1En raison du retard des autorisations de la sécurité militaire égyptienne, la treizième campagne de la mission archéologique du Ouadi el-Jarf, qui était programmée en avril-mai 2023, a dû être reportée à l’automne de cette année. Seule a pu avoir lieu au printemps, dans les délais originellement envisagés, l’opération complémentaire de fouilles sous-marines menée par une équipe de plongeurs du ministère du Tourisme et des Antiquités (MoTA) qui n’était pas soumise à l’obtention de cette autorisation. La campagne archéologique terrestre, objet du présent rapport, s’est quant à elle déroulée sur une période plus brève qu’initialement prévue, du 21 septembre au 22 octobre 2023, en raison de la moindre disponibilité des membres de la mission à cette période de l’année. Le MoTA a été représenté par Marwa Salah el-Din Abdel Hamid et Racha Mohamed Rifaat Madbouli de l’inspectorat de Suez. L’équipe de 35 ouvriers de Gourna a été dirigée par le raïs Gamal Abdallah Nasr el-Din. Outre les financements accordés par l’Ifao, le CNRS (UMR 8167 Orient et Méditerranée), l’université de Paris-Sorbonne (IUF de Pierre Tallet) et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE ; Commission des fouilles), la mission a bénéficié cette année encore d’une aide financière de la Honor Frost Fundation, qui a essentiellement été destinée à subventionner l’opération de fouilles sous-marines.

2En raison du plus petit format de la mission, les travaux se sont exclusivement concentrés sur la zone des galeries-magasins, dont la fouille entre, depuis l’an dernier, dans sa phase finale.

1. Poursuite de la fouille du deuxième système de galeries-magasins

3L’ensemble constitué par les galeries G18-G28 a été aménagé sur les accotements d’un petit ouadi orienté nord-sud. Neuf de ces magasins (G19, G22 à G27, G28A et B) sont creusés à l’est de celui-ci, les trois derniers (G21, G18 et G20) ayant été aménagés de façon rayonnante (à l’est, au centre et à l’ouest, et probablement lors d’une même phase) à l’extrémité sud de cette vallée où s’observe un important décrochement du niveau du drain. La fouille de l’ensemble avait débuté en 2017 par le nettoyage de ce secteur sud du ouadi, fortement encombré par des éboulis accumulés au cours des millénaires par la circulation d’eau et les effondrements des parois, et la mise en évidence des ouvertures de ces trois magasins. Le système de fermeture de l’ensemble des galeries G22 à G28 avait ensuite été dégagé en 2018, préalablement à la fouille systématique de l’ensemble de celles-ci, poursuivie sans discontinuer lors des campagnes de 2019 à 2022 sous la direction de Séverine Marchi. Au début de la campagne de 2023, seules trois de ces galeries (G18, G20 et G21) étaient encore partiellement à fouiller.

1.1. Galerie G18

4La galerie G18 se trouve à l’extrémité sud du ouadi ; elle était lors de sa découverte complètement ensevelie sous les effondrements, et totalement remblayée par les colluvions. Son extrémité, à 34 m de son ouverture, avait été atteinte lors de la campagne de 2022. La fouille de sa partie avant, en 2017, avait fait apparaître la présence de planches de bois décomposées au niveau du sol. Le parti a été pris de fouiller l’ensemble de la couche archéologique en une seule fois, après le dégagement des colluvions sur toute l’extension de ce magasin – une opération de longue haleine, en raison de la nécessité d’étayer la galerie quasi systématiquement. Le travail préparatoire à la fouille de l’ensemble s’est poursuivi en début de campagne, l’ensemble du sol ayant été égalisé au-dessus du niveau des couches archéologiques, puis laissé en attente.

1.2. Galerie G20

5La galerie G20 (L. 33,50 m) est la seule à s’ouvrir sur le flanc ouest du ouadi. Son système de fermeture, manifestement perturbé, avait été dégagé en 2017 et la fouille des premiers mètres de son extension réalisée en 2019. Ces premiers travaux avaient immédiatement fait apparaître que ce magasin avait fait l’objet d’un pillage relativement récent : un puits carré de 1,77 × 1,73 m (P1) s’ouvre en effet dans le sol géologique de la galerie à 2,75 m de son entrée. Un piton de fer engagé dans la paroi permettait la descente à l’intérieur de l’excavation et des emballages de bougies que l’on peut dater des années 1990 avaient été recueillis à ses abords. Des décharges de gravats étaient en outre visibles sur toute la longueur de la galerie, dont le sol avait également été creusé systématiquement sur les dix derniers mètres. Au terme de la campagne de 2022, la couche de colluvion et de déblais avait été nivelée sur toute la longueur de la galerie où le sol pouvait être intact, sur une extension d’une vingtaine de mètres. La fouille complète de cette dernière section a pu être menée à bien au cours de cette campagne. Elle a abouti à un constat décevant : le nettoyage de la dernière épaisseur d’argile au-dessus du sol géologique a en effet démontré que celui-ci avait littéralement été raclé sur l’ensemble de son extension, et qu’aucun mobilier archéologique n’était encore en place. En outre, deux nouveaux puits de pillage récent (P2 et P3) ont été mis en évidence : à 12 m de l’entrée de la galerie, le puits P2 est de forme carrée (1,85 × 1,80 m), tandis que le puits P3, situé 4 m plus loin, est de forme subcirculaire. Ces puits sont associés l’un comme l’autre à des emballages de bougies comparables à ceux qui provenaient de l’entrée de la galerie. Le parti a alors été pris de vider ces sondages modernes de tous les gravats et les couches d’argile de comblement, pour recueillir l’ensemble des tessons provenant de la couche archéologique détruite et ainsi avoir le maximum d’informations sur sa nature d’origine. Le fond des puits P1 et P2 a été atteint à respectivement 5,10 m et 4,30 m en dessous de la surface originelle du sol de la galerie, celui de P3 à 1 m. Mis à part quelques tessons de céramique collés sur le sol, qui témoignent du dépôt initial de la galerie, les seuls éléments d’origine qui ont pu être mis en évidence au cours de la fouille de ce magasin, entre les puits de pillage et la partie arrière du boyau dont le sol a été défoncé, sont une série d’empreintes creusées dans le sol probablement pour adapter des poteaux, et qui correspondent sans doute à l’utilisation antique de l’espace.

1.3. Galerie G21

6La galerie G21 se trouve sur l’accotement est du ouadi – elle est la première d’une longue série de galeries (G19, G22-G28) aménagées au même niveau, du sud vers le nord. Sa technique de construction ainsi que sa fermeture (non encore fouillée) l’apparentent néanmoins davantage aux magasins G18 et G20 qui marquent, comme elle, l’extrémité sud du ouadi. Le dégagement des colluvions accumulées jusqu’au plafond y est extrêmement difficile en raison des accumulations de sel qui rendent la couche extrêmement résistante. Le dégagement a donc été réalisé comme une « tâche de fond » par une équipe de dix ouvriers pendant l’ensemble des campagnes de 2019 à 2023. La progression effectuée au cours de cette mission a été spectaculaire, les fouilleurs étant parvenus (toujours à un niveau de plus de 50 cm au-dessus de la couche archéologique) à dégager une extension d’une douzaine de mètres de ce magasin, dont le gros œuvre de dégagement restant à effectuer ne doit plus maintenant excéder les 5 m. Il faudra sans doute encore deux campagnes de fouilles successives, en 2024 et 2025, pour achever ce travail et terminer la reconnaissance complète de ce deuxième ensemble de magasins. En toute logique, aucun matériel archéologique n’a été recueilli au cours du dégagement des épaisseurs de colluvions qui remplissent le magasin. En revanche, au sommet de celles-ci et à quelques centimètres seulement en dessous de la voûte actuelle de la galerie se trouvent de très nombreux ossements animaux et humains (six crânes d’hommes ont encore été recueillis cette année). La présence d’ossements à l’intérieur de cette galerie très peu accessible avait déjà été notée par les pilotes du canal de Suez lors de leur reconnaissance du site dans les années 1950. Elle a également été analysée en 2016 par Joséphine Lesur, paléozoologue du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris et membre de la mission : il s’agit très probablement du terrier d’un carnivore (une hyène ?) ayant utilisé cet espace comme garde-manger à une période postérieure à la phase de colluvionnement de la galerie.

2. Compléments d’information sur le premier système de galeries-magasins

7Le premier système de galeries-magasins, qui regroupe un ensemble de 19 galeries organisées de façon rayonnante tout autour d’une petite butte calcaire, a été fouillé intégralement entre 2011 et 2017. La rédaction finale du rapport de fouille le concernant (Ouadi el-Jarf II) est en voie d’achèvement, seul un chapitre du volume sur sept devant encore être rédigé. Sa remise pour publication, reportée à plusieurs reprises, devrait être effective en 2024. À la lumière de ce travail éditorial, il nous a semblé opportun de procéder à des dernières vérifications et compléments de fouille ponctuels sur certaines des zones du site, notamment à l’avant des galeries G1-G2, des galeries G3-G6 et des galeries G7-G17 où du matériel papyrologique avait été recueilli entre 2012 et 2016. La publication des papyrus du Ouadi el-Jarf est en effet elle-même en cours de finalisation, avec la préparation d’un quatrième et dernier volume regroupant tous les fragments restés inédits.

2.1. Galeries G1-G2

8C’est à l’avant des galeries G1 et G2 du site que l’essentiel des papyrus provenant du site ont été recueillis. Le « grand dépôt » – intégralement fouillé – correspond à une fosse remplie de ce matériel dans le système de fermeture de la galerie G1 et à un épandage du même matériel (sans doute consécutif à une perturbation) à des niveaux proches de la surface à l’avant des galeries G1 et G2, au-dessus des blocs de fermeture. En 2016, cependant, la fouille entre les blocs de fermeture du remblai sur lequel ceux-ci ont été positionnés avait encore livré près de 80 fragments inscrits, appartenant à des documents datant d’une phase un peu plus ancienne de la fréquentation du site. Cette couche n’avait alors pas pu être atteinte en dessous de certains des blocs de plusieurs tonnes placés devant les galeries. L’opération ciblée que nous avons menée en 2023 a consisté à déplacer certains de ces blocs de fermeture, d’une part pour accéder à cette couche, et d’autre part pour examiner plus en détail la nature du remblai aménagé par les constructeurs de l’antiquité. Deux d’entre eux (B17 et B11) ont ainsi été reculés d’environ deux mètres. Cette opération a permis de recueillir dans la couche sous-jacente une trentaine de fragments de papyrus inscrits, dont certains complètent la restitution partielle d’une comptabilité de poisson découverte au même niveau il y a sept ans (fig. 1). En dessous de cette couche de remblais, la fouille a également mis en évidence la présence d’un caisson maçonné en pierres liaisonnées à l’argile qui permettait sans doute de renforcer la solidité de la rampe sur laquelle on faisait coulisser les blocs (fig. 2).

9Dans l’angle sud-ouest de ce caisson, une feuille de papyrus très abîmée, encore en partie roulée et dont le texte était intégralement lessivé, a été recueillie en plus d’une centaine de fragments. Le déplacement de ces deux blocs a également permis la découverte de trois nouvelles marques de contrôle, jusqu’ici masquées par la position des blocs. Deux d’entre elles sont peintes sur les faces inférieures et ouest du bloc B14, où elles s’ajoutent à la marque de contrôle numéro 7, connue depuis 2013. Elles sont au nom de l’équipe du Lion (mȝj), déjà connue par une vingtaine d’autres marques de contrôles identifiées sur le site (fig. 3). Une dernière marque – identique – a été observée en dessous du bloc B16, à l’avant de B17 ce qui laisse penser que cette équipe du Lion a bien été la responsable de l’aménagement de l’ensemble du système de fermeture de G2 (fig. 4).

2.2. Galeries G3-G6

10À l’avant des galeries G3-G6 (fig. 5), une série de sondages ont également été effectués dans le remblai qui supporte les blocs de fermeture de ces quatre galeries. La fouille a livré des fragments de bois, de cordes, de tissus et autres matériaux organiques, ainsi que quelques fragments de papyrus dont un seul porte encore une inscription en hiératique, qui pourrait nommer – sans certitude – l’équipe des « connus du Double Horus d’or » qui est connue sur le site par un grand nombre d’inscriptions sur des jarres de stockage.

11Une nouvelle marque de contrôle au nom de « l’équipe des escorteurs de Chéops lui confère ses deux uraei » (la plus fréquente sur le site) a également pu être identifiée sur la face ouest du bloc B9 à l’avant de la galerie G4. La fouille de ces niveaux de remblais avant la mise en œuvre des blocs de fermeture a également permis de distinguer très nettement deux remblais successifs bien distincts. Le premier, à l’exclusion de quelques non-cuits de céramique présents dans le haut de la couche, est uniquement constitué de déblais de creusement des galeries. Ce remblai correspond clairement au moment de l’exécution des travaux d’excavation des magasins qui semblent alors avoir mobilisé toute l’activité déployée sur le site avec, dans un dernier temps, le début des productions potières installées dans les galeries achevées. Le second niveau est quant à lui composé d’un tout-venant beaucoup plus hétérogène. Outre des déblais de creusement toujours présents, il comprend des éléments de dépotoir tels que de multiples fragments de matériaux organiques (tissus, bois, cordes, papyrus, rejets de cendres) ainsi que de nombreux tessons de céramique, cuits et non-cuits. Ce second remblai, qui correspond à une recharge finale avant la mise en place des blocs de fermeture, est aussi le reflet d’une occupation des lieux sur un temps qui semble plus long que précédemment et au cours duquel les activités potières apparaissent plus importantes et la vie quotidienne plus marquée.

2.3. Galeries G7-G17

12Une dernière vérification a été engagée dans le secteur des galeries G7-G17, où une centaine de fragments de papyrus avaient été mis au jour lors des campagnes de 2013 et 2016. Deux blocs du système de fermeture de ces deux galeries ont ainsi été déplacés pour permettre la fouille de la couche sous-jacente, qui n’a livré aucun matériel. Les blocs ont été remis à leur place d’origine et une opération plus vaste de remblaiement, destiné à protéger cette zone dans son ensemble, a été effectuée.

3. Étude des jarres de stockage du Ouadi el-Jarf

3.1. La méthode

15En raison de la quantité importante de poteries à traiter, une méthode a été mise en place dès les débuts de l’étude pour systématiser l’enregistrement. Chaque céramique ou tesson marqué, identifié dès la sortie de la fouille, a reçu un numéro (sur le modèle US XXX-001). Toutes les marques ont été relevées à plat sur film plastique transparent, puis mises au net. Les céramiques (quasi-)complètes ou bords marqués ont été documentés au moyen d’un dessin technique (profil et vue de face), afin de conserver l’aspect de la jarre sur laquelle la marque est présente et son emplacement sur celle-ci (fig. 6).

16Dans un premier temps, des listes ont été créées sur Excel afin de classer ces tessons et céramiques marqués par galerie, puis par unité stratigraphique, et d’enregistrer le type de marque et l’état de la documentation en cours. Une base de données FileMaker Pro sera réalisée au début de l’année 2024, afin d’organiser la documentation produite (dessin de marque, dessin de céramique avec marque, photographies) et d’y introduire des premiers éléments d’analyse. Les tessons ou céramiques non marqués, retenus pour les besoins de l’étude, ont été numérotés d’une autre manière (sur le modèle C001). Il s’agit essentiellement d’assemblages par US, comprenant quelques céramiques en argiles alluviales et des bords de jarres de stockage locales. Des planches représentatives des céramiques découvertes au sein des différents contextes figureront dans la publication consacrée au secteur 4. Des tessons de jarres locales non marqués ont aussi été enregistrés sous ce type de numéro, lorsqu’ils présentaient des caractéristiques permettant de mieux documenter les chaînes opératoires. Une attention toute particulière a été portée à la céramique alluviale, qui est cependant grandement minoritaire dans le secteur. Tous les tessons et céramiques enregistrés ont été photographiés. Les photographies des marques complèteront la documentation nécessaire à l’étude paléographique, et permettront de déterminer des séquences de gestes lors du marquage. D’autres photographies documentent les stigmates laissés lors du façonnage des jarres.

3.2. Les données collectées

17Au terme de trois campagnes d’étude (2021, 2022 et 2023), le travail de documentation de la céramique provenant du secteur 4 est achevé. Seules les découvertes qui pourraient être faites lors de la fouille des galeries G18 et G21, programmée en 2024-2025, pourraient venir compléter l’étude en cours.

18Les dessins de céramique intègrent la figuration de nombreuses traces de façonnage et d’usage, aussi dénommées « stigmates » ou « macro-traces ». Cet enregistrement spécifique des données nous a conduits à mener une recherche sur les codifications en dessin technique et sur la complémentarité entre dessin et photographie dans la documentation des céramiques. En effet, certains céramologues sont partisans de représentations très naturalistes, intégrant des crayonnés, tandis que d’autres choisissent des figurations volontairement très éloignées du rendu réel. Une autre manière consiste à accoler des photographies de détails de part et d’autre du dessin de la céramique. Pour notre étude, nous avons choisi un mode de représentation mêlant ces méthodes : assez naturaliste pour permettre une identification visuelle rapide, mais avec une codification de certains éléments techniques afin de faciliter la mise au net sur Illustrator. Des photographies de détails seront présentées en parallèle du dessin technique. De plus, un catalogue photographique des traces de façonnage et d’usage sera réalisé pour la publication. En plus des dessins techniques, des fiches d’analyse ont également été créées, afin d’enregistrer les différents éléments dessinés et photographiés. Il s’agit donc de documents complémentaires destinés à lier et à expliciter les différentes informations relevées et compilées. À cela s’ajoute la documentation de « non-cuits », des tessons et des rebus du façonnage comme des accumulations d’argile lors de la régularisation de la jarre à l’outil rotatif.

3.3. Les axes d’analyse

3.3.1. Le(s) chaîne(s) opératoire(s)

19L’étude des macro-traces ou stigmates visibles sur les céramiques permet de retracer l’histoire des jarres, de leur fabrication à leurs usages. La majorité des stigmates répertoriés sont des témoignages laissés par les potiers au moment de la réalisation des céramiques et qui permettent de restituer une partie de la chaîne opératoire. Au contraire, les traces d’usage sont bien moins nombreuses. Le travail accompli jusqu’à présent permet de retracer une chaîne opératoire générale, commune à toutes les jarres produites localement. La jarre était ébauchée en plusieurs temps : le bord était modelé à partir d’un gros colombin, l’épaule était montée aux colombins et le fond était moulé. Le bord et l’épaule étaient joints par pression et l’ensemble était lissé à la tournette. Le fond, qui était façonné à partir de plaques dans un moule, était lui aussi attaché à l’épaule par pression. Un brossage permettait ensuite d’uniformiser l’aspect général de la forme avant l’application, probablement au chiffon, d’un engobe à consistance cuir.

20Cette chaîne opératoire est observable sur chacune des jarres étudiées, mais les techniques de réalisation divergent. C’est notamment le cas du bord dont l’aspect varie, mais aussi de la manière dont l’épaule est lissée. En effet, si l’immense majorité des potiers ont utilisé une estèque de moins de 5 cm pour lisser l’intérieur de la forme, un petit groupe – ou un seul artisan ? – a employé uniquement ses doigts. De même, la réalisation du fond varie grandement, de la jointure de plaques par pression dans le fond de la céramique à l’ajout d’une plaque recouvrant la totalité du fond pour masquer et renforcer la jointure. Sur tous les exemplaires étudiés, l’incision avant cuisson est réalisée au niveau de la jonction entre le bord et l’épaule, après l’opération de lissage mais avant celle de l’engobage, ce qui semble suggérer une étape de validation par une autorité compétente en amont de la phase de finalisation (engobage et inscription de la marque rouge) et la cuisson.

3.3.2. Les marques

21Plusieurs types de marques ont été identifiées, certaines ayant été apposées avant cuisson :

- les marques de potier. Généralement placées à la jonction entre le bord et l’épaule, il s’agit de pictogrammes incisés sur l’argile humide, probablement dans un but de contrôle et de validation de la production céramique ;

- les marques hiéroglyphiques peintes en rouges sur l’épaule. Elles témoignent d’une attribution de la jarre à une équipe de travailleurs avant même la cuisson de celle-ci ; il peut également s’agir d’une « marque de contrôle » identifiant l’équipe responsable de cette production.

22D’autres marques ont été inscrites après cuisson :

- les marques au fusain, qui signalent des usages spécifiques ou des réattributions de certaines jarres ;

- les incisions sur la panse de la céramique, indiquant également des réemplois ou des réaffectations de ces jarres.

23Il est intéressant de noter que certaines céramiques présentent plusieurs de ces marques, attestant ainsi d’une succession d’emplois spécifiques, et peut-être de détournements de leur usage initial. En cela, l’étude des marquages visibles sur les jarres du Ouadi el-Jarf offre des perspectives intéressantes à la recherche en cours dans ce domaine.

4. Avancée des publications

24Parallèlement, l’étude des papyrus découverts sur le site a continué, en dépit du retard pris par les autorisations. Une mission d’étude et de restauration a pu avoir lieu dans les magasins du musée de Suez avec la collaboration de Eve Menei en novembre 2023. Le dernier volume de publication des papyrus du Ouadi el-Jarf (Papyrus de la mer Rouge IV) est en cours de préparation, dans la perspective d’une remise aux presses de l’Ifao courant 2024. Il comprend un ensemble d’environ 600 fragments inscrits, provenant du « grand dépôt » des galeries G1-G2, et présente également des découvertes plus ponctuelles de ce matériel à l’avant des galeries G3, G7-G17, G11-G12. Le matériel papyrologique mis au jour lors de la campagne de 2023 y a été intégré.

5. Axes de recherches pour la prochaine campagne de fouilles et d’études sur le site

25La prochaine campagne de fouilles du Ouadi el-Jarf est prévue en mars-avril 2024, pour une durée de cinq semaines environ. Elle devrait se développer sur les axes suivants :

- la poursuite de l’étude du complexe de galeries-magasins. Deux galeries restent encore à fouiller (G18 et G21). La galerie G18 est maintenant prête pour une fouille en extension de la couche archéologique, qui n’a connu aucune perturbation récente et était scellée sous près de deux mètres de colluvions. Le dégagement de sa partie antérieure avait mis en évidence, en 2017, la présence importante de pièces de bois, dans un état malheureusement très dégradé. La galerie G21 fait quant à elle l’objet d’un dégagement laborieux de son comblement qui devrait être poursuivi pendant l’ensemble de cette campagne, la fouille de ses niveaux archéologiques étant programmée pour 2025 ;

- parallèlement, l’étude du matériel provenant de l’ensemble de ce système de stockage devrait continuer : étude des tissus et des cordes, étude et documentation des jarres de stockage, étude des bois – entre autres des bois de bateaux ;

- l’archéologie expérimentale devrait également se poursuivre, avec l’étude sur la taille et le transport des blocs de calcaire qui ont été utilisés dans le système de fermeture du complexe de stockage. Parallèlement, une deuxième carrière d’extraction de ces blocs devrait être fouillée et une étude des fours de potiers qui s’y trouvent réalisée ;

- les dernières vérifications devront être faites sur le « bâtiment intermédiaire » du site (zone 5), qui comportait des installations de Snéfrou sous-jacentes à la construction du bâtiment. Un sondage devrait notamment être effectué sur la face ouest de ce dernier, pour vérifier que des occupations plus anciennes ne s’y trouvent pas.

26Enfin, la fouille du dernier ensemble important du site (zone 4) devrait être lancée : il s’agit des camps les plus importants, situés sur une éminence rocheuse à quelque 500 m de la zone des galeries. Les décharges qui ont été répandues sur l’un des accotements de la butte où se trouvent ces installations devraient être fouillées en premier lieu et l’ensemble du matériel céramique, visible en surface, recueilli et étudié.