La mission archéologique française au Sud‑Laos

3Le champ de recherche de la MAFSL comprend également le site de Nong Hua Thong et son trésor, dans la province de Savannakhet.

Présentation du site et des fouilles menées depuis 1991

L’évolution de la problématique de recherche

11Cette problématique est toujours d’actualité 30 ans après le début des recherches archéologiques du PRAL puis de la MAFSL, les autres pays qui interviennent sur le site (Inde, Corée du Sud) se consacrant en priorité aux restaurations architecturales.

12Cette région étant au cœur de réseaux d’échanges, comme l’attestent les vestiges fouillés, les recherches se sont rapidement étendues à la compréhension du territoire régi par ce premier royaume khmer. Comme l’ont mis en évidence les travaux du PRAL et de la MAFSL, la Ville Ancienne de Vat Phu est le lieu d’émergence du premier pouvoir central unifié khmer. Ce fait a été confirmé durant nos fouilles par la mise au jour d’inscriptions (K. 1173 et K. 1174) sur le site de Houay Sa Houa 2 en 1993-1994.

17La configuration du site et son étendue permettent d’avancer l’hypothèse d’une installation urbaine peut‑être antérieure à la Ville Ancienne fondée au milieu du v^e siècle EC.

Le complexe de Vat Sang’O

Présentation du site

18Comme indiqué précédemment, la MAFSL a pour objectifs de préciser la période de fondation de ces premières cités‑États indianisées, ainsi que l’étendue des territoires qu’elles administraient, en particulier à travers nos recherches conduites sur le complexe urbain de Vat Sang’O depuis 2014 (photo 3). Séparé de la Ville Ancienne par la rivière Houay Sa Houa au nord, Vat Sang’O a fait l’objet de prospections pédestres systématiques dès 1994 et son relevé topographique a débuté en 2013 (fig. 3).

19Ce complexe présente une forme carrée d’environ un kilomètre de côté. La présence d’au moins cinq tertres (soit cinq sites) de grandes dimensions, situés à proximité les uns des autres, nous a conduit à nommer cet ensemble le « complexe de Vat Sang’O ». Deux tertres ont été fouillés : Vat Sang’O 2 (2013) et Vat Sang’O 5 (2014, 2017, 2018 et 2020). L’édifice en briques mis au jour à Vat Sang’O 2 était ceinturé d’une allée pourtournante, dégagée du bâtiment central rectangulaire (13 m × 9 m environ). Il s’agit d’un dispositif inédit qui pourrait indiquer un site bouddhique. Le système de fondation de cette structure est très différent de ceux rencontrés habituellement à la période préangkorienne, en particulier dans la région de Vat Phu. La taille exceptionnelle des briques (54 cm de longueur), des éléments architecturaux, dont le linteau retrouvé en surface, de forme totalement originale et directement inspiré de modèles indiens, ainsi que la céramique mise au jour, permettent de dater provisoirement ce bâtiment des périodes préangkoriennes les plus anciennes, c’est‑à‑dire aux environs du v^e siècle EC.

État actuel du site

21Si ce complexe de Vat Sang’O semble limité à l’ouest par la levée de terre de Vat Sang’O 5, il se développe vers l’est jusqu’au Mékong. La route moderne qui relie la ville actuelle de Champassak au temple de Vat Phu le traverse à l’est, parallèle au fleuve. Elle a été surélevée et élargie il y a quelques années, entraînant la destruction de vestiges préangkoriens dont les briques dispersées, parfois taillées et témoins d’architectures moulurées, sont visibles en surface sur les bas‑côtés de la route.

22Vat Sang’O est menacé depuis quelques années par des briqueteries modernes en pleine activité, installées à 15 mètres au nord des vestiges, et dont l’empiétement ne fait que s’accroître. D’une unique briqueterie en 2014, il en existe aujourd’hui une vingtaine (photo 5) bien qu’elles soient installées à l’intérieur du périmètre protégé par l’UNESCO dans la zone dite « d’études archéologiques ». Aucune disposition juridique n’a été prise pour stopper leur développement, mettant ainsi les vestiges préangkoriens en grand danger. Le plan de protection préparé lors de l’élaboration du dossier de classement pour l’UNESCO en 1998-1999 classe la seule Ville Ancienne intramuros en périmètre de protection maximale (ce qui n’empêche pas les destructions), tandis que toute la zone située au nord‑est a été classée en « risques moindres » et « zones de briques » bien que les tertres archéologiques étaient déjà identifiés à l’époque. Le secteur de Vat Sang’O est de ce fait encore moins « respecté » que celui de la Ville Ancienne. Ainsi, Vat Sang’O 2 a été planté de tecks il y a quelques années.

23En 2014, les vestiges de monuments en brique préangkoriens étaient encore visibles, cernés par les zones de travail et les fours. Ils ont aujourd’hui en partie disparu sans avoir eu le temps nécessaire pour vérifier leur appartenance à cette série cohérente de monuments qui composent le complexe de Vat Sang’O (photo 5).

Vat Sang’O 5

24La levée de terre de Vat Sang’O 5, à l’ouest des tertres de Vat Sang’O 2 et Vat Sang’O 3, est orientée nord-nord-ouest/sud-sud-est (long., 150 m ; larg., 30 m). Elle semble constituer la limite ouest du complexe de Vat Sang’O, qui se développe vers l’est et le Mékong. Au‑delà, la plaine rizicole s’étend à l’ouest. La partie supérieure de la levée forme une vaste plateforme, pratiquement plane (photo 6).

25En 2014, les fouilles ont débuté par l’étude de l’extrémité nord de cette levée où affleuraient les petites structures de latérite déjà pillées mentionnées plus haut. Cinq structures d’un même type (totalement inédit) ont été mises au jour durant cette campagne, dont trois intactes (photo 7). Il restait à tenter de mettre en évidence le plan d’ensemble par des fouilles complémentaires extensives, qui ont pu être réalisées en 2017.

26Les fours de la briqueterie moderne la plus proche sont maintenant installés contre l’extrémité nord de la levée de Vat Sang’O 5 et les abris des travailleurs ont été construits sur la levée elle‑même. Bien qu’il s’agisse de cabanes en bois sur pilotis, peu perturbantes en elles‑mêmes, leur existence empêche l’implantation de tranchées de vérification à l’extrémité nord de la levée pour déterminer le périmètre exact de l’espace ayant fonctionné avec ces structures.

27Le reste de la levée est traversé de chemins mais vide de toute réoccupation moderne. Considéré par les villageois comme habité par des esprits, l’ensemble est par ailleurs bien préservé. Ceci explique la faible épaisseur des dépôts anthropiques. En effet, soit les structures apparaissent au niveau actuel de la surface, soit elles sont enfouies sous à peine une dizaine de centimètres de sédiment (photos 8 et 9).

Quelques généralités au sujet des structures

28Les structures mises au jour sont de petite taille (de 1,80 × 1,90 m à 2 × 2 m), approximativement carrées ou légèrement trapézoïdales en plan. Elles sont implantées à intervalles réguliers (1,50 m environ) et fondées sur des galets. Certains éléments – tels que les fondations en galets et la manière dont les blocs de latérite sont disposés pour former des motifs « en roue » juxtaposés les uns aux autres avec, le plus souvent, un élément carré marquant le centre du dispositif (photos 10 et 11) – indiquent leur appartenance aux périodes préangkoriennes les plus anciennes (vi^e siècle au plus tard). Ce motif, que l’on retrouve sur d’autres monuments (en briques cette fois, fouilles MAFSL) parmi les plus anciens de la région, constitue un critère de datation. C’est le cas de Houay Sa Houa 2 (fin vi^e s.), du stūpa de Nong Vienne (fin vi^e s.), alors qu’il est rare à Nong Din Shi (fin vii^e s.).

30La zone de fouille débute à une cinquantaine de mètres de la partie conservée de la levée, du côté nord. Elle s’étend sur 300 m². Un carroyage de 4 mètres de côté a été implanté sur la totalité de la largeur de la levée pour s’étendre sur sa longueur.

31Douze structures du même type ont été mises au jour en 2017, portant ainsi leur nombre total à 17. Dans le carré H 16, quelques blocs en place pourraient être les vestiges perturbés d’une structure supplémentaire.

32Parmi les structures mises au jour, seules deux ont été largement pillées (K 14 et 15 – photos 12 à 15), sept sont assez bien conservées (G 14, 16, 17 ; H 15 et 16 ; J 17 ; K 16), les huit autres étant, soit détruites (H 14 et J 14), soit endommagées (G 15, H/J 15‑16, H 16, J 16, G 18 et H 18). En H 14 et J 14, c’est essentiellement la position de deux amas de blocs de latérite brisés qui suggèrent l’existence de deux structures à ces emplacements‑là compte tenu du plan général du bâtiment. Ces amas sont proches des structures pillées et on ne voit pas bien d’où proviendraient ces blocs brisés qui forment (surtout en J 14) des monticules assez conséquents mêlés à du sable peu dense.

Les fondations des structures

33À l’exception de celles qui n’existaient plus qu’à l’état de traces, les structures détruites restent bien visibles grâce à leurs fondations. Les parois des fosses de fondation sont verticales et s’adaptent parfaitement à la dimension des structures qu’elles reçoivent. Elles sont remplies de galets de rivière maintenus en place par un sable concrétionné dense et bien damé. Un liant y a peut‑être été ajouté puisque le substrat résiste aux intempéries (à court terme), et elles ont perduré malgré la destruction des structures elles‑mêmes. Tel est le cas des structures situées en G 15, G 18 et H 18, mais pas de celles en K 14 et 15, qui ont été pillées.

34En 2014, la structure pillée K 14 (photo 18) a pu être observée jusqu’à la base de sa fondation, révélant une épaisseur de 1,16 m de galets. Un seul sondage en profondeur a été pratiqué en 2017, de façon à ne pas fragiliser ces structures. Il avait pour but de comprendre les relations entre les fondations des autres éléments bâtis à proximité et de mettre en évidence les niveaux sur lesquels ils reposent. Ce sondage, conduit en G 15, a permis de mettre au jour les fondations des structures G 14 et G 15. Leur profondeur est d’un mètre, qu’il s’agisse de la structure G 14, parfaitement conservée (photo 20), ou de la structure G 15, qui a été détruite (photo 19). Toutes les autres structures reposent sur des fondations de type similaire, exceptée la structure H 16, dont la profondeur de fondation est bien moindre (environ 30 cm), et dont la base en galets forme un arrondi assez marqué. Cette structure semble correspondre à un ajout postérieur : les blocs de latérite sont de moindre qualité, ils sont moins bien taillés et de dimensions inférieures à celles des autres structures.

L’élévation des structures

35Une seule structure (H 15) est formée de quatre lits de blocs de latérite superposés, les autres en ont conservé de un à trois. Les blocs sont de dimensions variables, en moyenne 50 cm de longueur pour une largeur de 35 cm, et une épaisseur de 15‑20 cm, sauf pour les blocs carrés qui marquent le centre des motifs « en roue » du dispositif d’assemblage. La hauteur des structures varie par conséquent entre quelque 20 et 70 cm. Certaines des structures bien conservées (K 16, G 14, G 16 et G 17) ont subi des démontages partiels de leur lit supérieur à une date indéterminée.

36Curieusement, ces démontages affectent systématiquement une moitié de structure, une initiative qui reste inexpliquée. Seule la structure J 15 est bien conservée mais elle n’est formée que d’un seul lit de latérite. Ces perturbations sont peut‑être le fait de chercheurs de trésors. Ces mêmes pilleurs en ont détruit certaines entièrement puisqu’une partie au moins des blocs qui composaient ces dernières ont été retrouvés à proximité immédiate de ces structures, affleurant la surface actuelle ou même en surface (G 16 à G 18, H 18). S’il est difficile de dater ces pillages, certains ont eu lieu récemment puisqu’une chaîne en métal doré de fabrication récente a été retrouvée à 35 cm de profondeur par rapport à la surface actuelle lors du sondage en G 15.

37Les blocs de latérite qui composent ces structures ne sont pas tous de la même qualité : ceux des structures G 14, G 16, G 17, H 15, J 15, J 17, K 14 et K 15 sont taillés avec soin et parfaitement jointoyés, alors que les autres montrent des blocs plus grossiers, avec des angles arrondis au lieu d’angles droits parfaits, et s’épaufrent facilement. La qualité du matériau en est en partie responsable mais on peut remarquer que le soin apporté à leur aménagement est moindre.

38Ces différences posent la question de la reprise possible, à une date plus récente, du plan général initial de la composition par un ajout de structures. Nous avons souligné plus haut que le même soin n’avait pas toujours été apporté à l’aménagement des fondations (les structures H 16 et J 16 en particulier et dans une moindre mesure la structure J 15/16 – à cheval sur les deux carrés).

39Il n’est pas certain qu’il manque des lits aux structures bien conservées : la comparaison des niveaux relatifs des faces supérieures des structures indique une variation de 23 cm au plus (c’est entre les structures J 15/16 et G 16 que l’écart est le plus élevé). Ailleurs, les niveaux sont identiques ou varient tout au plus de 9 à 10 cm. Compte tenu qu’elles ont toutes « bougé » sur le plan horizontal en raison de perturbations naturelles (pluies de mousson, racines d’arbres, termitières) et que la surface des blocs n’est pas rigoureusement plane, nous pensons qu’il ne manque nulle part de lit complet de blocs de latérite. La variation du nombre de lits pour chaque structure serait donc volontaire.

Quelques hypothèses sur la destination des structures

40À notre connaissance, des structures de ce type, et la composition d’ensemble qu’elles forment, n’ont jamais été signalées jusqu’ici dans le monde khmer ancien.

42Comme nous l’avons mentionné plus haut, lors des fouilles du site de Vat Sang’O 2, situé dans l’axe de Vat Sang’O 5, à quelques mètres à l’est, la présence atypique d’un couloir pourtournant dégagé du bâtiment central interroge sur la nature des cultes pratiqués. Le rite bouddhique imposant la circumambulation autour du stūpa ou du bâtiment qui abrite les images sacrées, la question s’est posée de son appartenance à cette religion (ce qui n’est pas le cas de Vat Sang’O 3, nettement hindouiste au regard du socle à bec d’évacuation visible en surface).

43En 2014, nous avions suggéré que les structures de Vat Sang’O 5 pourraient être les vestiges de petits stūpa alignés, tels qu’on peut en voir dans les monuments bouddhiques anciens. Cependant, malgré la présence de briques ou fragments de briques disposés en pavement discontinu venant recouvrir partiellement certaines des structures, lors d’un remaniement postérieur du site, ces briques ne sont pas suffisamment nombreuses pour imaginer qu’elles aient pu former des petits éléments construits sur ces bases de latérite.

44Le plan d’ensemble qui se dégage donne plutôt à penser qu’il s’agit de piles construites pour supporter des éléments ayant une relation structurelle entre eux. Les fondations ne sont pas nécessaires pour supporter entre un et quatre lits de blocs de latérite de taille réduite. Beaucoup de soin a donc été apporté à la construction de ces piles. Les fondations en galets apparaissent d’ordinaire dans des bâtiments à usage religieux en matériaux permanents, tels les tours sanctuaires, nécessitant des fondations solides et profondes. Si ces piles ne sont pas les vestiges de bâtiments en briques, elles pourraient avoir porté un (ou des) bâtiments en bois d’une taille imposante et d’un poids conséquent. Par ailleurs, la latérite est rarement utilisée par les Khmers de l’époque préangkorienne pour bâtir leurs sanctuaires. Peut‑on alors en conclure que ce choix est lié à une destination différente des bâtiments, à usage laïc plutôt que religieux ? Doit‑on supposer, pour ce site aussi une influence mon (Dvāravatī), voire cam dans l’adoption de ce matériau ? La question reste ouverte pour le moment.

Les trous de poteaux

45La quasi-totalité des structures mises au jour sont percées de trous de poteaux, de diamètres et profondeurs très variables. Dix‑sept trous de poteaux ont été identifiés avec certitude, alors que cinq sont supposés (voir les tentatives de restitution, fig. 6 et 7).

46D’une circonférence importante, certains s’ancrent profondément dans les structures, traversant les lits successifs de latérite (H 15, G 16 et 17) en s’enfonçant parfois dans les fondations en galets (G 16). D’autres sont moins profonds ou forment un simple creux dans le lit supérieur de latérite, et sont souvent installés à cheval sur plusieurs blocs (K 14, J 17). D’autres encore sont de petite taille (H 15, J 17). Un seul, de dimension réduite, possède des angles droits (J 15). Probablement de forme carrée, il s’appuie pour moitié sur la bordure sud de la structure J 15.

47Certaines structures présentent plusieurs trous de poteaux (cf. H 15, J 17, J 15, K 14). Les structures G 14, G 15, G 17, G 18 (?), J 15/16, K 15, K 16 n’en montrent qu’un mais elles sont incomplètes. Une pierre en quart de cercle sur la structure (détruite) G 18 indique qu’elle était probablement percée d’un trou de poteau au moins, sans qu’on puisse le positionner.

48Des reprises sont visibles : l’angle nord‑ouest de la structure K 14 comporte trois trous de poteaux qui se chevauchent, indiquant soit le remplacement d’un poteau défectueux soit une hésitation quant au choix de l’emplacement exact.

49Indépendamment de leurs dimensions, les trous de poteaux assez profonds ont une forme en cône inversé. Certains blocs portent encore les traces du ciseau de sculpteur sur leur pourtour. Deux blocs en quart de rond, retrouvés isolés et à distance de leur emplacement d’origine sur les structures G 16 et G 18, soulèvent la question d’un aménagement prévu pour recevoir des poteaux dès le début de la construction.

50Sauf pour la structure G 17, aucun des trous de poteaux n’est centré sur les structures. Ils sont disposés sur les bords des piles et l’un d’eux (K 15) ne repose que pour une faible partie sur la latérite.

51L’impression laissée suggère la superposition de deux projets de construction qui n’auraient pas été conçus tout à fait en même temps, tels deux calques qui auraient glissé l’un sur l’autre et n’auraient pas été réalignés parfaitement. Il semble en effet que les structures en latérite ont été construites dans un premier temps, peut‑être pas la totalité d’entre elles comme nous l’avions supposé de prime abord. Dans un deuxième temps, les trous de poteaux auraient été creusés dans les blocs. Creuser un bloc de latérite qui a parfaitement séché n’est pas aisé. Dans la majorité des cas, lorsqu’il a atteint sa dureté maximale, il se brise imparfaitement en suivant les grains ferreux qui entrent dans sa composition. Nous suggérons par conséquent, au moins pour ceux qui portent des traces de coups de ciseaux, que le percement des trous de poteaux a été réalisé peu après l’élévation des structures.

52Replacés sur le plan général, la disposition de ces poteaux est hésitante, bien que des alignements se dessinent. Toutefois, la forme du ou des bâtiments n’apparaît pas clairement. Aucun élément de bois n’a été conservé en place mais il est possible que les édifices aient été démontés au lieu de s’effondrer sur eux‑mêmes lors de leur abandon. Par ailleurs, aucune trace d’incendie majeur n’a été repérée. Des petits fragments de charbons ont été retrouvés dans plusieurs sondages à plusieurs niveaux, sans qu’on puisse conclure qu’il s’agit de restes de foyers (analyses en cours).

Le plan d’ensemble

53Il est en tout cas manifeste que le plan d’origine a subi plusieurs modifications qui restent difficiles à dater précisément à ce stade des recherches. On peut tout au plus affirmer que ces transformations se sont déroulées durant la période préangkorienne, puisque la céramique mise au jour appartient quasi exclusivement à cette époque.

54Par ailleurs, le site a connu une occupation suffisamment longue pour que, dans un dernier état, un pavement discontinu fait de morceaux de grosses briques préangkoriennes vienne recouvrir une partie des structures et des trous de poteaux. Ces aménagements se situent donc à un moment où une section du bâti n’était plus en service.

55L’étude de l’espace central (situé dans les lignes des carrés H et J) renforce l’impression d’une possible modification du projet initial. Deux banquettes de graviers de latérite compactés et de galets, parallèles et orientées nord/sud, séparent les structures des carrés situés en H et J de ceux situés en G et K. La banquette ouest a été dégagée sur près de 11 mètres, la banquette est l’avait été sur un peu plus de 4 mètres lors des fouilles de 2014. Cette dernière disparaît sous le pavement de briques postérieur. Leur composition est semblable dans leur tronçon nord : graviers de latérite rapportés, progressivement remplacés par des galets.

56Seule la banquette ouest a été fouillée durant la campagne 2017. Le sondage en profondeur pratiqué en G 15 a permis de révéler sa base. Celle‑ci est située à 50 cm au‑dessus de la base des fondations des deux structures G 14 et G 15. Elle repose sur le substrat sablo-argileux qui constitue la levée de terre. Une tranchée a été nécessaire pour l’installer. Son fond était plan puisque sa base est horizontale. La composition de cette banquette n’est pas homogène : entre le carré H 16 et jusqu’au carré G 17, où elle se termine, la latérite broyée (sans élément anthropique visible) est remplacée progressivement, verticalement et horizontalement, par des galets. La face supérieure des deux banquettes affleure la surface actuelle, les plaçant ainsi au même niveau que la partie supérieure des structures de latérite. La banquette orientale, quant à elle, s’arrête net verticalement dans le carré J 15 (fouilles 2014).

57Ces deux banquettes n’étaient pas reliées à des banquettes perpendiculaires qui auraient ainsi formé un rectangle fermé. Ceci a été confirmé lors des fouilles conduites en 2018. En l’état, elles circonscrivent une zone de 12 mètres de long pour 8 mètres de large, ce qui correspond aux dimensions habituelles d’un sanctuaire préangkorien (du moins à Vat Phu).

58En admettant qu’il s’agit là encore de fondations de structures disparues, seuls quatre blocs de latérite alignés posés sur les galets (G 16/G 17) en témoignent. Elles sont indépendantes des structures carrées, dont elles sont espacées de quelques centimètres à peine. Doit‑on alors supposer qu’elles supportaient d’autres constructions en matériaux périssables ? Ces banquettes suscitent pour le moment plus d’interrogations que de réponses. Elles isolent l’espace médian et c’est justement dans cette zone que les structures de latérite mises au jour sont moins bien construites, plus « légères » en quelque sorte. C’est également là (H 15, H 16, J 15, J 16) que le matériel céramique est concentré.

59En H 16, une poche d’environ 0,60 m × 1 m, peu profonde (15 cm environ), aux limites floues, est bien visible grâce à la coloration rougeâtre de son remplissage de terre argileuse (coloration due à des fragments de briques décomposées). Elle a livré de multiples fragments qui recollent, permettant la restitution de nombreuses formes de céramiques.

60Il semble donc que l’espace domestique du lieu était situé dans cette aire, étayant l’hypothèse d’un habitat à cet endroit‑là.

61Nous suggérons que les structures présentes au centre ont été rajoutées postérieurement aux autres structures, à un moment où, peut‑être, les banquettes en latérite n’avaient plus d’usage. Ces banquettes pourraient avoir servi de supports à des éléments permettant de surélever l’espace médian pour former une composition à degrés mais les preuves manquent encore.

62On pourrait éventuellement penser à une aire de crémation mais outre le fait qu’aucun fragment d’ossement n’a été retrouvé – et qu’il n’y a aucune trace de foyers – la surface délimitée est soit trop vaste pour une unique incinération, soit plutôt étroite pour des incinérations multiples. On peut opposer à cela que les ossements sont recueillis et que les moussons successives effacent les traces des foyers mais cette hypothèse ne s’accorde guère avec la présence des structures carrées externes dont l’utilité ne s’explique pas dans ce cas, de même que celle des poteaux tels qu’ils sont placés. En outre, lorsque la latérite est soumise au feu, sa couleur brune évolue vers le rouge, ce qui n’est pas le cas ici.

63La quantité de céramiques retrouvée sur le site, en particulier dans la partie médiane du dispositif (carrés H 16 et J 16), invite à écarter cette hypothèse.

64Des rejets de pillages visibles en surface isolaient déjà cet espace et nous nous attendions avant de fouiller à mettre au jour une structure centrale entourée des structures carrées périphériques. Une fosse a bien été creusée là par des pilleurs et de la terre végétale noire est venue combler leur fosse de pillage (carré H 17). Un sondage réalisé au centre de cette fosse n’a révélé que des niveaux où le rejet de galets bouleversés se densifie dans le fond, mêlés à quelques fragments de briques, sans que les vestiges d’une quelconque structure soient mis au jour.

65L’arrêt de fouille a été décidé alors que la couche de galets devenait importante et des carottages pratiqués avec une tarière n’ont pas donné d’informations complémentaires, la tarière ne mettant au jour que la terre qui compose la levée. On peut se demander pourquoi les pilleurs ont décidé de creuser à cet endroit précis, à moins qu’ils n’aient découvert quelque objet précieux les incitant à penser qu’il n’était pas isolé. Les pilleurs semblent pourtant avoir abandonné leur creusement assez rapidement.

Les campagnes de fouilles 2018 et 2020

66Ces deux campagnes ont eu pour objectifs de :

• Compléter le plan de ce bâtiment par des sondages et tranchées réalisés sur les côtés nord, est et ouest du bâtiment et de déterminer si possible son accès principal.
• Vérifier la cohérence des éléments d’organisation du bâtiment révélés partiellement en 2017, en particulier l’existence des banquettes en latérite qui signalent manifestement un espace central (à vocation domestique ?) à l’intérieur du bâtiment.
• D’effectuer un nettoyage minutieux de l’ensemble de la levée afin de mettre en évidence la microtopographie de la zone débouchant sur la possibilité d’une sectorisation de l’espace, secteurs qui feront l’objet de futures fouilles.
• De vérifier la présence d’autres aménagements dans le prolongement sud de la levée.

Le bâtiment « de haut rang »

67Lors des fouilles de 2018, nous avons pu faire les constatations suivantes :

69Une tranchée a été ouverte sur le côté ouest, dans le prolongement de la limite de fouille de la campagne précédente, entre le carré G 15 et la base de la levée, en F et E 15. Elle a permis de dégager l’angle nord‑ouest de la pile G 14 découverte en 2017. Le haut col quasi-complet d’un vase à pâte fine a été retrouvé à la base des blocs de latérite qui forment le corps de la pile. Cette observation permet de confirmer les constatations effectuées en 2017 montrant que le niveau d’occupation se situe bien à la base des blocs de latérite et que les fondations en galets n’étaient pas visibles mais enterrées.

70Le reste de la tranchée n’a pas livré d’information complémentaire en ce qui concerne le plan du bâtiment. Aucune trace d’un mur de clôture n’a été identifiée. Le matériel céramique est rare. Les couches fouillées correspondent à l’édification de la levée. Des vérifications par carottages confirment la stérilité des couches inférieures.

71Du côté est, le carré J 17 a été réouvert afin de vérifier l’existence d’une banquette de latérite associée à celle mise au jour en 2017 dans les carrés H/G 15 à 18. Les dégagements effectués ont effectivement permis de confirmer l’existence de cette seconde banquette, composée, comme la première, de latérite rapportée non taillée et de galets de rivière, notamment en surface. L’existence d’un espace intérieur, qui a pu être isolé du reste du bâtiment par des éléments en matériaux périssables, se trouve ainsi mis en évidence. Un trou de poteau a par ailleurs été dégagé sur la banquette de latérite, dans le carré J 17.

72Ces deux banquettes parallèles ne sont toutefois pas prolongées par des banquettes perpendiculaires. Il n’y a donc pas de rectangle fermé comme l’ont aussi montré les dégagements pratiqués en G/H 14 (réouverture d’une partie de carré fouillé en 2017).

73L’extension de la fouille vers l’est a permis de mettre au jour la pile J 17, en bon état de conservation (malgré des blocs manquants qui pourraient signaler un poteau) ainsi que les vestiges de la pile J 18, dont seules les fondations sont conservées. Cette dernière complète et ferme l’angle sud‑est du bâtiment, confirmant là encore son plan général.

74Les sondages du côté est ont été élargis pour couvrir les carrés J/K 17‑18 et L/M 16 à 18.

75Entre les piles J 17 et J 18, l’alignement de six amas circulaires de galets, plus ou moins bien préservés mais régulièrement espacés, des carrés J 18 à L 18, sont probablement des bases de poteaux. Deux autres alignements du même type, beaucoup moins bien conservés cependant ont été mis au jour en L et M 16 à 17.

76Ces alignements de galets indiquent l’existence probable d’une terrasse en bois, constituant une avancée à l’est du bâtiment rectangulaire, avancée qui pourrait correspondre à son accès principal. La présence d’une grande termitière a malheureusement empêché de fouiller la zone en totalité.

77L’entrée principale du bâtiment se faisait donc du côté est, dans la longueur du bâtiment, contrairement à l’usage dans les bâtiments religieux, où l’accès principal se situe en règle générale dans la largeur.

78Du côté sud, une tranchée d’une largeur comprise entre deux et quatre mètres, a été ouverte dans un premier temps du carré G 19 au carré G 21, selon un axe nord/sud. Malgré la surface accidentée du sol actuel, qui pouvait laisser supposer l’existence de structures construites, elle n’a révélé aucun aménagement sur les niveaux de sol correspondant à celui du bâtiment. Si du matériel céramique est présent dans ces niveaux, il se raréfie en profondeur dans la levée de terre. L’absence de mobilier a conduit à interrompre la fouille de cette tranchée à une profondeur de un mètre.

79Cette tranchée met néanmoins en évidence la technique d’aménagement de la levée par paliers horizontaux successifs, qui ont été utilisés et aménagés de façon erratique, comme le montrent les quelques briques retrouvées à un mètre de profondeur en G 19 et G 21 ; celles situées dans le carré G 21 étant posées sur une mince bande de sable pur formant ce qui semble avoir été un passage provisoire, orienté nord-nord-est/sud-sud-est.

80L’absence quasi-totale de matériel et de structures bâties en G 19‑21 nous a conduit à identifier cet espace comme une cour isolant le bâtiment nord des secteurs de la levée situés plus au sud.

81La tranchée a été poursuivie jusqu’en G 24, puis étendue aux carrés H 22 à 24, avec une extension du côté ouest, en E/F 22‑23, en fonction des structures rencontrées.

82Un premier niveau d’occupation, situé juste sous la surface du sol de circulation actuel, apparaît dans les carrés G/H 22‑23 sur un niveau comparable à celui du pavement discontinu de briques qui recouvre partiellement les piles en latérite du bâtiment. Il s’agit de préparations de sols formées de briques finement concassées disposées les unes contre les autres. Elles dessinent des zones discontinues aux contours irréguliers, reliées ou non entre elles. Cette observation confirme qu’il y a bien un minimum de deux états d’occupation à Vat Sang’O 5. Cette même technique de préparation de sols avait été observée à Vat Sang’O 2, du côté est. Ce niveau recouvrait un état plus ancien (identifié à la tarière).

83Ce sondage a révélé de possibles trous de poteaux. L’un d’eux, peu profond mais de grande taille (diam., env. 50 cm), est isolé dans le carré H 23. Les autres, de petite taille et profonds d’une quinzaine de centimètres, contenaient des charbons, contrairement au précédent, stérile.

84Tous ces éléments signalent un habitat ou des ateliers.

85Ce pavement étant discontinu, des sondages ont été pratiqués dans tous les endroits possibles à l’intérieur des carrés G/H 22‑23. Un second niveau d’occupation apparaît à 25 cm sous le premier. On rencontre d’abord en F/G/H 22‑23 une « bande » formée d’un unique lit de quatre rangées de briques qui vient couper la levée au sud de la tranchée G 19‑21 selon un axe est/ouest. Cet alignement de briques est bordé, seulement du côté sud, par une fine couche de sable damé (1 cm environ). Au nord, on rencontre la terre argileuse habituelle.

87Sur le même niveau, un aménagement de sol formé, là encore, de sable rapporté parfaitement damé, montre de nombreuses traces possibles de ruissellement et d’eau stagnante (?). Plusieurs petits trous de poteaux (?) contenant des charbons ; des plateformes de briques en réemploi de forme circulaire ; des structures formées de sable de rivière, de galets et de briques signalent une organisation complexe de toute la zone dont la fonction reste à expliquer. Cet état d’occupation n°2 se situe sur les mêmes niveaux de circulation que le bâtiment nord.

Le matériel collecté jusqu’en 2017

Le matériel métallique

89En 2014, seuls deux fragments de coulures de bronze avaient été découverts en K 15, pratiquement en surface.

Le matériel en pierre

90Deux petites pierres semi-précieuses (cristaux de roche) ont été retrouvées, l’une en J 14, entre les blocs de la structure en latérite, et la seconde en H 15, proche de la surface. Il convient de signaler ici que de nombreuses autres pierres semi-précieuses ont été découvertes lors des fouilles de Vat Sang’O 2 (2013), dont certaines de grande taille (voir infra pour le matériel collecté en 2018 et 2020).

91Un petit objet en pierre (grès gris fin de qualité), brisé en trois fragments, malheureusement incomplet, a été mis au jour en H 16. Il est sculpté sur une face de trois cercles partiellement conservés de différents diamètres, de faible profondeur (2 mm), à fond plat (le plus petit, peu visible, est situé à cheval à la limite conservée de la cassure du fragment principal). La face opposée est lisse. Une partie du bord à angle droit est conservé, son arête supérieure est taillée à 45°. Il pourrait s’agir d’un moule.

92Un second fragment de pierre (diorite ?) trouvé au même endroit en H 16, possède d’un côté un bord taillé en biseau bien affûté légèrement convexe tandis que les angles du bord opposé sont coupés. Ce racloir (?) porte des marques en surface probablement liées à son utilisation.

93Tous deux étaient proches de la surface. Ce carré, situé dans la partie centrale ouest du bâtiment a livré du matériel diversifié sur plusieurs niveaux (fusaïole, deux fragments de fer). C’est également dans ce carré que se trouve la poche contenant de nombreux tessons de céramiques (voir infra).

La céramique

94Le matériel mis au jour en 2017 était composé essentiellement de céramiques. Il s’agit de terres cuites locales non vernissées, parfois décorées de motifs incisés simples. Ce mobilier, particulièrement intéressant en raison de sa diversité, a fait l’objet d’une étude préliminaire en 2019.

95Si assez peu de céramique avait été collectée lors de la campagne 2014 (fouille d’une zone en grande partie pillée), en 2017, la majorité de la céramique provient des couches supérieures, depuis la surface actuelle jusqu’à la base du lit inférieur des structures de latérite. Au‑delà, le matériel anthropique se raréfie fortement, constitué majoritairement de fragments de briques. Mis à part des tessons de bols en grès, aucun matériel moderne n’est visible sur la surface actuelle.

96La céramique retrouvée dans la couche de surface, mêlée aux radicelles des bambous, est très fragmentée. Mais dès la couche n° 2, qui correspond au niveau supérieur des structures de latérite, la fouille a livré des tessons de formes multiples en grand nombre, ainsi que des céramiques complètes.

97Deux bols complets, probablement posés à l’origine sur la structure G 15, ont été retrouvés brisés en position renversée à la base du lit supérieur de latérite. L’un des bols contenait un petit fragment de charbon (analyse en cours).

98Plusieurs becs de kendis (gargoulette héritée de l’influence indienne) en H 16, G 16, H 17, de nombreuses bases à fond annulaire, des couvercles à boutons de préhension (H 16), des cols de vases hauts aux bords éversés (H 16), des bords de vases annelés typiques de la céramique soignée préangkorienne (J 14, H 16), des fragments de panses avec éléments de préhension fixés à la barbotine ont été collectés. Ils permettront de compléter les formes déjà répertoriées lors des fouilles précédentes de la MAFSL.

99Les fragments décorés incluent un pied de coupe – à moins qu’il ne s’agisse d’un goulot de bouteille – épais, orné d’incisions parallèles horizontales au profil arrondi en relief (H 16, cf. photo 90). D’autres tessons d’épaules de vases sont soulignés de double ou triples stries parallèles.

100Quelques fragments épais en pâte rouge grossière appartenant à une même pièce (grosse jarre ?) ont partiellement conservé leur engobe : de couleur rouge, épais d’un millimètre, il semble avoir reçu un décor (H 16). Plusieurs petits tessons à pâte ocre ou noirâtre présentent des motifs cordés typiques de la céramique de tradition locale pré- et protohistorique qui a perduré (en G 15, H 14, H 16).

101Les fragments d’un petit creuset proviennent du carré G 15, mis au jour à la base de la structure G 14 (photos 91 et 92).

102Deux fusaïoles (H 15, H 16) complètent cet ensemble particulièrement riche. L’une d’elles (H 15) est ornée de trois stries parallèles sur son pourtour.

103L’ensemble de ce mobilier concourt à renforcer l’hypothèse de la présence d’une aire d’habitat à Vat Sang’O 5, la céramique étant généralement retrouvée en moindre quantité lors de fouilles de monuments religieux à Vat Phu, sauf sur le site de Houay Sa Houa 2.

104Cette céramique est comparable à celle du site de Vat Sang’O 2 et rappelle celle de Houay Sa Houa 2 (seconde moitié du vi^e siècle), ainsi que celle rencontrée dans les couches les plus profondes du temple de Nong Moung situé dans l’angle sud‑ouest de la Ville Ancienne, fouillé en 2011.

105Les formes et les pâtes sont similaires à celles identifiées ailleurs dans la Ville Ancienne. La plupart sont mal cuites, très fragiles et poreuses. Elles perdent systématiquement leur surface externe et interne, souvent de couleur orangée, parfois couvertes d’un engobe rouge. Des pâtes blanchâtres avec dégraissant de latérite, encore plus fragiles, sont pourtant utilisées pour des vases aux cols élevés, aux parois très fines. L’épaisseur des tessons se situe surtout autour de 2 à 4 millimètres mais on rencontre également des tessons très minces, de l’ordre du millimètre. Les grosses jarres peuvent quant à elles dépasser un centimètre d’épaisseur.

Le matériel collecté en 2018

Le matériel « précieux » et métallique

106256 pierres semi-précieuses ont été mises au jour en 2018 (seules deux avaient été collectées en 2017). 25 d’entre elles étaient réparties sur la quasi-totalité de la surface fouillée en 2018 sauf en J 18‑19 où 231 pierres ont été collectées. La plupart sont des trouvailles isolées dont le nombre varie d’une à cinq dans les carrés G à M, 13 à 24. Aucune ne provient du côté ouest (E/F 14 et E/F 22‑23). Quelques‑unes ont été trouvées en surface.

107Une poche de 0,80 × 0,60 m, profonde d’environ 30 cm, située à l’angle sud‑ouest du carré J 18 et à l’angle nord‑ouest du carré J 19, a livré 231 pierres semi-précieuses brutes. Cette poche apparaît au niveau de la base du lit inférieur des blocs de latérite de la pile J 18, qui correspond au sol de circulation du bâtiment. Par ailleurs, aucune limite de fosse d’enfouissement n’a été décelée.

108Les dimensions des pierres (cristal de roche transparent, améthyste, quartz rosé, cristaux opaques) varient de quelques millimètres à quelques centimètres. Quelques rares tessons de céramique ont été collectés à proximité. Ces pierres ne semblent donc pas s’être répandues au sol à la suite du bris d’une jarre.

110Un objet en terre cuite de grande taille, incomplet et brisé, relativement épais (plus de 2 cm à certains endroits), a été retrouvé isolé du côté sud du carré J 18, dans le remplissage de la levée de terre, à une cinquantaine de centimètres au sud de la face verticale sud des fondations de la structure en latérite J 18, et à une vingtaine de centimètres en profondeur de la partie supérieure de la fondation en galets de ladite structure, sur un niveau où l’on rencontre encore du matériel épars (tessons, briques), de J 17 à J 19. Il est à noter que la pile J 18, très endommagée, presque entièrement démontée jusqu’à ses fondations, a vraisemblablement été pillée, bouleversant peut‑être les données stratigraphiques.

111La pâte de couleur orange semble recouverte d’un engobe et/ou de traces de peinture ocre-rouge et noire sur sa face principale (à déterminer). La base, qui s’évase d’un côté « en éventail », comporte trois protubérances parallèles en relief arrondi qu’il reste à identifier. Il pourrait s’agir d’une enseigne décorative ayant orné l’entrée principale du bâtiment.

112Une amulette moderne en pierre (saponite ?) a été retrouvée, toujours en J 18, mais en surface cette fois. Haute de un centimètre et gravée de signes propitiatoires, probablement d’origine thaï, elle représente un Kacchayana, une figure populaire du bouddhisme.

113Le matériel métallique provient essentiellement du niveau d’occupation supérieur situé sous la couche de surface. Il comprend de très nombreux fragments de bronze brisés en petits morceaux. En dehors de ceux qui sont méconnaissables, un col de nāga à trois têtes, un fragment de buste, trois doigts aux phalanges tendues avec l’ongle indiqué, des décors en tresse, une oreille de statuette de Bouddha avec des fragments en spirales de sa chevelure, ont été mis au jour sur toute la zone G, H, 22‑24. Les doigts tendus indiquent plutôt un Bouddha qu’une divinité brahmanique, ces dernières ayant plus généralement les phalanges repliées sur leurs attributs.

La céramique

114Le matériel céramique appartient essentiellement à la période préangkorienne et correspond à celui collecté antérieurement à Vat Sang’O 5. Cependant, quelques tessons décorés épais, montrant une pâte très feuilletée par l’ajout de dégraissant minéral, semblent appartenir à la période préhistorique. La présence de tessons du même type sur le côté est du bâtiment, ainsi qu’une perle de verre bleue, pourrait signaler une occupation antérieure, dont les couches auraient été perturbées lors de l’édification de la levée. La zone J/M 16 à 18 a livré de la céramique en grande quantité, y compris des pots presque complets ainsi que des tessons de grande taille. Ce mobilier témoigne d’une activité plus importante dans la partie est du bâtiment, autour de son accès principal.

Le matériel collecté en 2020

115L’étude du matériel est en cours. De nombreux autres fragments de bronze ont été découverts lors des fouilles 2020 réalisées sur les couches supérieures de la levée, dans sa partie médiane (en F, G, 26‑27). Leur présence sur ces niveaux et leur large dispersion reste à expliquer. Ils comprennent une statuette de Bouddha, une main de Bouddha en abhayamudrā de taille supérieure à une deuxième main qui tient la tige d’un bouton de lotus, des doigts tendus. Des spirales ayant pu appartenir à des chevelures de Bouddha confirment qu’il s’agit bien d’images bouddhiques. Un élément comportant deux spirales opposées l’une à l’autre pourrait provenir d’un bijou.

116Cette campagne 2020 a également permis de collecter plusieurs menues feuilles d’or, une pastille en demi-sphère creuse, une bandelette d’or repliée, des ustensiles en fer, un bracelet en fer, ainsi qu’une vingtaine de pierres semi-précieuses réparties sur les couches supérieures de nombreux carrés et en surface.

117Dans l’ensemble des carrés fouillés, la céramique est très fragmentée et peu nombreuse sauf dans un sondage réalisé dans la partie sud‑est du carré G 27 où plusieurs tessons de jarres de cuisson en relation avec des foyers ont été mis au jour.

Les charbons

118Les campagnes 2017, 2018 et 2020 ont permis de collecter 997 échantillons de charbons, depuis la surface (charbons contemporains) jusqu’aux niveaux inférieurs atteints, à environ 1,50 m de profondeur. 55% d’entre eux ont été découverts en 2020. La plupart (80%) sont répartis entre les carrés J 14 et F 26, c’est‑à‑dire dans la moitié est de la levée.

Conclusions provisoires

119En l’état actuel des recherches sur Vat Sang’O 5, nos conclusions provisoires amènent à suggérer que ce site, qui révèle un type de structures et le plan d’ensemble d’un espace bâti totalement inédits pour la période préangkorienne, abriterait un habitat. Ce fait est confirmé par la présence en grand nombre de céramiques, de foyers et de fosses charbonneuses. Il pourrait avoir été occupé par des officiants des temples avec le matériel nécessaire aux cultes. Cependant, l’absence d’égrugeoirs en pierre par exemple, fréquemment utilisés pour broyer diverses substances nécessaires aux cultes et aux médications, est étonnante.

121Si cette hypothèse est confirmée, nous serions en présence de l’habitat à destination palatiale le plus ancien identifié et fouillé à ce jour pour la période concernée. Est‑ce justement pour ne pas utiliser les matériaux réservés aux demeures des dieux (le grès, la brique) que la latérite a été choisie comme matériau pour les piles de la structure sur pilotis ? La question mérite d’être posée.

122L’installation de ce bâtiment à l’extrémité nord d’une levée de 150 mètres de long, interrogeait quant à la destination dévolue aux autres parties de la levée. Son organisation spatiale, précisée en 2018, montre qu’elle est subdivisée en secteurs. Une aire à usage domestique, ou bien de travail, ou bien un habitat plus modeste, jouxte la « cour » sud du bâtiment dans la partie médiane de la levée. Une éventuelle palissade installée sur une base en briques, orientée dans le sens est/ouest de la levée, séparait, sans certitude, ces deux espaces.

123La fouille 2020 de la zone centrale de la levée, poursuivie dans le prolongement vers le sud des fouilles 2018, a permis de mettre au jour de nouvelles structures inédites, toujours à usage domestique, dont l’étude est en cours. L’extrémité sud de la levée fera l’objet des campagnes à venir. Ce troisième secteur pourrait avoir abrité des activités religieuses. D’après nos observations de surface, il semble être enclos par un muret, une hypothèse à confirmer.

124L’abondance du matériel collecté (céramique et charbons) et sa richesse (pierres semi-précieuses, or, bronze, fer) confirme le rang de cet habitat, qui, compte tenu de sa taille et du soin apporté à sa construction, des espaces domestiques et religieux qui l’accompagnent, pourrait être le palais d’une ville antérieure à la Ville Ancienne correspondant à ce que nous avons nommé le « complexe de Vat Sang’O ».