Remerciements : Nous souhaitons dédier cette chronique à la mémoire de notre collègue et ami Henri Tréziny, décédé le 10 août 2021 après avoir participé activement jusqu’au bout aux activités archéologiques de la mission française à Mégara Hyblaea.
Données scientifiques produites :
https://mh2021.hypotheses.org/
Chroniques de l’EFR :
https://journals.openedition.org/cefr/4311
1Après l’interruption imposée par la pandémie de Covid 19 en 2020, les missions de terrain ont pu reprendre à Mégara Hyblaea en 2021 avec trois campagnes successives – la première de prospections géophysiques en janvier, la deuxième de fouilles en mai‑juin, la dernière d’étude en octobre. Elles ont permis d’achever les opérations prévues dans le cadre du projet quinquennal 2017-2021 et de répondre aux principaux questionnements qui en faisaient l’objet, ainsi que de poser les bases d’un nouveau programme de recherche pour la période 2022-2026.
2En janvier 2021 ont d’abord eu lieu des prospections géophysiques. L’exploration, menée par la société Géocarta par prospections ARP, a porté à la fois sur la zone située au sud du sanctuaire du Nord-Ouest et sur un ensemble de parcelles situées sur le plateau Sud de la ville archaïque (fig. 1). Les résultats préliminaires de ces prospections ont été présentés, immédiatement après l’opération, dans la précédente livraison du BAEFE, mais il est désormais possible de compléter ces indications après un examen approfondi des données géophysiques, couplées aux résultats de la fouille 2021.
Fig. . Vue d’ensemble du site de Mégara Hyblaea avec les zones ayant fait l’objet de prospections géophysiques et schéma de la trame urbaine mise à jour avec les données des missions 2021.
Fond : Google Map, prospections : Geocarta ; schéma : H. Tréziny.
- 1 Gras, Tréziny, Broise 2004, p. 314‑320, fig. 337‑339.
3Dans la zone du sanctuaire, les prospections ont permis de mieux situer l’emprise du temple B, qui n’était qu’imparfaitement localisé par la documentation des fouilles anciennes. Elles ont ainsi contribué à déterminer la délimitation des sondages de la campagne de fouille 2021, afin d’explorer notamment une nouvelle zone à la limite des anciennes fouilles de Paolo Orsi (années 1917, 1920‑21) puis de Georges Vallet et François Villard (année 1952)1.
4Au sud de la ville archaïque, les prospections devaient permettre de vérifier l’extension vers le sud des rues E (identifiées sur le plateau Nord-Ouest de Mégara Hyblaea dans les fouilles 2017-2019), et l’hypothèse, actuellement retenue, que ces rues s’inscrivaient dans un plan d’extension de l’habitat mégarien à l’ouest du quartier de l’Agora dans tout l’espace clôturé par la fortification. Il est apparu que ce réseau de rues E se retrouve avec une grande netteté dans la partie sud-ouest du site, jusqu’à la fortification méridionale. L’entraxe moyen des rues E au sud, mesuré à partir de ces prospections, est de 26,20-26,50 m, soit très proche de celui (mesuré en fouille) de 26,40 m plus au nord. Il a donc été possible d’affirmer que le réseau de rues E étaient homogène sur la partie ouest des deux plateaux.
5Vers l’est, en direction de la voie ferrée et sur le plateau Sud, deux réseaux de rues d’orientations proches, mais non exactement superposables, sont également apparus : le réseau Z présente une orientation très proche de E ; le réseau Y, très certainement distinct de Z et de E, a une autre orientation, qui semble se retrouver dans la rue J de l’Arenella, et dans le réseau D de l’agora.
6La prospection a également confirmé l’existence d’une grande rue oblique G, large d’environ 5 à 6 m, orientée ouest-sud-ouest – est-nord-est, coupant le réseau de rues E. Elle semble correspondre à l’ouest à la porte Sud-Ouest de l’enceinte et se prolongeait à l’est en direction de la zone de l’Arenella : un des objectifs du nouveau programme de recherches 2022-2026 sera de vérifier l’existence et le tracé de la rue G dans cette zone, que des bâtiments archaïques découverts en 1990-1992 pourraient avoir bordée. Il n’est en revanche apparu aucune rue intermédiaire entre la rue G et la rue B, l’axe de circulation globalement orienté est-ouest le plus proche, situé à la distance notable de 200 m plus au nord, ce qui nous conduit à envisager l’hypothèses de l’existence, dans ce secteur d’ilots de très grandes dimensions.
7Enfin, les prospections 2021 ont permis de préciser le tracé du rempart archaïque et notamment le point d’inflexion de la muraille vers le sud-ouest, et de distinguer trois éléments parallèles qui représentent sans doute le fossé extérieur, le rempart lui‑même (constitué d’un double parement et d’un agger de terre dépourvu de pierres) et la rue pomériale qui le bordait à l’intérieur.
8La campagne de fouille s’est déroulée du 7 mai au 13 juin 2021, dans la zone du sanctuaire du Nord-Ouest, avec pour objectif d’achever la programmation 2017-2021 qui visait principalement à comprendre l’articulation entre la zone sacrée et l’habitat. Les campagnes menées depuis 2017 avaient en effet permis de mettre en évidence, à l’est de la zone du sanctuaire, deux rues d’orientation nord-sud (d’est en ouest E 10 et E 11) et une possible troisième rue E 12, délimitant deux îlots d’habitation (numérotés 113 et 114) qui s’inscrivent dans le plan d’urbanisme de la cité archaïque. Le lot 113W4 avait été fouillé jusqu’au substrat durant les campagnes de fouilles 2017-2019 (constituant ainsi la première maison archaïque de Mégara Hyblaea entièrement fouillée selon des méthodes stratigraphiques), tandis que le lot 114E4 avait été seulement partiellement exploré durant la campagne 2019. Après l’annulation de la campagne prévue au printemps 2020 en raison de la crise sanitaire, quatre sondages ont été ouverts en 2021 (fig. 2).
Fig. 2. Localisation des sondages 2021.
L. Damelet, AMU, CCJ.
9Le sondage 1_2021, recouvrant partiellement le sondage A de 2019 mais s’étendant sur une zone inexplorée à l’ouest, prévoyait deux opérations complémentaires. La première, confiée à l’équipe de préhistoriens conduite par Massimo Cultraro et Anita Crispino, avait pour objectif de reprendre la fouille du fossé néolithique dont une portion avait été mise au jour en 2019 sous la rue E 11 (fig. 3).
Fig. 3. Le sondage 1_2021 en fin de fouille, montrant la superposition des murs grecs archaïques sur les niveaux et le fossé néolithiques (en orange).
L. Damelet, AMU, CCJ.
10Ce travail a permis de délimiter l’emprise du fossé néolithique et d’en préciser la typologie, caractérisée par des murets de pierres venant renforcer le sommet des parois creusées dans le substrat rocheux en certains endroits, ainsi que par des resserrements ponctuels qui devaient faciliter le franchissement du fossé. La fouille d’une portion du fossé a également révélé une possible occupation intermédiaire entre les occupations néolithiques et les niveaux grecs, qui daterait de la fin de l’âge du Bronze et/ou début de l’âge du Fer (fig. 4).
Fig. 4. Tablette de silex taillée découverte dans le comblement supérieur du fossé néolithique.
R.‑M. Bérard, CNRS, CCJ.
11La seconde opération dans le sondage 1_2021 visait à achever la fouille de la pièce nord‑est de l’îlot 114E4, délimitée par deux murs à orthostates (MR 3008 au sud et MR 3009 à l’est) qui laissaient présager une datation antérieure à celle de l’îlot 113, et dont seuls les niveaux supérieurs, datés du VIe siècle, avaient été explorés en 2019. La fouille 2021 a confirmé une installation du lot 114E4 au plus tôt dans la première moitié du VIIe siècle et a révélé des vestiges de pratiques votives probablement domestiques, comprenant le dépôt de fractions d’objets métalliques dans la pièce d’habitation et plusieurs dépôts céramiques originaux (vases miniatures, portions de vases montrant les indices de bris intentionnel, etc.) articulés autour de plusieurs niveaux de foyers superposés dans la cour de cette maison (fig. 5).
Fig. 5. Foyer en cours de fouille et dépôt votif d’un kalathos et d’un pied de coupe ionienne dans la cour du lot 114E4.
Foyer : L. de Barbarin, AMU, CCJ ; dépôt : L. Damelet, AMU, CCJ.
12Trois sondages 2.1, 2.2 et 2.3_2021 ont par ailleurs été ouverts dans le secteur du temple B, afin de vérifier la présence de possibles traces d’un habitat du VIIe siècle dans cette zone. En effet, la découverte en 2019 d’une nouvelle rue E 12 à l’ouest de l’ilot 114, à un endroit que l’on pensait jusqu’ici se situer à l’intérieur de la zone réservée du temenos du sanctuaire, avait amené à s’interroger sur l’articulation du réseau de rues et de l’habitat avec l’aire sacrée. L’hypothèse formulée au début de la fouille 2021 était ainsi que la zone du sanctuaire aurait pu être, dans un premier temps, limitée, autorisant l’extension de l’habitat très à l’ouest. La monumentalisation des temples au VIe siècle se serait ensuite accompagnée d’une réorganisation de ce quartier par l’élargissement du temenos à l’est, aux dépens des zones d’habitat
13Dans cette perspective, le sondage 2.1 avait d’abord pour objectif de de positionner précisément le côté est du bâtiment au VIe s. av. J.‑C. (temple B) pour l’intégrer aux données topographiques du SIG mégarien. Les profondes entailles creusées dans le substrat rocheux, ainsi que la structure post-archaïque constituée de blocs archaïques réutilisés, retrouvées lors de cette campagne, ont constitué une base solide pour cette opération, qui a pu être menée avec succès (fig. 6).
Fig. 6. Le sondage 2.1 en fin de fouille avec la structure post-archaïque à l'ouest et la structure préhistorique absidale à l’est.
L. Damelet, AMU, CCJ.
14En outre, ce sondage avait également pour ambition de vérifier si la portion de mur signalée par G. Vallet et Fr. Villard, immédiatement à l’est du temple, tranchée par l’entaille la plus orientale de l’implantation du bâtiment, ne pouvait pas correspondre aux restes d’un habitat du VIIe s. av. J.‑C., antérieur à l’installation du temple. La fouille a montré qu’il s’agissait en réalité de vestiges d’un habitat néolithique, probablement une cabane à abside, dont le comblement s’est révélé riche en fragments de faune, de céramique à décor imprimé de la culture de Stentinello, mais aussi de fragments de lame de silex et d’obsidienne. Les niveaux grecs archaïques du VIIe s. ont quant à eux probablement été arasés lors de la mise en place du niveau d’installation du temple B au début du VIe s.
15Les sondages 2.2. et 2.3, plus au sud, ont confirmé cette hypothèse : alors qu’ils avaient pour objectif d’intercepter une possible rue E 13 et les éventuels vestiges d’habitat associés dans une zone non fouillée (ni par Orsi, ni par Vallet-Villard), ils ont en effet révélé l’apparition des niveaux néolithiques immédiatement sous la terre végétale. Seules quelques structures en creux rappellent la présence postérieure de vestiges grecs archaïques sans qu’on puisse néanmoins les identifier précisément. Si, comme en témoigne la présence d’offrandes anciennes enterrées dans le niveau néolithique ou dans le comblement de la tranchée d’épierrement des blocs du temple du VIe siècle, le secteur a probablement accueilli un sanctuaire dès le VIIe siècle, celui‑ci devait se situer sur une légère éminence topographique qui a été entièrement détruite lors de l’installation du temple B.
16Une mission d’étude s’est enfin tenue entre le 3 et le 17 octobre 2021. Celle‑ci a permis de faire le point sur la documentation céramique de la fouille de printemps et de préparer la rédaction du rapport annuel. Elle a aussi permis à deux étudiantes d’Aix Marseille Université, Fiona Cornet et Ilona Pata, d’engager une recherche préliminaire de Master. La première a travaillé sur le matériel et la topographie de la nécropole Nord-Ouest, dite « Colletore SAIN », fouillée par les services de la Surintendance de Syracuse en 1984 lors de travaux d’urgence de pose d’un tuyau d’évacuation des eaux usées. La seconde a commencé l’étude d’un ensemble de plusieurs centaines d’objets en bronze recueillis par G. Vallet et Fr. Villard en 1953 lors de la fouille des secteurs F1 et F3 de la muraille hellénistique. Il s’agit là de dépositions probablement votives d’époque archaïque inscrites dans un périmètre restreint le long de la bordure Sud du plateau Nord qui confirment la présence d’un sanctuaire archaïque dans ce secteur. Ces travaux pourront constituer les bases de futures thèses de doctorat, contribuant ainsi à la formation de jeunes chercheurs en même temps qu’à l’exploitation et à la mise à disposition du public scientifique des riches archives de fouilles encore inédites à Mégara Hyblaea.
17Quoique certaines questions restent encore en suspens et malgré les difficultés imposées par la crise sanitaire, la campagne 2021 a ainsi répondu aux principaux objectifs fixés pour le programme quinquennal 2017-2021, en permettant de resituer l’emprise du temple B et de préciser les modalités de son insertion dans le réseau d’habitat mégarien au VIe siècle. En 2022 commencera ainsi un nouveau programme de recherche quinquennal qui portera sur la dépression de l’Arenella, une zone située entre les deux plateaux mégariens où se rencontrent à la fois des vestiges urbains monumentalisés, un espace d’habitat et des tombes archaïques et hellénistiques, dont l’articulation autour du tracé du possible rempart de bord de mer constitue un enjeu majeur pour la compréhension du phénomène urbain colonial.