Données scientifiques produites :
Carnet de laboratoire en archéologie égyptienne, Assassif, https://clae.hypotheses.org/category/assassif ;
Collection de modèles « Asasif in the Theban necropolis », https://skfb.ly/oFqAK.
- 1 Tous les signataires ont contribué de façon importante, par des rapports internes ou par les donné (...)
1La rampe construite pour supporter la chaussée menant au temple de Thoutmosis III a focalisé la majeure partie de la recherche lors de nos premières campagnes de fouille, en raison de l’intérêt et de la qualité des données préservées dans ce contexte original. Après avoir atteint les limites du gisement facilement accessible grâce à un affleurement lors des derniers travaux sur le terrain en 2021, il n’était plus possible de continuer d’explorer cette thématique sans dégager une quantité très massive de déblais entassés à l’intérieur de l’enceinte de la Tombe thébaine 33. Pour répondre à cette nécessité pratique tout en faisant progresser l’enquête sur les périodes plus récentes du site, de la construction de la tombe de Padiamenopé aux dernières réoccupations romaines, trois objectifs principaux ont été poursuivis en 20231 :
1. démonter un volume important de ces amoncellements de débris, qui culminent à près de 4,8 m au-dessus du plan de la chaussée, pour pouvoir reprendre la fouille des niveaux de la XVIIIe dynastie lors des prochaines campagnes ;
2. prendre le temps de procéder à cette tâche de façon méthodique, pour étudier l’anatomie de ces monceaux et pouvoir répondre à une série de questions : les déblais proviennent-ils du creusement des cours et des salles de la tombe de Padiamenopé ? Matérialisent-ils une seule grande phase de travaux ou une séquence complexe, éventuellement associée à plusieurs sépultures différentes ? Avant nos travaux, les chercheurs et observateurs familiers de l’Assassif supposaient assez régulièrement que tout ou partie de cet ensemble provenait de déblais de fouilles modernes, parfois en alléguant les activités vaguement localisées de telle ou telle équipe ;
3. étudier la phase de construction de la TT 33 à l’intérieur de l’espace présumé de la première cour et dans l’entrée du premier pylône, dont nous savions par nos premiers sondages qu’elle conservait une stratigraphie non perturbée, des origines à la destruction tardive du monument.
2En complément de la documentation classique, tous les contextes et les unités stratigraphiques ont été relevés et géolocalisés grâce à 69 relevés photogrammétriques, tandis que 103 objets ont été modélisés en 3D.
3Des expérimentations de partage de modèles 3D ont été menées pour améliorer la contextualisation des objets et des structures publiés. Par exemple, pour documenter la mise au rebut de ratés d’atelier de sculpture intercalés entre les couches successives de débris de carriers, des liens en aller-retour guident l’observateur entre les relevés d’objets et de contextes publiés sur la plate-forme Sketchfab, tandis que l’assemblage in situ est présenté en vue globale et en vue de détail (fig. 1 ; voir la collection « Unfinished Vases amid Quarry Debris from TT 33 » : https://skfb.ly/oSEVB).
Fig. 1. Schéma d’interconnexion des modèles d’objet et de contexte, vues en perspective, d’après la collection « Unfinished Vases amid Quarry Debris from TT 33 », https://skfb.ly/oSEVB (DAO : F. Colin).
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4D’autre part, des vues synchroniques de toutes les étapes de la fouille mettent le (ré)utilisateur des données dans des conditions d’observation à la fois plus systématiques et plus synthétiques que celles qu’ont connues les archéologues sur le terrain. Ainsi, l’anatomie des monceaux de déblais démontés est décomposée grâce à une séquence continue de 33 relevés stratigraphiques (fig. 2), qui seront publiés à terme sous la forme de quatre modèles synthétiques (« Anatomy of Padiamenope’s Debris Mounds, Upper, Middle, Lower » et « Taphonomy of a Processional Causeway Wall », voir déjà modèle 1 : https://skfb.ly/oSEWM).
Fig. 2. Combinaison de modèles dans un même espace virtuel : couche de surface (1) et un choix de huit étapes du démontage des monceaux de déblais (2-9), parmi les 33 étapes modélisées, vues en perspective (relevés et modélisation : F. Colin ; topographie : C. Hartenstein).
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5Selon le même principe, une composition synthétique intègre dans un même espace virtuel d’observation cinq étapes de la fouille de l’entrée du pylône (fig. 3), révélant trois sols successifs et deux états de la phase de destruction et d’ensablement, de l’époque du fonctionnement de la TT 33 à la période contemporaine (modèle 2, « Stratigraphy of Padiamenope’s Pylon Entrance » : https://skfb.ly/oPSZP).
Fig. 3. Séquence de relevés stratigraphiques documentant les sols successifs de l’entrée du pylône, son ensablement et sa destruction, d’après le modèle synthétique « Stratigraphy of Padiamenope’s Pylon Entrance » : https://skfb.ly/oPSZP (relevés : C. Hartenstein, F. Colin, N. Bernabeu ; modélisation : F. Colin ; topographie : C. Hartenstein, N. Bernabeu).
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6Grâce à cette méthode, il sera possible d’observer la quasi-totalité des unités stratigraphiques fouillées sur au moins un modèle, voire tout au long d’une séquence récapitulative de la fouille (par exemple l’US 1630, visible à quatre étages stratigraphiques dans le modèle 1 : https://skfb.ly/oSEWM).
7Les résultats seront présentés cette année en suivant un plan purement chronologique, synthétisant les apports des différents secteurs fouillés.
8Parmi les objets de cette période enfouis dans la rampe par les ouvriers de Thoutmosis III, la fouille a livré deux beaux fragments de figurines féminines en bois peint du type paddle doll (saule et cèdre), ainsi qu’un manche provenant peut-être d’une maquette en bois (saule). La méthode d’enregistrement décrite ci-dessus permet de démontrer que ces artefacts se trouvaient en position tertiaire : après leur transfert dans la rampe de la XVIIIe dynastie au départ de leur contexte funéraire initial, les constructeurs de la tombe de Padiamenopé les ont à nouveau déblayés 800 ans plus tard lorsqu’ils ont creusé à travers la chaussée pour accéder au niveau géologique de Tarawan dans lequel se développe la TT 33.
9La carrière de calcaire de la formation de Tarawan, qui constitue la phase la plus ancienne de la zone d’étude, n’est pas encore datée par un critère de datation absolue, mais d’après l’histoire de l’Assassif, il est possible qu’elle remonte à la XIe dynastie. Entre cette phase et la construction de la rampe à la XVIIIe dynastie, une séquence continue de dépôts éoliens et de couches de boue s’est accumulée dans le lit de la paléo-rivière d’origine pléistocène, désormais un ouadi asséché, qui traversait la zone où seraient plus tard installées la rampe de Thoutmosis III, puis l’enceinte de Padiamenopé. Entre la période d’activité de la carrière et la construction de la chaussée, ces dépôts naturels matérialisent au moins huit épisodes de crues éclair, qu’une coupe opérée par les ouvriers de Padiamenopé lui-même nous a permis de documenter cette année (fig. 4-5).
Fig. 4. Vue orthographique zénithale du sol de carrière du chantier de la première cour de la TT 33, coupant la rampe de la XVIIIe dynastie et les dépôts naturels antérieurs (la carrière précédente n’est pas visible ici), d’après le modèle AS-2023-3P-1 (relevé, modélisation et DAO : F. Colin ; topographie : C. Hartenstein).
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Fig. 5. Modèle numérique d’élévation du sol de carrière du chantier de la première cour de la TT 33, coupant la rampe de la XVIIIe dynastie et les dépôts naturels antérieurs, d’après le modèle AS-2023-3P-1 (relevé, modélisation et DAO : F. Colin ; topographie : C. Hartenstein).
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10En élargissant un sondage ancien (antérieur à nos travaux), nous avons pu documenter la technique de construction employée dans les fondations de la rampe du Nouvel Empire, qui est posée directement sur l’ultime dépôt éolien de la séquence naturelle décrite ci-dessus (chap. 3.2). Un lit de briques non liées, apparemment démontées au départ de monuments situés dans les environs – elles sont remployées, car un mortier adhère souvent sur une des faces –, s’étend sur toute la surface à bâtir et, dès le commencement de l’ouvrage, un carroyage de hagues peu élevées sert à régulariser la mise en place des remblais de gravats et de matériaux géologiques (fig. 4). Le chantier fut probablement alimenté par le démontage d’une série de monuments différents, car, aux types déjà bien documentés (comme les petits modules caractéristiques du Moyen Empire et les briques d’Héqataoui, dont une nouvelle série a également été mise au jour) se sont ajoutés des modules d’adobes qui n’avaient pas été observés dans la partie supérieure de la rampe.
11Pour procéder au démontage des déblais de carriers situés à l’intérieur de l’enceinte (chap. 1, objectif 1), nous avons positionné les limites de l’espace de travail en nous efforçant d’inclure à l’intérieur de la fouille le tracé hypothétique du mur de clôture nord de la chaussée de Thoutmosis III. En effet, l’identification de l’enchevêtrement de hagues et de remblais comme un ouvrage massif de travaux publics visant à établir la voie processionnelle dirigée vers Deir el-Bahari reposait, depuis 2018, sur notre interprétation fonctionnelle de ce type de structures jusqu’alors inédit, sur la logique stratigraphique, sur la pente de la surface de circulation, sur la datation du mobilier prélevé et sur la topographie générale de la vallée de l’Assassif. Si la fouille confirmait la présence d’un mur de clôture de la chaussée semblable aux tronçons observés par d’autres fouilleurs en amont ou en aval du site, alors notre interprétation se trouverait définitivement démontrée.
12Les faits observés ont rendu un verdict positif, car l’opération a précisément mis au jour l’intersection entre la tranchée de fondation (1166) de l’enceinte orientale de la TT 33 et celle (TR 1623) du mur de clôture nord de la chaussée de Thoutmosis III, sous l’épais amoncellement de débris de carrier (fig. 6-9 et modèle 1 : https://skfb.ly/oSEWM). La fenêtre d’étude inclut la face sud du mur et une partie de son épaisseur, mais la face nord est située sous la berme nord du sondage.
Fig. 6. Profil ouest-est (A-B) et vue orthographique zénithale (noter que la berme est talutée) : monceaux de déblais accumulés sur la rampe et intersection entre les fondations du mur de clôture nord de la chaussée de Thoutmosis III et la tranchée de fondation de l’enceinte orientale de la TT 33, d’après le modèle AS-2023-3K-2 (relevé, modélisation et DAO : F. Colin ; topographie : C. Hartenstein).
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Fig. 7. Modèle numérique d’élévation et courbes de niveau mettant en évidence la pente de la chaussée de Thoutmosis III, d’après le modèle AS-2023-3P-1 (relevé, modélisation et DAO : F. Colin ; topographie : C. Hartenstein).
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Fig. 8. Séquence de relevés stratigraphiques documentant les phases de construction, de fonctionnement et de destruction du mur de clôture nord de la chaussée de Thoutmosis III, d’après le modèle synthétique « Taphonomy of a Processional Causeway Wall » : https://skfb.ly/oSEWM (relevés et modélisation : F. Colin ; topographie : C. Hartenstein).
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- 2 Nous remercions les inspecteurs Mohamed Abd el-Wareth Salem et Sayed Mohamed el-Qurany pour leurs (...)
- 3 Eigner 1984, pl. 1.
13Les pierres de construction du mur ont été récupérées anciennement (avant le creusement de la tombe de Padiamenopé), mais quelques moellons en grès, liés par un mortier blanc, ont été laissés en place dans les fondations (MR 1631) par les récupérateurs de matériaux (fig. 9). Le lit d’attente, dans le fond de la tranchée 1623, était composé d’une épaisse couche de sable pur, aux grains très grossiers (US 1632). Des fondations partiellement en grès et un sable comparable s’observent, par exemple, sur un segment du mur de clôture sud de la chaussée de Thoutmosis III (fig. 10)2 mis au jour au nord de l’enceinte de Montouemhat (TT 44)3. Pendant la période de fonctionnement de la chaussée, un dépôt de sédiment éolien (l’US 1630 de l’exemple présenté au chap. 2) s’est accumulé contre la base du mur, puis s’est trouvé scellé par sa couche de destruction, formée par des éclats de blocs tombés au moment du démontage (US 1560, à l’étage supérieur du modèle 1 : https://skfb.ly/oSEWM). Ce chaos de débris, de calcaire et de grès, comprenait des fragments caractéristiques (pierres de parement patinées, blocs courbes provenant du couronnement du mur) dont des parallèles s’observent dans la section conservée en élévation du mur de clôture nord de la chaussée, près de l’extrémité orientale de l’Assassif (fig. 11). La mise en évidence des phases de construction, de fonctionnement et de destruction de la chaussée, clairement archivées dans la stratigraphie, constitue un acquis important de l’interprétation du site sous la XVIIIe dynastie.
Fig. 9. Tranchée et vestiges des fondations du mur de clôture nord de la chaussée de Thoutmosis III (F. Colin).
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Fig. 10. Blocs de la sole de fondation, avec incision de réglage du parement du mur de clôture sud de la chaussée de Thoutmosis III, au nord de l’enceinte de Montouemhat (F. Colin).
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Fig. 11. Processus de démontage inachevé des blocs de remplissage et du parement du mur de clôture nord de la chaussée de Thoutmosis III, dans un témoin stratigraphique de l’est de l’Assassif (F. Colin).
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14L’anatomie des monceaux de déblais inclus dans l’enceinte de la TT 33 a révélé que la majeure partie des débris a été accumulée en une seule longue phase continue de travaux, qu’aucune phase intercalaire n’est venue interrompre. À l’exception d’un sentier qui s’élève à mesure que le remblaiement de la tranchée de fondation de l’enceinte de Padiamenopé progresse (fig. 6), on n’a pas observé de sol durable ou éphémère indiquant une interruption de chantier ou une séquence de plusieurs chantiers distincts (une solution de continuité se serait matérialisée, dans l’environnement local, par des dépôts éoliens de sédiments fins et de débris végétaux caractéristiques des espaces ouverts au grand air). Étant donné la position des déblais à l’intérieur de l’enceinte, leur continuité avec le comblement de la profonde tranchée de fondation et leur masse proportionnelle à l’immense volume de matériaux extraits des deux cours et des plus de 22 salles de la TT 33, il est désormais démontré que, dans notre zone d’étude, ils sont issus d’une unique phase de travaux d’aménagement de la tombe de Padiamenopé.
15Cette conclusion aura des conséquences fructueuses pour établir la chronologie très controversée de la construction de la TT 33 et pour reconstituer la chaîne opératoire de plusieurs ateliers, qui concourraient, de façon synchrone, au projet colossal de Padiamenopé, en même temps que progressait le creusement des cours et des salles proprement dites. En effet, dans l’alternance de matériaux géologiques issus des travaux des carriers, qui s’empilent sans hiatus depuis le plan de l’ancienne chaussée jusqu’à la surface actuelle du terrain vague, des ratés d’ateliers et des déchets d’activités de vie (bouchons, amphore torpédo phénicienne, modèle 3 : https://skfb.ly/oPMwp) s’intercalent régulièrement.
16Les débris et les rebuts de manufacture documentent en particulier :
1. l’ouvrage principal des carriers, dont les outils ont laissé le même faciès de traces de dépeçage parmi les débris rejetés et sur les parois inachevées de la première cour de la TT 33 ;
2. un atelier de tailleurs de pierres, qui récupéraient les morceaux de calcaire de Tarawan utilisables pour sculpter des blocs de construction. Les parpaings réussis ont été emportés, les ratés de taille (modèle 4 : https://skfb.ly/oQHJV) ont été rejetés dans les déblais ;
3. un atelier de ragrément des salles récemment creusées, qui sculptait de petites dalles en calcaire destinées à combler les vides engendrés par l’extraction des silex dépassant le nu des parois (un inconvénient géologique courant dans le calcaire de Tarawan). Plusieurs pièces brisées ou mal dimensionnées ont été abandonnées parmi les débris de carriers (modèle 9 : https://skfb.ly/oSTVF) ;
4. un atelier de sculpture de vaisselle exploitant les débris de beau calcaire blanc disponibles à profusion (collection « Unfinished Vases made from Limestone Debris » : https://skfb.ly/oSJOT). La chaîne opératoire du travail des sculpteurs est aussi documentée par une série de polissoirs en grès (une roche exogène dans l’Assassif) couverts d’une poudre de calcaire blanc (collection « Sandstone Polishing Tools » : https://skfb.ly/oPLLP) ;
- 4 Colin, Dupuis, Hartenstein 2021, § 31.
5. un atelier de sculpture de pierre dure, dont l’activité se matérialise, dans la stratigraphie des monceaux de déblais, par des concentrations de rejets de petits éclats de roche d’origine magmatique. La pierre la plus représentée y est la granodiorite, qui constitue un des principaux matériaux employés pour la réalisation des statues connues de Padiamenopé4. En deux emplacements, la répartition des éclats dans un très petit volume et leur assemblage avec d’autres déchets suggèrent que ces débris ont été déversés dans le dépotoir au départ d’un seul panier de transport. L’un d’entre eux contenait, entre autres, 169 petits débris de granodiorite – certains avec des repères de sculpteur peints en rouge (lot 1502-1), l’autre, non moins de 687 individus (lot 1522-20) (fig. 12). Le modèle 6 (https://skfb.ly/oNFSI) montre par exemple une étape de la fouille où des débris de granodiorite, un fragment de papyrus, une vertèbre de poisson et des déchets végétaux cohabitent (US 1522) ;
Fig. 12. Débris de sculpture en granodiorite provenant d’un seul rejet, lot 1522-20 (M. Iyer).
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6. un atelier de dessin et d’écriture sur papyrus : une série de fragments de papyrus découverts dans le comblement primaire de la tranchée de fondation de l’enceinte, parmi les éclats de calcaire de Tarawan, démontre qu’une équipe de scribes travaillait directement sur le terrain, dans la poussière et les clameurs du chantier de construction de la TT 33. Un fragment de papyrus que nous qualifions d’« artistique » (fig. 13), en particulier, revêt un intérêt majeur pour l’histoire culturelle du « prêtre lecteur et maître de cérémonie » et de ses contemporains. Le recto conserve une figure – le plumage fragmentaire d’un oiseau –, dessinée par dessus un carroyage de proportion tracé en rouge. Le verso (d’après la direction transfibrale de l’écriture) comporte la fin de cinq lignes d’un nouveau manuscrit hiératique de L’enseignement d’Amenemopé.
Fig. 13. Apparition d’un fragment de papyrus comportant cinq lignes de l’Enseignement d’Amenemopé (vo) et un dessin (ro), dans le comblement de la tranchée de fondation de Padiamenopé (F. Colin).
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17La typologie littéraire du texte – qui ne se rattache bien sûr à aucun des corpus funéraires –, et le contexte stratigraphique bien scellé et rigoureusement identifié concourent à éclairer l’ambiance de travail qui régnait sur un chantier où se côtoyaient ouvriers, artisans et intellectuels, occupés à construire la « bibliothèque pariétale » de Padiamenopé.
18Parmi les trouvailles de papyrus hiératiques, on signalera au passage, en position secondaire dans les niveaux de destruction du pylône, à l’époque byzantine, plusieurs fragments d’œuvres paralittéraires, dont deux chapitres d’un Livre des morts pour l’instant non daté.
19Le sol initial de la TT 33 était conservé intact dans l’espace de l’entrée du premier pylône, scellé par les couches accumulées dans les phases ultérieures d’abandon, de remploi et de destruction (modèle 2 : https://skfb.ly/oPSZP). Des fragments d’objets en bois, en tissus et en faïence y ont été prélevés, ainsi qu’un petit autel à libation en calcaire (fig. 14), appuyé contre la paroi nord de l’entrée.
Fig. 14. Autel à libation en calcaire, vues orthographiques (relevé : L. Guillon ; modélisation : F. Colin).
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- 5 Colin, Dupuis, Hartenstein 2021, § 53.
20La fouille de la zone où les précédents chercheurs restituaient l’angle nord-est d’une première cour, près de l’axe d’entrée de la TT 33, a révélé que le projet de construction de cet espace d’accueil n’a jamais été achevé. Les excavations observées à la fin de la dernière campagne5 ont été creusées par les carriers de Padiamenopé, qui ont manifestement arrêté le chantier soudainement, comme en témoignent le sol de carrière brut et l’abattage inachevé de blocs délimités par des saignées (fig. 4-5).
21Par-dessus les niveaux de construction, puis de fonctionnement de la TT 33, une phase de destruction du mobilier de Padiamenopé a été identifiée. Elle se matérialise dans une couche de débris, à l’intérieur de l’enceinte, au nord du pylône, probablement évacuée hors du passage axial de la tombe depuis une des cours ou des salles, lors de travaux de nettoyage visant à dégager une surface utile. Six fragments de statue en granodiorite au nom de Padiamenopé y ont été mis au jour, dispersés sur une petite surface. Les fragments prélevés consistent en tout petits éclats, dont l’état suggère que le monument a été volontaire brisé en morceaux (modèle 5 : https://skfb.ly/oQROs). Néanmoins, leur forme et leur taille, comparée à des éclats d’ouchebtis (modèle 7 : https://skfb.ly/oQRAo), désignent clairement une statue de plus grandes dimensions que les figurines funéraires répertoriées en grand nombre dans les musées.
22Dans un autre contexte secondaire de déblaiement, au-dessus du niveau d’abandon du projet de creusement de la première cour, plusieurs dizaines de fragments de pierre dure (fig. 15) proviennent d’au moins trois ouchebtis gravés au nom de Padiamenopé (collection « Shabtis of Padiamenope found in situ », https://skfb.ly/oSKqz). L’étude minéralogique n’est pas encore accomplie, mais d’après un premier examen plusieurs individus pourraient être constitués de serpentinite. Le concassement systématique des fragments indique à nouveau que ce mobilier funéraire a été volontairement réduit en pièces.
Fig. 15. Remontage de fragments d’ouchebtis de Padiamenopé par Younis Ahmed (F. Colin).
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23Immédiatement au-dessus de la couche comprenant les vestiges de la destruction d’une statue de Padiamenopé (chap. 3.5), se trouvait une petite séquence de déblais contenant du mobilier céramique de la période perse et une concentration importante d’objets dégradés, probablement issus d’un contexte funéraire perturbé (tissus, petites pièces en bois d’un cercueil, baguettes provenant peut-être d’une natte ou d’une civière, modèle 8 : https://skfb.ly/oSWZZ). Ces restes étaient mêlés à des débris de calcaire et à un sédiment d’origine éolienne (sable et paillettes de shale) suggérant que ces matériaux avaient reposé une première fois dans un espace exposé aux éléments avant d’être évacués dans une zone de rebuts. L’emplacement de ce dépotoir (fig. 6), à l’intérieur de l’enceinte de la TT 33 – qui était encore en élévation à cette époque –, témoigne de ce que des opérations de maintenance de la surface utile ont été accomplies lors de réoccupations tardives et suggère que la tombe a hébergé une activité funéraire, notamment, à l’époque perse.
24Dans l’espace de l’entrée du pylône, le sol du fonctionnement initial de la TT 33 était suivi d’une surface d’abandon, que couvrait un niveau d’ensablement progressif dans lequel s’intercalaient des débris de la destruction progressive des superstructures (modèle 2 : https://skfb.ly/oPSZP). Sur une surface de circulation de cette phase se trouvait concentré un important assemblage de poterie d’époque romaine (étude en cours), associée à un grand fragment de fond de cercueil en bois de tamaris. Le décor intérieur de cette pièce mise au rebut permet de rattacher sa production au même atelier que le fameux cercueil de Chélidônia du Louvre (N 2576 A = CC 243)6, d’ailleurs également confectionné en bois de tamaris. Ce rapprochement avec un objet acquis par Jean-François Champollion est important tant du point de vue des activités funéraires tardives hébergées dans la TT 33 que sur le plan muséologique.
25Dans les niveaux de destruction supérieurs du même espace de la porte ont aussi été trouvés un fragment de papyrus grec du ve/vie s. et une lettre copte sur ostracon opisthographe du vie/viie s.
26Sylvie Marchand a achevé l’étude des céramiques prélevées lors de la campagne 2021 et a entamé l’expertise de celles découvertes en 2023. Ce second ensemble, extrait des monceaux de déblais accumulés lors du chantier de Padiamenopé, est assez riche, comprenant des encensoirs, des lampes, des conteneurs de grande taille et d’autres catégories céramiques qui datent toutes de la XXVIe dynastie. La pièce la plus importante est une jarre « torpédo » importée (AS-23-1450-1 ; catalogue G 65 ; pâte IMP torpédo 1, fine et dense, rouge pâle à cœur gris clair, contenant de nombreuses inclusions minérales de petite taille ; voir supra, chap. 3.4.1.), exceptionnelle en raison de l’inscription phénicienne qui y est peinte à l’encre noire.
27Victoria Asensi Amorós a analysé dix objets, entiers ou fragmentaires. La plupart d’entre eux sont en bois d’espèces indigènes à la flore égyptienne : bois de figuier sycomore (Ficus sycomorus L.), de tamaris (Tamarix type aphylla Ehrenb.), de gommier rouge ou « acacia du Nil » (Vachellia nilotica (L.)P.J.H. Hunter & Mabb., Syn : Acacia nilotica (L.) Willd. Ex Delile, Acacia arabica (Lam.) Willd.), d’acacia faux-gommier (Vachellia tortilis (Forssk.) Galasso & Banfi. Syn. : Acacia tortilis (Forssk.) Hayne) et de saule (Salix mucronata Thunb. Syn. : Salix subserrata Willd., Salix safsaf Forssk. ex Trautv). La seule espèce non indigène est le cèdre (Cedrus sp.).
28Un objectif méthodologique de la mission a été atteint : mettre à disposition rapidement, en accès ouvert, une documentation novatrice sur les données primaires de la fouille. Quarante nouveaux modèles 3D d’objets et de contextes ont été publiés directement pendant la fouille ou dans les semaines qui ont suivi (ces données peuvent être consultées dans la collection « Asasif in the Theban necropolis » : https://skfb.ly/oFqAK). Les documents visuels seront progressivement enrichis d’informations textuelles sur l’enregistrement stratigraphique (voir par exemple les légendes dans le modèle 1 : https://skfb.ly/oSEWM) et complétés de maquettes numériques mettant en évidence les regroupements d’unités en phases.
29La fouille combinée des trois aires étudiées (pylône, chantier inachevé de la première cour, monceaux de déblais rejetés sur le terrain vague au centre de l’enceinte) a identifié les phases de construction, de fonctionnement et de destruction de la chaussée de Thoutmosis III et de la tombe de Padiamenopé, ainsi que plusieurs phases de réoccupation du monument, puis celles de son abandon et de sa destruction. Les résultats les plus originaux de la campagne procèdent de l’identification des traces matérielles produites par plusieurs ateliers collaborant à la construction du vaste mausolée. En isolant une succession de poubelles intercalées entre les épais niveaux de débris géologiques, l’anatomie des amas de déblais a mis en évidence la chaîne opératoire des professions mobilisées, ouvriers, artisans, scribes, qui œuvraient de façon concomitante à diverses étapes de la finition, tandis que les carriers étaient toujours occupés à abattre la roche pour creuser certains volumes de la tombe.
30Parmi ces traces matérielles, la mise au jour des premières couches comprenant des fragments de papyrus est particulièrement prometteuse (20 lots et fragments inventoriés, en hiératique et, dans des contextes plus récents, en démotique et en grec). Quel que fût le statut du dessin et des quelques lignes hiératiques conservés sur le fragment du papyrus dit « artistique » (esquisses, exercices didactiques, morceau d’un livre complet endommagé ?), sa provenance stratigraphique permet de démontrer que Padiamen(em)opé lisait Amenemopé.
- 7 Colin, Hartenstein 2023.
- 8 Colin 2022 ; Colin 2023.
31Au-delà des publications de données directement issues de la fouille7, l’étude des cinq cercueils ré-inhumés sous la voie processionnelle de Thoutmosis III nous a menés à contextualiser cette découverte à la lumière des pratiques d’inhumation secondaire et de transport de momies attestées au sein de l’élite thébaine. Cette étude a débouché sur deux publications, qui explorent à frais nouveaux la signification et la chronologie des déplacements de momies royales dans la « cachette royale » de Deir el-Bahari(TT 320), sur les fondements d’une réinterprétation radicale des sources écrites et archéologiques8.
- 1er juin 2023, F. Colin, « Des sables de l’oasis de Bahariya aux ors de la cour de Thèbes : un parcours d’égyptologie interdisciplinaire », leçon inaugurale de la Chaire Marc Bloch de l’USIAS, Strasbourg, https://www.youtube.com/watch?v=Z-xQ_OTruik.
- 19 juin 2023, F. Colin, C. Hartenstein, « Une lost tomb de la nécropole thébaine retrouvée virtuellement », Assemblée générale de l’UMR 7044 Archimède, Strasbourg.
- 3 juillet 2023, F. Colin, « Mondes transmués à l’ère numérique : modélisation et maquettisme en archéologie égyptienne », conférence inaugurale de l’École d’été du consortium Huma-Num DISTAM, Strasbourg.
32Encadrement de deux stages sur le développement de la base de données « Heurist » sur les fouilles de l’Assassif par F. Colin.
33La mission a bénéficié du soutien de la Fondation Roc Eclerc (https://www.groupe-roc-eclerc.com/groupe/roc-eclerc-et-vous/fondation-roc-eclerc/) et du fonds Arpamed, ainsi que de la Chaire Marc Bloch de l’University of Strasbourg Institute for Advanced Study, qui a mis à la disposition du projet trois mois d’un contrat attribué à Cassandre Hartenstein, comme assistante de recherche.