Données scientifiques produites :
Relevés, cotes d’archives EFA : 63484, 63485, 63486, 63487, 63488, 66669, 66670
Chroniques de l’EFA :
Akraiphia – 2021
1Dans les travaux entrepris par l’École française d’Athènes à Akraiphia, l’étude du centre urbain et de ses vestiges préservés, notamment des fortifications, restait à faire : le plan en avait été levé en 1996 par le topographe Frank Perdrizet, dans le cadre des missions de Christel Müller1 ; mais à part la fouille menée en 1965 sur des secteurs limités du rempart par Yvon Garlan, il n’existait pour l’heure ni relevé précis des vestiges, ni étude d’ensemble du monument. En 2017, à l’occasion d’une mission de terrain dirigée par Christel Müller, nous avions parcouru l’ensemble du tracé du rempart pour évaluer l’état des vestiges et estimer la faisabilité d’un tel travail, qui a été intégré au projet soumis à l’EFA par Thierry Lucas en 2019 sur les fortifications et l’urbanisme d’Akraiphia2.
2C’est dans ce cadre qu’a été organisée, du 18 au 28 mai, une campagne de relevés sur l’enceinte, dirigée par Thierry Lucas, en collaboration avec l’architecte Dimitris Bartzis. L’enjeu était d’offrir une documentation fiable pour les tronçons les mieux préservés (plus de deux assises) de la muraille, dans une perspective typologique, afin de documenter la variété des appareils utilisés dans l’enceinte et d’en préciser les phases. À cet effet, les neuf segments de l’enceinte sélectionnés ont été répertoriés, de A à I, et relevés par photogrammétrie. Le nettoyage de la végétation, pour les segments A à G, a été fait par Thierry Lucas et Dimitris Bartzis ; pour les segments H et I, nous avons bénéficié de l’aimable concours de M. Yannis Mavrodimos, habitant du village, que nous remercions chaleureusement. Les opérations de relevé ont compris des photos prises depuis le sol (avec un Nikon D750, focale fixe Nikkor 24 mm) et, pour les segments H et I, des vues aériennes (prises avec un drone DJI Mavic Pro 3). Pour ces deux derniers tronçons, plus longs que les autres, nous avons reçu l’aide de Vasiliki Evgenikou (topographe, opératrice de drone) et de Ramin Antoniades (architecte) pour la photographie au sol. Un doctorant de Paris Nanterre, Jules Buffet, a également participé à la mission. Enfin, Lionel Fadin, topographe de l’EFA, a relevé par GPS les coordonnées des cibles photogrammétriques pour géoréférencer les relevés dans la grille grecque (GGRS87).
3Les photographies prises sur le terrain ont permis la réalisation d’un modèle 3D par photogrammétrie (fig. 1), dont ont été extraites des orthophotos en plan et en élévation des différents tronçons, de résolution 1 mm, utilisées pour dresser les relevés en dessin vectoriel (éch. 1:40 ou 1:50 selon les cas).
Fig. 1. Segment A, orthophotographie de l’élévation.
© D. Bartzis/EFA.
4Un peu plus de 200 mètres de mur ont été relevés lors de la mission (fig. 2), sur un circuit total qui devait compter, à l’origine, environ 2 à 2,5 km de longueur. Les segments A à F sont situés dans la partie occidentale de l’acropole et appartiennent vraisemblablement à une première phase de fortifications concentrée autour de l’éperon rocheux qui clôt le plateau de l’acropole de ce côté, lequel est également fortifié en direction du nord. Le segment G, à proprement parler, n’appartient pas au rempart ; il s’agit d’un tronçon formant un angle droit situé à l’intérieur de l’enceinte, qui était en toute probabilité un mur de soutènement pour une terrasse. Enfin, les deux longs segments H et I forment l’angle sud‑est de la fortification : le segment H (subdivisé en deux tronçons) correspond au front sud, avec la tour pentagonale fouillée par Y. Garlan, et le segment I est le retour oriental du mur. Ces deux tronçons appartiennent à une deuxième phase du tracé.
Fig. 2. Localisation des segments relevés.
DAO : Th. Lucas ; fond de carte : données LiDAR.
- 3 Threpsiadis 1973, p. 83‑85.
- 4 Voir la notice correspondante dans le Deltion (AD 56‑59 [2001-2004], B’2, p. 174) ; Chronique des f (...)
5Concernant les zones qui n’ont pu être relevées, il faut signaler que sur l’essentiel du front sud, les vestiges sont nettement moins bien préservés, et ils ne sont à certains endroits décelables qu’à un relief visible sur les données LiDAR et sur le terrain. Le flanc ouest de la fortification, en contrebas de l’éperon occidental de l’acropole, n’est identifiable qu’à deux segments d’une à deux assises en appareil trapézoïdal (fig. 3) – qui sont probablement, au moins en partie, les portions de l’enceinte identifiés et fouillés dans ce secteur en 1940 par Threpsiadis3. L’intégralité du front nord, en revanche, est sous le village moderne d’Akrefnio et n’a par conséquent jamais été documentée. Quelques vestiges ont pu être identifiés lors de travaux sur le réseau hydrique en 2001, mais cette fouille de sauvetage n’a malheureusement pas été publiée4.
Fig. 3. Segment préservé du retour ouest du mur d’enceinte.
© Th. Lucas/EFA.
6Deux types de pierre ont été employés pour la construction du rempart de l’acropole :
7– Un calcaire dur local, extrait sur place ou à faible distance ; on note d’ailleurs directement sur l’acropole plusieurs emplacements où le rocher porte des traces d’extraction, potentiellement liées aux fortifications. Après la taille, ce calcaire a une couleur claire, d’un gris légèrement bleuâtre ; l’exposition aux intempéries lui donne à la longue une patine d’un gris sombre. Ce calcaire se trouve sur l’acropole en bancs d’épaisseur variable. Sa structure inclut des veines et différents types de discontinuités karstiques, liées à l’écoulement des eaux. Les carriers ont tiré profit de ces discontinuités, tout comme du clivage de la roche, pour faciliter la taille et l’extraction des blocs5. En contrepartie, de telles formations se prêtent mal à une taille régulière des blocs, qui demanderait un travail beaucoup plus considérable. Pour cette raison, les blocs taillés dans ce matériau présentent des modules très variables et ont été disposés en appareil polygonal, trapézoïdal irrégulier ou trapézoïdal à assises régulières (uniquement dans les tronçons H et I pour ce dernier cas). Ces appareils permettent une économie certaine dans la taille des blocs : la face arrière est seulement grossièrement équarrie au pic ; le contact entre deux blocs adjacents n’est généralement travaillé qu’au niveau des joints, sous la forme d’une fine bande de 7 à 15 cm (fig. 4). Le lit de pose et le lit d’attente sont travaillés au ciseau à pointe sur la largeur nécessaire à la pose des blocs ; on trouve, de loin en loin, des trous de pince sur le lit d’attente. Enfin, le traitement du parement des blocs est variable ; il est parfois aplani au ciseau à pointe, parfois seulement dégrossi sous la forme d’un bossage irrégulier ; sur quelques blocs, quel que soit le type d’appareil concerné, le parement porte de larges stries parallèles (fig. 5), qui sont liées à un dressage rapide des faces, probablement au pic ; il s’agit peut‑être également d’un effet esthétique volontairement recherché. Dans l’ensemble, la taille du calcaire correspond à un travail à l’économie – on note même par endroits des traces des outils d’extractions, notamment les encoches destinées aux coins, qui n’ont pas été ravalées, y compris sur le parement des blocs.
Fig. 4. Détail de la face de joint des blocs de calcaire, tronçon H.
© Th. Lucas/EFA.
Fig. 5. Détail du parement des blocs de calcaire, tronçon A.
© D. Bartzis/EFA.
8– Une roche sédimentaire tendre qu’on caractérisera de pôros, en l’occurrence un conglomérat composé de clastes de calcaire blanchâtre liés par un ciment orangé. Ce matériau ne provient pas directement de l’acropole et a dû être extrait à proximité, probablement au pied de la colline de Skopia dont le versant est présente un profil géologique susceptible de correspondre à cette roche. Il est à noter qu’on connaît sur le territoire de la cité une carrière antique où un pôros d’une couleur plus claire était extrait, immédiatement au nord‑ouest du sanctuaire d’Apollon Ptoios, employé pour la construction des citernes et du temple du ive siècle. Si le matériau est différent, cela montre en tout cas qu’on avait dans la région une bonne maîtrise de ce type de roche tendre à la fin de l’époque classique et au début de l’époque hellénistique. Le pôros employé dans la construction de l’enceinte, très friable, est beaucoup plus vulnérable que le calcaire une fois exposé à l’air (ainsi, la tour pentagonale dégagée par Y. Garlan en 1965, dont les blocs étaient pour ainsi dire intacts au moment de la fouille, est aujourd’hui extrêmement endommagée ; fig. 6). En contrepartie, sa structure homogène se prête bien à une taille régulière, et les blocs encore visibles correspondent à un module cohérent de 4 pieds sur 2 sur 1,56. Les blocs étaient soigneusement dressés sur toutes leurs faces, soit avec un ciseau à dents, soit avec un taillant (dans ce dernier cas, le fer d’un outil compatible avec les traces visibles sur les blocs a d’ailleurs été retrouvé parmi les déchets de taille lors de la fouille d’Y. Garlan7). Ce pôros est uniquement utilisé dans les segments H et I, essentiellement pour le parement extérieur et pour des murs transversaux qui donnaient au mur de courtine une structure compartimentée ; il n’est aujourd’hui visible qu’aux endroits où il a été dégagé par Y. Garlan, tandis que sur le reste du tracé on remarque, au plus, des blocs qui affleurent à la surface et des débris liés à la décomposition du matériau.
Fig. 6. La tour pentagonale, vue du parement interne prise depuis le sud‑ouest.
© D. Bartzis/EFA.
9On trouve essentiellement deux grands types de structure documentés pour le mur de courtine de l’acropole d’Akraiphia.
101. Dans la partie occidentale (tronçons A à F, fig. 7‑10), le mur présente un seul parement, surmonté d’un terre‑plein. C’est donc un mur de soutènement en même temps qu’un mur de fortification. Cette structure empêche malheureusement de comprendre la construction en plan. Dans l’ensemble de ce secteur, le mur est fondé directement sur le rocher, en tirant parti de la pente ; sur le segment A, le mur prend même appui sur des irrégularités du substrat rocheux qui ont été sommairement taillées pour recevoir les blocs et intégrées dans la structure du mur, sur une hauteur qui dépasse 2,5 m. L’appareil est polygonal pour les assises basses, ce qui a permis aux constructeurs d’adapter la base du mur aux irrégularités du terrain ; les segments les mieux préservés, A et D, montrent cependant que les assises supérieures tendaient progressivement vers un appareil trapézoïdal irrégulier, où l’on cherchait plus systématiquement à créer des plans horizontaux, sans qu’il y ait d’assises régulières à proprement parler. Le mur est préservé sur une hauteur maximale de 3 mètres environ. On ne peut rien dire en revanche sur sa hauteur d’origine, ni sur ses superstructures ; le terre‑plein formé par le mur était peut‑être simplement doté d’un parapet, ou bien pouvait disposer d’une superstructure plus haute, éventuellement en briques crues ; la hauteur préservée et la difficulté du terrain plaident cependant plutôt pour la première hypothèse. Enfin, deux structures remarquables peuvent être notées dans ce secteur : le segment C présente un retour perpendiculaire, qui correspondait à une ouverture dans le mur, vraisemblablement une poterne ; et le segment F présente une structure de forme arrondie, qui formait un bastion. Autant qu’on puisse en juger, il n’y avait en revanche pas de tours dans le secteur.
Fig. 7. Segment A, plan et élévation, éch. 1:40.
© D. Bartzis/EFA.
Fig. 8. Segments B, D et E, élévation, éch. 1:40.
© D. Bartzis/EFA.
Fig. 9. Segment C, plan et élévation, éch. 1:40.
© D. Bartzis/EFA.
Fig. 10. Segment F, plan et élévation, éch. 1:40.
© D. Bartzis/EFA.
- 8 Voir par exemple Leake 1835, II, p. 305 ; Buchon 1843, p. 218.
- 9 Voir Garlan 1974, p. 97, n. 7 pour les mesures qu’il avait pu prendre de ces panneaux.
112. Aux abords de la tour pentagonale (tronçons H, au sud‑ouest de celle‑ci, fig. 11‑13, et I, au nord‑est, fig. 14), on trouve un mode de construction très différent, mêlant calcaire dur et pôros. Les tronçons H et I sont les mieux préservés du tracé, et surtout les plus accessibles ; ils sont donc connus de longue date, et ont été mentionnés dès les premières descriptions de l’acropole d’Akraiphia8. L’assemblage particulier qui les compose a bien été décrit par Y. Garlan, mais il manquait un relevé des tronçons les plus représentatifs. Sur la quasi-totalité des deux segments, seul le parement interne est préservé, sur une hauteur maximale de six assises, soit 3,1 m. Ce parement interne est en appareil trapézoïdal à assises régulières, avec occasionnellement de petits décrochements. Il est divisé en panneaux de 3,6 à 4,45 m de long ; ce sont là les valeurs extrêmes, la majorité des longueurs mesurables étant généralement voisine de 4,25 m9. Ces panneaux sont séparés par des vides de 62‑65 cm de large ; comme Y. Garlan l’a montré, ces espaces vides sont les négatifs de murs de refend en pôros, désormais entièrement dégradés. Le rempart avait donc une structure compartimentée et était divisé en caissons. Le parement interne est fondé directement sur le rocher, aménagé pour le recevoir. Les bâtisseurs ont parfois dû s’adapter à des contraintes très fortes : sur le segment I, les panneaux du parement interne sont disposés en escalier, sur une pente de près de 30 % (fig. 14). Enfin, le parement externe, sur ces deux segments, était en appareil isodome de pôros, comme les murs latéraux des caissons ; pour cette raison, il n’est plus visible qu’en un point où il a été dégagé par Y. Garlan, au nord‑est de la tour pentagonale. Sur le reste du tracé, il forme simplement un talus, formé par la décomposition du pôros et l’accumulation de terre détritique. Le rempart a en tout une épaisseur de 2,70 à 2,90 m là où il a pu être mesuré ; entre les deux parements, les caissons étaient remplis d’un blocage de terre et de petites pierres. Ce blocage était solidifié par l’emploi de blocs disposés en boutisse dans le parement interne, visibles notamment au centre des panneaux les mieux préservés, à raison d’une boutisse toutes les deux assises (fig. 15).
Fig. 11. Segment H, plan, éch. 1:100.
© D. Bartzis, V. Evgenikou/EFA.
Fig. 12. Segment H, élévation (1/2), éch. 1:50.
© D. Bartzis, V. Evgenikou/EFA.
Fig. 13. Segment H, élévation (2/2), éch. 1:50.
© D. Bartzis, V. Evgenikou/EFA.
Fig. 14. Segment I, orthophotographie de l’élévation, éch. 1:50.
© D. Bartzis, V. Evgenikou/EFA.
Fig. 15. Détail d’un panneau du parement interne, tronçon H.
© Th. Lucas/EFA.
12Sur les deux segments H et I, on ne trouve aucune tour autre que la tour pentagonale ; les murs de celle‑ci, à l’instar des murs de refend qui définissent les caissons du rempart, pénétraient jusqu’au parement interne, où ils sont visibles sous forme de négatifs. Par conséquent, au niveau de la tour, la régularité des panneaux du parement interne est interrompue. Sur l’ensemble des tronçons relevés, on ne remarque ce type d’anomalie à aucun autre endroit. En revanche, on trouve une autre tour très endommagée car bâtie en pôros, de plan carré de 7 mètres de côté environ, à 38 mètres au nord‑est de la tour pentagonale ; elle ferme l’angle formé par le rempart à cet endroit, immédiatement au sud du segment I.
- 10 « Wall type 6 » dans la typologie de l’étude ; voir Fachard et al. 2020, p. 493‑494.
13La structure particulière des segments H et I est un cas intéressant d’assemblage, en raison notamment de l’emploi de deux matériaux, formant deux appareils distincts, au sein de la même pĥase de construction. On connaît pour ce mode de construction un parallèle assez proche à Éleuthères, grâce à l’étude détaillée menée sur ce site par S. Fachard10 ; l’emploi des matériaux est le même qu’à Akraiphia : un parement interne en appareil trapézoïdal de calcaire, divisé en panneaux séparés par des murs de refend en pôros ; et un parement externe aujourd’hui disparu, qui était vraisemblablement entièrement en pôros.
- 11 Garlan 1974, p. 97, fig. 3 et 4, et p. 98, « point A ».
14Sur le reste du tracé, ce type de construction se retrouve également sur l’intégralité du front est, dans la continuité du tronçon I, jusqu’au village, mais son état de préservation et l’abondant couvert végétal nous ont empêché d’en faire le relevé. Un autre segment du même type est identifiable au centre du front sud, sur environ 75 m de long (là aussi non relevé en raison du couvert végétal important). C’est notamment sur ce dernier segment qu’Y. Garlan a effectué le sondage qui a permis d’élucider la structure du mur11.
15Outre ces deux types de construction que nous avons pu documenter, signalons enfin que sur une partie importante du front sud, à l’ouest du tronçon H, on ne remarque aucun bloc de calcaire sur le tracé et le mur n’est visible que sous la forme d’un monticule sur le terrain ; on peut émettre l’hypothèse qu’il s’agissait de segments entièrement construits en pôros ; c’est donc là un troisième type de construction, qui ne peut malheureusement être documenté sans sondages.
- 12 Knauss 1987, p. 247‑267 avec croquis p. 267. Le seul argument avancé pour soutenir cette hypothèse (...)
16Enfin, il faut ajouter aux segments passés en revue le segment G (fig. 16) qui, à la différence des autres, n’appartient pas aux fortifications. Il s’agit plutôt d’un mur de soutènement pour une terrasse liée à l’occupation de l’éperon occidental de l’acropole – même s’il a pu être proposé d’y voir le résidu d’un circuit fortifié mycénien12, sans réel argument à vrai‑dire. L’appareil, conforme à ce qu’on pourrait attendre d’une telle structure moins monumentale et moins soignée que le rempart, est un appareil polygonal fruste de calcaire dur, dont les joints sont nettement moins bien travaillés que sur le rempart ; le seul raffinement technique qu’on peut relever est la présence d’un chaînage à l’angle du mur.
Fig. 16. Segment G, plan et élévation, éch. 1:40.
© D. Bartzis/EFA.
17La construction de l’enceinte, dans l’ensemble, a été remarquablement adaptée au terrain, malgré des contraintes parfois importantes, comme la forte pente des segments D et I. Des solutions originales ont parfois été trouvées, comme la construction en terre‑plein de la partie occidentale de l’acropole ; celle‑ci permettait à la fois de disposer d’un mur de fortification formant un obstacle en travers de la pente et d’aménager une terrasse en arrière de celui‑ci pour la circulation et les besoins de la défense.
- 13 Garlan 1974, p. 108‑109.
- 14 C’est le cas par exemple sur certains tronçons de la muraille d’Éleuthères, à Chorsiai, à Haliarte, (...)
18Pour les segments H et I, l’aspect le plus intéressant est bien entendu l’emploi concomitant de deux matériaux différents, avec une doctrine d’emploi très précise. L’exploitation du calcaire présent sur place permettait de se passer de coûts de transport ; il s’agit en revanche d’un matériau moins flexible que le pôros. Pour disposer de grandes quantités de matériau une fois que le calcaire facilement accessible avait été exploité, il était apparemment plus rentable de se tourner vers le pôros, dont la taille plus aisée et standardisée compensait les coûts de transport. L’emploi du plus fragile des deux matériaux pour le parement externe est en revanche, à première vue, relativement contre-intuitif. Ce point n’avait pas échappé à Y. Garlan, qui supposait que le pôros, à l’instar de la brique crue, absorbait plus facilement les coups de bélier ou de lithobole que le calcaire dur13. C’est à vrai‑dire peu probable ; le pôros, bien que moins dur, devait simplement avoir des qualités techniques jugées suffisantes par les bâtisseurs, non seulement à Akraiphia, mais sur bien d’autres sites béotiens où des conglomérats similaires sont utilisés14. L’apparente fragilité du matériau utilisé à Akraiphia est due à sa détérioration rapide une fois la surface du bloc attaquée. Ce phénomène, dont atteste la dégradation des structures dégagées par Y. Garlan en à peine plus de cinquante ans (voir fig. 6), est peut‑être cependant accentué par les conditions climatiques et atmosphériques modernes (proximité de l’autoroute, acidité des pluies) ; dans des conditions plus favorables et avec un entretien adéquat les édifices en pôros d’Akraiphia, que ce soit l’enceinte de l’acropole ou le temple du Ptoion, devaient résister au temps d’une manière jugée satisfaisante par la cité.
19L’emploi d’un appareil isodome de blocs de pôros pour le parement externe s’explique en fait pour plusieurs raisons :
- C’est l’appareil le plus stable d’un point de vue structurel.
- L’usage de blocs standardisés permettait de simplifier la planification du mur et, surtout, la construction des tours, qui étaient très probablement majoritairement en pôros, comme le montre le cas de la tour pentagonale. Pour de telles structures, soigneusement planifiées selon des spécifications techniques précises, l’emploi de blocs standardisés permettait de faciliter la mise en œuvre du plan, tout en permettant une économie de travail notable par rapport à un appareil trapézoïdal. En somme, le mur a probablement été planifié par l’extérieur, tandis que l’appareil trapézoïdal du parement interne était essentiellement une affaire de remplissage15.
- Enfin, il y a peut‑être également un aspect esthétique à prendre en compte, l’appareil isodome offrant au rempart, par sa régularité, une monumentalité qui rappelait le langage architectural qu’on retrouve pour les édifices publics ou les temples.
20Concernant les aspects esthétiques, l’appareil polygonal ou trapézoïdal de calcaire permettait en fait un langage différent : le traitement du parement des blocs, avec leur bossage grossier ou leurs stries verticales, permet de donner un sentiment de robustesse, de stabilité et de durabilité ; dans le cas des fortifications de l’éperon occidental de l’acropole, le mur se fond en outre parfaitement dans l’environnement rocailleux des alentours.
21L’opération de relevé de 2022 permet d’avancer un peu plus vers la publication des travaux de l’EFA à Akraiphia. Le mur de l’acropole, connu depuis longtemps, n’avait jusqu’ici jamais fait l’objet d’une documentation scientifique ; les tronçons de l’éperon occidental n’avaient même été que rarement décrits et photographiés dans la bibliographie antérieure. Cette documentation permet donc de poser les bases d’une véritable étude architecturale pour la publication finale. L’analyse détaillée des relevés permettra d’avancer des hypothèses sur la planification de l’ouvrage et offrira un support pour une étude métrologique.