Données scientifiques produites :
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- 1 Midant-Reynes, Buchez à paraître.
1Les travaux engagés en 2022 dans le cadre du projet quinquennal de l’Ifao (2022-2026), et avec des financements du MEAE (quadriennal 2022-2025), visent à analyser l’organisation de l’habitat en périphérie des unités domestiques naqadiennes fouillées jusqu’en 20141.
2Pour un rappel des travaux antérieurs et des principales problématiques de la mission, on consultera les articles du BAEFE depuis 2020.
[Nathalie Buchez, Camille Bouffiès, Florent Châteauneuf, Samuel Guérin, Rachid Elhajaoui, Julie Villaeys]
3La mission 2023 avait pour objectif principal d’élargir davantage la fenêtre d’investigation se rapportant à la période Naqada.
4À cette occasion, des vestiges épars des périodes historiques ont été mis au jour : deux silos de l’Ancien Empire ; deux autres structures de stockage, semi-enterrées ou aériennes (?), de datation indéterminée ; et une tombe du Moyen Empire (st. 6600, voir fig. 1), seul exemple connu à ce jour à Tell el-Iswid.
Fig. 1. Plan liminaire des vestiges découverts en 2023 (M. Gaber, J. Villaeys, S. Guérin, N. Buchez).
© Ifao. 17115_2023_NDMCN_001
[C. Bouffiès]
5Apparue directement sous la semelle de labour, la partie supérieure de la tombe est arasée (fig. 2). Néanmoins, le squelette était conservé et l’architecture de la tombe a pu être documentée. Ses parois, constituées de plaques argileuses superposées et jointoyées, délimitent une chambre mesurant 1,85 × 0,55/50 m à l’intérieur et 2,26 × 0,93 m à l’extérieur. Le squelette et les restes d’une natte, conservée au-dessous et au-dessus de celui-ci, étaient recouverts d’une couche contenant des masses d’argile grise compacte, possibles éléments d’une couverture affaissée. Le mauvais état de conservation des ossements, qui ont semble-t-il été écrasés par cette couche argileuse, a limité les observations taphonomiques. Des indices de décomposition en espace vide ont néanmoins été identifiés. Cependant, la position des membres supérieurs, plaqués contre le corps, suggère l’utilisation d’un linceul, de bandelettes ou de liens en matériau périssable. Le défunt, un individu adulte ou subadulte de plus de 15 ans dont le sexe n’a pas pu être déterminé, était allongé sur le dos, la tête au nord. Deux vases ont été déposés de part et d’autre du crâne, sur la natte, après le dépôt du corps.
Fig. 2. La sépulture 6600 (photo et relevé) et l’un des deux vases découverts (C. Bouffiès, R. Elhajaoui).
© Ifao. 17115_2023_NDMPF_001
6La nouvelle extension réalisée vers l’ouest sur une centaine de mètres carrés, en vue d’étudier l’organisation spatiale de l’habitat Naqada, ne concerne pour l’instant que la dernière étape d’aménagements. Les murs s’organisent tous selon une trame régulière orientée nord-sud/est-ouest (fig. 1). Cependant, deux phases de construction, qui n’avaient pas été clairement identifiées dans la partie centrale du secteur 4, semblent se distinguer. De même, le mobilier de certaines unités stratigraphiques laisse à penser que l’occupation s’étend, dans cette zone ouest, sur une partie de la période Naqada IIIC-D. La stratigraphie et la chronologie restent à préciser.
7La première phase, à savoir l’état 3-1, est principalement caractérisée par l’élévation du long mur 6607, orienté est-ouest, et son retour vers le nord qui bifurque en limite d’emprise (6737). Le mur 6777, situé dans l’axe de 6737 et disposant d’un retour vers le nord, appartient probablement à cet ensemble. Quelques briques discordantes argilo-limoneuses, de couleur gris-brun, dans 6627-6659 semblent attester l’aménagement d’une porte (seuil construit ou passage condamné). L’espace constitué par les murs 6607, 6627/6659 et 6737 est divisé en deux (mur 6657), l’aménagement d’un passage permettant de circuler entre ces deux pièces oblongues. Au-delà de cet ensemble architectural, côté ouest, on soulignera la présence d’un très long mur, avec au moins un passage identifié.
8Au cours de l’état 3-2, le mur 6607 est maintenu, tandis que les autres sont abattus (le fait 6664 correspondant probablement à l’effondrement du mur 6757) au profit de ce qui semble devenir essentiellement un vaste espace extérieur (cour ?) où se sont accumulés de nombreux tessons à plat, lesquels constituent à priori des niveaux de circulation. Une nouvelle construction oblongue (fig. 1, espace C) est mise en place (adossée à l’origine au mur 6607 ?). La pérennité de la longue limite ouest est incertaine en l’état.
9Au sud de 6607, les espaces également oblongs (fig. 1, A et C) étaient peut-être consacrés à la mouture des céréales et à la cuisson du pain, comme semblent le démontrer les très nombreux fragments de moules à pain retrouvés. Par ailleurs, on remarquera une subdivision de la salle B, avec l’élévation de petits murets (6693 et 6702, recoupés par un silo plus tardif) à l’angle desquels un foyer semble avoir été en activité suffisamment longtemps pour altérer fortement leurs parements internes (fig. 1, D et fig. 3). Dans ce même espace, de très gros fragments de moules étaient également concentrés, dont un moule presque entier. Plusieurs meules, fragments de meules, et molettes ont également été découverts dans l’espace A.
Fig. 3. Accumulation de fragments de moules à pain dans l’espace D (R. Elhajaoui).
© Ifao. 17115_2023_NDMPF_002
[Jade Bajeot, Mary F. Ownby]
10Outre l’enregistrement classique des tessons par unités stratigraphiques (US), l’étude de la céramique s’est concentrée cette année sur trois aspects spécifiques.
- 2 Roux 2016.
- 3 Bréand 2014.
11Les traces techniques ont été observées à l’œil nu ainsi qu’à la loupe binoculaire, et le classement a été effectué selon les critères établis par Valentine Roux2. Pour ce qui est de la typologie, nous avons pu nous appuyer sur les travaux antérieurs de Gaëlle Bréand3 et affiner la classification.
12En première approche, il apparaît que les techno-fabriques identifiées pour les phases précédentes, qui font référence à deux traditions techniques/chaînes opératoires de production différentes (NAQ et LEC), sont toujours représentées. La première, dont la variabilité relève de spécialisations fonctionnelles, est mise en œuvre en ateliers, tandis que la seconde témoigne d’une production domestique. Néanmoins, il semble que le groupe LEC-VEG diminue quantitativement et que les formes, assez variées à la période Naqada IIIA2-B, se limitent désormais principalement à des bassins. Il faut retenir que la dynamique, bien entamée à Naqada IIIA2-B, d’une tradition exogène (NAQ) qui prend le pas sur la tradition locale (LEC) se poursuit.
13Nos observations, qui ont porté sur un grand nombre de fragments, avaient pour but de reconstituer la chaîne opératoire et valider l’hypothèse antérieurement proposée4 d’une filiation technique, donc potentiellement fonctionnelle, entre les moules à pain qui apparaissent à Naqada IIIA2-B et un type plus ancien, Bouto IIC/Naqada IIIA1, de petits bols aux parois bosselées.
14En effet, la pâte et le procédé de fabrication de ces deux céramiques sont semblables. Leur fond est constitué d’une masse/boule d’argile probablement martelée au poing pour obtenir une forme concave au bord redressé vers le haut (cf. traces diagnostiques décrites en légende des fig. 4 et 5). Leur rebord est constitué d’un large boudin fixé au bord de la base par écrasement, la plupart du temps à l’intérieur. L’extérieur des moules comme des bols porte des empreintes digitales et palmaires d’orientation oblique, le récipient ayant probablement été soutenu lors de l’application du rebord et/ou lors de la régularisation et du lissage de la surface intérieure.
15Cette technique de façonnage de la base, réalisée à partir d’une masse d’argile, est limitée à ces formes et diffère de celle observée pour d’autres productions NAQ où les bases sont spiralées : cela rend donc encore plus plausible la filiation entre « bol » Bouto IIC/Naqada IIIA1 et moule à pain Naqada IIIA2-B.
- 5 Site NH16. Projet archéologique Assouan-Kom Ombo dirigé par M.C. Gatto et A. Curci.
- 6 Communication personnelle de M.C. Gatto.
16La mise en œuvre du projet TECHNOPREGYPT, financé par le programme de recherche et d’innovation « Horizon 2020 » de l’Union européenne dans le cadre de la convention de subvention Marie Skłodowska-Curie no 945339 et du Centre national des sciences polonais, a permis d’élargir l’étude aux sites de Haute Égypte, plus particulièrement à l’occasion d’une fouille dans la zone d’Assouan5. La même chaîne opératoire a été observée pour la confection de bols à surfaces irrégulières et de moules à pain, qui ont été découverts à proximité d’une tombe et sont probablement en lien avec des activités rituelles se poursuivant à long terme (accumulation de bols bosselés, de moules à pain et de jarres à bière)6. Si l’association récurrente avec des jarres à bière était assurée par l’étude en cours, elle tendrait à confirmer une même fonction pour les bols à parois irrégulières et les formes postérieures (moules à pain).
Fig. 4. Chaîne opératoire des moules à pain Bouto IIIa.
a. Dessins (J. Villaeys) ; b. Section radiale avec indication de la jonction oblique du colombin et de l’orientation oblique des pores et des inclusions ; c. Section radiale de base avec fissuration laminaire et compression de la pâte ; d. Bord extérieur avec fracture préférentielle entre la base et le bord. La barre noire correspond à 1 cm (J. Bajeot).
© Ifao. 17115_2023_NDMPM_001
Fig. 5. Chaîne opératoire des moules à pain Naqada IIIA2-B.
a. Section radiale d’une base avec indication de l’orientation concentrique et sinueuse des inclusions causée par le mouvement de rotation utilisé pour former la boule d’argile ; b. Base avec fracture préférentielle causée par le détachement du bord ; c. Section radiale de base avec orientation subparallèle aux surfaces des inclusions et des pores, et présence de fissures laminaires parallèles aux surfaces ; d-e. Sections radiales avec jonctions entre base et colombin constituant le bord, et orientation oblique des inclusions et des pores ; f. Bord extérieur avec fracture préférentielle entre la base et le bord ; g. Surface interne lissée. La barre noire correspond à 1 cm (J. Bajeot).
© Ifao. 17115_2023_NDMPM_002
17Une étude pétrographique a été ciblée sur un groupe se différenciant des productions CBE par le traitement de la pâte (sableuse, sans ajout de végétaux), les modes de montage (colombins à jointures obliques) et de finition (couverte blanche)7, la problématique étant de définir si ces tessons rappelant les fabrications ghassuliennes sont exogènes ou des productions locales.
18L’analyse de trois tessons en lame mince avec un microscope pétrographique à un grossissement de 100× a suivi des procédures standards8.
- 9 Ownby 2019.
- 10 Hartmann, Ownby à paraître.
19Les trois tessons analysés présentent la même pâte, constituée d’argile du Nil additionnée de sable, mais différentes températures de cuisson. Bien que rares, les pâtes à dégraissant sableux sont connues dans les contextes prédynastiques, parfois associés à des végétaux (cf. un exemple Bouto IIA de Tell el-Fara’in/Bouto9). Le revêtement blanc est inhabituel : il peut s’agir d’une barbotine de chaux post-cuisson dont l’utilité est inconnue à l’heure actuelle. Le résultat majeur de l’analyse pétrographique est de conclure que ces tessons « sableux » sont de fabrication égyptienne, utilisant de l’argile du Nil et du sable ajouté. D’après ces résultats, l’hypothèse d’une production locale mettant en œuvre une tradition technique exogène, levantine, est désormais la plus probante. Cette production témoignerait de la présence d’un groupe d’origine levantine à Tell el-Iswid et plus précisément, sur ce site où ces tessons sont peu nombreux, des toutes dernières productions de ce groupe. Plus largement représentée à Tell el-Fara’in/Bouto (delta occidental) à une période antérieure (Bouto I), elle diminue avec le temps pour disparaître au cours de la période Bouto IIA10.
[Béatrix Midant-Reynes, François Briois]
20L’étude de l’industrie de silex a porté, de 2021 à 2023, sur les deux grandes périodes mises au jour sur le site : 1. La Culture de Basse Égypte (CBE), qui inclut les phases Bouto IIA à III ; 2. La culture naqadienne (Naqada), représentée essentiellement par la phase III(A)-B. En l’attente d’une chronologie plus détaillée (en cours), qui permettra d’observer les évolutions éventuelles de l’outillage et de leur stratégie d’acquisition à l’intérieur d’une période, les pièces de silex ont été réparties selon ces deux grandes périodes, déterminées quant à elles par la datation des unités stratigraphiques (US).
21De manière générale, l’industrie dans son ensemble présente un taux très important de pièces brûlées, soit éclatées sous des feux violents, soit imprégnées par des feux lents. Il en résulte une grande quantité de débris brûlés et de très nombreux outils détritiques.
22Un total de 4 322 pièces a été décompté, au nombre desquelles 1 098 sont retouchées. Leur distribution selon leur appartenance au CBE ou au Naqadien figure dans le tableau ci-dessous.
Total de l’industrie distribuée par périodes, incluant les pourcentages de pièces brûlées.
| Catégorie |
CBE |
Dont % de pièces brûlées |
Naqada |
Dont % de pièces brûlées |
Total |
| Éclats |
319 |
58 % |
71 |
57 % |
390 |
| Lamelles |
623 |
68 % |
47 |
57 % |
670 |
| Lames |
85 |
56 % |
28 |
67 % |
113 |
| Nucléus |
7 |
40 % |
3 |
0 |
10 |
| Débris |
1 371 |
99 % |
245 |
99 % |
1 616 |
| Esquilles |
355 |
60 % |
70 |
57 % |
425 |
| Pièces retouchées |
842 |
64 % |
256 |
26 % |
1 098 |
| Total |
3 602 |
|
720 |
|
4 322 |
23L’industrie se caractérise par une production presque exclusive (78 %) de lamelles issues du débitage par pression effectué à partir de petit nucléus sur galets provenant des anciennes terrasses du Nil (fig. 6). La présence de déchets de taille et de sous-produits du débitage indique qu’au moins une partie de la chaîne opératoire a été réalisée sur le site. Les lamelles de plein débitage présentent très souvent un profil torse et un brillant qui témoigne de la chauffe au préalable des galets. Ce traitement thermique, connu par ailleurs dans d’autres cultures et à d’autres époques, améliore la qualité des roches siliceuses et les rend plus faciles à la retouche. Celle-ci affecte la partie distale sous la forme d’un micrograttoir et/ou se situe en partie latérale, constituant parfois un véritable dos. On rencontre également quelques cas de perçoirs distaux. Une étude tracéologique a été conduite en 2016 par N. Mazzucco11 sur 80 lamelles de Tell el-Iswid. Sur 36 d’entre elles, des traces d’utilisation ont été observées. Elles affectent précisément les bords non retouchés, et auraient servi à couper des matières tendres. La question de l’abondance de ces petits outils – voire leur quasi-exclusivité dans les niveaux CBE de Tell el-Iswid – que l’on rencontre sur d’autres sites CBE du Delta (Maadi, Bouto, Ouadi Digla), ainsi qu’en Haute Égypte, méritera sans conteste d’être approfondie, tant du point de vue des origines de cette technologie particulière que de l’usage de ces pièces dans le contexte économique de la Culture de Basse Égypte. Parmi cet ensemble lamellaire, la présence d’un exemplaire en obsidienne mérite d’être souligné.
Fig. 6. Lamelles des niveaux CBE (B. Midant-Reynes).
© Ifao. 17115_2023_NDMPM_003
24Les grandes lames de type « couteau d’Hemamieh » constituent l’autre pièce typique des assemblages égyptiens. À Tell el-Iswid, elles sont plus nombreuses dans les niveaux CBE que dans les phases naqadiennes. Façonnées à partir d’un silex beige opaque à grain fin, absent dans le Delta, ces grandes lames torses à section trapézoïdale asymétrique, opposant un large pan oblique à un pan semi-abrupt, transformées par des retouches bilatérales alternées, relèvent d’une technique requérant un savoir-faire particulier. L’absence totale de déchet de taille sur le site indique que ces pièces ont manifestement été importées sous la forme d’outils prêts à l’emploi. Cinq exemplaires complets proviennent des niveaux étudiés cette année, mais c’est surtout sous une forme fragmentaire, souvent brûlées, que ces lames se présentent. Comme l’a montré l’étude de N. Mazzucco, si leur fonction initiale semble avoir été liée à la coupe de végétaux, elles ont fait l’objet de multiples reprises et réutilisations.
25À l’instar des lamelles, les lames correspondant à la phase initiale du débitage des nucléus sur galets, puis retouchées, constituent environ 16 % de l’outillage. Le reste (grattoirs sur éclats, perçoirs sur lames, microperçoirs) ne dépasse pas au total les 6 % de l’ensemble.
26Nouveaux cette année, une faucille bifaciale, trois pointes de flèches et une armature géométrique attestent de la probable présence d’une occupation antérieure remaniée.
27Elle n’est représentée que par 720 pièces provenant des US datées. Elles confirment le changement radical qui intervient à l’issue d’une période de transition encore floue (Bouto III/ Naqada IIIA-B), mais qu’une chronologie plus serrée permettra de mieux appréhender. C’est sur cette phase que le focus devra être placé dans les années à venir.
- 12 Midant-Reynes, Briois à paraître.
28Les tendances correspondent à celles qui avaient été tirées des études précédentes12, à savoir des stratégies d’acquisition des matières premières totalement différentes, avec, en particulier, l’implication de productions provenant des mines de silex du Ouadi Sannour entre autres, le développement d’une technologie laminaire qui atteindra un sommet à la phase suivante (Naqada IIIC-D) et à l’Ancien Empire avec le début de la confection en masse des armatures de faucilles sur lames.
Fig. 7. Lames de faucilles des niveaux naqadiens (B. Midant-Reynes).
© Ifao. 17115_2023_NDMPM_004
29L’étude confirme les grandes tendances qui avaient déjà été observées et apporte des éléments nouveaux. Elle nous a permis en particulier d’attirer l’attention sur la variabilité à l’intérieur de l’ensemble lamellaire qui paraît à première vue très homogène. Il conviendrait d’en définir mieux la nature et de tester l’évolution du groupe au seuil Bouto III/Naqada III.
30L’autre point à souligner est la présence de quelques éléments évoquant la possible présence d’une occupation plus ancienne, probablement contemporaine du Néolithique.
[Sidonie Preiss]
31Au cours de la campagne de terrain de 2023, 26 échantillons destinés aux analyses des macrorestes végétaux (fruits, graines et charbons de bois) ont été flottés et tamisés. Les études archéobotaniques de Tell el-Iswid relatives aux graines et au matériel fruitier se sont concentrées sur 18 échantillons. Le travail de laboratoire comprenait l’inventaire des échantillons, le tri, l’identification et la documentation photographique des restes de plantes récupérés et préservés dans les sédiments archéologiques. L’analyse a eu lieu dans le laboratoire de terrain à l’aide d’un stéréomicroscope à faible grossissement (entre ×10 et ×60). Le travail s’est concentré sur le matériel végétal des périodes Bouto IIA, IIB, IIIA et Naqada, ainsi que sur une sépulture plus récente (Moyen Empire). Les contextes étudiés sont en grande partie des structures de combustion, des fosses aménagées et des silos. Une des structures est une fosse remplie de moules à pain.
32La préservation des restes de plantes est très variable. La majorité est préservée par carbonisation. Selon les échantillons analysés, la densité en restes de plantes par litre de sédiment prélevé oscille entre 10 et 125. La conservation des restes végétaux est généralement meilleure cette année, avec un constat toujours valable en faveur d’une meilleure préservation des restes naqadiens.
33En ce qui concerne les principales plantes cultivées et leurs adventices associées, l’analyse archéobotanique montre toujours la prédominance des cultures céréalières (orge et amidonnier), de quelques légumineuses cultivées (pois et lentilles) et d’adventices liées à ces cultures telles que Rumex cf. crispus/dentatus (patience crépue/dentée), Vicia hirsutus/tetrasperma (vesce hirsute/à quatre graines) et Lolium cf. temulentum (ivraie enivrante). Nous avons également pu identifier des espèces des zones humides, comme les graines et akènes (fruits) de Cyperaceae.
34Le traitement des données n’a pas encore été effectué de manière approfondie. Cependant, il ressort des premiers résultats obtenus lors de cette nouvelle campagne que les céréales dominantes demeurent l’orge (Hordeum vulgare) et l’amidonnier (Triticum dicoccum) et les légumineuses, la lentille (Lens culinaris) et le pois (Pisum sativum).
35L’orge et l’amidonnier sont les céréales les plus courantes dans le delta du Nil pour les époques prédynastique et dynastique, avec une prédominance de l’orge à partir de Naqada qui peut s’expliquer par l’intensité croissante de l’occupation et la pression sur les zones cultivées. Plus résistante au stress et à la salinité, l’orge est en effet capable de pousser sur des sols plus pauvres que l’amidonnier13. Les déchets de battage et de décorticage, issus directement du traitement des moissons de l’orge et de l’amidonnier, sont présents dans de nombreux contextes mais en plus faible quantité que dans les échantillons étudiés en 2022. Les résultats détaillés nous permettront de préciser si cela est lié aux types de contextes analysés ou au secteur de fouille.
36À première vue, les légumineuses semblent mieux préservées dans les échantillons de 2023 et légèrement plus abondantes. La lentille et le pois sont, à l’instar de l’orge et de l’amidonnier pour les céréales, les deux légumineuses typiques pour les périodes et le groupe étudiés. Par ailleurs, soulignons que des graines de la famille des lamiacées et des apiacées ont également été identifiées, malheureusement pas à l’espèce, mais leur présence pourrait toutefois souligner une diversité culinaire ou encore l’origine diversifiée des végétaux en présence dans les corpus de Tell el-Iswid.
37Les modes d’évolution de l’habitat en brique crue naqadien, qui procèdent par remaniements plus ou moins importants sans jamais totalement faire table rase de l’existant, ont à nouveau été mis en évidence. Ils suggèrent que ce sont les mêmes entités sociales qui sont à l’œuvre depuis l’implantation du bâti courant Naqada IIIA2-B et, fait nouveau, nous commençons à entrevoir que la dynamique se poursuit jusqu’à Naqada IIIC-D. Même si la stratigraphie et la chronologie doivent encore être précisées, les dernières études entreprises ont pris en compte cette période. L’examen de la céramique montre que le processus entamé à Naqada IIIA2-B d’une tradition exogène (NAQ) développée dans des ateliers prenant le pas sur la tradition locale et domestique (LEC) s’accentue. Néanmoins, saisir clairement les évolutions qui marquent les premières dynasties constitue un objectif à long terme qui doit reposer sur un projet et une fouille extensive dédiés. À plus courte échéance, notre intention est de poursuivre l’exploration du bâti de brique crue sur cette vaste zone ouverte en bordure du secteur 4, afin de comparer son histoire et sa vocation à celles des unités fouillées sur le secteur 4.
Marinova et al. 2023
E. Marinova, S. Preiss, E.A.E. Attia, N. Buchez, B. Midant-Reynes, « Predynastic and Early Dynastic Plant Economy in the Nile Delta: Archaeobotanical Evidence from Tell el-Iswid », Vegetation History and Archaeobotany 33, 2023, p. 103-110, https://doi.org/10.1007/s00334-023-00958-6.