Données scientifiques produites :
Ad luxuriae instrumenta. Les objets dans leur contexte, entre la demeure et la tombe : le mobilier en ivoire et en os à Pompéi
Notices archéologiques dans le BAEFE :
https://journals.openedition.org/baefe/2615
1Cette notice présente une synthèse succincte des missions effectuées au cours de l’année 2023, qui sont venues alimenter le programme de recherche « Ad luxuriae instrumenta. Les objets dans leur contexte, entre la demeure et la tombe : le mobilier en ivoire et en os à Pompéi », qui s’inscrit dans l’axe d’étude du Centre Jean Bérard (UAR 3133, CNRS‑EFR) « Image, objet et contextes : de l’Antiquité à nos jours », et le sous‑axe « Image, technique artisanale, usages et perception ». Il est intégré à la Mission archéologique « Italie du Sud », sous l’égide du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
- 4 Voir par exemple Cormier 2020a, 2021a, 2022d.
- 5 Voir également Cormier 2022d.
- 6 Cormier 2019, 2020b, 2021b, 2022b.
2Ce programme a pour ambition de développer l’étude des ivoires et des os ouvragés à l’échelle de la ville : il inclut le matériel conservé au Museo archeologico Nazionale di Napoli4 et dans les dépôts du site (la Casa Bacco)5, provenant essentiellement des sphères domestiques, ainsi que celui de plusieurs espaces funéraires, sortant des fouilles actuellement en cours dans la nécropole de Porta Nocera6.
- 7 Voir en particulier Penelope M. Allison, The Insula of the Menander at Pompeii. Vol. 3, The finds, (...)
- 8 Par exemple Isabelle Bertrand (éd.), Le travail de l’os, du bois de cerf et de la corne à l’époque (...)
- 9 Voir à ce sujet Nicolas Monteix, Nicolas Tran (éd.), Les savoirs professionnels des gens de métier. (...)
- 10 Voir en n. 8, en particulier le travail de P. M. Allison sur la Casa del Fabbro (I 10, 4).
3Les trois premières années du programme (2020-2022) ont répondu à un double objectif. D’une part, il s’est agi de dresser un état des lieux du matériel existant découvert au cours des fouilles anciennes, dont certains éléments ont été repris partiellement dans les quelques études sur le sujet7. De par l’étendue de ces fouilles anciennes, ce premier tableau a constitué un préalable indispensable à toute approche concrète, non seulement dans les dépôts du site (la Casa Bacco pour l’essentiel) et du musée archéologique de Naples, mais aussi à certaines études de matériel récemment mis au jour et/ou encore inédit. Cet état des lieux a conduit à deux remarques d’ensemble, auxquelles on pouvait certes s’attendre, mais qui constituent un point de départ intéressant. Au regard des archives, inventaires de mobilier et journaux de fouilles, le nombre d’éléments en os travaillé est considérable – beaucoup plus réduit en ivoire – : ceci constitue déjà en soi une information, montrant une utilisation très répandue de ce matériau à bas coût, mais aussi, par ce fait, que l’usage de l’os était étendu à toute la hiérarchie sociale, de manière bien sûr inégale, mais quasi systématique. En outre, ce nombre et la variété des mobiliers et ustensiles offrent l’opportunité de compléter et d’affiner les différentes typologies déjà établies pas les chercheurs à partir de découvertes ailleurs en Italie, ou en Gaule par exemple – lieu de recherche particulièrement active dans ce domaine8 –, et par là‑même d’étudier les relations et échanges commerciaux, et d’essayer de comprendre pourquoi sont encore inconnus à Pompéi les ateliers de travail de l’os – et a fortiori de l’ivoire. Ce constat retient d’ailleurs tout particulièrement l’attention : existait‑il un quartier des artisans de l’os ? Les alentours du macellum n’ont par exemple pas livré d’indices tangibles en ce sens, alors que l’on aurait pu supposer des ateliers au plus près de la source d’approvisionnement de la matière première. Au regard des études en cours sur l’artisanat à Pompéi, l’absence d’ateliers ne cesse pas de surprendre9. Doit‑on alors penser que l’approvisionnement en mobilier, ustensiles et objets de tabletterie provenait d’ailleurs ? Il est probable que les fouilles anciennes n’aient pas relevé les indices nécessaires, et que certains ateliers n’aient pas encore été mis au jour avec certitude, malgré les hypothèses avancées ces dernières décennies10. Au vu d’une telle somme de données, une synthèse devient nécessaire, et ce travail d’étude et de croisement des données prend toute sa place, si l’on veut comprendre l’économie de l’ensemble et construire un catalogue raisonné, base d’une réflexion plus vaste sur l’usage de ces matériaux tant dans la vie quotidienne que dans les contextes funéraires.
4Le deuxième objectif a consisté en une confrontation des données bibliographiques avec des données inédites, provenant de fouilles récentes, afin de proposer une mise en perspective des unes par rapport aux autres avec des recherches concrètes sur place. L’approche est cette fois funéraire, pour l’essentiel. Ce choix a pour but de montrer que la plupart des types de mobilier et ornementations de meubles en os et en ivoire provenant des demeures des vivants trouvent un écho significatif dans les différents contextes funéraires des nécropoles de Pompéi, et en particulier celle de Porta Nocera. Les formes et objets présents y livrent de précieuses informations non seulement sur les gestes, les rites et la sémantique funéraires, mais aussi sur les modes de vie des habitants de la ville.
- 11 Lacombe, Cormier 2020.
- 12 Cormier 2022c, et « Funérailles romaines et lits funéraires : regards croisés de Fréjus (nécropole (...)
- 13 Publication en cours du secteur E de la nécropole de la porte Médiane (zones E39 et E47), aux éditi (...)
- 14 Cormier 2022a.
5Parallèlement, des études ont été engagées en d’autres lieux, venant éclairer par d’intéressantes comparaisons les ivoires et les os de Pompéi : à Aix‑en-Provence11 et Fréjus dans le sud de la France12 (2021, 2022, 2023), à Cumes13 et à Aielli en Italie14 (2021).
6Entre 2020 et 2023, 15 missions se sont déroulées sur place, tour à tour consacrées au Musée archéologique de Naples, aux dépôts du site (Casa Bacco) et à l’étude de la nécropole de Porta Nocera.
7Ainsi actuellement, la base de données en cours de réalisation au musée comprend un peu plus de 600 pièces étudiées sur les 2300 (environ) existantes, dont 150 en ivoire, et un peu plus de 300 à la Casa Bacco, dont une cinquantaine en ivoire (ce calcul prend en compte les objets complets, constitués souvent de plusieurs fragments). Ces pièces ont été étudiées et décrites, identifiées et classées selon leur typologie fonctionnelle, et selon leur contexte, compte-tenu des détails éventuels que les archives historiques ont pu fournir. Des enclos funéraires étudiés à Porta Nocera, environ 2000 pièces et fragments ont été dénombrés.
8Ce travail a été complété par la mise en place de protocoles de conservation-restauration d’un certain nombre d’objets choisis, ainsi que d’un protocole de nouveau conditionnement des objets, que ce soit au musée de Naples ou à Pompéi. Ces mises en place ont pu se faire en collaboration avec les laboratoires respectifs de restauration, et sous leur supervision.
9En 2023, le programme de recherche s’est déroulé sur place à la faveur de 5 missions.
10La première a eu lieu du 17 au 27 février au musée de Naples. Elle a eu pour objectif de reprendre et compléter l’inventaire de trois cassettes (C2, C.SN et C13), et de faire le point sur le travail qui avait été interrompu depuis 2019, pour cause de pandémie. Les cassettes C22 (fig. 1) et C26 ont pu finalement aussi être étudiées, ainsi que des archives consultées (Bronzi Minuti, vol. 3). De plus, en collaboration avec les autorités du musée, un reconditionnement complet de l’ensemble des artefacts en ivoire et en os a été entrepris, de manière à les protéger et les conserver dans les meilleures conditions possibles (fig. 2), ainsi qu’une restructuration et une réorganisation des cassettes dans les dépôts.
Fig. 1. Fragment de statuette virile représentant Hercule, ivoire, de Pompéi, XX ERO, 24, Villa de Diomède, MANN, inv. 78298.
A. Cormier, su concessione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali e per il Turismo – Museo archeologico nazionale di Napoli. Tous droits réservés
Fig. 2. Cylindre figuré de montant de lit (partiellement restauré au xixe siècle et complété avec du plâtre peint), os, de Pompéi (localisation précise inconnue), inv. 119290. Conditionnement Letizia Nonne.
A. Cormier, su concessione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali e per il Turismo – Museo archeologico nazionale di Napoli. Tous droits réservés.
11La deuxième mission s’est déroulée du 6 au 15 mai, dans le cadre du programme de fouilles de la nécropole de Porta Nocera, sous la direction de William Van Andringa et Henri Duday. Elle a eu pour objet de compléter l’étude de mobilier provenant de deux enclos funéraires (1J et 3D), et la préparation de la publication d’un troisième (1F), prévue pour la fin de l’année 2024.
12La troisième, du 10 au 17 juin, est venue continuer au musée de Naples le travail entrepris en février, centré sur les cassettes C2, C13, C22 et C23, ainsi que sur des objets en ivoires exposés dans la vitrine consacrée à ce matériau, dans une salle de musée.
13La quatrième mission, au dépôt de la Casa Bacco à Pompéi du 13 au 22 juillet, a permis de reprendre l’étude de la cassette A IV 3b (3), dont les éléments proviennent pour partie des édifices I 9, 8 ; I 9, 9 (fig. 3) et I 10, 4. De même qu’au musée de Naples, le travail de restauration et de conditionnement permet dorénavant une meilleure conservation des objets. Cette mission a également été consacrée à l’étude et à la restauration d’éléments en ivoire et en os issus des fouilles en cours menées par le Parco archeologico di Pompei dans la Casa dei Pittori al lavoro, juste au nord de la Casa dei Casti Amanti. Cette étude fait l’objet d’une convention en cours de construction avec le Centre Jean Bérard, initiant une collaboration propre à ouvrir d’intéressantes perspectives de recherche, puisque les contextes, en cours de fouille, autorisent une meilleure compréhension de l’environnement dans lequel ces objets et ornementations de meubles ont été découverts.
Fig. 3. En cours d’étude : parties fragmentaires constitutives d’un lit : âme de fer interne et volumes décoratifs en ivoire de montants, bandeau plat et lisse en ivoire de cadre, plaquettes en fer de soutènement du cadre, dépôts du site (Casa Bacco), de Pompéi I 9, 9, inv. 9483.
A. Cormier, su concessione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali e per il Turismo – Museo archeologico nazionale di Napoli. Tous droits réservés.
14Entre le 2 et le 8 octobre, une dernière mission effectuée à Fréjus a eu pour objet la reprise, sous la direction du Service archéologique du Var, de la documentation de fouilles effectuées dans la nécropole de Saint-Lambert en 1983, et de l’étudier à la lumière des nouvelles connaissances : plusieurs lits funéraires, issus de contextes à crémation datés du ier s. apr. J.‑C., sont destinés à être publiés au sein d’un ouvrage collectif, sous la direction de Chérine Gébara et Alexia Lattard.
15Les interventions de conservation préventive et de conditionnement qui ont été réalisées en 2023 ont eu pour but de minimiser la détérioration et de prolonger la durée de vie des objets, sans porter atteinte à leur intégrité matérielle et historique. Au musée de Naples, ont été entreprises la mise en ordre et le reconditionnement par objets des cassettes C2, C13, C22A, C22B, C23A, C23B, C26, et celle contenant les objets restaurés en 2028 par l’Accademia di belle arti di Napoli, ainsi que le reconditionnement de l’objet 119290 dans une cassette.
16Au dépôt de la Casa Bacco à Pompéi, la mise en ordre et le reconditionnement de la cassette A IV 3 b (3) ont été initiés, ainsi que le nettoyage des objets inv. 2452, 2504, 2976, 7580, 7994, 7995, 8991, 9082, 9483 f à r, 4759, avec assemblage des fragments jointifs lorsque cela était nécessaire. L’élément en forme de patte de bouc en ivoire, qui formait le pied d’une table, découvert quelques semaines plus tôt dans une pièce attenante à la Casa dei Pittori al Lavoro, a été remonté, nettoyé, consolidé et conditionné.
17Ces interventions indirectes de conservation préventive n’affectent pas directement l’objet, n’interfèrent pas avec les matériaux et la structure même de l’objet, et ne modifient pas son apparence ; elles sont mises en place pour permettre une conservation durable en réduisant les risques futurs. Des photographies ont été réalisées afin de conserver un enregistrement précis de l’évolution du reconditionnement. Par ailleurs, un inventaire a été réalisé sous forme de tableau Excel et inséré dans chaque cassette reconditionnée, ainsi qu’un constat d’état, toujours sous forme d’une liste Excel, permettant de déterminer l’état général des objets. Les objets qui étaient devenus partiellement illisibles, parce que recouverts d’une couche d’accrétions terreuses, de poussière et de sédiments adhérant à la surface, ainsi que les dégradations comme des détachements de matière et un délitage partiel, des craquelures, des fissures et des taches noires ou rouges ont été relevés au fur et à mesure. Les altérations sont le plus souvent locales mais s’étendent parfois à l’ensemble de l’objet, conduisant à une perte d’informations, suite aux transformations subies au cours du temps. Certains objets portant d’anciennes interventions instables et parfois inesthétiques présentent des anciens collages qui ont brunis et qui ont perdu leur pouvoir adhérent.
18Pour assurer la conservation du mobilier, chaque objet a été disposé dans un emballage adéquat et neutre, réalisé avec des matériaux compatibles avec la fragilité des objets (pochette en polyéthylène de type Minigrip®). Les solutions proposées sont efficaces, facilitent la manipulation des objets et permettent une visualisation aisée, sans nécessité d’ouvrir la pochette, grâce à sa transparence.
19Pour les immobiliser, ils sont disposées dans des compartiments façonnés, de forme et de dimensions compatibles, dans une plaque de mousse de polyéthylène recouverte de papier Tyvek. Dans la pochette en polyéthylène, la microcirculation de l’air est assurée par de petits trous pratiqués à ses extrémités. Dans un tel conditionnement, le risque de mouvement est ainsi réduit. L’inertie et la stabilité chimique de ces mousses, ainsi que leur forte résistance aux chocs, contribuent à la conservation des objets.
20Une identification précise est apposée sur chaque emballage pour faciliter le repérage des objets et éviter les erreurs lors des manipulations.
21L’objectif de ce conditionnement est de créer ainsi un micro-environnement adapté à une conservation à long terme.
22Jusqu’à présent, l’objectif principal était d’étudier et de constituer un inventaire du mobilier et des ornementations en ivoire et en os de Pompéi, en replaçant les objets dans leur contexte, tout en mettant en parallèle les contextes domestiques avec certains contextes funéraires, reflets du monde des vivants. Cette dynamique d’étude est amenée à s’élargir, d’une part en poursuivant l’inventaire et l’étude des artefacts non encore abordés, et d’autre part en concrétisant la réalisation du catalogue du musée de Naples, mais aussi en mettant en place le programme de fouille de l’édifice I 16, 3, prévue au printemps 2025, qui viendra alimenter la réflexion sur la présence et le fonctionnement d’un possible atelier du travail de l’os dans la ville.