Introduction

1Lors de la campagne 2022, deux zones du site d’Ayn Soukhna ont fait l’objet de fouilles : le campement de la zone basse, et le ouadi 3 dans la partie haute du site.

3Pour la première fois depuis le début de l’étude du site en 2001, la zone du ouadi 3, à l’ouest du ouadi 2, a été testée grâce à une série de sondages et un secteur de fouille y a été ouvert. Cette zone a fait l’objet d’une occupation au début du Moyen Empire, et semble, comme le ouadi 2, entièrement dédiée à la métallurgie du cuivre.

Campement de la zone basse

4Nous avons continué cette année la fouille de la frange ouest du campement. Les dégagements de la saison 2021 avaient permis d’identifier deux nouveaux secteurs présentant une occupation dans cette zone : S39-A et S39-B. Une large partie de la saison 2022 a donc été dédiée à leur fouille.

5Dans le secteur S39-A, une série d’installations du début du Moyen Empire, dédiées à la transformation du minerai de cuivre, a été retrouvée en bon état de conservation. L’ensemble est, comme très souvent dans la zone basse, adossé à l’escarpement rocheux qui délimite partiellement le campement au sud.

6Au sud du secteur, l’atelier E1 comprend une batterie de quatre fours de réduction du cuivre (F81-83, F87), adossée au rocher, ainsi que les vestiges abîmés d’un petit four de fusion (R8), contre le mur sud de la pièce. La surface de l’atelier a été creusée dans le sol, puis un muret de petites pierres, liées à la mouna, a été élevé à la limite de l’excavation (surface interne de l’atelier : 3,25 × 1,9 m). Le sol de l’atelier a été aménagé à partir d’un enduit argileux gris. Plusieurs outils de pierre y étaient encore encastrés (tables de tri). Près du four de fusion, les traces très abîmées de plusieurs nattes ont été repérées, de même qu’une tête de canne à souffler. Celle-ci, pour la première fois sur la fouille, a été retrouvée entière. Il s’agit d’un embout en argile, qui était placé à l’origine sur un roseau (non conservé, mais dont l’empreinte était encore visible sur le sol de l’atelier) ; l’ensemble servait à attiser le brasier dans le creuset placé dans le four de fusion. De gros charbons étaient encore présents sur le sol de l’atelier. Ils ont été prélevés et doivent être analysés afin de déterminer l’essence du bois qui servait de combustible. Le sol de l’atelier a également livré des fragments de creusets.

7Directement au nord-ouest de E1, toujours le long de l’escarpement rocheux, une autre pièce (E3 : dim. max. 3 × 1,9 m), de plan alvéolaire cette fois-ci, comprenait l’arase d’un petit four de fusion (R9). À l’ouest de E3, un espace ouvert avait été aménagé par l’application au sol d’un enduit argileux gris, délimité par un boudin d’argile (1,8 × 2,2 m). Il s’agit d’un espace de tri : au centre, une pierre de tri est encastrée dans le sol et des déchets métallurgiques ont été retrouvés sur la pierre et autour de celle-ci. Il s’agissait grâce à ce type d’installation, de trier minutieusement le contenu des fours de réduction, afin d’en retirer l’ensemble des billes de cuivre, même les plus petites.

8Un autre atelier comportant une batterie de trois fours de réduction (F84-86) était construit au nord de cette aire de tri : si les fours en sont préservés, l’emprise au sol de l’atelier a en revanche été détruite par les installations postérieures. Deux fours supplémentaires (F94-95), à proximité de cette batterie, ont été dégagés en surface et devront être fouillés lors de la prochaine saison, notamment afin d’établir la chronologie de l’occupation du secteur. Une autre pièce (E2), dont la fonction ne semble pas liée à la métallurgie, a été construite au même endroit plus tard dans une seconde phase de l’occupation datant du début du Moyen Empire. Cette petite pièce (espace interne au plus large : 1,2 × 2,9 m) servait sans doute d’abri : une partie de sa surface était couverte par l’avancée de la couche rocheuse indurée qui se trouve à la surface de l’escarpement gréseux.

10Aucune trace directe d’activité métallurgique n’a été détectée à ce stade en S39-B, qui devait être dédié à d’autres activités (habitat, stockage, cuisine…). Cet ensemble de 10 pièces semble avoir été édifié par étapes successives mais rapprochées dans le temps (cf. fig. 4). L’architecture est caractérisée par des modules de moellons différents, avec des murs constitués d’une seule rangée de gros moellons ou de deux rangées de petits ou moyens moellons. L’évaluation soigneuse de la quantité de pierres effondrées montre clairement que ces murs ne s’élevaient pas jusqu’au plafond des pièces (hauteur préservée : de 35 à 60 cm ; hauteur originelle évaluée : de 80 à 90 cm. Ils servaient à limiter l’espace et le protéger du vent, et devaient également servir à caler des branchages ou des poteaux de petit diamètre pour soutenir une couverture légère. Comme à l’habitude sur le site, aucun trou de poteau n’a été identifié à l’intérieur des pièces.

12On notera au nord de la pièce E6, l’aménagement de ce qui ressemble à une rampe, qui monte vers la pièce (25 cm de différence de hauteur entre le haut de la rampe et la partie basse à ce stade du dégagement ; 4,16 × 3,12 m). Le rocher qui constitue le sol a été taillé et aménagé : un muret marque la limite est de cette rampe ; une épaisse couche de mouna a été déposée sur le substrat, dans laquelle l’on discerne encore très nettement les traces parallèles de baguettes de bois. Il faudra, lors de la prochaine mission, dégager la surface au nord de cet aménagement, afin d’en mieux comprendre la fonction.

13La construction et l’occupation de cet ensemble constituent à ce stade de la fouille la première phase d’occupation du secteur. Il faudra déterminer lors de la prochaine mission, si une occupation plus ancienne s’y trouve. La présence des vestiges d’un mur en briques crues, au sud de la pièce E2, mais dont l’édification est antérieure à celle des murs en pierre sèche, pourrait l’indiquer. Notons que l’usage de la brique crue dans l’architecture reste très exceptionnel à Ayn Soukhna.

14Une seconde phase d’occupation est nettement discernable : la réinstallation, de plus modeste ampleur que l’occupation initiale, ne se fait pas sur les sols d’origine, mais au-dessus d’une couche de rejet de la première occupation, d’un premier effondrement du haut des murs, et de dépôts de sable éolien. Cette deuxième phase est caractérisée uniquement par quelques foyers et poches cendreuses, ainsi que des nattes. Elle est elle-même recouverte par des strates d’abandon, constituées de pierres provenant de l’effondrement des murs, de sable éolien et de sables et galets provenant de l’écoulement des ouadis.

La zone du ouadi 3

15Lors de la saison 2022, nous avons pris la décision d’effectuer une série de sondages dans une partie encore jamais explorée du site : le ouadi 3. En effet, la prospection pédestre montrait la présence, en surface, de déchets métallurgiques et de céramique. La présence d’ateliers de métallurgie du cuivre du début du Moyen Empire dans la zone était donc probable. Il s’agissait donc, en étudiant cette zone, de mieux évaluer l’extension et la densité de l’occupation du site d’Ayn Soukhna.

16Le premier large sondage (18 × 5,40 m) ouvert sur le flanc ouest du ouadi présente trois phases d’occupation. La plus récente est caractérisée par trois inhumations humaines : les corps avaient été placés chacun dans une fosse peu profonde, dans la pente du ouadi. Ils étaient simplement entourés d’un linceul et d’une natte. Aucun matériel funéraire ne les accompagnait. On signalera cependant que l’état de préservation de ces tombes était très mauvais et les ossements eux-mêmes mal préservés en raison de l’humidité et du sel présent dans le sol. Il est donc très difficile de dater ces tombes : elles sont orientées sud-nord (tête au nord) et datent d’une période postérieure à l’utilisation de l’atelier de métallurgie retrouvé en-dessous.

17Sous ces inhumations donc, et sous un épais niveau d’abandon constitué de sable et de grès parfois très induré, un ensemble de bâtiments a été découvert. Il s’agit d’une pièce ovale au sud (E1, int. 2,5 × 2,75 m), et d’un atelier de métallurgie du cuivre au nord (E2, int. L. 2,74 m × l. 1,41 à 2,68 m). Ce dernier comprend une batterie de quatre fours de réduction (F88 à F91). Le sol d’utilisation de l’atelier est assez mal préservé, mais présente des traces d’un sol en argile grise. L’ensemble de l’atelier a été édifié à un niveau inférieur au niveau de circulation extérieur : la surface a donc été creusée dans la pente du ouadi, afin d’aménager un espace plan (à l’est, la différence de niveau entre intérieur et extérieur est de 5 cm, alors qu’à l’ouest, elle est de 32 cm). Les murs et la batterie ont ensuite été aménagés dans la dépression ainsi créée. On peut se demander si l’atelier et la batterie n’ont pas été construits en deux phases : en effet, le plan d’ensemble montre, au sud, un premier espace en face des deux fours F88-89 ; la pièce semble avoir été élargie vers le nord, sur la moitié de sa longueur, avec l’addition de deux fours supplémentaires à la batterie (F90-91). Cela pourrait expliquer la présence des vestiges d’un mur séparant les deux couples de fours, qui aurait été arasé lors de l’élargissement, et recouvert par la mouna posée sur le sol.

18Une autre batterie, perpendiculaire à la première, existait à l’origine, comme en attestent les vestiges de deux de ses fours (F92-93) et des murs bas de l’atelier dans lequel elle était insérée (E4 : int. 5,12 × 5 m). Elle semble avoir été détruite lors de la construction ultérieure d’une pièce en briques crues (E3, int. 2,47 × 1,60 m : briques de couleur grises avec inclusions de grès violet caractéristiques du site). L’ensemble des vestiges a beaucoup souffert du passage régulier des eaux du ouadi et d’une salinité élevée des sols. Les espaces ouverts autour de ces bâtiments, lorsque la stratigraphie n’a pas été emportée par les eaux, montre la présence des rejets de l’activité métallurgique. On notera également la construction derrière ces deux bâtiments, de murs de soutènement pour empêcher le sable et les rochers de la pente de s’épandre dans les pièces et de les obstruer.

19Trois autres sondages (3 × 2 m) ont été menés dans la partie sud du ouadi 3 : seuls quelques rares rejets métallurgiques de surface y ont été retrouvés. Dans la partie ouest du ouadi au contraire (à l’ouest donc des constructions précédemment évoquées et séparé de celles-ci par une petite butte), on note la présence d’un autre atelier : l’ouverture de trois fours de réduction a été localisée (F96-97-98), ainsi que deux murs. Ces vestiges seront fouillés lors de la prochaine saison. Au nord de cet atelier, un dernier sondage a livré une épaisse couche de rejets métallurgiques et de cendres, directement sur la surface rocheuse.

Conclusion

20Les fouilles effectuées lors de la mission 2022 ont montré une plus grande densité d’occupation que prévu sur la frange ouest du site, avec deux ensembles très bien préservés du début du Moyen Empire (S39-A et S39-B). Il faudra, lors de la campagne 2023, poursuivre la fouille de ces deux secteurs (fours et niveaux les plus anciens) et envisager l’élargissement de S39-B.

2118 nouveaux fours de réduction du cuivre et 2 fours de fusion ont été découverts cette année. On compte donc au total, à ce stade de la fouille, un minimum de 28 ateliers de métallurgie sur l’ensemble du site, dans lesquels se répartissent 98 fours de réduction du minerai : 7 ateliers (28 fours) dans le ouadi 2, 3 ateliers (9 fours) dans le ouadi 3 et 18 ateliers (61 fours) dans le campement de la zone basse. Ces nouveaux résultats confirment le statut d’Ayn Soukhna comme véritable centre de traitement du minerai de cuivre pendant les expéditions du début du Moyen Empire et en font un site archéologique majeur pour analyser la chaîne opératoire du cuivre pour cette période.

Autres activités

Étude du matériel

22Georges Verly, dans le cadre de l’étude qu’il mène sur la chaîne opératoire du cuivre à Ayn Soukhna au début du Moyen Empire, a analysé l’ensemble des rejets métallurgiques retrouvés dans les strates fouillées durant la saison 2022 et réalisé les photogrammétries des ateliers de métallurgie fouillés cette année afin d’en mener l’étude technique. Il a également complété l’étude typologique et fonctionnelle des creusets.

23François Briois, qui a la responsabilité de l’étude des industries lithiques du site, a cette année étudié les lames et couteaux de silex retrouvés lors des saisons 2016 à 2018 et 2020-2021, soit 539 pièces (examen des outils et dessin technique des pièces, détermination de leur matériau, typologie, analyse des techniques de façonnage et des opérations de recyclage).

24Jérôme Robitaille, en charge du macro-outillage en pierre (meules, molettes, etc.), très abondant sur le site, a étudié le matériel des saisons 2019-2020, provenant des ateliers de métallurgie (examen des outils et établissement de leur typologie, détermination de leur matériau, de leur mode de façonnage, mais aussi étude tracéologique).

25Sous la direction de Claire Malleson et avec la collaboration d’Essam Ahmed Soliman Aly, l’étude des vestiges archéobotaniques du site s’est poursuivie. Les échantillons ont été analysés à l’Ifao en décembre 2022.

Restauration et présentation du site

26Abeid Mahmoud (Ifao) a restauré les céramiques retrouvées pendant la première partie de la saison 2022. À la demande du Service des Antiquités de Suez, il a également poursuivi la réalisation de l’escalier menant au panneau d’inscription rupestre qui domine le ouadi 1. La partie basse de cet escalier, construit en pierre locale, avait été édifiée lors de la mission 2021. Sa partie supérieure a été achevée cette année, de même que la finition des enduits. L’ensemble se fond très harmonieusement dans le paysage et permet une visite facile des inscriptions. Un chemin menant à l’escalier a été également aménagé dans le ouadi 1. Enfin, les vestiges d’un petit édifice qui avait été fouillé il y a plusieurs années, et qui se situe le long du chemin menant à l’escalier, ont été à nouveau dégagés et restaurés pour pouvoir être présentés, de même que la copie de la stèle qui avait été trouvée dans ce bâtiment.

Publications

C. Somaglino, « Daily life in an Egyptian Red Sea Harbour: Ayn Soukhna during the Old and Middle Kingdoms », dans J. Sigl (éd.), Daily Life in ancient Egyptian Settlements, Conference Aswwan 2019, SDAIK 47, Wiesbaden, 2022, p. 27-40.

C. Somaglino, P. Tallet, « Vingt années de fouilles des ports pharaoniques d’Ayn Soukhna et du Ouadi el-Jarf sur la côte occidentale du Golfe de Suez (2001-2020) », dans B. Redon, P. Schneider, C. Durand, J. Marchand (éd.), Networked Spaces: The Spatiality of Networks in the Red Sea and Western Indian Ocean – Proceedings of the Red Sea 9 Conference, 2-5 July 2019 in Lyon, Lyon, 2022, p. 55-72, https://books.openedition.org/​momeditions/​16271?lang=en.

Conférences

C. Somaglino, El-Sayed Mahfouz, « De Mersa Gawasis à Ayn Soukhna et ouadi el-Jarf : la découverte du réseau égyptien en mer Rouge à l’époque pharaonique », colloque Autour de Champollion. Avancées et perspectives de l’archéologie égyptienne, 16 mai 2022, Sorbonne Université.

G. Verly, « Une chaîne opératoire complète du cuivre arsénié au Moyen Empire à Ayn Soukhna », colloque international Arts du feu : six millénaires d’artisanat du feu en Égypte (III^e millénaire av. J.-C.-époque contemporaine), Ifao-CEAlex, du 18 au 20 juillet 2022.

Diffusion scientifique

C. Somaglino, participation à la table-ronde Patrimoines maritimes matériels et littéraires, animée par E. Laurentin, 22^e Rendez-vous de l’Histoire de Blois, 7 octobre 2022.

C. Somaglino, M. Crépy, B. Redon, « Le désert Oriental égyptien durant l’Antiquité : zone d’exploitation et zone de passage », conférence-débat, Festival international de Géographie de Saint-Dié, 30 septembre 2022.