Données scientifiques produites :
https://www.archeonil.fr/​index.php/​les-chantiers/​galala-nord
https://www.ifao.egnet.net/​recherche/​archeologie/​ouadi-sannour/​

Problématique et résultats des travaux antérieurs

1Les recherches entreprises au Ouadi Sannour depuis 2014 ont pour objectif l’étude d’un vaste complexe minier localisé sur la partie sud-ouest du massif du Galâlâ nord. Les calcaires éocènes de ce plateau contiennent de riches ressources d’un silex vitreux de bonne qualité qui a fait l’objet d’une exploitation intensive depuis les premières dynasties jusqu’à l’Ancien Empire. Des carrières et des ateliers de production d’étendue variable ont été localisés à ce jour sur près de 1 000 km², dans une large zone entre Nil et mer Rouge, ainsi que des campements dont l’étude a été placée dans nos priorités (Briois, Midant-Reynes 2019a et b, Midant-Reynes, Briois 2022).

2Les mines constituent, en effet, des espaces d’interaction entre les populations du désert qui maîtrisent le milieu et les ressources et les groupes venus de la Vallée (mineurs, tailleurs, administrateurs, soldats) pour en exploiter les richesses au profit d’une classe dominante, qui, de son côté, exerce sur cette exploitation une pression et une centralisation accrues. Comment les sites se positionnent-ils dans la géologie locale au sein d’un réseau de circulation et de communication qui joint la vallée du Nil à la mer Rouge ? Quelles techniques de taille du silex ont été mises en œuvre pour produire à grande échelle des objets de qualité opérationnelle, tant au plan économique (les lames) que symbolique (les couteaux) ? Est-il possible de percevoir une dimension socio-économique au travers de l’étude des productions ? Existe-t-il des établissements relais ayant pu fonctionner comme des centres de redistribution ? Ce sont ces questions qui constituent notre problématique et guident nos recherches sur le terrain.

3En 2014, les travaux ont porté sur deux centres miniers importants (WS100 et WS118) et sur la fouille d’un ensemble de quatre bâtiments localisés près du Ouadi Oum Nikhaybar (WS05), datés de l’Ancien Empire (Briois, Midant-Reynes 2015). La campagne 2015 a été consacrée à la fouille et au relevé d’un nouveau campement localisé plus au sud (WS010), sur lequel a pu être mis en évidence un atelier de production de lames et de couteaux bifaciaux contemporain de WS05 (Briois, Midant-Reynes 2016). En 2016, nous avons repris et complété les observations dans le Ouadi Oum Nikhaybar et sondé les restes d’un nouveau campement identifié sur une terrasse du ouadi (WS13). La mission a également été consacrée à des prospections sur de nouvelles mines repérées dans le Ouadi Abou Rimth et à la fouille d’un atelier de débitage de lames intact (WS328) implanté au cœur d’un vaste complexe d’extraction de silex inédit (Briois, Midant-Reynes 2017).

4Depuis 2017, les campagnes ont principalement été consacrées à la fouille du vaste campement WS13 localisé au fond du Ouadi Oum Nikhaybar (Briois, Midant-Reynes 2018, 2020). Ce camp de mineurs, de 600 m² de superficie, est composé de plusieurs groupes de bâtiments qui ont fonctionné en relation avec les exploitations de silex et, dans une moindre mesure, la collecte de jaspe rouge provenant des formations fluviatiles du Ouadi Sannour. Ce site, daté entre la II^e et la IV^e dynastie, est l’établissement le plus important identifié à ce jour sur le plateau du Galâlâ. Il est placé au cœur d’un vaste réseau de pistes entre la vallée du Nil et la mer Rouge. Après une année d’interruption due à la pandémie mondiale de coronavirus, la campagne 2021 a essentiellement porté sur la reprise de la fouille du camp de mineur WS013, dont l’extension nord a apporté de nouveaux résultats (Briois et al. 2022). Par ailleurs, les prospections ont été poursuivies sur un ensemble de collines localisées à 12 kilomètres au nord-est de WS13 où un vaste ensemble de mines et d’ateliers de production totalement inédit a pu être exploré.

Résultats de la campagne 2022

Le campement de mineurs WS13

5Le prolongement de la fouille vers le secteur nord, amorcé en 2021, a permis d’achever la fouille de Bf, pièce mitoyenne de Bb, à l’ouest et de mettre au jour deux nouvelles constructions (Ca et Cb), situées à l’ouest de W, dans un espace où des alignements de pierres laissaient suspecter la présence d’une ou de plusieurs autres structures (fig. 1).

Le bâtiment nord et les structures en place

L’ensemble Ba-Bb-Bc-Bf

6La pièce Bf mesure 10,20 m de longueur pour 3,20 m de largeur (espace intérieur). Trois murs massifs, constitués de deux rangées de pierres issues du calcaire local, larges de 70 à 80 cm, la limitent au nord, à l’ouest et à l’est. Le mur sud est mal conservé. Elle partage, à l’est, le mur ouest de Bb. Ainsi, les pièces Ba, Bb, Bc, Bf forment un ensemble cohérent dans la mesure où elles ont toutes un mur mitoyen (fig. 2). Le niveau d’occupation se caractérise par deux foyers centraux et un matériel détritique composé essentiellement de céramiques brisées, d’outils en silex et de nombreux ossements de faune en très mauvais état.

7La pièce Bf offre une particularité : un petit compartiment d’1,50 m × 1 m aménagé dans sa partie nord (fig. 3). Il était probablement destiné à stocker des jarres à fond arrondi comme le suggère le lit de sable fin qui comble le fond.

8À proximité se trouve une fosse cendreuse d’1,25 m × 0,70 m × 0,35 m, remplie en grande partie de nombreux gros fragments de moules à pain et que l’on peut interpréter comme un four à pain. Le sol d’occupation de Bf est marqué par un épandage de gros tessons de jarres dont les remontages ont montré qu’ils appartenaient à quelques individus, cassés sur place. À l’instar des pièces Ba, Bb, Bc, la pièce Bf évoque un espace domestique, dévolu au stockage et aux activités de cuisson.

9Enfin, l’un des principaux acquis de cette mission 2022 concerne l’architecture de ces espaces. Des trous de poteaux ont pu être mis en évidence, au nombre de deux à trois dans l’axe longitudinal des pièces, qui attestent de la présence d’une couverture.

L’ensemble Ca-Cb

10Au sud de l’ensemble Ba-Bb-Bc-Bf, à l’ouest de W (fig. 4), les bâtis Ca et Cb partagent un même mur et constituent un ensemble cohérent de deux pièces. Elles sont orientées nord-ouest – sud-est et relèvent bien du « complexe des bâtiments nord » qui se dessine sur la terrasse du ouadi à partir de la pièce N. Constituées, comme les précédentes, de murs massifs de pierres calcaires, elles mesurent respectivement 5,90 m × 2,35 m (Ca) et 8 m × 2,80 m (Cb), mais la partie nord de cette dernière n’ayant pas été totalement dégagée, sa longueur est de fait plus grande et sera à déterminer lors d’une prochaine campagne. Là encore, ce sont des foyers qui les structurent : un foyer en cuvette en Cb et plusieurs foyers successifs, installés au même endroit, les uns sur les autres, en Ca (fig. 5). Le matériel évoque, là aussi, des espaces domestiques.

Le matériel

Le silex

11Le mobilier lithique totalise 469 pièces correspondant en grande partie à des éclats. Deux amas de silex (1691 et 1710), dégagés dans la pièce Bf, marquent l’emplacement du débitage de volumineux blocs de silex. L’étude des déchets de taille et les travaux de remontage permettent de déterminer qu’il s’agit des phases initiales du débitage : dégrossissage de blocs et phase de mise en forme de nucléus (fig. 6). Les déchets ont été abandonnés sur place tandis que les nucléus, absents de cette aire d’activité, ont été déplacés sur un autre secteur pour être exploités.

12Divers produits de débitage, correspondant à des éclats et à des lames brutes, ont été trouvés disséminés en divers points des espaces construits, en particulier en Bb, Bf et Ca où ils sont les plus nombreux. Ils correspondent à des supports d’outils prêts à l’emploi dont certains sont parfois regroupés à l’abri des parois des constructions (fig. 7). L’outillage au sens strict ne représente que 12 % des pièces en silex. Il est essentiellement composé de racloirs, de grattoirs et d’éclats retouchés.

La céramique

13La saison 2022 a livré un mobilier céramique relativement conséquent, puisqu’elle a rassemblé plus de 2 785 tessons, quand les trois campagnes de 2015-2018 avaient livré environ 4 560 tessons pour les secteurs WS 010, WS 005 et WS 013 réunis.

14Le matériel céramique mis au jour dans les espaces Bb, Bf, Ca et Cb révèle une vaisselle dévolue au stockage et à la préparation des aliments destinés aux équipes de carriers. Ils décrivent un répertoire relativement homogène en termes de fabriques et de formes. Il s’agit pour l’essentiel de vaisselle utilitaire bien datée du début de la IV^e dynastie. L’assemblage consiste en jarres, en bols carénés de type Meidum bowls (fig. 8) et en moules à pain. Deux pièces (Bf et Ca) ont plus spécifiquement livré un ensemble représentatif de moules à pain de deux types différents : les coniques et les plateaux. La répartition des différentes pâtes enregistrées cette année est conforme aux statistiques effectuées depuis 2017 avec une majorité de pâte calcaire fine (70 %, incluant 23 % provenant de la vallée du Nil). Suivent les pâtes alluviales (10 %) et les pâtes désertiques grossières (10 %). Enfin, une production locale spécifiquement dédiée à la confection de moules à pain représente 10 % du corpus.

15Plus spécifiquement, la reprise de la fouille de la pièce Bb a permis la découverte de tessons jointifs inscrits, par incision post-cuisson, au nom de l’équipe royale rḫw bjkwy nbw, qui a par ailleurs récemment été identifiée parmi le mobilier céramique du site voisin WS005 (Ciavatti, à paraître). Ces mentions du nom d’Horus d’or de Khoufou confirment ainsi la contemporanéité des sites voisins WS 005 et WS013 et renforcent leur ancrage chronologique au début de la IV^e dynastie.

Objet spécifique

16Une belle aiguille à chas en cuivre, complète, a été mise au jour dans un foyer de l’espace Ca (fig. 9).

L’établissement minier WS329

17Ce site, découvert lors des prospections en 2014, correspond à un camp de mineur placé au cœur d’une importante zone d’extraction du silex localisée sur la bordure méridionale du Ouadi Abou Rimth. Ces abris sont formés de dix pièces, rectangulaires et jointives, aménagées à l’intérieur d’une tranchée de carrière, qui a été creusée dans le sens nord-sud sur le flanc oriental d’une petite colline (fig. 10). Plusieurs amas de débitage de grands blocs de silex provenant directement de la carrière occupent la plateforme localisée sur la bordure ouest de l’établissement. Toute la pente située en contrebas des abris, depuis leur limite est jusqu’au fond du talweg, est occupée par un vaste atelier de production marqué par d’importantes accumulations de déchets de taille. Cet atelier a fonctionné pour la production industrielle de lames régulières, le façonnage de couteaux bifaciaux et la préforme de bracelets sous la forme de pièces discoïdales très plates. La campagne 2022 a été consacrée à la fouille d’une des pièces (B) jusqu’au substrat calcaire (fig. 11). Elle est de plan rectangulaire, présente une porte vers l’est et les murs nord et sud, mitoyens avec les pièces voisines, s’appuient sur l’ancien front de taille vertical dans lequel sont encore visibles des rognons de silex en place.

Les prospections

18Les recherches ont été poursuivies sur les complexes miniers WS900, WS328-329 et elles ont concerné aussi la partie occidentale du Ouadi Oum Nikhaybar. Les observations ont porté précisément sur les ateliers de taille liés aux installations minières en mettant notamment en lumière la nature technologique des productions. Un atelier de taille spécialisé sur la production de couteaux bifaciaux (WS906) a fait l’objet d’un relevé photogrammétrique complet par M. Gaber et son étude est en cours. La nature des silex qui ont été exploités par les mineurs du début de l’époque pharaonique a pu être étudiée dans leur contexte géologique et géomorphologique par Prof. M. Hamdan.

Conclusion et perspectives pour 2023

19Les deux campagnes de fouille 2021 et 2022 ont marqué un tournant décisif dans le programme du Ouadi Sannour. Leurs acquis ont été multiples et ont engagé une diversification des approches, qui ont constitué les objectifs prioritaires. L’extension de la fouille de WS13 vers le nord a pu montrer que le campement de mineurs occupait une grande partie de la terrasse et qu’il était constitué d’un grand nombre de pièces destinées à abriter les équipes. La suite du projet portera en 2023 sur la suite du dégagement de ces structures vers le nord, mais aussi sur la fouille du grand collecteur d’eau WS12 qui se trouve à proximité. Le volet prospection a permis de compléter la carte des sites du Ouadi Sannour et de faire une approche plus fine de plusieurs ateliers de taille. Les travaux de 2023 poursuivront ces travaux par l’étude notamment des ateliers WS920.6 et WS329, ce dernier étant lié à un nouveau camp de mineurs intact qui reste à explorer.

Communications scientifiques

F. Briois, B. Midant-Reynes, P.A. Beauvais, « The Flint Miners’ Camps on the Galala Plateau: WS013 in Wadi Nikhayabar », Origins 7: The 7th International Conference on Predynastic and Early Dynastic Egypt, colloque organisé par Y. Tristant et P. Tallet, à Paris, les 7-11 septembre 2022.

Publications

F. Briois, B. Midant-Reynes, F. Guyot, « The Flint Mines of North Galala (Eastern Desert) », dans E.C. Köhler, N. Kuch, F. Junge, A.K. Jeske (éd.), Egypt at its Origins 6: Proceedings of the Sixth International Conference on Predynastic and Early Dynastic Egypt, Vienna, 10th-15th September 2017, OLA 303, Louvain, Paris, Bristol, 2022, p. 65-82.

B. Midant-Reynes, F. Briois, « La découverte des mines de silex du Galala nord (désert oriental). Sources d’approvisionnement et société de la fin du prédynastique à la fin de l’Ancien Empire », dans G. Andreu-Lanoë, T.-L. Bergerot, Une aventure égyptologique. Mélanges offerts à Christine Gallois, Égypte. Afrique & Orient-Suppl. 105, Montségur, 2022, p. 45-54.

F. Briois, B. Midant-Reynes, P.-A. Beauvais, V. Le Provost, A. Ciavatti, « Ouadi Sannur (2021) » BAEFE, 2022, https://doi.org/​10.4000/​baefe.5934.

A. Ciavatti, « De Giza à la mer Rouge : une équipe d’ouvriers du règne de Khoufou au Ouadi Sannour », BIFAO 123, à paraître (2023).