Données scientifiques produites :
Philippes à l’EFA
BCH 142.2, 2018
1La mission, un peu plus courte qu’il n’était initialement prévu, s’est déroulée du 11 au 18 juin avec la participation de Michel Sève, archéologue et Patrick Weber, architecte. Elle a obtenu pour une journée le concours de Guillaume Biard, archéologue, mais le topographe Lionel Fadin, pris par d’autres missions, n’a pu se libérer.
- 1 Collart 1937, p. 362 avec les n. 1 et 2 et pl. LI, 3.
2On a procédé à un examen systématique du dallage, en particulier pour revoir les jeux de marelle (tabella lusoria en latin, επιδαπέδιο παιγνίδι en grec) que Paul Collart avait signalés dans son livre majeur Philippes, Ville de Macédoine, depuis ses origines jusqu’à la fin de la période romaine1. Il en avait relevé un sur le stylobate du portique sud consistant en un ensemble de cupules disposées en rectangle (c’est le seul qui puisse être daté, de la période protobyzantine ; voir fig. 1) et trois en forme de cercle gravés l’un sur l’emmarchement de la curie (Guide du forum de Philippes, n° 12), les deux autres au voisinage de la tribune (Guide, n° 17) ; nous avons pu retrouver le premier et l’un des deux autres, il est vrai très visible (Guide, fig. 54), mais pas le troisième. En revanche, nous en avons relevé huit autres dont l’un est remarquable par sa complication et la finesse de sa gravure, qui font penser à une toile d’araignée (fig. 2). Ils sont regroupés dans la partie nord de la place, devant les principaux monuments : on note un ensemble remarquable de part et d’autre d’un emplacement actuellement vide, mais qui devait correspondre à une structure importante dont il ne reste à peu près rien, en face du côté ouest.
Fig. 1. Ensemble de cupules vers l’extrémité ouest du stylobate sud.
EFA, cl. M. Sève. N788-130
Fig. 2. Jeu de marelle près du temple est.
EFA, cl. M. Sève. N788-120
3On a aussi étudié une série de six anneaux dispersés le long du côté nord de la place, de la curie jusqu’à la tribune et légèrement au‑delà. Les anneaux eux‑mêmes ne sont pas conservés, mais ils étaient fixés par des attaches en fer dont il subsiste quelques‑unes au centre de logements en forme de 8 (fig. 3) soigneusement creusés dans les dalles qui les recevaient, de manière à ne présenter aucun obstacle pour les passants quand ils n’étaient pas utilisés ; Collart en avait remarqué un en 1931, mais il ne l’a pas mentionné dans son livre. Leur nombre et le soin avec lequel ces logements ont été exécutés font écarter l’idée qu’il s’agirait de remplois. Leur emplacement permet d’exclure qu’il pourrait s’agir d’anneaux destinés à attacher des animaux de sacrifice, puisque aucun autel ni aucun lieu de culte n’existe dans le voisinage (en outre, dans le cas d’une telle utilisation, les anneaux sont d’ordinaire en saillie par rapport à la surface du sol dans lequel ils sont fixés) : si animaux il y a, ce ne pourraient être que les montures des officiels venus au forum, mais les dénivellations entre les rues qui bordent la place et le dallage lui‑même rendent cette hypothèse bien incertaine. On a d’autre part relevé cinq trous quadrangulaires (deux sont traversant ; fig. 4) d’environ 15 à 20 cm de côté, dont on ne peut décider à quoi ils servaient ni s’ils faisaient système avec les anneaux.
Fig. 3. Logement pour un anneau dans le dallage.
EFA, cl. M. Sève. N788-140
Fig. 4. Trou traversant dans le dallage.
EFA, cl. M. Sève. N788-146
4La mission a été l’occasion d’étudier deux fragments trouvés au forum, mais qui n’ont pas de rapport direct avec lui. Un fragment de cadran solaire (inv. 1893) remarqué dans la bibliothèque, manifestement retaillé pour être remployé à l’époque protobyzantine, est trop mutilé pour être étudié comme instrument astronomique (fig. 5‑7). Il pourrait être mis en rapport avec celui que mentionne dans les parages de l’agora l’inscription funéraire d’Aurelios Zipyron2, mais il serait bien aventuré de conclure qu’il s’agit de la même chose.
Fig. 5. Cadran solaire inv. 1893, face interne.
EFA, cl. M. Sève. N788-002
Fig. 6. Cadran solaire inv. 1893, face externe.
EFA, cl. M. Sève. N788-001
Fig. 7. Cadran solaire inv. 1893, vue latérale.
EFA, cl. M. Sève. N788-003
5Une plaque de latrines (inv. 1899) trouvée en 1934 dans le portique sud est brièvement mentionnée par Paul Collart3, comme trouvée dans un remblai (fig. 8‑9) ; elle serait l’indice qu’il y aurait des latrines plus à l’est. Les indications disponibles sur les circonstances de la découverte sont trop floues pour admettre cette conclusion. Le seul point assuré est que cette plaque n’est pas compatible avec les latrines bien connues découvertes à proximité de la basilique B. Elle ne semble pas l’être non plus avec celles de l’ensemble thermal situé le long de la via Egnatia dans le secteur de l’Octogone. Cette étude a été l’occasion de revoir les latrines publiées trop cursivement par Paul Lemerle4 pour préciser les dimensions exactes et le mode de fixation des plaques qui en subsistent.
Fig. 8. Plaque de latrines inv. 1899, vue de dessus.
EFA, cl. M. Sève. N788-094
Fig. 9. Plaque de latrines inv. 1899, face inférieure.
EFA, cl. M. Sève. N788-091
6Les vérifications prévues ont surtout porté sur le côté ouest de la place basse, notoirement le plus problématique. On a finalisé l’étude du baldaquin (Guide, no 11) qui servait d’écrin architectural pour présenter la statue de Fortuna conservée à proximité de la curie, en vue d’une publication prochaine dans le BCH. Il est assez rare que l’on puisse ainsi associer une œuvre de plastique avec le cadre dans lequel elle était présentée ; ce baldaquin doit constituer un exemple d’agalmatothèque (le terme rare ἀγαλματοθήκη est attesté à Cyzique à l’époque de Caligula5). On peut en présenter une restitution complète : outre le socle, assez mutilé, il en subsiste tous les éléments de l’élévation – piédestal, fragments de colonne, chapiteau, architrave, corniche, plafond (fig. 10‑15). La seule incertitude porte sur la hauteur de l’installation, puisque aucune colonne n’est conservée au complet ; l’essai de restitution présenté cursivement dans le Guide, fig. 62, ne paraît pas bien proportionné.
Fig. 10. Baldaquin au portique ouest, piédestal.
EFA, cl. M. Sève. N789-278
Fig. 11. Baldaquin au portique ouest, chapiteau.
EFA, cl. M. Sève. N788-008
Fig. 12. Baldaquin au portique ouest, fragment d’architrave.
EFA, cl. M. Sève. N788-042
Fig. 13. Baldaquin au portique ouest, vestige de la dédicace.
EFA, cl. M. Sève. N788-049
Fig. 14. Baldaquin au portique ouest, corniche.
EFA, cl. M. Sève. N788-062
Fig. 15. Baldaquin au portique ouest, bloc de plafond.
EFA, cl. M. Sève. N788-017
7Cette étude demandait un nouvel examen de la statue, pour lequel Guillaume Biard a apporté son concours. Il rend compte ainsi de ses résultats :
- 6 Certains fragments autrefois raccordés à la statue gisent désormais aux abords du monument.
Un nouvel examen de la statue colossale assise du forum a permis de progresser dans la compréhension et la datation de l’œuvre, bien que son état de conservation se soit dégradé depuis les années 19306.
8La statue n’était pas sculptée dans le marbre local, mais dans un marbre blanc à grain très fin qu’on ne peut, faute d’analyses physico-chimiques, identifier avec certitude. Cependant, la présence de paillettes brillantes plaide en faveur d’une identification au marbre de Paros du type lychnitès plutôt qu’au marbre de Carrare. Aucune trace de polychromie n’a pu être identifiée à l’œil nu. Un résidu jaune, visible au fond de certains plis creusés au foret courant mériterait cependant des analyses supplémentaires.
- 7 Sur l’iconographie de Fortuna, voir Lichocka 1997 ; cette étude, souvent confuse mais utile, est c (...)
- 8 Par exemple une statuette d’Ostie : Ostie, Museo ostiense, inv. 16678 ; Lichocka 1997, p. 141, fig (...)
9L’observation a révélé de nouveaux détails iconographiques : un repose‑pieds, partiellement conservé près du pied droit, accroît la solennité de la figure trônante ; l’extrémité en pointe d’un objet, que l’on devine sur la cuisse gauche, suggère que le bras gauche plié tient une corne d’abondance ; il est peu probable, quoique pas tout à fait impossible, que le bras droit ait maintenu le manche d’un gouvernail, car aucune trace de cet attribut n’apparaît sur la plinthe, il est vrai très dégradée à cet endroit. Il fait peu de doute que la statue représente Fortuna. La déesse figure souvent trônante sur les monnaies d’époque impériale, munie d’attributs dont le nombre et la nature varient7. Quelques statues en ronde bosse fournissent de bons parallèles à la statue de Philippes8. On peut ainsi restituer dans la main gauche tendue de la Fortuna du forum des épis de blé ou encore un sceptre.
- 9 Guide, p. 60‑61. La statue était probablement moins visible que ne le propose la restitution de la (...)
10La facture de l’œuvre correspond précisément aux modalités d’exposition, indice que l’atelier a travaillé sur place, adaptant la statue à l’architecture du baldaquin. En effet, un soin tout particulier a été apporté au plissé du vêtement, à l’avant bien sûr, mais aussi sur la partie droite de la figure, tandis que le traitement du côté gauche est plus cursif. Or, la statue, exposée sous le baldaquin construit contre le mur Sud‑Ouest de la curie, faisait face au Sud‑Ouest. Son côté gauche était donc partiellement occulté par le pilier commandant au Nord la colonnade axiale du portique Ouest9. Seul demeure intriguant le travail extrêmement soigné du dossier du trône, alors que le reste de l’arrière est assez négligé.
- 10 Certains portraits de Iulia Domna offrent notamment des parallèles éclairants, par exemple celui d (...)
11Le style et la facture de la statue colossale permettent enfin son association à l’état monumental du iie s. apr. J.‑C. L’usage abondant du foret courant, notamment dans la partie basse du vêtement, la densité des plis et leur traitement en bandes plates dont les rebords forment des angles abrupts, par exemple sur l’épaule et le bras gauches, sont caractéristiques de l’art sous les derniers Antonins et sous la dynastie des Sévères10. La statue a probablement été réalisée quelques temps après le nouvel aménagement du forum pour en devenir l’un des ornements principaux.
12L’examen des blocs courants attribuables au tabularium n’a pas apporté les résultats attendus : ils sont massifs et ne peuvent donc être manipulés, et trop mal conservés pour que l’étude des faces visibles permette de progresser dans la restitution des murs du bâtiment. S’il se confirme qu’en façade il était construit en grand appareil, il n’est pas possible d’aller beaucoup plus loin, et la part de l’hypothèse devra rester importante. Un autre facteur complique la situation. La dédicace du monument fait état de sa reconstruction après un incendie (CIPhi II, 1, no 18). L’étude de l’ensemble du côté ouest laisse penser que le projet initial a dû être modifié en cours de construction.
13Un autre ensemble de vérifications a porté sur l’étude des hauteurs : les mesures de nivellement prises autrefois ont été en partie vérifiées, en partie complétées, à la fois pour le bâtiment aux quatre pièces du côté est (Guide, no 3), et surtout pour le côté ouest dans le secteur de la pièce aux cinq colonnes (Guide, no 10) et du baldaquin. Sous réserve d’une réflexion plus approfondie, il semble que les deux nefs du portique (Guide, no 8) ne soient pas au même niveau, ce qui irait dans le sens de l’idée déjà exprimée que la nef la plus proche de l’espace dallé était une voie de circulation, tandis que la nef interne était articulée avec la pièce aux cinq colonnes pour former un même ensemble fonctionnel. L’étude de la pièce aux cinq colonnes, qui n’est qu’entamée, devrait apporter des éléments à ce sujet.