Données scientifiques produites :
https://www.ifao.egnet.net/recherche/archeologie/tell-el-samara/
- 1 Guyot et al. 2022 ; Guyot, Hochtrasser-Petit 2022.
1Suite à la publication des résultats des premières campagnes de fouilles1, l’objectif de cette campagne était triple : 1) finaliser l’exploration du secteur 1a qui, suite à de violentes intempéries à la fin de la dernière saison, n’avait pas pu être complètement fouillé, 2) étendre les travaux en direction du nord (secteur 1c) afin de dégager les niveaux anciens datés de la fin du Ve millénaire av. J.-C. sur une plus grande superficie et tenter de dégager une organisation spatiale du bâti, 3) prolonger, grâce à l’étude des macro-restes botaniques, les recherches portant sur les modes de subsistance des premières populations sédentaires du Delta qui avaient été amorcées lors des missions précédentes par l’étude de la macro-faune.
2L’ouverture du nouveau secteur 1c au nord-ouest de l’ancien secteur 1a (fig. 1) et la finalisation des fouilles sur ce dernier se sont déroulées conjointement durant les deux premières semaines de la mission.
Fig. 1. Vue d’ensemble des secteurs 1a et 1c à l’issue des fouilles (F. Guyot).
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3Par la suite, les fouilles ont été concentrées sur le secteur 1c. La remontée de la nappe phréatique due à l’irrigation des champs alentours à cette période de l’année, ainsi que la suspension des travaux depuis 2019 en raison de la crise sanitaire qui a eu pour conséquence la dégradation des fragiles structures mises au jour précédemment et le développement d’un important couvert végétal sur l’ensemble du secteur, ont largement compromis le dégagement des minces tranchées repérées lors des précédentes missions. Ces tranchées rectilignes creusées dans le sable de la gezira délimitent des constructions rectangulaires en torchis dont certaines, rattachées au niveau 3a, peuvent être datées du second tiers du IVe millénaire av. J.-C (fig. 2).
Fig. 2. Tranchées rectilignes délimitant des constructions en torchis dans le secteur 1a, vue en direction du nord (F. Guyot).
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4Toutefois, la plupart des tranchées n’ont pas pu être suivies sur des distances suffisantes pour dessiner un plan cohérent du bâti, ni n’ont livré un matériel céramique suffisamment diagnostique pour pouvoir être datées. Des structures excavées telles que des silos ou des fosses, dont l’ouverture est plus circonscrite et facile à repérer en raison du contraste entre leur remplissage et le sable de la gezira, ont été, en revanche, dégagées en grand nombre (fig. 3).
Fig. 3. Coupe d’un silo du Néolithique ancien 3 creusé dans le sable de la gezira, secteur 1a en direction de l’est (F. Guyot).
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5Plus d’une quarantaine d’entre elles ont été mises au jour à la base du secteur 1a, à l’image d’un silo encore scellé d’un épais blocage d’argile pure (fig. 4, premier plan) et entouré de fosses plus ou moins profondes qui devaient former un ensemble fonctionnel (notons cependant que toutes ces fosses ne sont pas contemporaines : certaines appartiennent au niveau 1, d’autres au niveau 2b).
Fig. 4. Ensemble de silos et de fosses de la fin Ve-milieu IVe millénaire av. J.-C., secteur 1a en direction du nord (F. Guyot).
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6Les travaux dans ce secteur ont également permis de dégager cinq nouvelles sépultures. Comme relevé lors des précédentes campagnes, les restes humains sont très mal préservés et ces inhumations creusées dans le sable de la gezira puis comblées avec le même sédiment sont difficiles à délimiter. La tombe d’un adulte découverte cette année (fig. 5) en est une bonne illustration : les contours de la fosse sont difficilement identifiables et on ne distingue guère plus que la silhouette du corps.
Fig. 5. Dégagement d’une tombe d’adulte creusée dans le sable de la gezira, secteur 1a en direction de l’est (F. Guyot).
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7En l’absence de mobilier diagnostique et de raccord stratigraphique avec les couches environnantes, il n’est pas possible de préciser la datation de ces tombes entre la fin du Ve millénaire et le milieu du IVe millénaire av. J.-C. Deux inhumations de périnataux ont également été découvertes (fig. 6), mais du fait de leur emprise réduite et de la difficulté à repérer leur ouverture, on ne peut exclure que le secteur en contenait davantage.
Fig. 6. Inhumation d’un jeune enfant, secteur 1a en direction du nord (F. Guyot).
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8Implanté en direction du sommet du tell là où les couches des niveaux 2-4 sont moins épaisses et où le niveau 1 peut par conséquent être plus facilement atteint, le secteur 1c a été ouvert sur 150 m2 (fig. 7) : trois carrés de 5 × 5 m orientés est-ouest et trois carrés orientés nord-sud.
Fig. 7. Vue générale du secteur 1c en direction de l’ouest à l’issue des fouilles (F. Guyot).
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9Les trois carrés orientés nord-sud ont été descendus d’environ 1 m et n’ont livré que des couches de destruction et de remblais associés au niveau 4 sans structure en lien. Ceux orientés est-ouest ont quant à eux permis d’atteindre, à environ 1,5 m sous la surface, l’interface entre les occupations du niveau 1 (fin du Ve millénaire av. J.-C) et celles du niveau 3a (deuxième tiers du IVe millénaire av. J.-C). Les couches d’occupation du niveau 3a se trouvent sous une épaisse couche d’argile mêlée de nombreux tessons, vestiges probables d’un imposant mur en briques daté de la fin du IVe millénaire (c’est sur cette couche de destruction dont l’étendue est difficile à déterminer en raison de l’étroitesse des fouilles à cet endroit qu’ont été arrêtés les travaux dans les trois carrés nord-sud). Les vestiges de ce niveau semblent mieux préservés que dans la partie nord du secteur 1a et comprennent : un fond de cabane associé à un silo, des trous de poteaux et une cuvette rectangulaire en argile (fig. 8), de longues tranchées rectilignes se croisant à angle droit au centre du secteur, ainsi qu’une large et profonde tranchée délimitant l’extrémité d’un bâtiment mais qui se perd sous la berme sud des carrés (fig. 9).
Fig. 8. Aménagements du deuxième tiers du IVe millénaire av. J.-C. dans le secteur 1c, vue en direction du sud-est (F. Guyot).
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Fig. 9. Large tranchée délimitant l’extrémité d’un bâtiment du niveau 3a, secteur 1c en direction du sud (F. Guyot).
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10Aucune trace de l’occupation du niveau 2 (début IVe millénaire av. J.-C) n’a pour l’instant été mise en évidence dans ce secteur et seuls quelques tessons du Néolithique ancien 3 retrouvés à la base des couches ou sur le fond des structures excavées attestent l’existence d’une occupation plus ancienne (niveau 1) qui pour l’heure n’a été qu’effleurée. Le principal objectif des futurs travaux dans ce secteur sera donc de finir le dégagement des couches du niveau 3 avant de procéder à l’exploration de la première occupation du tell sur l’ensemble des carrés.
11Le second objectif de la dernière campagne était de mieux comprendre l’exploitation des ressources végétales par les populations du Delta aux Ve-IVe millénaires av. J.-C. L’étude des carpo-restes végétaux a été conduite par F. Jedrusiak de mi-juin à début juillet et poursuivie jusqu’à fin juillet par F. Guyot. Des prélèvements en vue d’une analyse des phytolithes présents dans une vingtaine de structures sélectionnées dans différents niveaux ont également été pratiqués lors des travaux sur le secteur 1a. Ces études étant en cours, seuls les points saillants des travaux menés par F. Jedrusiak sont présentés ici.
12L’étude des carpo-restes végétaux a porté sur 104 échantillons (2 437 litres de sédiments) provenant de 92 structures excavées telles que des fosses, silos, cuvettes et tombes. Afin de recueillir le plus d’informations possible sur les phases initiales du développement des sociétés agricoles dans cette région, une attention particulière a été portée aux structures datant de la fin du Ve millénaire av. J.-C : 55 structures de cette période (niveau 1) ont ainsi été échantillonnées, contre 24 datant du premier tiers du IVe millénaire av. J.-C (niveau 2), 22 du deuxième tiers (niveau 3a) et 3 seulement du dernier tiers (niveau 4b). Le volume moyen des échantillons est de 23 litres afin de respecter le volume minimum de 10 litres requis pour l’analyse carpologique. Les échantillons ont été traités par flottation manuelle ou tamisage à l’eau. Dans les deux cas, les refus de tamis ont systématiquement été contrôlés par un tri intégral sous stéréo-microscope. Des 104 échantillons, 11 étaient stériles, les autres ont livré une faible densité de macro-restes (1,26 semences par litre de sédiments). Ainsi, un total relativement peu élevé de 2 351 carpo-restes répartis en 27 taxons a pu être identifié. Tous ont été préservés par carbonisation. Leur état de conservation est mauvais (forte altération de la surface, fréquente déformation morphologique) et le taux de fragmentation est élevé.
13L’assemblage est dominé par les taxons domestiques, aussi bien en nombre de carpo-restes qu’en termes de diversité taxonomique. Ces derniers représentent 66 % des restes végétaux, contre 25 % de taxons sauvages auxquels s’ajoutent 9 % d’indéterminés en raison de leur mauvais état de conservation. Les céréales sont très largement majoritaires tandis que les légumineuses représentent à peine 3 % des taxons domestiques. Ces dernières sont presque exclusivement représentées par le blé amidonnier (Triticum turgidum subsp. dicoccum). L’engrain (Triticum monococcum subsp. monococcum) n’est attesté que par un unique caryopse et l’orge (Hordeum vulgare) par deux grains. Associées à ces cultures céréalières, les adventices de cultures hivernales (Lolium sp. Bromus sp.) sont bien représentées dans l’assemblage. Quoique peu nombreuses, les légumineuses attestent la consommation de lentilles (Vicia lens) et dans une moindre mesure de gesses (Lathyrus sp.). Une unique graine provenant du niveau 2 pourrait également révéler la consommation de pois (Lathyrus oleraceus) au moins dès le début du IVe millénaire av. J.-C. Les plantes sauvages, quant à elles, comprennent surtout des espèces de milieux anthropisés (notamment Trifolium sp., Persicaria sp.), ainsi que des taxons aquatiques ou de zones humides (Phragmitetea) avec la patience crépue/dentelée (Rumex crispus/dentatus) et le scirpe maritime (Bolboschoenus sp.). On mentionnera également la présence de deux restes de dattes (Phoenix dactylifera) dans des contextes datés du milieu du IVe millénaire av. J.-C. Enfin, il convient de souligner la très forte proportion de fragments de matière organique carbonisée qui dominent largement l’assemblage, quel que soit le niveau considéré, et qui représentent 57 % des carpo-restes retrouvés. Ces derniers résultent généralement d’une exposition au feu longue et répétée de caryopses de céréales ou de poaceae sauvages. Associés aux fragments de bales, aux caryopses d’adventices des cultures d’hiver et autres plantes messicoles, ils pourraient appartenir à des résidus de traitement des récoltes, brûlés à intervalles réguliers et dont les restes se sont retrouvés dispersés sur le site.
14Les premiers résultats de l’étude des carpo-restes de Tell el-Samara révèlent ainsi la place prépondérante qu’occupait l’agriculture dans le mode de subsistance de cette communauté dès la fin du Ve millénaire av. J.-C., en accord avec l’étude de la faune qui a précédemment montré la prédominance des taxons domestiques à la même période. Le blé amidonnier semble avoir déjà été la composante principale de la diète bien qu’il soit difficile de préciser les rôles respectifs de l’orge et de l’engrain du fait du grand nombre de caryopses classés sous le vocable de « cerealia ». Il en va de même pour la place occupée par les légumineuses qui doit être considérée avec prudence en raison du fait qu’elles se préservent en général moins bien que la plupart des graminées, à plus forte raison lorsque les conditions de conservation sont mauvaises comme c’est le cas sur le site. Les plantes sauvages, pour leur part, témoignent d’un milieu ouvert et relativement humide conforme à l’environnement actuel du site auquel devaient déjà être accolées de grandes zones cultivées. En revanche, le très faible nombre de taxons fruitiers préservés ne permet pas de préciser quelle était la part de la cueillette dans la diète de ces populations, laquelle devait cependant être marginale.
15Pour ce qui est des fouilles, l’ouverture du secteur 1c, destinée à compléter les observations précédemment réalisées dans le secteur 1a, a permis de documenter la première phase d’occupation du site sur une surface relativement importante (150 m2). Toutefois, celles-ci n’ont pas pu être achevées lors de cette campagne.
16L’étude du matériel archéobotanique devra, quant à elle, être terminée afin d’être soumise pour publication avant la fin de l’année 2023. L’étude des carpo-restes pourra à cette occasion, selon la disponibilité des spécialistes, être assortie d’une étude des phytolithes.