Remerciements : La mission tient tout particulièrement à remercier les collègues de l’Éphorie des Antiquités de Delphes, dont notamment A. Psalti (directrice) et N. Petrocheilos (archéologue). Nos remerciements vont également à nos hôtes, les habitants de Kirrha.

Données scientifiques produites :
La Phocide protohistorique : recherches archéologiques et géoarchéologiques sur le tell de Kirrha et dans la plaine d’Itea (Grèce) – 2018
La Phocide protohistorique : recherches archéologiques et géoarchéologiques sur le tell de Kirrha et dans la plaine d’Itea (Grèce) – 2019

Chroniques de l’EFA : Kirrha 2019 ; Kirrha 2018

Introduction

1La campagne d’étude de cette année s’est déroulée en plusieurs temps et en des endroits différents. Les objectifs de cette mission d’étude visaient essentiellement à progresser dans le chantier de la publication de nos travaux.

2Une première session a eu lieu à Delphes, du 18 avril au 13 mai. Y ont pris part, outre le responsable de la mission (R. Orgeolet) une équipe composée de J. Zurbach L. Garnery et Marie De Jonghe (céramique mycénienne), C. Pagnoux (carpologie). K. Sarri (céramique pré-mycénienne) a effectué un court séjour d’une semaine. Dans le même temps, S. Kriemadi (architecte) et P. Gourgou (architecte stagiaire), œuvraient à la mise au net des plans et coupes en vue de la publication, ainsi qu’à la production de fichiers nécessaires à l’implémentation du web‑SIG. Une seconde session consacrée à l’architecture et à la mise au net des relevés s’est déroulée en France (Reillanne) du 25 au 30 juillet ; elle a réuni S. Kriemadi (architecte) et R. Orgeolet (responsable de la mission).

3Parallèlement avait lieu l’étude anthropologique au Wiener Laboratory de l’American School of Classical Studies at Athens, où M. Bousquet-Melou et L. Steige ont poursuivi l’étude du matériel anthropologique sous la direction d’A. Lagia et de I. Moutafi. Ce travail s’est déroulé sur l’ensemble de l’année, entre les mois de mars et de décembre 2022.

4Une partie de notre programme cette année comportait des analyses pour datation ; une partie des autorisations manquaient encore au moment de la rédaction de ces lignes, de telle sorte qu’il n’est pas possible de les intégrer à ce rapport.

Étude anthropologique

Ioanna Moutafi, Raphaël Orgeolet

5L’étude bioarchéologique des restes humains de Kirrha a été conduite tout au long de l’année 2022 par Ioanna Moutafi et Anna Lagia au M.H. Wiener Laboratory for Archaeological Science, American School of Classical Studies at Athens. L’enregistrement ostéologique a été assuré par une étudiante stagiaire, Lisa Steige, et le nettoyage des restes récupérés pendant les saisons de fouilles 2018 et 2019 a été mené par Anastasia Koini et Madeleine Bousquet-Melou. Le nettoyage est une entreprise de longue haleine en raison de la grande quantité d’ossements fragmentés (fig. 1), et dont la fin est estimée au printemps 2023.

6L’analyse bioarchéologique vise à une reconstitution complète du profil biologique et des ostéobiographies des défunts (sexe, âge au décès, stature, paléopathologie, alimentation, activités, etc.), des actes funéraires opérés par la communauté et de l’histoire taphonomique de toutes les inhumations (traitement du corps, placement funéraire, arrangements secondaires, perturbations taphonomiques, etc.) L’enregistrement des données comprend les étapes suivantes :

71) Tri détaillé, réaménagement et reconstruction du matériel fracturé ; 2) Enregistrement/description morphologique et métrique de chaque fragment identifiable (y compris l’identification précise de l’os, la description taphonomique sur la complétude et la préservation, les éléments relatifs au sexe, à l’âge, à la stature, aux lésions pathologiques, aux changements enthésiens et aux caractères non métriques) ; 3) Estimation des taux de préservation standard, de l’indice de représentation des os (BRI) et du nombre minimum d’individus (NMI) ; 4) Enregistrement visuel (documentation photographique extensive de toutes les données du squelette) ; 5) Analyse microscopique et radiographique des lésions pathologiques.

8Le premier objectif du travail de cette année était d’étudier un groupe de contextes funéraires associés (Loci L510‑515, L513 et L274), qui comprend l’une des sépultures les plus intrigantes de la nécropole de Kirrha : la sépulture primaire de la « Dame riche » correspondant au Locus L515 (fig. 2). Celui‑ci constitue en fait la dernière inhumation au sein d’une tombe à la structure complexe et non complètement préservée, puisque la partie supérieure a très certainement été emportée à l’occasion de travaux au début du siècle dernier. Un premier espace funéraire, dont la date peut être comprise entre HR II et HR III, comportait une inhumation primaire et une ( ? ) réduction (L510‑515). Il reposait sur une grande fosse (L274ac) qui comportait un grand nombre d’ossements en position secondaire. Un tesson de céramique caractéristique de l’HR II a permis de dater cette fosse et de l’associer avec la partie supérieure de la sépulture. Une troisième fosse (L274b) a été distinguée dans la partie inférieure de la précédente : il s’agit certainement d’une sépulture antérieure (HM III / HR I) ayant été perturbée à l’occasion du creusement de la tombe HR II.

9Au total, ces contextes contiennent une très grande quantité de restes humains, ressortissant à des formes variées de dépôt, tant primaires que secondaires. La grande majorité des os sont désarticulés, mélangés et fragmentés. Cela a rendu encore plus difficile la compréhension des pratiques mortuaires mises en œuvre ici (en d’autres termes, les actes qui ont abouti à la formation de ces contextes). Pour cette raison, notre méthodologie de fouille visait à optimiser l’enregistrement, la documentation et la récupération du matériel squelettique sur le terrain, en association directe avec les informations stratigraphiques et taphonomiques contextuelles (chaque fragment osseux a été numéroté individuellement et étiqueté sur les photographies et les plans). L’analyse en laboratoire a suivi les principes méthodologiques de l’archéothanatologie et de la taphonomie funéraire, afin d’examiner les relations spatiales entre les os et d’évaluer avec succès la séquence et la forme spécifique des épisodes funéraires.

Étude céramique

Julien Zurbach, Raphaël Orgeolet

10L’étude céramique a essentiellement porté cette année sur le mobilier HR II‑III à Delphes. Elle a été menée par J. Zurbach et L. Garnery, assistés par M. De Jonghe. K. Sarri a consacré quelques jours à l’étude de la céramique pré-mycénienne.

11Le travail a concerné du matériel issu des campagnes 2018 et 2019 (essentiellement 2018 pour le HR II‑III), avec plusieurs objectifs :

121. Organisation de la documentation disponible sur l’ensemble des contextes HR II‑III du Secteur 4 (2014-2015-2018-2019), rangement par US des éléments suivants : fiches de description des US établies en 2016 et 2021 ; photos d’ensemble prises au même moment ; dessins encrés ou non effectués depuis 2016, de manière à mesurer exactement ce qui reste à faire.

2. Datation des tombes L906 et L950 de manière précise.

3. Étude approfondie des contextes HR II‑III de 2018-2019 conservés à Delphes.

Étude archéobotanique

Clémence Pagnoux

13Les travaux relevant de l’archéobotanique se sont déroulés du 20 avril au 12 mai 2022 à la maison de fouille de Delphes.

Tri de résidu lourd

14Le résidu lourd issu de la flottation de 107 prélèvements (40 provenant de la campagne de 2018 et 67 de celle de 2019) a été trié à l’œil nu, afin d’en extraire les macrorestes les plus lourds (légumineuses, endocarpes, charbons) ainsi que d’autres petits éléments difficilement visibles lors de la fouille (fragments d’os ou de coquillages, microfaune, ichtyofaune, fragments d’outils lithiques, petits objets). Soixante et onze prélèvements provenaient du secteur 2‑3‑5, 35 du secteur 4 et un du secteur Koubla.

15L’équipe était composée de Clémence Pagnoux, Euthymios Lefas et Kostas Kontostanos (ouvriers). La plupart des prélèvements contenaient des os (animaux ou humains) et des coquillages (Tableau 1). Les restes de microfaune et ichtyofaune sont peu nombreux, toutefois il est souhaitable que les spécialistes concernés vérifient le contenu des sacs de faune car tout le matériel faunique est généralement rassemblé faute de compétence pour procéder à une identification fiable des différentes catégories. De même, il est certain que pour de nombreux prélèvement, os humains et faune sont mélangés : il conviendra là aussi que les spécialistes considèrent tous les sacs notés « os ».

16Enfin, seuls trois prélèvements contenaient des carporestes.

17Il reste à trier 123 prélèvements des différents secteurs.

Secteur	Charbons	Graines	Coquill.	Faune/ humain	Dents	Céram.	Lithique taillé	Nombre d’échantillons
4	6	2	19	24		14		35
2 3 5	7	1	46	49	4	21	6	71
KMBL SUD								1
Total	13	3	65	73	4	35	6

Étude carpologique

18La fraction fine issue de la flottation de 63 échantillons du Secteur 2‑3‑5 et de 35 du Secteur 4 (tous prélevés en 2018) a été triée ou rapidement observée, afin d’avoir une idée de leur contenu. Les lignes qui suivent constituent donc le rapport d’une première observation. L’étude est encore en cours, certaines identifications seront précisées et une grande partie des prélèvements n’a pas encore été observée.

19Secteur 2‑3‑5. Les échantillons proviennent principalement de sépultures. Dix‑sept prélèvements proviennent de niveaux d’occupation autres incluant des fosses et foyers. Ils ne sont pas riches : la grande majorité contient moins de cinq restes par litre et plusieurs sont stériles. Les taxons les plus fréquents sont les céréales, à commencer par l’orge (Hordeum sp.). Une grande partie des restes de céréales, du fait de leur mauvais état de conservation et en particulier de leur importante fragmentation, n’a pas pu être identifiée et a été classée dans la catégorie des céréales indéterminées (fig. 3a). Les restes de balle (base de glume et base d’épillet) ont permis d’identifier plus précisément les blés vêtus et en particulier l’amidonnier (Triticum turgidum subsp. dicoccum), auquel appartiennent quelques restes bien conservés (fig. 3b). Les légumineuses (Vicia ervilia, Lathyrus sativus, Lens culinaris) sont peu fréquentes (n < 5 restes dans tous les prélèvements où elles sont présentes) (fig. 3c). La figue (Ficus carica) est attestée avec une fréquence et une abondance relativement faible compte tenu de la quantité d’akènes contenu dans chaque fruits (27 occurrences, n > 10 dans seulement 6 prélèvements). La vigne (Vitis vinifera) est attestée dans cinq échantillons. Enfin, plusieurs poacées sauvages sont présentes dans les échantillons (Poa sp., Phalaris sp., Lolium temulentum).

© Mission Kirrha.

20Secteur 4. Les échantillons proviennent principalement de sépultures, seuls huit ont été effectués dans l’habitat. Les prélèvements sont un peu plus riches que ceux du Secteur 2‑3‑5, toutefois aucune concentration (n > 50) n’a été observée. Les céréales représentent le taxon le plus fréquent, toutefois l’orge est moins fréquente et moins abondante que dans le Secteur 2‑3‑5. Des fragments de céréales indéterminées sont en revanche présents dans tous les échantillons. Les akènes de figue, ainsi que des fragments de pulpe, sont nombreux dans quelques prélèvements (n > 30 dans 12 prélèvements) (fig. 4a et b). La vigne est attestée dans onze prélèvements sous forme de pépins (fig. 4c) et dans cinq sous forme de pédicelles (fig. 4d). Deux fragments de noyaux d’olive ont également été observés, ainsi que des poacées sauvages dans douze prélèvements (fig. 4e).

© Mission Kirrha.

21Ces restes sont conservés sous forme carbonisée. La présence de restes non carbonisés, minéralisés pour certains, en particulier de taxons sauvages, correspond vraisemblablement à des contaminations modernes. Ils sont présents dans les deux secteurs.

22On peut s’interroger sur la provenance de ces restes carpologiques carbonisés présents dans des sépultures qui sont toutes des inhumations sans trace de feu. Leur faible abondance paraît exclure tout dépôt intentionnel. Ces restes peuvent provenir du sédiment dans lequel sont creusées les tombes, de leur remplissage, ou encore avoir été apportées avec du sédiment infiltré après leur fermeture. La pratique des inhumations multiples peut avoir augmenté les causes d’apport extérieurs et en avoir diversifié les sources, du fait des ouvertures et fermetures successives des tombes. La datation comparée d’ossements et de graines issues des mêmes contextes pourra donner quelques indices sur la provenance des graines découvertes en contexte funéraire.

23C’est donc moins une approche des pratiques alimentaires et de l’économie végétale que permettra l’étude du matériel archéobotanique des tombes de Kirrha, qu’une étude des processus d’apports non intentionnels dans ces tombes. Cependant, l’identification de ces restes, et leur comparaison avec les taxons provenant des contextes d’habitat, donnera tout de même quelques indices sur les plantes exploitées et consommées à l’âge du Bronze moyen et récent.

Relevés stratigraphiques et planimétrique, élaboration du Web‑SIG

Raphaël Orgeolet

24Le travail concernant la documentation graphique a porté dans deux directions.

25S. Kriemadi (architecte) a d’un côté poursuivi l’harmonisation des planches, qu’il s’agisse des coupes comme des relevés en plan. Le travail, entamé les années précédentes, est considérable et n’est pas terminé, loin s’en faut. Outre le traitement systématique de l’ensemble des relevés en coupe, nous nous sommes attachés à produire pour chaque tombe un plan et, le cas échéant, deux vues en coupe (fig. 5). Les documents ainsi produits constituent la base de la documentation graphique du volume de la publication des tombes du Secteur 2.3.5, en préparation.

26L’ensemble des tombes de la nécropole du secteur 2.3.5 ont désormais un plan individuel finalisé, tandis qu’une douzaine sont désormais également pourvues de leur coupes (loci  L104, L150&L152, L200, L210, L224, L238, L244, L283, L289, L290, L295, L314). Le même travail a été initié – mais non achevé – en ce qui concerne les vestiges du secteur 4 (loci L906, L955, L963 et L950).

27Un autre effort a porté sur le déploiement d’un web‑SIG destiné dans un premier temps aux besoins de l’équipe scientifique dans le cadre de la préparation de la publication. Cette opération constitue le prolongement d’un ouvrage entamé il y a plusieurs années, ayant consisté en l’élaboration d’un SIG de la fouille et la modification en profondeur de la chaîne du relevé graphique. Le soutien des équipes de l’EFA doit être salué et remercié ici (en particulier L. Mulot, L. Fadin et B. Guillaume), mais il convient de souligner que la plus grande part du travail a été réalisée par l’équipe (R. Orgeolet en premier lieu, assisté cette année par P. Gourgouleti). Il est désormais opérationnel sur un plan technique (fig. 6) mais nécessite encore d’être alimenté (architecture du secteur 1 et mobilier pour l’ensemble des secteurs notamment).