirs sont confrontées, le savoir scientifique du médecin et le savoir intuitif de Mère Gisson, proche de la position théosophique de Jacob Boehme. Daniela Link souligne à juste titre le message du roman dans ce moment historique de crise : la mise en garde contre l’irrationnel et la recherche d’une synthèse entre raison et mythe réalisée dans La Mort de Virgile.
8Cet ouvrage présente des qualités de réflexion, un esprit de synthèse, une bonne connaissance de l’œuvre brochienne et une bibliographie étoffée. Il est toutefois regrettable que l’ouvrage ne comporte pas d’index.
Pour citer cet article
Référence papier
Christine Mondon, « Daniela Link, Hermann Brochs „Die Verzauberung“. Ein Romanprojekt zwischen Mythos und Krise », Austriaca, 96 | 2023, 225-227.
Référence électronique
Christine Mondon, « Daniela Link, Hermann Brochs „Die Verzauberung“. Ein Romanprojekt zwischen Mythos und Krise », Austriaca [En ligne], 96 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 09 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/austriaca/7613 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13kp0
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