1La douzième campagne de la mission archéologique du Ouadi el-Jarf s’est déroulée du 7 mars au 20 avril 2022. Avec l’allègement des contraintes liées à l’épidémie de Covid-19, les travaux ont repris leur rythme habituel, prenant place lors d’une unique campagne de printemps (au lieu de deux au printemps et en automne en 2020 et 2021), mais avec un nombre de participants bien plus important, aussi bien du point de vue des ouvriers (l’équipe n’était plus limitée à 30 personnes) que de celui des intervenants scientifiques (voir liste ci-dessus). Le ministère du Tourisme et des Antiquités a été représenté par Aïd Mohamed Ahmed de l’inspectorat de Suez. L’équipe de 58 ouvriers de Gourna a été dirigée par le raïs Gamal Nasr al-Din. Outre les financements accordés par l’Ifao, le CNRS (UMR 8167 Orient & Méditerranée), l’université de Paris-Sorbonne et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, la mission a bénéficié cette année encore d’une aide financière de la Honor Frost Foundation, d’un financement de l’association Amers et des crédits accordés par l’IUF pour soutenir les recherches du directeur de la mission. Une généreuse donation de l’entreprise Colas-Rail a également subventionné une partie des travaux.

2Trois zones du site ont pu faire l’objet d’une fouille et d’une documentation détaillée : la zone du deuxième système de galeries (zone 2), la zone littorale (zone 6) qui a fait l’objet de dernières vérifications, et la zone du « bâtiment intermédiaire » (zone 5) dont la documentation a été terminée. Les expérimentations de transport de blocs sur le site ont pu reprendre, avec la collaboration de Franck Burgos et Emmanuel Laroze, et l’étude du matériel recueilli lors de la fouille du site a connu une nouvelle impulsion cette année, avec la participation d’une spécialiste des tissus, qui a travaillé en étroite collaboration avec la paléobotaniste et les spécialistes de la céramique ancienne. Parallèlement, l’étude des papyrus découverts sur le site a continué (le volume III de la publication des papyrus du Ouadi el-Jarf est maintenant achevé et remis pour publication) et la préparation de deux monographies concernant deux composantes du site (Ouadi el-Jarf I et Ouadi el-Jarf II) a considérablement progressé, l’une d’entre elles étant maintenant sous presse à l’Ifao, la deuxième étant programmée pour une remise courant 2023.

1. La zone des galeries-magasins

3La fouille dans la zone des galeries s’est déroulée du 10 mars au 11 avril 2022. Elle a concerné quatre des onze magasins qui constituent la zone 2 (fig. 1).

Galeries G18, G20 et G21

4Cet ensemble de trois galeries se situe dans la partie sud du second système de magasins qui a été aménagé le long d’un ouadi orienté nord-sud rejoignant le ouadi principal du site. Elles ont été creusées au fond de l’oued selon un plan en éventail et ont été significativement impactées, au fil du temps, par les débordements fluviatiles occasionnés par les crues saisonnières. Après l’abandon du site, le système de fermeture constitué de gros blocs de calcaire soigneusement disposés pour former un ensemble cohérent et conçu comme inviolable a été fortement érodé par les violents écoulements d’eau jusqu’à disparaître en grande partie. Parallèlement une énorme quantité de colluvions composées d’une alternance de graviers, de gravillons, de sables et d’argiles s’est déposée, remplissant presque totalement les galeries sur toute leur longueur.

5La galerie G18, située à l’est de la cascade qui se formait sur le plateau rocheux supérieur pendant les crues, a été complètement obturée par les dépôts successifs. Son entrée n’était pas visible au moment des prospections conduites avant les premières campagnes de fouille sur le site et n’a été repérée qu’en 2017. Plusieurs années de déblaiement et des opérations de soutènement destinées à renforcer le plafond fragilisé par l’eau ont ensuite été nécessaires pour finalement atteindre, en 2022, le fond du magasin situé à 35 m de l’entrée. Cette dernière, extrêmement érodée, est matérialisée par un palier suivi de trois marches creusées dans le substrat rocheux. L’escalier d’une largeur de 3 m dessert le sol du magasin qui n’a pas encore été dégagé.

6Le système de fermeture, commun à la galerie G21, est constitué de plusieurs blocs latéraux encadrant le bouchon qui bloquait l’accès au magasin. L’ensemble est dans un assez mauvais état de préservation et les blocs ne sont plus conservés que sur quelques dizaines de centimètres d’épaisseur (fig. 2). En 2018, le niveau d’abandon préservé à l’intérieur de la galerie a été dégagé sur les quatre premiers mètres afin d’estimer le potentiel archéologique de l’ensemble. Les traces d’une trentaine de bois décomposés appartenant vraisemblablement à un bateau démonté ont été observées et dessinées sans qu’un prèlevement puisse être effectué compte tenu de leur état de conservation. Une telle concentration de bois sur seulement quelques mètres suggère que de nombreux éléments nautiques ont été stockés dans cette galerie. Malheureusement, les fréquents débordements du ouadi ont certainement entraîné d’importantes stagnations d’eau à l’intérieur du magasin et la dégradation des éléments organiques qui y étaient conservés. La découverte d’une grande jarre de stockage presque complète, à 24 m de l’entrée, ainsi que de nombreux fragments de céramiques, dont ceux d’un tour de potier, retrouvés dans les colluvions supérieures indiquent que le matériel déposé dans ce magasin n’était pas seulement composé de bois de bateau mais également de contenants destinés au stockage de l’eau et des denrées alimentaires ainsi que d’outils dédiés à la production céramique. La fouille de l’ensemble du niveau d’abandon et le dégagement du sol de la galerie-magasin seront conduits lors de la campagne de fouille 2023.

7La galerie G20, dont le système de fermeture a été moins affecté par l’érosion, a en revanche subi des dégradations dues à un pillage relativement récent si l’on considère les documents et outils (pics en acier, emballages de bougies) découverts dans les couches de surface perturbées. Le bouchon de fermeture de la galerie, toujours dans sa position d’origine, est plutôt bien préservé même si sa face supérieure a été partiellement cassée pour ménager un passage aux membres de l’une des expéditions ou aux pilleurs venus récupérer, dans l’Antiquité, le précieux matériel nautique stocké dans le magasin. Les blocs latéraux positionnés au nord du bloc-bouchon et la partie sud de la paroi de l’entrée ont été détruits lors du pillage moderne pour faciliter l’accès à la galerie. En 2020, la fouille des sédiments de remplissage dans les premiers mètres avait montré que les pilleurs ont creusé un puits de plusieurs mètres de profondeur dans le sol de la galerie (fig. 3). Les travaux de dégagements entrepris cette année ont également mis en lumière une perturbation systématique des niveaux de colluvions supérieures, jusqu’au fond du magasin où le sol a lui aussi été décaissé sur plus de 5 m² et sur une profondeur encore indéterminée. Les niveaux archéologiques de cette galerie peut-être encore présents dans la partie médiane seront étudiés durant la prochaine saison de fouille.

8Enfin, le dégagement du remplissage complètement stérile de la galerie G21 a été poursuivi. Malgré l’intervention de F. Burgos et la mise en place d’une technique de dissolution, par ajout d’eau, de la matrice extrêmement indurée scellant les dépôts caillouteux et les écailles de calcaire résultant de la désagrégation du plafond et des parois (fig. 6), il n’a pas été possible de terminer la fouille de ce magasin. La longueur de la galerie reste encore indéterminée et une, voire deux saisons seront certainement nécessaires pour pouvoir analyser le niveau d’abandon sur l’ensemble de la surface.

Galerie G27

9La fouille de l’entrée de la galerie G27, entreprise en 2019, avait permis de mettre au jour les restes du niveau d’abandon dans lequel étaient conservés quelques fragments de bois de bateau et de la céramique produite localement, particulièrement des tessons de jarres de stockage portant des marques de potier incisées avant cuisson.

10La poursuite des dégagements sur l’ensemble de la surface a confirmé que la galerie-magasin avait abrité un nombre important de pièces de bois pouvant être associées à au moins un bateau. Elles sont plus ou moins bien conservées en fonction de l’essence utilisée lors de leur fabrication et de leur position dans la galerie. Si certains éléments n’apparaissent plus qu’en négatif sur le sol, d’autres conservent leur forme en dépit de la décomposition avancée du bois (fig. 4) et quelques planches sont parfaitement préservées. Elles ont pu être prélevées entièrement pour une analyse poussée des éléments techniques qui les composent, notamment les mortaises ayant servi à fixer les différentes pièces entre elles. Quarante échantillons de bois (fragments de planches, de cales, de manches d’outils, de poignées) ont été prélevés pour alimenter l’étude paléobotanique en cours par Claire Newton.

11L’assemblage des céramiques stockées dans le magasin à côté des bois de bateau compte vingt grandes jarres globulaires de stockage produites au Ouadi el-Jarf et quelques fragments de céramiques importées de la vallée du Nil. Parmi les jarres de stockage, douze portaient des marques d’équipes peintes à l’encre rouge avant cuisson, notamment un exemplaire de la marque de type 1 « Grand est le Lion » (wr mȝj), au moins deux exemplaires de la marque de type 3 « L’uraeus <de Chéops> est <sa> proue » (mȝ wrr), et au moins une marque de type 2 « Les connus du Double Horus d’or » (rḫw bjkwy nbw). Le corpus des marques découvertes dans ce magasin est complété par quatre grands signes qui semblent correspondre à l’écriture abrégée du nom de l’équipe « Les connus du Double Horus d’or ». Par ailleurs, trois jarres portaient des marques au fusain réalisées après cuisson, sept ont été marquées par le potier avant cuisson et une céramique présentait des marques incisées après cuisson.

12Étonnamment, cette galerie-magasin n’a livré aucun fragment de cordages et seulement quelques rares morceaux de tissus imprégnés ayant pu servir au calfatage des bateaux. Dans plusieurs zones de la galerie, notamment au fond, des panses et fonds de jarres ont servi à faire du feu, peut-être pour éclairer ponctuellement le magasin. Les restes des sédiments cendreux ont été prélevés et tamisés pour une analyse des restes botaniques comme les charbons. Le magasin mesure 29,75 m de long pour une largeur moyenne de 3,20 m. Son plan est très rectiligne et le sol ne présente aucun aménagement particulier en dehors des traces de travail qui révèlent les techniques de creuse mises en œuvre par les tailleurs de pierre. Observées dans d’autres galeries du secteur, ces rigoles et saignées de décaissement du substrat rocheux témoignent de la dernière phase de travail, une égalisation grossière du sol de la galerie. Elles sont visibles le long des parois et au fond du magasin, ainsi que parallèlement aux parois où elles sont espacées d’un mètre environ. Dans ce cas, comme dans les galeries G22 ou G28, il semble qu’un soin tout relatif ait été apporté aux finitions. Dans l’entrée, les restes d’un bloc qui n’a pas été enlevé renforcent encore l’impression d’un travail peut-être achevé dans l’urgence. L’objectif des prochains travaux dans le secteur 4 est le dégagement des niveaux anthropiques conservés dans les galeries G18 et G20 et la fouille du système de fermeture situé devant la galerie G21, tout en poursuivant l’enlèvement des colluvions indurées à l’intérieur de cette dernière.

2. La zone littorale du site

13Déjà fouillée en 2013-2015, puis objet d’importantes extensions des sondages initialement effectués en 2019, 2020 et 2021 – avec notamment la reprise de l’étude du dépôt des ancres et la fouille systématique des zones qui se trouvent en périphérie des bâtiments en peigne nord et sud de cette implantation littorale —, la zone 6 a encore été fouillée pendant une semaine au début de la campagne de 2022. Une zone de 150 m² qui se trouve à l’ouest du bâtiment nord a été dégagée dans l’espoir de retrouver la trace d’une construction supplémentaire appartenant à la phase 2b qui aurait été recouverte par les installations plus légères, en cabanes, de la phase 3. Ce travail n’a pas donné de résultats concluants, en raison de l’arase complète des niveaux antérieurs à la dernière occupation (phase 3), bien que de faibles vestiges d’un mur nord-sud, à l’est de ce secteur, suggèrent qu’une telle installation a pu exister. La fouille de l’ensemble de cette zone est donc définitivement terminée, et la restauration du « bâtiment sud » a été réalisée par la mission. Ce travail de mise en valeur des camps se poursuivra lors de la campagne de 2023 par la restauration du « bâtiment nord ».

3. Étude du bâtiment intermédiaire et de la zone 5

14La zone 5, où se trouve installé le « bâtiment intermédiaire », présente un niveau d’occupation antérieur à la construction de cette structure qui était complètement invisible avant la fouille de celle-ci (fig. 5). Des scellés et des ostraca recueillis dans ce premier ensemble permettent de le dater au moins partiellement du temps de Snéfrou, le fondateur de la IV^e dynastie. Les campagnes de 2018 et 2019 avaient permis de reconnaître cette phase ancienne en déposant systématiquement les sols des travées de cet édifice installées sur ses arases (T1 à T12), et en élargissant le sondage à l’est. À l’automne 2020, la limite de cette première occupation, constituée de plusieurs unités multicellulaires, avait été atteinte au nord, au-delà de l’emprise du bâtiment intermédiaire, ainsi qu’à l’ouest, par la dépose du sol de la travée T13. La fouille effectuée en 2022 – sous le niveau de la travée est-ouest T14 qui marque au sud l’entrée du bâtiment intermédiaire – a permis de terminer la reconnaissance de ces niveaux au sud de l’ensemble, en limite d’une zone qui a été fortement endommagée par la circulation d’un drain actif. Un ensemble de six espaces a été dégagé : à l’est de cette zone sud, la partie ouest des espaces 20 et 24 (des pièces allongées s’ouvrant vers l’est) a été fouillée. Celles-ci sont suivies, à l’ouest, de deux autres petites pièces (espaces 51 et 52) s’ouvrant cette fois-ci vers le sud. Elles sont équipées, comme les précédentes, de trous de poteaux ayant permis d’y adapter un système de couverture, et présentent les empreintes de céramiques qui ont été, à l’origine, enchâssées dans le sol. Encore plus à l’ouest se trouve l’espace 53, qui ne présente que très peu de vestiges – l’ensemble des aménagements qui ont pu s’y trouver – s’ils ont existé – ayant été entièrement détruits par la circulation du drain du ouadi, particulièrement actif à cet endroit. Une dernière petite pièce (espace 54) a enfin été identifiée à l’ouest de cet ensemble. Elle se trouve placée dans une position étonnante, au pied du talus où se trouve implanté dès la phase 1, en position haute, un bâtiment constitué de pièces longitudinales orientées sud-nord, lequel a été par la suite (phase 2) en partie incorporé dans les murs du bâtiment intermédiaire. Elle était recouverte en partie par l’effondrement du mur sud de la travée T14 (phase 2). Il est possible qu’il s’agisse d’une adjonction plus tardive au sein de la phase 1.

15Le matériel recueilli lors de cette dernière phase de fouilles, constitué pour l’essentiel de céramique de stockage, de terrines et de moules à pain, ne se démarque pas de ce qui provient des autres installations de la même phase. Contrairement à ce qui était espéré, il n’a pas été possible d’identifier le retour sud du mur d’enceinte qui enserre l’ensemble des cellules de cette première occupation à l’est, au nord et à l’ouest. Celui-ci a pu être entièrement emporté par les crues du ouadi, ou bien n’avoir jamais été mis en place à cet endroit du camp, cette protection additionnelle étant pour l’essentiel nécessaire au nord des installations en raison de l’orientation du vent dominant. Quelques sondages de contrôle seront encore nécessaires l’an prochain, notamment au sud de ce drain, pour s’assurer que l’extension complète des vestiges de cette phase 1 nous est maintenant connue.

4. Archéologie expérimentale et études de matériel

16Des opérations d’archéologie expérimentale et des études de matériel ont également pris place au cours de cette campagne. Elles apportent une information totalement renouvelée sur les technologies maîtrisées par les Égyptiens à cette période très ancienne de leur histoire. E. Laroze et F. Burgos ont ainsi poursuivi leur travail sur le transport des blocs de calcaire des carrières avoisinantes aux entrées des galeries-magasins où ceux-ci étaient employés dans le système de fermeture des magasins. Suite à des expérimentations préalables en France, un bloc d’une tonne a été placé sur un traîneau, bardé, et a pu sans difficulté être tracté par une force d’une vingtaine d’hommes sur un parcours jalonné de tasseaux de bois préalablement humidifiés (fig. 6).

17G. Verly et F. Rademakers, paléométallurgistes, ont pu analyser cette saison l’ensemble du matériel en cuivre provenant du site, et notamment démontrer l’existence en Égypte d’une technique de production de bronzes arséniés et de bronze à l’étain dès cette période ancienne de l’histoire.

18Dejla Garmi, spécialiste des textiles anciens, a pu mettre en évidence l’emploi de certains textiles dans la pratique du calfatage des embarcations. En collaboration avec C. Newton, paléobotaniste, les fibres des tissus ont également été analysées, mettant en évidence non seulement l’utilisation du lin, mais aussi celle du chanvre dans les vestiges de voiles recueillis sur le site.

19La treizième campagne de fouille du site du Ouadi el-Jarf est programmée en avril-mai 2023. Elle devrait permettre de poursuivre le dégagement des dernières galeries (G20, G21 et G18), dont la préparation à la fouille a été engagée durant la campagne de 2022. Plusieurs études concernant le matériel issu de cette fouille sont également programmées :

• étude des dépôts de grandes jarres entreposées dans les galeries (plus d’un millier) par Adeline Bats et Marie-Hélène Barrière ;
• étude du matériel nautique (bois de bateaux) par Emmanuel Nantet ;
• étude des tissus par D. Garmi.

20Les dernières observations pourront parallèlement être menées sur la zone 5, où se trouve le « bâtiment intermédiaire » (sondages diagnostiques à l’ouest et au sud), afin d’en lancer rapidement la publication. Enfin, les expérimentations menées par E. Laroze et F. Burgos dans la zone des carrières du site, pour restituer la chaîne opératoire de la production et du transport des blocs de fermeture des galeries, devraient également se poursuivre.