Données scientifiques produites :
https://journals.openedition.org/​baefe/​7380

1Plusieurs opérations se sont déroulées à Caričin Grad en 2023 : la poursuite de la fouille de l’édifice tétraconque de la Ville Basse (26 juin-30 juillet), les prospections géophysiques intra et extra muros ainsi que les prélèvements de sédiments dans deux lacs environnant le site (23‑28 octobre).

Fouille de l’édifice tétraconque de la Ville Basse

3La fouille du déambulatoire ouest de l’édifice a tout d’abord révélé la présence de trois accès orientés vers le portique de la place jouxtant la rue nord‑sud de la ville. Une entrée principale, large de 2,50 m a été dégagée au centre du mur du déambulatoire. Lors d’une phase ultérieure d’occupation du bâtiment, cette entrée axiale (US 49) a été bouchée par des moellons et des remplois liés à la terre comme en témoigne notamment une base de colonne fragmentaire qui y est encore conservée. Deux entrées latérales symétriques de 1,30 de large ont été découvertes au nord et au sud de cette entrée principale.

5Un autre sondage a été effectué dans l’abside afin de terminer la fouille initiée l’année passée de la couche (US 41) qui était composée d’une importante quantité de mortier issue de la récupération des briques des murs de l’abside et de la voûte du sanctuaire. L’importante concentration de ramures de cerf prédécoupées qui ont été retrouvées lors de ces travaux suggère l’existence d’un atelier spécialisé dans le travail de ce type de mobilier osseux (fig. 3). D’autres éléments exhumés à cet endroit témoignent de la réalisation de produits finis, comme par exemple un cylindre évidé probablement utilisé comme élévateur de barre de lice de métier à tisser (fig. 4). D’autres objets de la vie quotidienne, tels des clous, une pointe de flèche, une clé poussoir, un crochet en fer, etc. ont aussi été découverts dans cette même couche d’occupation et sont similaires à ceux datés de la deuxième moitié du vi^e siècle retrouvés dans d’autres secteurs du site, notamment dans le quartier sud‑ouest de la Ville Basse. La présence d’un atelier spécialisé dans le travail du mobilier osseux occupant l’abside de l’église tétraconque est dès lors surprenante car elle témoigne du changement de fonction de son espace le plus sacré dédié au culte durant cette période, ce qui laisse supposer l’abandon de cet édifice très tôt, autour du milieu du vi^e siècle.

6La couche de destruction (US 21) issue de l’effondrement du mur du déambulatoire sud et du pilier en L sud‑ouest couvre une bonne partie du centre de l’édifice. Son nettoyage a révélé un opus mixtum composé d’alignements de rangs de briques entre des rangées de moellons de pierre. Au fur et à mesure que l’on progresse vers le nord, les vestiges de 5 rangs superposés de briques sont plus nombreux, ce qui laisse supposer que ce mur et les parties hautes de l’édifice devaient encore être bien conservés à cet endroit avant qu’ils ne s’effondrent du sud vers le nord. Plusieurs fragments de sculptures architecturales très érodés ont été repérés dans cette couche ; ils seront catalogués lors de leur exhumation en 2024.

7La fouille a par ailleurs confirmé la phase de réoccupation de l’édifice au cours de la période médiévale qui avait déjà été repérée lors des campagnes 2021 et 2022 : de nombreux tessons de céramique au décor rudimentaire caractéristique de cette période, mêlés à une terre noirâtre friable riche en ossements, ont en effet été récoltés à quatre endroits dans les secteurs nord, central et sud du tétraconque. Des tessons similaires mêlés à une terre noirâtre ont été mis au jour au nord et au sud du mur de jonction entre les conques ouest et nord. La progression de la fouille de cette couche (US 45) vers le mur nord du déambulatoire a livré beaucoup moins de matériel. Il semble que les pierres et les briques mises au jour à cet endroit proviennent de l’effondrement du mur nord du déambulatoire qui aurait ensuite recouvert l’US 45. C’est dans ce secteur qu’a été exhumée une monnaie frappée en 1164-1180 dans les ateliers de Constantinople au cours du règne de l’empereur byzantin Manuel Comnène (1143-1180). Cette découverte corrobore celles faites en 2021 et 2022 et confirme une réoccupation dans le tétraconque au xii^e siècle. En élargissant la fouille vers le sud, une plateforme rudimentaire de 2,40 m de long, d’1,80 m de large et de 18 cm d’épaisseur, composée de briques fragmentaires disposées de manière irrégulière (US 59) a été dégagée. Le matériel exhumé à cet endroit se compose d’ossements animaliers, de tessons de céramique médiévale et des fragments de verre à vitre. D’autres objets, notamment un petit javelot en métal (fig. 4) ont aussi été découverts dans ce secteur. La progression de la fouille a montré que la couche de destruction issue de l’effondrement du pilier sud‑ouest (US 21) recouvrait une partie de la plateforme, de même que l’US 45 qui lui est contiguë (fig. 5). La destruction des parties hautes de ce pilier n’a dès lors probablement pas eu lieu avant le XII^e siècle et s’est peut‑être produite beaucoup plus tard.

8Au sud du mur sud de la conque ouest, a été exhumée une couche noirâtre avec de nombreux tessons de céramique médiévale sur une étendue de 2,80 sur 2,20 m (US 38). Il s’agit manifestement d’une « installation » datant de l’époque médiévale comparable à celles que nous avions repérées l’année passée dans la partie sud de l’édifice. Au sud‑ouest du mur du déambulatoire sud, une couche noire friable avec de nombreuses pierres de schiste et quelques briques fragmentaires (US 68) a aussi été mise au jour. Des ossements d’animaux, du verre à vitre, plusieurs dents de peigne à carder et des tessons de céramique dont certains portent un décor typique des xi^e‑xii^e siècles. Dans la partie inférieure de cette couche, des briques fragmentaires et des pierres sont disposées de manière irrégulière pour former une sorte de fondation au‑dessus d’une couche de destruction contenant des traces de mortier et des briques fragmentaires. La fouille de ces espaces, qui correspondent aux unités stratigraphiques 38, 45 et 68, confirme qu’ils font partie d’un seul et même niveau attestant une réoccupation du tétraconque durant la période médiévale.

9Au nord‑ouest de l’édifice, plusieurs murs trahissant une occupation ultérieure avaient été décelés dès la campagne de décapage des ruines entamée en 2019. Lors de l’extension de la fouille dans ce secteur, ces vestiges ont pu être mieux dégagés et leur surface a été soigneusement nettoyée, ce qui nous a permis d’examiner leurs matériaux de construction et leur orientation afin de comprendre s’ils délimitaient des espaces particuliers. Parmi les 9 murs mis au jour au nord‑ouest, les seuls à avoir été construits avec du mortier sont le mur (US 7) orienté sud‑ouest/nord-est et le mur (US 63) lié à l’extrémité ouest de ce dernier (fig. 6). Ces murs faisaient manifestement partie de la construction initiale du tétraconque en raison du soin accordé à leur construction. Ils délimitaient probablement un endroit de passage ou un vestibule d’entrée situé au nord‑ouest de l’édifice. Le mur ouest du déambulatoire (US 3) comporte en effet une entrée de 1,25 m de large à cet endroit. Cet espace fut manifestement cloisonné à une époque ultérieure.

10Les travaux accomplis ne permettent pas encore de tirer de conclusions assurées à propos de la datation de l’élévation des murs tardifs repérés car le sol d’occupation n’a pas été atteint dans les espaces fouillés dans ce secteur. Il nous a néanmoins semblé utile de proposer un phasage fondé sur nos premières observations (fig. 6). Ce dernier correspond peut‑être uniquement à différentes étapes de construction très peu éloignées dans le temps ; seule la poursuite de la fouille permettra de le confirmer ou non. Cinq phases ultérieures à la construction du tétraconque semblent cependant à ce stade se dégager. En bleu sur le plan, le mur US 2 semble, d’après le relevé géoradar de 2015, se rattacher à la seconde phase de construction du portique de la rue principale de la Ville Basse. L’installation de murs adossés aux ruines du tétraconque (US 47, 48, 54, 63, 64) est signalée en vert. Les murets, piliers et bouchages ultérieurs sont signalés en violet. Enfin, l’alignement de pierres qui paraît avoir limité l’aire de récupération des matériaux dans l’abside est signalé en rouge. Le type de construction caractérisant ces murs et le matériel, composé notamment de quelques fragments de bois de cerf découpé, de clous, de tessons de céramique, d’ossement divers et d’un couteau, livré par la fouille, suggèrent une réoccupation de ce secteur au cours des dernières décennies du vi^e ou au début du vii^e siècle.

11Ainsi, les travaux effectués ont permis de compléter le plan de la partie ouest de l’édifice : trois accès étaient ménagés dans le mur du déambulatoire ouest du tétraconque dans lequel on se rendait depuis la place en sigma décelée lors de la prospection géoradar de 2015. Par ailleurs, l’emplacement des piliers d’angle nord‑est et sud‑ouest a été localisé. La fouille a néanmoins seulement mis au jour leurs fondations, ce qui laisse penser que leurs matériaux ont été réutilisés. Par ailleurs, la coupe de la tranchée de récupération des matériaux située au nord‑est montre que l’US 41, dans laquelle une quantité importante de bois de cerf découpé accompagnés d’objets en os ont été trouvés, repose sur la couche de remblai de l’édifice (US 61) qui surmonte l’argile vierge (fig. 7).

13Les travaux effectués ont aussi révélé plusieurs phases d’occupations ultérieures à la construction du tétraconque. Une occupation médiévale assez étendue, datée par la découverte de trois monnaies du xii^e siècle, a en effet pu être mise en évidence. La fouille a aussi montré que l’US 45 témoignant de cette réoccupation médiévale reposait sur une couche de destruction composée de mortier et de briques fragmentaires (US 10) et qu’elle était couverte par un effondrement (US 21) que l’on ne peut pas encore situer chronologiquement. L’édifice tétraconque a manifestement connu plusieurs phases de destruction à différentes périodes et l’un des objectifs de nos prochaines recherches sera d’en préciser la succession.

Prospections géophysiques et paléoenvironnementales

15La zone de prospection A se situe à l’intérieur du mur d’enceinte, près de l’abside de l’église à crypte et non loin de l’une des principales entrées orientales de la ville. Sous une couche de 30 cm qui semble être constituée de gravats et de terre, une longue structure rectangulaire qui peut être interprétée comme un mur est visible. Plus bas, entre 30 à 60 cm de profondeur, un second mur, perpendiculaire au premier appartenait probablement au même bâtiment. Au‑delà d’une profondeur d’environ 1,1 m, les structures repérées disparaissent. La prospection du secteur B, située entre le rempart sud de l’Acropole et l’église sous l’Acropole a livré des résultats dont l’interprétation est plus aisée (fig. 9). Entre 30 et 80 cm de profondeur, un bâtiment trapézoïdal de plus de 20 m de long est très clairement visible sur le relevé géoradar et il est même possible de distinguer deux de ses murs de partition intérieure. Il se compose en effet de trois pièces séparées. Deux d’entre elles semblent reliées par une porte dont le seuil est probablement encore en place. À l’est de ce bâtiment, est situé un autre dont les murs peuvent être repérés à une profondeur de 50 cm. Il présente un plan presque carré et est également visible sur le relevé de la prospection magnétique. Au sud du bâtiment trapézoïdal, au milieu de la partie sud‑ouest de la zone mesurée, deux murs perpendiculaires appartenant sans doute à une maison apparaissent à une profondeur de 60‑70 cm. Elle semble être séparée des autres bâtiments par une rue. Cette maison semble être en moins bon état que les autres structures décrites. Ces trois ensembles de constructions présentent une orientation différente de celle des bâtiments déjà fouillés, tels la basilique sous l’Acropole. Il semble possible qu’ils appartenaient à une phase d’occupation ultérieure et qu’ils aient été construits peu après la destruction partielle de la ville.

16Malgré le fauchage méticuleux opéré dans le secteur C, le terrain accidenté en raison de l’accumulation des déblais des anciennes fouilles a entravé la prise de mesures au géoradar autour de l’église cruciforme (fig. 8). Au nord de cette zone, entre 30‑50 cm de profondeur, deux murs se rejoignent pour former un angle droit et, un peu plus bas, on distingue des portions de murs parallèles. Ces vestiges semblent appartenir à deux bâtiments différents. À l’est de l’église cruciforme, une portion du rempart est de la ville a été repérée à une profondeur de 50 cm jusqu’à 1,10 m. À 40‑50 cm de profondeur, plusieurs murs commencent à être visibles dans le secteur sud de cette zone, mais il est difficile de savoir à quel type de bâtiments ils appartenaient. Le secteur D (fig. 8) correspond à l’emplacement de la grande citerne qui n’a été que très partiellement fouillée. Les prospections géophysiques se sont déroulées avec difficulté à cet endroit raviné du site. À partir de 50‑60 cm de profondeur, des structures commencent néanmoins à apparaître. Elles présentent la même orientation que les petits thermes qui n’ont pas été totalement fouillés, ce qui laisse supposer qu’elles appartiennent au même complexe. L’antenne du géoradar n’a pas été assez puissante pour repérer d’autres vestiges dans la partie centrale de la citerne. Dans le secteur E, contrairement à la zone D, la couche de déblais est plus fine, de sorte que les premières structures sont déjà visibles dès 10‑20 cm de profondeur. Plus bas, entre 20 et 30 cm, les murs de deux bâtiments différents ont été repérés au nord‑est de la basilique double. Leur tracé et leur orientation se précisent à 60-70 cm de profondeur, ce qui permet notamment de constater qu’ils semblent séparés par une rue.

17Dernier volet de notre mission, l’étude paléoenvironnementale s’est focalisée sur les deux petits lacs à proximité du site : l’un est situé à 5 kilomètres à l’ouest du site, près du village de Slišane, non loin du tracé de l’aqueduc et à 596 mètres d’altitude, tandis que l’autre est localisé dans le mont Radan, à une altitude de 791 mètres et au lieudit « Dobra Voda ». Grâce à la collaboration avec Morana Čaušević-Bully, Sébastien Bully (ARTEHIS-UMR 6298 CNRS/université de Bourgogne), Isabelle Jouffroy-Bapicot et Julien Didier (Chrono-Environnement-UMR 6249 CNRS/UFC), 6 carottages ont été effectués dans le lac de Dobra Voda (fig. 10), le seul des deux lacs présentant une accumulation sédimentaire propice aux analyses. Les premiers résultats des tests palynologiques montrent la présence d’au moins deux périodes bien distinctes dans l’histoire de la végétation. La poursuite des études et la réalisation de datations (¹⁴C, ²¹⁰Pb et ¹³⁷Cs) vont permettre d’affiner ces changements et de les situer dans le temps.

Annexe : Étude archéozoologique des vestiges de faune issus du tétraconque

18[Thomas Lalanne]

19Une première approche archéozoologique a été réalisée sur les vestiges de faune de la campagne de fouille 2023 du site de Caričin Grad en Serbie, qui concernait l’édifice tétraconque de la Ville Basse. Une importante quantité de restes osseux ont été mis au jour durant cette campagne, et un bon état de conservation est observé. Un premier travail de détermination des ossements a été effectué et ce matériel inédit a aussi fait l’objet d’un enregistrement complet dans une base de données sur Microsoft Excel. Au total, huit taxons sont ainsi identifiés, incluant les espèces domestiques et sauvages. Des restes d’oiseaux sont également observés, mais ils n’ont pas encore été examinés. Pendant la fouille, une intéressante concentration d’ossements a été découverte dans l’US 41, comportant notamment un grand nombre de ramures travaillées de cerf élaphe (Cervus elaphus). Cela pourrait induire l’existence, à une époque ultérieure à l’occupation d’origine du site, d’un artisanat en matières dures animales. Cette hypothèse, continuera d’être étudiée, et sera précisée lors des futures campagnes. Il faut mentionner l’importance du caractère préliminaire de ce travail, qui sera complété par les données des prochaines missions, mais aussi par l’étude des vestiges de faune des campagnes précédentes, qui n’ont pas encore été étudiés, afin de proposer une étude archéozoologique complète de l’édifice tétraconque. La réalisation d’un tri systématique des restes osseux entre l’occupation d’origine du site qui s’étale du vi^e au vii^e siècles de notre ère jusqu’à sa réutilisation à la période médiévale, sera effectuée afin de vérifier une potentielle variabilité chronologique.