Données scientifiques produites :
https://www.ifao.egnet.net/​archeologie/​dendara/​

Introduction

1Étant donné l’approche globalisante qui anime la mission dans la connaissance de l’environnement antique de Dendara, nous déplorons ne pas avoir obtenu l’autorisation de la part du MoTA de travailler sur le cimetière et le survey géoarchéologique à l’échelle du site, malgré les résultats obtenus au cours des campagnes précédentes. L’action de la mission 2021 a ainsi été réduite aux interventions à l’intérieur du périmètre touristique du temple d’Hathor. En conséquence, la venue des équipes de scientifiques et d’ouvriers concernés par les fouilles du cimetière et des catacombes d’animaux, ainsi que par le survey géoarchéologique extra muros, a été annulée.

1. Téménos du temple d’Hathor

1.1. Mur du téménos du temple d’Hathor, étude et restauration

Joachim Le Bomin et Matthieu Vanpeene

2Après une première réunion tenue le 8 septembre 2021 entre les responsables régionaux du MoTA, Ayman Indy (directeur du bureau de Qena), Hakim al‑Saghir (directeur du temple et du site de Dendara) et M. Vanpeene, il a été convenu de commencer l’opération d’étude et de restauration de l’enceinte en briques crues sur le premier massif jouxtant, à l’ouest, la porte principale du téménos localisée au nord du sanctuaire. Les dimensions des briques (36 × 16 × 9 cm) nécessaires à la restauration du mur ont été validées par les autorités. En raison de leur grand format, le processus de fabrication nécessitait au moins un mois de séchage. La production de plus de 20 000 briques a donc commencé dès le 8 octobre, soit avant le début de la mission, sous la supervision locale du raïs Abdallah Khalil (fig. 1). 20 000 autres ont été fabriquées pendant la première quinzaine de novembre dont une partie pourra être exploitée lors la prochaine campagne. Toutes les briques utilisées ont été estampillées « IFAO » afin de différencier, en cas d’études futures, l’œuvre de conservation du bâtiment original.

3En préalable à la mise en œuvre de la restauration du massif, les déblais recouvrant la structure ont été retirés et les travaux de restauration antérieurs, sur le point de s’effondrer et ne respectant pas les courbes originales du mur, ont été démontés. Ces derniers présentaient également deux types de briques différents, aucun ne correspondant au module original.

4En parallèle, les occupations secondaires installées sur l’arase de l’élévation du mur ont été fouillées sur une surface de 19 × 7 m. Aux abords de la porte du téménos, trois pièces d’un bâtiment avec des sols en briques cuites se succèdent à une altitude de 80 m, soit à environ 5 m au-dessus du sol de circulation actuel (fig. 2). Ces sols, sur lesquels se trouvaient des nattes en paille et des éléments de bois (dont certains sculptés), sont installés sur un remblai contenant un mobilier homogène comportant du matériel datable du x^e s. apr. J.‑C., soit du début de la période fatimide (d’après les observations préliminaires de Sylvie Marchand).

5En vue de la campagne de restauration 2022, les abords nord de la face interne de cette section d’enceinte ont fait l’objet d’une fouille étendue sur une surface de 3,5 × 18 m. Celle‑ci a révélé une enfilade de quatre pièces appuyées contre le massif d’enceinte, entre la porte monumentale à l’est et le massif escalier à l’ouest. Les espaces, perturbés par plusieurs fosses (modernes ?), sont comblés par des dépotoirs comportant un mobilier amphorique abondant (dont des amphores Late Roman 7). Seule une portion des niveaux d’occupation a été atteinte cette année avec du mobilier céramique en place (gourde, coupelles, …) et un four dont la nature reste à préciser. L’ensemble du matériel, abondant, sera étudié l’année prochaine.

6La restauration scientifique de l’extérieur du massif ouest de l’entrée du temple a été menée en suivant la structure d’origine de la maçonnerie. À l’aide d’un niveau à bulle et d’une corde de suspension, les rangées de nouvelles briques installées au niveau du parement sud ont été placées selon la même courbure géométrique et à la même altitude que les anciennes (fig. 3). Toutes les cinq assises, des barres de fer ont été insérées dans la structure du mur original et des travaux de conservation pour éviter tout effondrement. Ces renforts restent totalement invisibles de l’extérieur (fig. 4). Ce secteur nécessitera encore une semaine de travail lors de la prochaine saison.

2. Mammisi « romain », études architecturale et épigraphique

Lorenzo Medini, René Preys, Charlotte Wolff et Pierre Zignani

2.1. Relevé architectural

7Sous la conduite de P. Zignani, la mission a poursuivi l’étude architecturale du mammisi « romain ». La collecte des données est toujours organisée selon les étapes suivantes :

1. L’enregistrement avec une station totale des points caractéristiques de l’architecture et des dommages sur le bâti.
2. Le traitement des données enregistrées et l’impression des points à l’échelle 1/50 sur une feuille transparente en polyester A4.
3. Le dessin par observation directe sur le monument.

8L’activité de cette année a consisté à documenter à l’aide de la station totale la façade nord. La partie inférieure a été dessinée, tandis que les colonnes et l’entablement supérieur seront complétés l’année prochaine avec l’usage d’échafaudages (fig. 5).

9La coupe passant par le déambulatoire nord du monument a été relevée partiellement avec la station totale (fig. 6). Étant donné le peu de recul et les délais, de nombreuses photographies ont été prises afin de produire une ortho‑photographie de l’élévation arrière du naos (fig. 7). Cette première étape nécessitera des observations complémentaires lors de la prochaine campagne pour établir la documentation définitive.

10Des compléments de mesures ont également été entrepris dans la chapelle latérale nord pour améliorer la précision de sa section.

2.2. Enregistrement des blocs épars du mammisi

11L. Medini et R. Preys ont entrepris l’étude d’un ensemble important de blocs provenant du mammisi romain, encore inédits à ce jour. Ces blocs se trouvent principalement le long des côtés nord et ouest de l’édifice. Cet inventaire n’a jamais été effectué et il est par conséquent difficile de se prononcer avec certitude sur leur quantité qui peut être estimée à au moins 300 unités. Ces éléments inscrits proviennent du vestibule et de la façade du mammisi, ainsi que du mur d’entrecolonnement de l’édifice qui entourait un espace semi‑ouvert précédant le naos. Une partie des faces extérieures et intérieures de ce mur était décorée par un ensemble de scènes montrant le roi en train d’effectuer des rites ou de présenter des offrandes devant plusieurs divinités. Les faces décorées des blocs permettent d’affirmer qu’au moins une partie de ces éléments architecturaux appartenait à ce mur qui a été démonté dans l’antiquité chrétienne pour permettre la construction de l’église.

12L’objectif de ce projet est de cataloguer, étudier et publier l’ensemble des blocs inscrits provenant du mammisi romain de Dendara. Lors de cette première campagne, tous les blocs situés sur le côté ouest (au total 106 éléments) ont été numérotés, mesurés, décrits et photographiés (fig. 8). Un inventaire numérique a été créé pour enregistrer toutes ces informations.

3. Maçonnerie gréco‑romaine de pierre de taille

Olivier Lavigne et Pierre Zignani

13O. Lavigne a poursuivi son étude de l’outillage antique de taille de pierre, notamment sur l’escoude à double dent. Elle semble être apparue à Dendara au cours du I^er s. av. J.‑C., son utilisation étant ensuite devenue intense et systématique. La largeur entre les dents résulte de la nature de la roche travaillée, abrasive et parfois très dure (fig. 9). L’escoude n’est pas seulement un outil de carrier, elle est également utilisée lors du travail des blocs mais aussi pour inscrire les marques dites de « carrier » visibles sur de nombreux blocs.

4. Temple d’Hathor, étude de l’acoustique et approche polysensorielle

Sibylle Emerit, Yann Tristant, Charlotte Wolff et Pierre Zignani

14Le projet d’archéo‑acoustique mis en place au temple de Dendara en 2017 s’inscrit dans l’un des axes du programme « Paysages sonores et espaces urbains de la Méditerranée ancienne » (n° 17216). L’objectif de cette campagne de terrain était d’améliorer le rendu visuel des chapiteaux des colonnes du modèle numérique 3D conçu à partir des plans de Pierre Zignani par l’équipe d’Archéovision (UMR 6034 du CNRS). Les 24 colonnes, dites « hathoriques » ou « sistres », sont un élément essentiel de la décoration du pronaos, car elles reprennent la silhouette de l’objet sonore dont l’usage est associé, par les textes, au culte de la déesse : son visage, sculpté à quatre reprises en haut de chaque colonne – soit 96 fois – est surmonté par quatre tableaux dont la forme architecturale évoque celle du cadre du sistre‑bekhen. Il était donc nécessaire de corriger ce défaut esthétique dans le modèle 3D, la sphère symbolisant la tête ne reflétant pas les traits de la déesse. Afin d’avoir un résultat satisfaisant, nous avons décidé, en concertation avec P. Zignani et avec l’aide de C. Wolff et de Y. Tristant, de tenter une photogrammétrie d’un des chapiteaux du pronaos. En raison de la taille des colonnes (17 m), les photos ne pouvaient pas être faites depuis le sol. C’est la raison pour laquelle un échafaudage a été érigé. Une colonne a été choisie du côté ouest afin d’avoir suffisamment de place pour manœuvrer l’échafaudage et le déplacer sur deux faces grâce à des rails. Il a ensuite été possible de prendre toute une série de photos sous différents angles à hauteur du plafond. Il revient désormais au laboratoire Archéovision de restituer la vue photogrammétrique et de l’exploiter de manière à obtenir un rendu plus satisfaisant de tous les chapiteaux du pronaos.

5. Secteur à l’ouest du « sanatorium » et du lac sacré

Quentin Cécillon, Abeid Mahmoud Hamid, Hassan Mohamed Ahmed, André Pillon et Lilian Postel

15La saison a été principalement consacrée à l’étude et à la conservation des éléments de piliers au nom de Thoutmosis III remployés dans le podium découvert en 2018 dans le secteur 6, à l’ouest du lac sacré, et à l’identification de la nature des structures et occupations sous‑jacentes.

5.1. Le mur 6006

16Lors de la fouille de 2019, nous avons constaté que le podium constitué de blocs de remploi en grès au nom de Thoutmosis III est installé contre la face est d’un massif orienté nord‑sud (MR 6006) maçonné avec des briques crues de grand module (environ 48 × 26 × 14 cm) (fig. 10). L’étude de la céramique enfermée dans plusieurs briques a fourni un terminus post quem (TPQ) de la construction au Moyen Empire. Cette année, le secteur a été étendu à l’angle nord‑ouest (6 × 5,50 m) pour vérifier les dimensions de ce mur massif et atteindre sa face ouest. La maçonnerie, préservée sur une faible hauteur, semble se développer sur une épaisseur de plus de sept mètres.

5.2. Le mur 6007

17Au sud du secteur 6000, nous avons ouvert une tranchée de 7,5 × 3 m afin de vérifier les dimensions et la nature du mur 6007, qui passe sous le podium selon une direction nord‑sud et qui avait été partiellement dégagé lors de la campagne précédente (2019). Sous environ 50 cm de déblais, les sebbakhins n’ont laissé en place que la première assise de briques. Le mur s’étend sur au moins 10 m de long et se poursuit au‑delà des limites du sondage (fig. 11). La construction présente également deux structures quadrangulaires appuyées contre la face ouest, éléments décoratifs assez rares dans l’architecture pharaonique de briques. Le premier saillant (1,80 × 0,26 m), au nord, a été construit en même temps que le mur. Le deuxième saillant (1 × 1 m), au sud, s’appuie contre le mur et semble avoir été un ajout plus tardif (le module des briques et l’appareillage sont différents). Les parements est et ouest sont revêtus d’un enduit de mouna avec badigeon blanc qui forme un retour à la base du mur et se prolonge sur le sol. Un niveau de destruction s’étend le long du mur, à l’ouest, sur une largeur d’environ 1 m et se prolonge jusqu’au second saillant depuis le nord.

18L’ensemble repose sur du sable éolien dépourvu de tout mobilier. L’absence d’amorce visible de séparation d’espaces internes suggère qu’il pourrait s’agir d’un mur de clôture dont la nature reste indéterminée. L’appareillage des briques, la faible épaisseur du mur et la présence de saillants trouvent des parallèles dans l’architecture palatine des premières dynasties (Hiérakonpolis, Bouto, Ayn al‑Gazarin), mais aucun autre élément archéologique ne permet pour l’instant de dater la construction avec certitude. Quelques tessons de céramique prélevés dans les briques crues feront l’objet d’une étude par S. Marchand.

19L’ensemble des structures est couvert par des remblais issus de l’activité des sebbakhins dont la fouille a permis de récolter quelques éléments intéressants tels qu’une anse de jarre estampillée en grec ou encore un fragment de calcaire qui complète l’architrave du Moyen Empire portant une scène de course à la rame trouvée en 2018.

5.3. Le podium et les blocs de remploi de Thoutmosis III

20Les blocs thoutmosides ont été adaptés afin d’être intégrés à la nouvelle structure : les dimensions de certains d’entre eux ont été ajustées, le lit d’attente a été ravalé et le décor d’origine a été bûché sur les faces latérales placées sur le pourtour du radier à l’exception d’une bande horizontale correspondant à l’emprise dans le sol de celui‑ci. La partie haute, destinée à rester apparente, a été enduite de blanc. O. Lavigne a étudié en détail les traces des outils employés pour aménager le podium et a pu déterminer les différentes positions de travail des ouvriers là où les traces sont les mieux conservées. Les dimensions et surtout la qualité des outils employés (notamment des ciseaux de 30 mm et 16 mm avec un petit arrondi de 1 mm) permettent de proposer une datation de la structure au I^er millénaire av. J.‑C . Le degré d’usure du sol – notamment au centre de la plate-forme et sur les marches d’accès – permet de mesurer l’utilisation prolongée de la petite structure.

21Ebeid Mahmoud Hamid et Hassan Mohammed Ahmed, avec l’assistance de l’inspecteur de la restauration Tayeb Kamal Taya, ont procédé à la restauration de chacun des 12 blocs décorés qui constituaient le podium. Les blocs ont été prélevés de la structure pour consolidation et fixation des pigments polychromes. Après la restauration et la consolidation des blocs, l’enregistrement des informations épigraphiques et la couverture photographique de l’ensemble ont été poursuivis en vue de l’étude des décors.

22Une nouvelle campagne permettra d’achever les travaux de restauration, de documentation photographique et épigraphique, et de préparer ainsi la publication de cet ensemble dans son contexte archéologique. Plusieurs blocs constituent les assises successives d’un même pilier. Sur chaque face, Hathor et Thoutmosis III sont représentés enlacés. La déesse est systématiquement qualifiée de « dame de Dendara » et de « dame du Per‑our » (c’est‑à‑dire le sanctuaire d’Hathor). Il n’y a donc aucun doute sur la provenance locale du monument.

6. Prospections géoarchéologiques

Yann Tristant

23Le programme géoarchéologique mené à Dendara en collaboration avec Tim Ralph (Macquarie University, Sydney) a pour but de comprendre l’évolution du paysage tentyrite depuis l’Antiquité en lien avec l’occupation humaine de la région, le cours du Nil et la crue annuelle, dont les hautes eaux effleuraient encore la partie nord du site avant la mise en service du haut barrage d’Assouan. Le propos principal de cette étude s’intéresse au rôle que le Nil a joué concernant la fondation du site de Dendara et le développement ultérieur de la métropole, depuis la fin de la préhistoire jusqu’aux périodes les plus récentes.

24La campagne de sondages à la tarière qui a eu lieu cette saison s’inscrit dans la continuité de ce qui avait été entrepris lors de la campagne 2016, et qui n’a pu se poursuivre ensuite, du fait de l’indisponibilité du géomorphologue, et surtout de l’interdiction formulée ces dernières années par le ministère du Tourisme et des Antiquités (MoTA) de poursuivre cette recherche. La campagne 2021 a donc pu profiter de l’autorisation qui lui a été finalement accordée pour mener une série de forages à l’intérieur du site touristique (téménos d’Hathor et son accès) (fig. 12), accompagnés d’une description visuelle sur place des échantillons sédimentologiques prélevés.

25Un total de 29 sondages a ainsi été réalisé à la tarière manuelle avec différents types de forets permettant de prélever des échantillons de 10 cm de long (fig. 13).

26Dans la continuité de ce qui a pu être observé en 2016, les résultats préliminaires montrent qu’une large partie du site archéologique de Dendara est fondée sur un dépôt de sable éolien présent depuis la surface jusqu’à une profondeur comprise entre 2,5 et 5 m (fig. 14).

27Ils indiquent aussi des faciès sédimentaires différents, liés plutôt à l’activité des ouadis dans la zone sud du site, et aux dépôts de limon de la plaine alluviale dans la partie la plus septentrionale du site. Ces observations nécessitent désormais d’être plus finement analysées et discutées avec le géomorphologue afin de proposer une reconstitution précise de la dynamique du paysage holocène de Dendara, à la fois du point de vue de son évolution naturelle qu’anthropique.

28Durant ces prospections, une attention particulière a également été portée au niveau de la nappe phréatique et à ses fluctuations afin de déterminer si les monuments archéologiques sont menacés par l’eau et par les remontées de sel. La nappe phréatique n’a été atteinte que dans la zone nord des prospections, dans les parties du tell archéologiques les plus abîmées par les sebbakhins, et donc les plus profondes ; ainsi qu’à la limite nord du téménos, là où l’absence de couches de sable éolien et la présence de couches très épaisses de limon indiquent la présence de la plaine d’inondation du Nil. L’eau se situe dans ces sondages à une altitude moyenne d’environ 66 m, c’est‑à‑dire 10 m sous le temple d’Hathor, confirmant ainsi l’efficacité des mesures de protection déjà prises sur le site.

7. Gestion du site et formation de personnel MoTA

29Au‑delà du travail de restauration du mur du téménos d’Hathor, la mission a entrepris la construction d’une banquette pour l’entreposage des blocs en cours d’étude (voir fig. 8).

30Deux inspectrices stagiaires du MoTA, Souzan Moubarak Mohammed et Samia Mahmoud Mohammed, ont participé sous l’autorité de L. Postel et d’A. Pillon aux opérations de terrain (secteur de la plate-forme de remplois de Thoutmosis III) et ont été formées aux techniques de relevé.