Remerciements : Nous tenons à remercier Lorenzo Guzzardi, parti à la retraite en décembre 2022, pour son aide et sa disponibilité constantes durant tout son mandat à la tête du Parco archeologico di Leontinoi e Megara.
Données scientifiques produites :
https://mh2021.hypotheses.org/
- 1 Cette zone est parfois appelée « Insenatura » dans les publications anciennes.
1L’année 2022 a marqué le début du nouveau programme de recherche à Mégara Hyblaea « MEGA 2 : recherches dans le vallon de l’Arenella » dans le cadre d’une convention entre l’École française de Rome et le Parco Archeologico de Leontinoi e Megara. Ce projet s’inscrit dans la continuité du programme MEGA 2017-2021 qui visait à définir la chronologie et la genèse du plan urbain mégarien sur le plateau Ouest. Tout en poursuivant les travaux d’étude des collections anciennes en vue de leur publication, ce nouveau projet vise à explorer le secteur de l’Arenella1, nom donné à la petite plage et, par extension, au vallon situé entre les plateaux Nord et Sud de Mégara Hyblaea, qui constitue le seul accès à la mer dans les limites de l’enceinte archaïque (fig. 1).
Fig. 1. Vue d’ensemble du site de Mégara Hyblaea avec mis en évidence le tracé des remparts archaïques, les principaux réseaux de rues et la zone de l’Arenella.
© fond : Google Map ; élaboration : Fr. Mège Ecco Fatto Archeo.
- 2 Gras, Tréziny, Broise 2004, p. 288‑292 ; Tréziny 2018, p. 65‑69 ; Vallet 1993 ; Voza 1993-1994, p. (...)
2Dans cette zone au cœur de la cité, que nous connaissons très partiellement par des sondages anciens en 1962 et 1978 et une fouille menée entre 1990 et 19922, se rencontrent à la fois des vestiges architecturaux monumentaux, un espace d’habitat, ainsi que des tombes archaïques et hellénistiques, dont l’articulation autour du tracé du possible rempart de bord de mer constitue un enjeu majeur pour la compréhension du phénomène urbain colonial.
3Une première mission de fouille y a été menée au printemps 2022, et deux missions d’étude, du Centre Jean Bérard et de l’École française de Rome, ont eu lieu au printemps et à l’automne. Enfin, l’année 2022 a été marquée par plusieurs projets de valorisation du site et de ses collections.
4La campagne de fouille s’est déroulée du 14 mai au 18 juin 2022 et a nécessité l’intervention préalable, du 11 au 13 mai, d’une équipe de topographes constituée de François Fouriaux (Centre Jean Bérard), Lorenzo Fornaciari (École française de Rome) et Frédéric Mège (Ecco Fatto Archeo). L’objectif était d’implanter et de géoréférencer trois bornes topographiques dans le secteur de l’Arenella qui en était jusqu’à présent dépourvu, afin de pouvoir insérer les relevés à venir des opérations 2022-2026 dans le SIG mégarien. Rendue complexe par la végétation luxuriante et la topographie accidentée de la zone, l’opération a néanmoins été un succès et a permis de raccorder l’ensemble des réseaux de points de références jusqu’à présents implantés sur le site. Une borne topographique supplémentaire a en outre été implantée près du phare Cantera pour faciliter d’éventuelles opérations ultérieures.
5La fouille proprement dite a concerné deux zones distinctes mais voisines (fig. 2).
Fig. 2. Localisation des fouilles anciennes et des sondages 2022.
© H. Tréziny, Fr. Mège, Ecco Fatto Archeo.
- 3 Indiqué comme « Mur A » dans Vallet 1993.
6Les deux premiers sondages (2022_1 et 2022_2) ont porté sur une portion d’un édifice monumental supposé au moins pour partie archaïque dont les éléments d’un mur de façade en grand appareil avaient été suivis sur 62 m de longueur dans les sondages effectués par Georges Vallet et Guiseppe Voza en 1990-19923 (fig. 3).
Fig. 3. Plan des sondages 2022_1 et 2022_2 en fin de fouille.
© Fr. Mège, J.‑C. Sourisseaun AMU, CCJ.
- 4 Tréziny 2018, p. 65‑69 avec localisation des tombes et plan des vestiges (fig. 108).
- 5 Vallet 1993, p. 30, fig. 22.
- 6 Manni Piraino 1979, p. 256‑258 ; Dubois 1989, n° 25 ; Arena 1996 n° 12.
7Le bâtiment se déploie à l’ouest et semble s’inscrire dans le réseau des rues nord‑sud, parallèles aux rues D du secteur de l’Agora. Le bâtiment présente néanmoins une grande complexité architecturale, puisque des murs perpendiculaires, orientés est/ouest, situés à l’ouest de cette façade monumentale, semblent compartimenter l’espace interne en s’appuyant contre celle‑ci sans jamais lui être explicitement liés. Dans ces espaces, des tombes datées du iiie s. av. J.‑C.4, réutilisant parfois des blocs de grand appareil retaillés, semblent indiquer une phase d’abandon du secteur. Georges Vallet signalait en outre l’existence d’une phase d’occupation postérieure, notamment dans la partie sud du grand bâtiment, dont le niveau supérieur est caractérisé par l’existence de sols et de murs fondés moins profondément, associés à un réseau complexe de canalisations en terre cuite ou en pierre, sur lesquelles ont été recueillies des monnaies, notamment un denier romain daté de 121 av. J.‑C. Cet ensemble monumental était par ailleurs associé à la découverte d’une base inscrite portant une dédicace métrique de Phintulos ou Phintylos, fils d’Eugritos et posée immédiatement à l’est de l’extrémité méridionale du bâtiment dont la façade opérait un décrochement pour en respecter l’emplacement5. Celle‑ci est datée par les épigraphistes du début du ve s. av. J.‑C.6 Il est donc probable que la dédicace et la façade est du bâtiment regardaient la zone basse la plus à l’est, en direction de la mer, connue uniquement par quelques sondages difficiles à interpréter mais dans l’un desquels on a découvert notamment une base de xoanon en terre‑cuite polychrome de grandes dimensions, qu’on peut situer probablement entre la fin du viie et le début du vie siècle av. J.‑C. (fig. 4).
Fig. 4. Base de xoanon en terre cuite polychrome, fouille Vallet‑Voza 1989‑1992.
© J.‑C. Sourisseau, AMU, CCJ.
8Confrontés à la difficulté d’intégrer l’ensemble de ces données éparses dans une topographie historique claire, nous avons choisi d’établir en premier lieu une stratigraphie de l’occupation de l’espace interne de cet ensemble monumental en commençant à explorer une berme large d’environ 2 mètres (l’érosion naturelle depuis 1992 et l’action des fouilleurs clandestins a rendu les limites de cette berme très irrégulière) et longue de 23 mètres, orientée est/ouest et située entre les sondages C/90 au Sud et 16/90 au nord des fouilleurs précédents (fig. 3). La campagne 2022 a permis d’établir un premier phasage de l’occupation la plus récente, dans la partie ouest (sondage 2022_1). Outre de nombreuses fosses et perturbations modernes liées à la mise en culture du secteur et qui ont largement entamé les niveaux antiques sous‑jacents, un premier niveau hellénistique très lacunaire, peut‑être associé à une occupation funéraire au iiie s. av. J.‑C., s’installe sur les vestiges de la destruction finale de l’ensemble monumental. Cet espace s’installe sur l’abandon/destruction du bâtiment d’époque hellénistique dont le dernier sol de terre battue, très partiellement conservé, a livré des éléments céramiques de la seconde moitié du ive siècle av. J.‑C. et un dixième de statère punique en or dont la datation traditionnelle oscille entre 350 et 320 av. J.‑C., ce qui confirme la chronologie proposée d’un abandon vers 320‑300 av. J.‑C. Ce sol s’appuie sur le mur de façade orienté est‑ouest reconstruit à l’époque hellénistique sur les restes d’un mur de façade antérieur, supposé archaïque, dont les blocs sont légèrement plus larges et portent des traces de démentiellement explicites. Les niveaux d’époque républicaine décrits par les anciens fouilleurs n’ont pas été conservés dans ce secteur. La fouille 2022, d’ampleur limitée, n’a pas encore permis d’établir l’ensemble de la séquence chronostratigraphique. Les fonctions de ces monuments successifs demeurent encore peu claires.
9Le sondage 2022_2, situé à l’ouest a révélé, directement sous la couche de terre arable, la présence d’un robuste et épais niveau de sol jaune, probablement extérieur. Celui‑ci est entamé par des tranchées de plantations agricoles parallèles, orientées est/ouest, phénomène désormais bien identifié sur le site. La configuration stratigraphique n’a permis de dater ni les tranchées ni le sol lui‑même. La relation éventuelle entre ce sol et les différentes phases du bâtiment à l’est reste à établir.
10Outre l’approfondissement de l’exploration stratigraphique de ces espaces, l’un des objectifs de la mission 2023 sera de fouiller l’espace entre les sondages 2022_1 et 2022_2 pour en comprendre l’articulation.
11Un troisième sondage (2022_3) concernait une zone au sud‑est et légèrement en contrehaut de l’édifice monumental, dans la continuité des sondages où les fouilles Vallet‑Voza avaient mis au jour plusieurs tombes hellénistiques ainsi que quatre tombes archaïques. Or, si la présence de tombes hellénistiques dans la zone n’est pas surprenante dans la mesure où le secteur de l’Arenella se situe en dehors de la ville hellénistique, le long d’une route J qui conduisait de la porte sud de la cité hellénistique vers Syracuse, la présence des seules tombes archaïques connues à ce jour à l’intérieur de la ville (sur plus de 2 000 tombes archaïques fouillées) était tout à fait exceptionnelle. La campagne 2022 a d’ores et déjà permis de venir enrichir ce dossier avec la découverte de deux tombes archaïques à crémation de types complètement inédits à Mégara. La première était un petit dépôt secondaire à crémation sans contenant pérenne : un petit ensemble d’os brûlés, peut‑être à l’origine rassemblés dans un sac ou un autre type de contenant périssable, avait été placés sous un petit amas de pierres haut d’une trentaine de centimètres (fig. 5). Plusieurs éléments de fer ainsi qu’un ensemble de bijoux en bronze (deux spirales, un anneau digital, ainsi qu’un élément qui correspond peut‑être à un pendentif) visiblement brûlés sur le bûcher avec le défunt ont permis de proposer une datation de ce dépôt à la fin du viiie ou au début du viie siècle av. J.‑C. La typologie des bijoux pourrait suggérer un lien avec le monde indigène.
Fig. 5. Le dépôt secondaire à crémation SP 9001 fouillé par moitié, en cours de fouille et après enlèvement des os brûlés.
© R.‑M. Bérard, CNRS, CCJ ; les objets métalliques brûlés avec le défunt © L. Damelet, AMU, CCJ.
12La seconde structure funéraire archaïque, également d’un type inédit à Mégara, était une aire de crémation sur laquelle une grande partie des os brûlés du défunt ont été retrouvés en place, témoignant de la préservation d’une certaine logique anatomique. Cette crémation avait été recoupée par trois inhumations hellénistiques de la seconde moitié du ive siècle av. J.‑C. dans des fosses superficielles, parfois parementées de pierres ou de fragments de tuiles. Ces inhumations se caractérisent par un mobilier d’accompagnement modeste, comprenant un vase par tombe (dont le type était ici différent à chaque fois) ainsi que de menus objets annexes. On peut néanmoins souligner la présence originale, dans la SP 9043, d’une lame de fer recourbée, appartenant sans doute à un couteau ou une faucille, déposée près de la tête du défunt (fig. 6) ainsi que d’une monnaie de bronze dans la main du défunt de la SP 9009 (fig. 7).
Fig. 6. La lame de fer découverte près de la tête de l’individu de la SP 9043.
© L. de Barbarin, EFR.
Fig. 7. La SP 9009 en cours de fouille, vue générale et de détail.
Photo : R.‑M. Bérard, CNRS, CCJ ; mobilier d’accompagnement © L. de Barbarin, EFR.
13Un des objectifs des prochaines missions sera de comprendre l’articulation de cet espace funéraire avec l’édifice monumental et le quartier d’habitation voisin, de l’époque archaïque à l’époque hellénistique.
14Une première mission d’étude a été menée par les équipes du Centre Jean Bérard du 23 au 30 avril 2022 dans le cadre du programme « Les productions céramiques d’époques classique et hellénistique », coordonné par Priscilla Munzi et Claude Pouzadoux. Ce projet a pour objectif de porter à l’attention du public, par une série de publications, l’ensemble de la céramique figurée sicéliote attestée sur ce site ainsi que toutes les classes encore inédites qui n’avaient pas été retenues dans le volume Mégara 77. En 2022, la mission avait deux objectifs : d’une part compléter la documentation sur les typologies des formes de vases à figures rouges sélectionnés pour la thèse de Macarena Enríquez de Salamanca Alcón (soutenue à l’Université de Tours le 9 décembre 2022) ; d’autre part approfondir, dans le cadre de l’étude des productions à vernis noir d’époque hellénistique, l’analyse des dossiers des bols à anses peintes et des bols à supports (trois pieds décorés de masques ou de coquilles), ces derniers pouvant avoir une décoration surpeinte. Cette mission a également permis de commencer l’étude d’un lot de fragments pertinents à des bols hellénistiques à reliefs moulés (fig. 8).
Fig. 8. Étude en cours de la céramique hellénistique.
© Cl. Pouzadoux, Université Paris Nanterre.
- 8 Demande de financement Arpamed en cours d’évaluation.
15Une seconde mission d’étude EFR/AMU a eu lieu du 4 au 16 octobre. Elle a permis d’achever l’étude du mobilier céramique de la fouille 2022, de commencer l’étude anthropologique des restes osseux provenant des tombes hellénistiques et archaïques et de préparer le rapport d’activité. Une étudiante d’AMU a par ailleurs initié un travail de Master 2 sur un corpus de tombes inédites d’un secteur de la nécropole Nord‑Ouest fouillé en 1984. Cette mission d’étude a également été l’occasion de procéder à un survol de l’ensemble du site par drone avec caméra thermique (conduit par Salvo Mirabella) pour effectuer un ensemble de clichés dont les résultats sont encore à l’étude. Enfin, les données LiDAR relatives à la zone de Mégara Hyblaea ont pu être récupérées auprès du Geoportale Nazionale avec l’aide de Lorenzo Fornaciari (EFR) et ont été traitées par Thierry Lucas (École française d’Athènes) dans le cadre d’une collaboration engagée grâce au projet Amidex Pépinière d’Excellence « AUXMEGA », coordonné par R.‑M. Bérard. Il a ainsi été possible d’établir un modèle numérique de terrain (MNT) du site de 0,5 m de résolution et de proposer différentes approches de visualisation combinées pour tenter de compléter notre connaissance du plan urbain de Mégara archaïque dans les zones non fouillées. La présence de sillons agricoles très marqués sur les photographies disponibles vient cependant lourdement entraver la lecture des données LiDAR ainsi obtenues. On espère donc pouvoir pratiquer en 2023 dans la zone de l’Arenella des prospections géophysiques qui ont, en revanche, déjà fait la preuve de leur efficacité dans diverses autres zones de la cité8.
16En 2022, les chercheurs du programme MEGA 2 ont été impliqués dans deux grands projets de valorisation du site et de ses collections. L’équipe a tout d’abord collaboré avec le département d’architecture de l’Université de Catane au projet Ewas (Early Warning System for Cultural Heritage)9, coordonné par l’Istituto Nazionale di Geofisica e Vulcanologia et financé par le Ministero per l’Istruzione e le Università. Ce projet, dirigé par Vincenzo Sapienza, a permis la construction sur le parcours de visite de Mégara Hyblaea d’un pavillon de visite et d’expérimentation écologique, destiné à enrichir le parcours touristique sans ajouter de structure lourde au sein du site. L’équipe du programme MEGA s’est chargée de la rédaction des nouveaux panneaux explicatifs destinés à figurer dans le pavillon, et a fourni les photogrammétries utilisées par l’équipe de Mariangela Liuzzo (Université d’Enna‑Koré) pour proposer une reconstitution 3D de l’agora qui sera également présentée aux visiteurs de ce nouveau pavillon.
17Le 8 octobre 2022 a enfin été inaugurée au Musée archéologique de Syracuse l’exposition : « “Lo regno della morta gente” : la necropoli meridionale di Megara Hyblaea », sous le commissariat scientifique de Reine‑Marie Bérard et Anita Crispino. L’exposition retrace l’histoire des fouilles d’urgence conduites par l’École française de Rome dans la nécropole Sud de Mégara Hyblaea, dans les années 1950 e 1970, et présente pour la première fois au public des objets conservés dans les réserves du Musée de Syracuse depuis lors (fig. 9) Accompagnée d’un catalogue10, cette exposition constitue une nouvelle opportunité d’illustrer plusieurs décennies de collaboration scientifique fructueuse entre le Museo Archeologico Regionale Paolo Orsi, le Parco archeologico di Leontinoi e Megara et les équipes de recherche françaises actives à Mégara Hyblaea sous la tutelle de l’École française de Rome depuis 1949.
Fig. 9. Exposition sur la nécropole Sud de Mégara Hyblaea au Musée de Syracuse.
© R.‑M. Bérard, CNRS, CCJ.
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