Données scientifiques produites :
https://www.archeonil.fr/​index.php/​les-chantiers/​galala-nord
https://www.ifao.egnet.net/​recherche/​archeologie/​ouadi-sannour/​

1. Problématique et résultats des travaux antérieurs

1Les recherches entreprises au Ouadi Sannour depuis 2014 ont pour objectif l’étude d’un vaste complexe minier localisé sur la partie sud‑ouest du massif du Galala‑nord. Les calcaires éocènes de ce plateau contiennent de riches ressources d’un silex gris calcédonieux de très belle qualité, qui a fait l’objet d’une exploitation intensive depuis les premières dynasties jusqu’à l’Ancien Empire. Des carrières et des ateliers de production d’étendue variable ont été localisés à ce jour sur près de 1 000 km², dans une large zone entre le Nil et la mer Rouge, ainsi que des campements dont l’étude a été placée dans nos priorités.

2Les mines constituent, en effet, des espaces d’interaction entre les populations du désert, qui maîtrisent le milieu et les ressources, et les groupes venus de la Vallée du Nil (mineurs, tailleurs, administrateurs, soldats) pour en exploiter les richesses au profit d’une classe dominante, qui, de son côté, exerce sur cette exploitation une pression et une centralisation accrues. Comment les sites se positionnent‑ils dans la géologie locale au sein d’un réseau de circulation et de communication qui joint la Vallée du Nil à la mer Rouge ? Quelles techniques de taille du silex ont été mises en œuvre pour produire à grande échelle des objets de qualité opérationnels, tant au plan économique (les lames) que symbolique (les couteaux) ? Est‑il possible de percevoir une dimension socio‑économique au travers de l’étude des productions ? Existe‑t‑il des établissements relais ayant pu fonctionner comme des centres de redistribution ? Ce sont ces questions qui constituent notre problématique et guident nos recherches sur le terrain.

3En 2014, les travaux ont porté sur deux centres miniers importants (WS100 et WS118) et sur la fouille d’un ensemble de quatre bâtiments, localisés près du Ouadi Umm Nikaybar (WS005), datés de l’Ancien Empire. La campagne 2015 a été consacrée à la fouille et au relevé d’un nouveau campement localisé plus au sud (WS010), sur lequel a pu être mis en évidence un atelier de production de lames et de couteaux bifaciaux. En 2016, nous avons repris et complété les observations dans le Ouadi Umm Nikaybar et sondé les restes d’un nouveau campement identifié sur une terrasse du ouadi (WS013). La mission a également été consacrée à des prospections sur de nouvelles mines repérées dans le Ouadi Abou Rimth et à la fouille d’un atelier de débitage de lames intact, implanté à proximité immédiate d’une carrière d’extraction de silex (WS328). Depuis 2017, les campagnes ont principalement été consacrées à la fouille du vaste campement WS013 localisé au fond du Ouadi Umm Nikhaybar. Ce camp de mineurs, de 600 m² de superficie, est composé de plusieurs groupes de bâtiments qui ont fonctionné en relation avec les exploitations de silex et, dans une moindre mesure, la collecte de jaspe rouge du Ouadi Sannour. Ce site, daté entre la II^e et la IV^e dynastie, est le complexe le plus important identifié à ce jour sur le plateau du Galala. Il est placé au cœur d’un vaste réseau de circulation entre la Vallée du Nil et la mer Rouge. Après une année d’interruption due à la pandémie mondiale de coronavirus, la campagne 2021 a essentiellement porté sur la suite de la fouille du camp de mineur WS013, situé dans le Ouadi Umm Nikaybar. Par ailleurs, les prospections ont été poursuivies sur un ensemble de collines localisées à 12 km au nord‑est, où un vaste ensemble de mines et ateliers de silex totalement inédit a été identifié par l’examen des images satellitaires.

2. Résultats de la campagne 2021

2.1. Le campement de mineurs WS013

2.1.1. Le bâtiment nord et les structures en place

4En 2017, nous avions dégagé sur le site WS013, qui se trouve sur la terrasse d’un méandre du Ouadi Umm Nikaybar, le plan d’un bâtiment composé de cinq pièces auquel s’accolaient plusieurs autres pièces manifestement ajoutées (Briois, Midant‑Reynes 2018). Nous avions noté un décalage dans l’orientation du mur nord de la pièce F de sorte qu’il joignait un autre ensemble cohérent, situé à l’ouest, en bordure du ouadi, et que nous avons dégagé en 2018. Afin de comprendre l’articulation fonctionnelle et chronologique de ces deux groupes de bâtiments, la fouille du secteur ouest avait été programmée pour 2019. Mais nous avons dû réorienter les actions de terrain en raison d’un énorme trou de pillage qui, dans ce secteur ouest, a détruit une partie des structures et a recouvert les autres d’un monumental amas de blocs calcaire. Au regard de cet événement, nous avons engagé la fouille vers le nord, à partir de la petite structure N incomplètement dégagée en 2018 et dont on pouvait supposer qu’elle constituait l’extrémité sud d’un autre ensemble se développant vers le nord (Briois, Midant‑Reynes 2020). C’est alors que WS013 s’est révélé être un véritable établissement, qui suit la courbe du méandre du Ouadi Umm Nikaybar, constitué d’un nombre important de bâtiments, dont la durée d’occupation et la chronologie interne restent à évaluer mais qui se concentrent, d’après les données céramiques, sur la IV^e dynastie.

5Le bâti se développe en effet vers le nord, avec un changement d’orientation nord‑est – sud‑ouest, et comprend plusieurs constructions en partie ouvertes et la grande pièce W, qui, à l’instar des petits bâtiments de WS005, comprend un compartiment (sans doute un espace de stockage) dans sa partie nord.

6Les fouilles 2021 se sont étendues au nord de ce bâtiment W, sur une surface d’environ 100 m² (fig. 1).

7Après un espace non construit d’environ 1,50 m de largeur à partir du mur nord de W, une partie d’un ensemble complexe de bâtiments a été dégagée. Il se compose actuellement de trois pièces allongées – Ba, Bc et Bd/Be, totalement fouillées à l’exception du mur est de Bd/Be encore en partie sous berme – et, à l’ouest, d’une pièce non encore dégagée, mais identifiable grâce à son mur sud et au départ d’un mur nord, dont le lien avec le mur ouest de Ba devra être mieux défini par la fouille (fig. 2).

8Ces espaces présentent des réaménagements et se distinguent des formes rectangulaires des pièces de l’ensemble sud (A, B, C, D) par des murs de modules différents et des formes en abside (mur nord de Bc), qui avaient déjà été repérées dans l’ensemble ouest (locus G). Toutes les pièces des bâtiments possèdent un foyer, parfois aménagé. Dans le cas de cet ensemble nord, les zones foyères sont particulièrement prégnantes, les pièces en présentant deux au minimum. À l’extérieur du locus Ba, l’espace est marqué par une zone cendreuse très intense et particulièrement étendue, à fouiller en 2022.

9Comparativement aux espaces précédemment fouillés, plutôt investis dans des activités artisanales, ceux‑ci sont extrêmement riches en faune (plutôt caprinés et quelques vertèbres de poissons), ce qui suggère des activités culinaires liées aux structures de combustion (fig. 3). D’abondants os brûlés ont été récoltés au tamisage des foyers.

2.1.2. Les mobiliers découverts sur les sols d’occupation

2.1.2.1. L’industrie en silex

10Trois amas de taille du silex, parfaitement conservés, ont pu être dégagés en différents points du secteur nord : l’amas 1580 correspond à une aire de rejet de grands éclats de débitage provenant de la vidange d’un atelier voisin (fig. 4) ; 1560, situé à proximité immédiate, est en majeure partie composé de déchets de fabrication de couteaux bifaciaux dont de nombreux éclats ont fait l’objet de remontage ; 1662 correspond à une concentration de déchets de taille presque exclusivement composée d’éclats de façonnage de couteaux bifaciaux. Ces accumulations de déchets apportent de précieuses informations technologiques sur les modes de production des divers types d’outils en silex. Leur localisation et leur contenu renseignent également sur le mode d’organisation des équipes d’artisans en distinguant lieux spécialisés dédiés aux activités de taille et aires de rejet de déchets de production.

11L’espace Be a livré une concentration de petites lames standardisées comme cela a souvent été observé à l’échelle du site. Ces pièces, relevant de productions industrielles effectuées sur place ou dans le proche environnement, étaient sélectionnées et conditionnées sur le campement avant d’être acheminées vers la Vallée du Nil. Leur présence correspond soit à des restes de stocks oubliés, soit à des pièces cassées ou présentant un défaut qui ont été abandonnées sur place.

12Les sols d’habitat des différents espaces construits ont livré également de l’outillage, qui était destiné à être utilisés sur place pour les activités du quotidien. Il correspond essentiellement à des couteaux bifaciaux et à des lames retouchées, dont certains sont en silex d’origine extérieure au plateau du Galala. Ces outils sont parvenus sur le site sous la forme de pièces prêtes à l’emploi en même temps sans doute que tout l’équipement transporté depuis la Vallée du Nil au cours des multiples expéditions. Les couteaux identifiés ont souvent subi plusieurs cycles de retouches qui ont modifié leur morphologie, comme cela est fréquemment observé sur les sites d’habitat permanent de la Vallée du Nil ou des établissements temporaires comme ceux qui bordent la mer Rouge. Les types, caractérisés par une soie longue et bien dégagée par un cran (fig. 5), correspondent à des modèles identifiés dans des contextes bien datés comme les sites de la IV^e dynastie du Ouadi el‑Jarf.

2.1.2.2. La céramique

13L’essentiel du matériel céramique étudié provient du campement de mineur WS013. Par ailleurs, deux zones ont été prospectées et ont fait l’objet d’un ramassage de surface. D’une part, un espace proche des installations fouillées, situé au nord‑ouest de celles‑ci, sur la rive ouest du Ouadi Umm Nikaybar, et, d’autre part, le secteur WS003.

14Le mobilier issu de la fouille du campement WS013 offre un échantillon des productions de la IV^e dynastie. Il se compose en majeure partie de récipients importés de la Vallée du Nil, productions à pâte calcaire (48 %) et alluviale (26 %). Les productions locales – essentiellement des moules à pain et plats ou plaques de cuisson – représentent 15 % de l’ensemble et les productions du Ouadi el‑Jarf, 11 % du mobilier.

15La grande majorité des productions présente une facture brute, ne témoignant d’aucune attention particulière portée au traitement de la surface externe, mais la vaisselle fine, à bel engobe rouge poli, représente toutefois 18 % du mobilier.

16Le répertoire des formes est peu varié. Les jarres de transport/stockage, à pâte calcaire et à pâte alluviale, rarement engobées, sont les plus nombreuses. Elles représentent 60 % des individus comptabilisés cette année et se classent selon une dizaine de types morphologiques. Un profil complet et un second au fond manquant ont pu être remontés. Au sein du groupe des jarres à pâte alluviale se trouve celui des jarres à bière à pâte Nile C, mais leur présence est rare. Le matériel de préparation alimentaire est ensuite le groupe de productions le mieux représenté, 22 % de l’ensemble. Ce groupe rassemble les jattes et les cuves à pâte plus ou moins grossière (8 %) et le matériel de cuisson (14 %), incluant les moules à pain (11 %), les plats à pain (2 %) et les plaques de cuisson (1 %). Les moules à pain représentent 11 % du matériel et sont généralement à pâte locale ; un seul individu produit avec une pâte du Ouadi el‑Jarf a été reconnu.

17La catégorie des coupes Maidum‑bowls (fig. 6) est le troisième type de récipient le plus fréquemment trouvé ; elle constitue 10 % du mobilier. Les 8 % restant comprennent les autres catégories formelles : les coupes (5 %), les supports (3 %), un type de petit pot perforé (2 %) et les plats (1 %).

18La prospection de surface de la zone située à proximité du WS013, en cours de fouille, sur la rive ouest du ouadi Umm Nikaybar, a livré un matériel en tout point comparable à celui du WS013. Quant au ramassage de surface réalisé au WS003, il a livré un mobilier plus récent, non homogène, mais dont la datation n’est pas antérieure à la XVIII^e dynastie. Parmi les éléments collectés se trouvaient les fragments d’une pipe ottomane.

2.2. La citerne WS012

19L’opération de terrain a également été consacrée au nettoyage et au dégagement partiel d’un vaste bassin – WS012 – creusé dans le substrat calcaire, localisé à 80 m à l’ouest du campement WS013. Ce bassin se situe au fond d’un petit ouadi, adjacent au Ouadi Umm Nikhaybar, qui s’écoule depuis le nord‑ouest en direction du sud‑est. Il a été aménagé en contrebas d’une petite falaise de huit mètres de hauteur, dans le but de capter les eaux d’écoulement des eaux de pluie (fig. 7). De forme quadrangulaire et de fort volume, ce collecteur d’eau a été creusé dans une assise de calcaire massif. Un sondage a été effectué dans l’angle sud‑est dans le but de connaître la nature du remplissage et de trouver d’éventuels éléments de datation. Il a révélé une stratigraphie d’au moins deux mètres de hauteur dont la moitié supérieure correspond à un éboulis sec composé de cailloux calcaires et la moitié inférieure, à de multiples niveaux de limon très induré. Le fonds du remplissage n’a pu être atteint au cours de cette campagne. Aucun vestige archéologique n’a été trouvé à ce jour, mais il est très probable que ce bassin ait servi de réserve d’eau pour les expéditions qui ont occupé le Ouadi Umm Nikhabar au cours de l’Ancien Empire et sans doute même après.

2.3. Les prospections

20Le programme de prospection a été consacré à un vaste ensemble de mines de silex préalablement repéré par l’examen des images satellites au sein d’un ensemble de collines localisées à 12 km au nord‑est de WS013. Les sources de silex, abondantes dans ce secteur, ont été exploitées sous la forme de tranchées, parfois multiples, sur le bord des plateaux calcaires entaillés par l’érosion. Les haldes forment des monticules de cailloux calcaires longilignes très reconnaissables dans le paysage naturel (fig. 8). Ces sites, totalement nouveaux et intacts, sont systématiquement connectés avec des ateliers de taille datant du début de l’époque pharaonique qui se manifestent par de fortes concentrations de déchets d’ampleur très variée. Les plus remarquables d’entre eux ont livré de grandes quantités de pièces très significatives d’un point de vue technologique, correspondant soit au débitage laminaire (fig. 9) soit au façonnage de grands couteaux bifaciaux (fig. 10) et, plus rarement, de disques bifaciaux correspondant à des préformes de bracelets.

2.4. Étude d’un atelier de production de pierres à fusil de l’époque de Mehmet Ali

21Une partie du programme de terrain a également porté sur l’étude d’un vaste atelier de taille d’époque moderne – WS003 – localisé près des installations d’époque pharaonique du Ouadi Umm Nikhaybar. Ce site, mentionné dans le courant de la deuxième moitié du xix^e siècle (Schweinfurth 1886) et retrouvé en juin 2013 (Briois, Midant‑Reynes 2014), a pu faire l’objet de relevés et d’un premier travail de caractérisation technologique des productions par P.‑A. Beauvais.

3. Conclusions et perspectives 2022

22La mission 2021 a été un tournant décisif dans le programme du Ouadi Sannour. Ses acquis ont été multiples et ont engagé une diversification des approches, qui constitueront les objectifs prioritaires de la mission 2022.

23WS013 s’avère être un vaste établissement, formé de bâtiments sectorisés, offrant des différences notoires en termes d’architecture et de fonctions. Ses importants remaniements, bien attestés cette année dans le secteur nord, renvoient à des phases d’occupation multiples, centrées cependant sur la IV^e dynastie. À ce jour, aucun établissement de cette envergure, en lien avec des exploitations minières, n’a été fouillé.

24Mais si WS013 constitue bien ce grand établissement au cœur d’une vaste aire d’exploitation du silex, et également d’autres matériaux (jaspe, calcaire), probable centre principal d’acheminement et de répartition, la vie des mineurs et des tailleurs se déroulait, elle, sur les lieux mêmes de production.

25Le site WS329 est, à cet égard, significatif. Ce site, découvert lors des prospections en 2014, correspond à une construction composée de 10 pièces calibrées et jointives, placée au cœur d’un espace minier localisé en bordure du Ouadi Abou Rimth. Une production industrielle de lames régulières et de couteaux bifaciaux a pu être identifiée en lien avec ce bâtiment dont l’étude reste à faire.

26Enfin, l’importance des conditions environnementales pour la simple survie dans ces espaces désertiques – et, de ce point de vue, la stratigraphie fine de WS013 témoigne d’aléas climatiques multiples – n’échappe à personne. Nous avions déjà signalé la présence d’un bassin creusé à proximité du site, et exprimé le souhait d’y pratiquer un sondage. Chose commencée cette année. L’étude approfondie de la nature de son remplissage permettra d’apporter des éléments essentiels pour la compréhension non seulement de son fonctionnement, mais également des épisodes climatiques qui se sont déroulés depuis les débuts de son utilisation.

27Trois chantiers sont prévus pour cette importante mission qui se déroulera en février 2022 :

– Le campement WS013 : le dégagement de la totalité du bâtiment (locus Bb et Bd/Be, à l’est) et de son extension vers le nord.
En raison des importants niveaux sédimentaires qui ont enseveli les murs ruinés de ce grand bâtiment, un temps important est nécessaire avant d’arriver aux niveaux archéologiques qui, eux, relèvent d’une fouille fine consistant, dans un premier temps, à dégager le matériel (silex, tessons, faune, objets) en le laissant en place.

– La « citerne » WS012
Le dégagement de la citerne sera poursuivi, notamment pour obtenir la limite de son ouverture dans la partie nord et pour poursuivre le sondage jusqu’à la base du remplissage. Une étude approfondie de la stratigraphie et du contexte géomorphologique permettra d’analyser finement les rythmes dans la dynamique de dépôt des limons en lien avec les évènements climatiques.

– L’établissement minier de WS329
Ce site, découvert lors des prospections en 2014, correspond à une construction composée de 10 pièces calibrées et jointives, placée au cœur d’un espace minier localisé en bordure du Ouadi Abou Rimth. Une production industrielle de lames régulières et de couteaux bifaciaux a pu être identifiée en lien avec ce bâtiment dont l’étude reste à faire. La campagne 2022 aura pour objectif la réalisation d’un relevé photogrammétrique complet du site, d’un dégagement des structures bâties et l’étude des ateliers de taille du silex présents dans son proche environnement.

4. Publications

28F. Briois, B. Midant-Reynes, « Les mines de silex pharaoniques du ouadi Sannour dans le désert oriental », dans L. Coulon (coordinateur), « Égypte : dernières découvertes », Archéologia n° 596, 2021, p. 43.