1Le rapport que les paysagistes entretiennent avec le terrain est souvent proche de celui des géographes, notamment par la pratique du terrain des paysagistes professionnels : « Le rapprochement avec l’invention du "terrain", identifiée dans le cas de la géographie et de l’ethnologie, s’impose, ici, évidemment : elle est portée par la même volonté et conviction de sortir, l’impératif de se confronter au dehors » [de La Soudière, 2019], ou à travers des formations des paysagistes et des géographes : « Emmener une classe de jeunes élèves, un groupe d’étudiant(e)s ou des habitant(e)s sur le terrain fait partie des indispensables des formations en géographie ou en paysagisme, qui ont en commun ce rapport à la fois sensoriel et expert avec le terrain, au cœur de leur pratique professionnelle » [Sgard, Partoune, 2019]. Le terrain n’est pas (encore) le site ou le support du projet, il est ce qui précède le projet : le lieu où l’on apprend, que ce soit l’étudiante qui s’initie à ce rapport très particulier au territoire ou le professionnel qui vient apprendre du terrain.
- 1 Alexis Pernet parle ainsi d’une « conquête du terrain » réalisée par les paysagistes engagés dans l (...)
2Essentiel pour les paysagistes, le terrain, est, comme l’écrit Sophie Bonin : « un très beau mot dans le langage paysagiste. Il évoque à la fois la terre, le sol, le socle, ce sur quoi on marche et on s’installe, et le rapport à l’expérience des lieux sur lesquels on travaille, avec ce que cela comporte aussi de rencontres, d’enquête, d’observation » [Bonin, 2019]. Le terrain est affirmé comme une composante forte du métier de paysagiste1 [Pernet, 2014], indispensable à toute démarche de projet qui débute nécessairement par une « immersion dans le site, indispensable pour saisir l’identité et le potentiel des lieux » [Keravel, 2015, p. 14]. Il est, dès lors, central dans la formation des étudiants paysagistes, le prélude incontournable de nombreux ateliers, cours, modules, au sein de cette formation. Comment apprendre à « faire du terrain » ? Comment former à ce qui est à la fois une méthode d’observation, de collecte, d’analyse, mais aussi un élément intime de l’identité professionnelle ?
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- 3 Cet article est écrit à la première personne en raison d’une double posture : observatrice – dans l (...)
3J’ai ainsi souhaité observer comment des étudiants paysagistes pratiquent ce terrain et ce qu’il leur permet en termes d’apprentissage pour l’interroger d’un point de vue didactique. Cette observation a pris place dans le cadre d’un programme de recherche2 dans lequel des dispositifs pédagogiques ou de médiation sont observés afin de comprendre comment les savoirs et savoirs faire en termes de paysage sont construits, circulent et se diffusent. La question du terrain dans ces apprentissages est importante. Pour l’interroger, j’ai suivi un groupe d’étudiants paysagistes de l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles (ENSP) sur leur terrain d’étude, durant 5 jours à l’automne 2020, qui devaient réaliser un travail dans le cadre d’un module d’enseignement semestriel intitulé « Atlas ». En immersion, je3 les ai observés, sans participer, se confronter à leur terrain d’étude, afin de comprendre comment ils/elles s’initient à ces méthodes, se construisent une pratique. Qu’est-ce que cette observation révèle des pratiques de terrain des étudiants ? Quelles interactions se jouent entre consignes, accompagnement des formateurs, et autonomie de l’étudiants ? Quels « déclics » permet le terrain en termes d’apprentissage, quel freins ou obstacles apparaissent ? En regard se pose la question de la méthodologie d’observation pour la chercheuse, elle-même enseignante, qui étudie ses étudiants en train d’apprendre sur le / du terrain.
- 4 L’équipe pédagogique durant l’année 2020-2021 était composée en majorité de chercheurs et de cherch (...)
- 5 Si le module « Atlas » est un enseignement ancien, le travail de terrain en autonomie a été expérim (...)
4Il s’agit d’abord de présenter le contexte de ce travail de terrain, car les manières de pratiquer dépendent beaucoup des consignes d’exercice données aux étudiants. Ce travail de terrain est réalisé dans le cadre du module « Atlas » de l’ENSP où l’équipe enseignante4 initie les étudiants paysagistes aux sciences humaines et sociales, en les invitant notamment à confronter pratique de terrain et cartographie. Les étudiants partent, en groupe, en immersion sur le site de leur choix5, avant d’être rejoints par leurs encadrants.
- 6 Les étudiants enquêtés, d’un niveau équivalent Master 1, intègrent l’École de paysage après avoir r (...)
- 7 Syllabus du module « Atlas », 2019-2020 sous la direction de Monique Toublanc.
5Ce module « Atlas » est ancien à l’ENSP. Créé en 1994, initialement appelé « Canton », cet enseignement vise à former les étudiants paysagistes en 2e année6 à la réalisation d’un diagnostic de paysage. Les étudiants doivent réaliser « un diagnostic en trois étapes (caractéristiques, dynamiques, enjeux) qui permette de rendre compte de la complexité des paysages (ruraux et périurbains) c’est-à-dire dans leurs dimensions à la fois sociales, naturelles, culturelles et politiques (apprendre à mener une réflexion globale appréhendant le paysage dans toute sa transversalité). [...] Ils doivent prendre en charge l’analyse d’un paysage (les observer in situ, les décrire et les raconter) à partir de sa propre sensibilité mais également de ses connaissances »7.
6Le terrain joue un rôle essentiel dans cet enseignement. Il est laissé au libre choix des groupes d’étudiants, qui le sélectionnent le plus souvent en fonction de la proximité à leurs familles, et aux possibilités d’un hébergement gratuit, d’un « camp de base » [extrait entretien Monique Toublanc, 2020]. Les étudiants se rendent ensuite sur le site choisi pour y réaliser leur semaine de terrain. « Il revient aux étudiants d’effectuer toutes les observations qu’ils jugent nécessaires pour la compréhension de ces paysages et de les localiser sur des cartes. Le carnet de terrain permet une prise de notes, libre et immédiate, sur lesquelles il sera ensuite intéressant de revenir pour voir ce qui subsiste de cette rencontre avec le terrain, de cette expérience paysagère (confirmation, infirmation, désillusion éventuelle, …) »8. J’ai choisi d’observer un groupe d’étudiants travaillant sur la Presqu’île de Crozon.
- 9 La première journée : « les préparatifs au voyage ou faire sa valise » se décompose en une matinée (...)
7En amont du terrain, deux journées de cours9 sont consacrées à l’apprentissage du terrain et à l’explicitation des attendus de l’exercice. L’accent est notamment mis sur la rencontre avec les acteurs, pour « apprendre à collecter les données auprès des acteurs qui gèrent et fabriquent ces paysages (institutions et organismes socioprofessionnels, associations, habitants, ...), auprès de scientifiques et d’experts […] ; les traiter (organiser, traduire, interpréter, représenter, articuler) pour en déduire des résultats en termes de compréhension des paysages d’un pays, de leurs caractères et de leur dynamique. […] Rencontrer les populations qui habitent à titre principal ou secondaire ce territoire, celles qui le visitent et recueillir leurs points de vue sur les paysages du carreau choisi. S’ouvrir aux regards des acteurs du territoire (habitants, élus, associations, institutionnels, …) à leurs perceptions et représentations et voir comment celles-ci peuvent nourrir le diagnostic ».
8Après cette semaine de terrain, les étudiants bénéficient d’interventions thématiques – écrire un atlas, identifier les dynamiques paysagères, utiliser les SIG, etc. – suivies de temps de suivi en atelier par l’ensemble de l’équipe pédagogique impliquée dans ce module « Atlas ». Le module se termine par une présentation orale, fin janvier, qui prend souvent la forme d’une performance, ainsi que par le rendu d’un dossier écrit, diagnostic du site choisi.
9La pratique du terrain par les étudiant(e)s en autonomie est souvent vue comme une « boite noire » par l’équipe enseignante qui ignore ce que les étudiant(e)s font sur place. Pour remédier à cela, notre équipe de recherche a construit une méthode en quatre temps pour enquêter le rôle du travail de terrain, fondée sur une observation in situ (à l’aide d’une grille précise et d’une collecte de traces) et un ensemble d’entretiens. Pour organiser l’observation et l’analyse de ces situations, l’équipe a élaboré un questionnement commun autour de trois axes, qui d’une part structure l’observation in situ, et d’autre part permet de confronter entre elles des situations d’apprentissage qui peuvent être très différentes. Ces trois axes mettent en lumière les enjeux d’une éducation au paysage, quel que soit le public concerné :
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L’axe politique : le regard sur le paysage n’a rien de naturel mais guidé par des jeux d’acteurs, fruit d’actions politiques voire de conflits ;
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L’axe sensible : la richesse du paysage, par rapport à d’autres enjeux d’aménagement, est sa dimension sensorielle, subjective, symbolique ;
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L’axe complexe : le paysage est complexe et devient un outil privilégié pour apprendre à appréhender la complexité, notamment socio-spatiale.
10Ces trois axes sous-tendent l’ensemble du projet de recherche et sont partagés avec les partenaires qui ouvrent leurs classes à l’équipe. Seules les 3 premières étapes ont été réalisées (Figures 1 et 2).
Figure 1 : Les temps de l’observation de la méthode de recherche
Figure 2 : Les grands temps de l’observation du module « Atlas »
11Dans un premier temps, je réalise des entretiens avec l’équipe d’encadrement sur des dispositifs pédagogiques identifiés pour comprendre les attentes. Puis, je rencontre les étudiant(e)s et leur propose un questionnaire pour comprendre leurs attentes vis-à-vis de l’exercice, leurs craintes, leurs aspirations (Figure 3).
12Dans le cas du module « Atlas », ce questionnaire ne cible pas uniquement le terrain en tant que tel, mais révèle aussi les préoccupations des étudiant(e)s à partir de questions ouvertes. De nombreuses réponses portent sur des attentes, des questionnements et des craintes concernant l’organisation (Comment organiser notre parcours ? ; Comment s’organiser ? ; Comment organiser une semaine sur place ? ; Que rechercher ?) ou les attentes de l’équipe pédagogique (Connaître les attentes, Comprendre les bases du travail à venir, Un résumé des attentes, Les attendus lors des arpentages et les objectifs de l’atlas).
Figure 3 : Les attentes des étudiant(e)s au début du module « Atlas ».
13On trouve également des questionnements et des attentes sur la méthode (D’apprendre à connaître les enjeux du territoire étudié au travers d’observations, de rencontres, d’expérience des lieux ; Une manière d’arpenter et de découvrir un territoire qui puisse m’aider dans mes démarches de découvertes futures ; Comment appréhender un territoire aussi grand en si peu de temps ; Comment bien collecter les infos trouvées ?) et notamment des interrogations sur la manière de ramener le terrain, d’éviter les oublis (Je redoute d’oublier des choses / des questions une fois le terrain quitté, de mal comprendre / ne pas avoir une analyse, lecture fine du terrain ; D’oublier de poser certaines questions (ou de se les poser) quand on est sur le terrain et de s’en rendre compte après).
14L’observation porte sur le suivi pendant cinq jours de quatre étudiant(e)s en 2e année : Joséphine, Pauline, Constance et Thomas. Ils sont en autonomie les deux premiers jours, puis accompagnés par Monique Toublanc et Alain Freytet, deux enseignants à l’ENSP Versailles les deux jours suivants, avant d’être de nouveau en autonomie le dernier jour. Avant de rejoindre ce groupe, je leur ai expliqué la nature de ma démarche et ma posture, tout en leur laissant le choix d’accepter ou non ma présence. Durant les cinq jours, dans une posture d’observation non participante, j’observe, relève, note, photographie des situations dans lesquelles se joue la compréhension du paysage. J’essaye d’intervenir le moins possible, même si les étudiant(e)s me sollicitent parfois pour des précisions sur les attendus du rendu, ou sur ce qu’ils observent.
15Je regarde également ce qui les distingue dans leur manière de se déplacer, d’appréhender l’espace. L’une des étudiantes se singularise par la manière de faire du terrain. Elle cueille, collecte, sent, parfois goûte les éléments. Son approche sensorielle me paraît intéressante (Photo 1). J’observe donc comment sa façon de faire du terrain se traduit, est mise en débat, permet un partage du sensible et de faire des liens avec le paysage.
16Je m’intéresse également à leurs interactions avec des habitants ou des experts rencontrés sur site (Photo 2). Je regarde comment ils s’y préparent, comment ils les interrogent, comment ils recueillent leur parole, etc. Puis, en reprenant leurs carnets de notes, je relève ce qu’ils en ont noté. In fine, lors du rendu, je regarde comment cette parole est intégrée, questionnée, discutée dans leur restitution. Je ne cherche pas à être dans une posture d’évaluation mais à observer et chercher à comprendre comment ils abordent ce terrain.
Photo 1 : Expérimenter la polysensorialité du paysage, Suivi Atlas
Source : Photo Fonticelli, 2020
Photo 2 : Rencontrer des acteurs du paysage, Suivi Atlas
Source : Photo Fonticelli, 2020
17J’écoute les échanges entre les étudiant(e)s et leurs encadrants. Un croquis de paysage, extrait du carnet de croquis de Thomas, donne lieu à une discussion avec l’encadrant paysagiste Alain Freytet (Photo 3). Ce croquis diffère beaucoup de sa manière habituelle de dessiner. L’étudiant recourt souvent à une vaste palette colorimétrique, mais là il s’est limité à trois couleurs. Il explique qu’il s’est trouvé confronté à une « monumentalité » des paysages, où la part anthropisée est très rare et peu visible, et il a eu du mal à en rendre compte à sa manière habituelle, traduisant la difficulté à restituer ces paysages qui n’ont pas été façonnés par l’homme. Cet échange témoigne d’une posture réflexive de l’étudiant vis-à-vis de ses productions graphiques.
Photo 3 : Extrait du carnet de terrain de Thomas - Crozon, septembre 2020
Source : Photo C. Fonticelli, 2020
18L’observation est riche, les matériaux collectés variés : photos, relevés des carnets de croquis, notes et extraits de verbatims. Mais elle ne permet pas toujours de savoir ce que les étudiant(e)s comprennent de ce qu’ils perçoivent, ou ce qui les motive. Les temps de mise en débat, entre eux, de débriefing, d’échange, me paraissent limités, sauf durant les déplacements en voiture. Il m’est ainsi difficile de les suivre dans leur progression, d’autant que ma posture d’observatrice non participante m’invite à restreindre mes interactions et à garder pour plus tard mes interrogations.
19Après l’immersion du terrain, il est nécessaire de relire l’expérience pour confronter ce que les étudiant(e)s et leurs encadrants ont pu ressentir. Pour cela, j’ai réalisé des entretiens semi-directifs avec les encadrants, et un entretien collectif (focus group) avec les étudiant(e)s.
20Auprès d’Alain Freytet et de Monique Toublanc, les questions portent sur la satisfaction des attentes pédagogiques. Il s’agit aussi de revenir sur des situations qui m’ont questionnée et d’interroger l’importance des dimensions politiques, sensibles et complexes du paysage dans le dispositif observé.
21Le focus group avec les étudiant(e)s, durant une heure, est également le moment d’une confrontation de mes interrogations avec leur regard. Les questions portent sur leurs ressentis, les freins et les limites de l’exercice.
22Le protocole de recherche est riche, apporte un matériau de recherche d’une (trop ?) grande ampleur. Pour le traiter, je me suis appuyée sur la grille de lecture en trois axes proposés par le programme de recherche. C’est à travers ces trois dimensions que je propose une relecture des observations et analyses menées sur le terrain, même si ces dimensions s’imbriquent plus ou moins.
23La dimension politique du paysage vise à interroger l’appréhension du paysage sous l’angle des rapports de pouvoir [Sgard, Rudaz, 2015]. « "Repolitiser" le paysage, c’est-à-dire inscrire la conception relationnelle du paysage dans le contexte politique, les systèmes d’acteurs et les rapports de pouvoir, les idéologies et les valeurs, est un levier de renouvellement des formations par le paysage, grâce à l’expression, la confrontation, l’argumentation des qualités des paysages choisis par les apprenants. » [Sgard, Guillaumont, 2019].
24Prendre la mesure de la dimension politique du paysage est en tous cas, une attente pédagogique forte, comme le syllabus en témoigne, notamment sur les rencontres avec les acteurs : « L’enquête suppose au préalable – autrement dit, dès la reconnaissance sur le terrain – une identification des acteurs jouant un rôle dans la "production" et l’évolution des paysages : acteurs institutionnels et politiques, acteurs économiques "directs" (agriculteurs, résidents, constructeurs, forestiers, réalisateurs des infrastructures, etc.), habitants et visiteurs. » [Toublanc, 2020].
25Dès lors, la semaine de terrain permet-elle des apprentissages sur cette dimension politique du paysage ? Mes observations soulignent le manque de connaissance des étudiant(e)s sur les acteurs et les systèmes d’acteurs, et leurs confusions sur les rôles de l’intercommunalité, des communes, du Conservatoire du littoral, etc. rendant parfois difficile la compréhension de certains enjeux paysagers. Les étudiant(e)s discutent peu de la dimension politique du paysage car, pour eux, le rôle des acteurs et la gouvernance ne semblent pas un sujet important à traiter, et le rôle des acteurs dans la fabrique des paysages n’est pas débattu. Les documents d’urbanisme et d’aménagement, qu’ils sont explicitement invités à lire, ne sont pas consultés.
26Cette dimension politique semble être quelque peu oubliée. Toutefois, l’enquête auprès des acteurs revêt une place centrale dans leur pratique du terrain. Contrairement aux étudiant(e)s ayant suivi des parcours de sciences humaines et sociales, les paysagistes sont peu préparés aux techniques et méthodes d’enquête, en dehors des deux demi-journées de préparation en amont du module « Atlas », considéré comme la première mise en application de ces techniques. Si les protocoles d’enquêtes sont peu (voire pas) préparés et maladroitement soumis, le suivi des étudiant(e)s montre l’importance pour eux d’aller interroger des habitants, touristes ou commerçants. Le temps dédié à la rencontre avec les acteurs a été important. Le focus group témoigne de l’amorce d’une réflexion sur les pratiques de médiation.
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Joséphine : « Même de façon personnelle, pas seulement pour le travail, mais juste en fait c’est facile d’aller vers les gens, de leur poser des questions. C’est même agréable d’écouter leurs points de vue et c’est quelque chose que je faisais vraiment jamais ».
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Thomas : « Les locaux ont une vision que nous on n’a pas forcément du territoire ».
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Pauline : « Si on veut contextualiser nos projets, je pense que c’est utile ».
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Thomas : « Ouais, ça peut toucher à tout le monde, au politique, au social ».
27Les étudiant(e)s montrent une réelle curiosité pour aller à leur rencontre, ou pour tenter d’expliciter le rôle de certains acteurs dont leurs encadrants leur parlent, comme le Conservatoire du littoral. Ils réfléchissent sur leur rôle au sein du système d’acteurs. Les futurs paysagistes se voient alors traducteurs :
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Joséphine : « Quand on parle aux gens du coin, ils ont une façon de parler qui est un peu naïve et du coup une manière de faire fonctionnelle. Et du coup, croiser pleins de témoignages comme ça, faut un peu traduire ».
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Thomas : « On a des enjeux de traduction ».
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Constance : « Ouais, on est des traducteurs, un peu ».
28Cet exercice particulier, qui diffère des projets de paysages habituels, amène à réfléchir sur leur propre rôle dans le système d’acteurs, amorçant une réflexivité sur leurs pratiques. Confrontés à des acteurs aux avis dissonants, la pratique du terrain les amène à comprendre « le rôle d’expert, mais aussi de médiateurs qu’ils seront amenés à jouer » [Sgard, Partoune, 2019].
- 10 « Le sensible est à la fois le fait de sentir et de ressentir, d’éprouver par les sens et de donner (...)
29Si, à l’ENSP de Versailles, les étudiant(e)s sont peu familiers avec la dimension politique du paysage, en revanche la dimension sensible leur apparaît bien plus facilement car beaucoup sont issus de formations artistiques. Le terrain se prête particulièrement à l’expression de cette dimension sensible10 du paysage. Deux aspects de celle-ci sont apparus lors de cette observation : la polysensorialité, et la capacité à exprimer et à partager le sensible.
30Pour les paysagistes praticiens, la découverte d’un terrain passe par un « parcours en tous sens » selon Corajoud [cité par Keravel, 2015] : le paysagiste « arpente [le terrain] pour en avoir une connaissance directe, il l’écoute, il touche, il sent » [Keravel, 2015, p. 16]. Pour les professionnels la découverte du terrain est associée à une polysensorialité. Qu’en est-il pour les étudiant(e)s ?
31Les moments les plus riches pour l’expression d’une sensorialité ont été ceux des arpentages longs. Le premier jour, les étudiant(e)s ont réalisé une randonnée le long de la Côte des Espagnols, qu’ils ont qualifiée de « sensible ». Constance m’a ainsi expliqué avoir été marquée par les changements de matière du sol, en marchant, et avoir noté l’emplacement où la sensation durant la marche avait évolué, lui ayant ainsi permis de poser des hypothèses sur la géologie des espaces arpentés. Tous m’ont raconté les sensations procurées par l’ombre des pins, avant de m’expliquer qu’ils avaient été implantés sur la Presqu’île pour donner une ambiance méditerranéenne.
32Les relevés de verbatims provenant de la randonnée des étudiant(e)s vont dans ce sens. C’est bien ce long arpentage, moment assez unique dans leur pratique du terrain, qui a été le plus propice à cette polysensorialité :
« En tant que randonneur, l’expérience de la marche, ça a beaucoup marqué les choses, notre façon de percevoir le paysage. Il y a eu la question du sol qui change. Au départ, il est très mou, très feutré. Puis on change de côte, et là il se fait bien plus dur avec les racines des arbres ».
« En termes de sons, ça semblait bien plus dilué ».
« On voit différentes hostilités selon les côtes, la chaleur, le glissement ».
Relevés de verbatims extraits du carnet de terrain, Fonticelli, 2020.
33Nous avons réalisé un 2e arpentage le dernier jour. Il fut, lui aussi, propice à l’expression de cette sensorialité, même si elle n’est pas toujours explicitée dans ses liens au paysage :
« La dimension polysensorielle est bien plus présente. Ils ramassent des objets, attirent mon attention sur le bruit des oiseaux. Ils touchent beaucoup plus, ramassent et collectent des éléments. Nous passons devant un stationnement caravanes où une dame est installée à bronzer entre deux voitures près d’une route, tournant le dos aux étangs. Joséphine critique son choix d’installation et m’explique qu’elle se serait installée 50 m plus loin, face à l’étang, à l’ombre des arbres et du vent, loin du bruit des voitures où l’on peut entendre les oiseaux. La polysensorialité est ouvertement convoquée, même si Joséphine ne la lie pas à pas ce qui fait paysage ».
Extraits du carnet de terrain, Fonticelli, 2020.
34Mais encore faut-il que les étudiant(e)s s’adonnent à un arpentage à pied et renoncent à se déplacer en voiture : la volonté de couvrir l’ensemble de la Presqu’île les a en effet conduit à passer d’un espace à un autre, sans toujours prendre le temps de les parcourir. Face à la difficulté de sélectionner les éléments importants et utiles, les étudiant(e)s ont voulu collectionner les sites plutôt que d’en sélectionner un petit nombre pour patiemment les collecter. Si les différents sens ont été sollicités par les étudiant(e)s tout au long du séjour, le rapport entre sensorialité et paysage n’a pas toujours été explicité.
35L’approche sensible passe également par la capacité à exprimer ses émotions. Or, les étudiant(e)s ne mettaient pas toujours en débat leurs ressentis, et leurs carnets de terrain étaient une maigre manière de savoir ce qu’ils éprouvaient, et comment ils analysaient leurs ressentis face aux paysages. Un moment clé, lié à l’arrivée des encadrants, a débloqué cette expression du sensible. Monique Toublanc, face aux falaises à la pointe de Dinan, devant le site, a été la première à s’adonner à l’expression d’une émotion : « moi, je suis juste bouche-bée ». Elle l’explicite ensuite : la part anthropisée est faible, on est dans des paysages du sublime. Que peut dire une sociologue dans des paysages qui n’ont pas été façonnés par l’homme ? Les étudiant(e)s ont témoigné dans le focus group de l’importance qu’a eu ce moment pour leur permettre d’exprimer ce qu’ils ressentaient.
« Alain les questionne ensuite sur les émotions suscitées par le paysage littoral. Avez-vous commencé à les décrire ? Alain souligne que mettre des mots sur ces émotions est essentiel pour les paysagistes. Il leur demande à chacun un mot pour décrire le paysage de la pointe de Dinan.
Constance et Thomas décrivent la randonnée du lundi et proposent les termes "sauvage" et "désertique". Monique leur propose d’aller plus loin pour analyser ce ressenti. Lié à l’absence de trace humaine, et à la difficulté à la lire.
Pauline propose "surplombé". Elle explicite son propos : on alterne entre des moments où on surplombe la mer et d’autres où on se sent surplombé par les falaises, par la monumentalité de ces paysages, et par ce jeu entre horizontalité de la mer et verticalité des falaises ».
Relevés de verbatims extraits du carnet de terrain, Fonticelli, 2020.
36Ce moment a été une étape importante de l’observation qui a permis aux étudiant(e)s de prendre conscience de la diversité de leurs perceptions, dont elles/ils n’avaient pas toujours débattu jusque-là.
37Le partage du sensible s’exprime par la parole, mais aussi par le dessin qui est un outil essentiel du paysagiste [de La Soudière, 2019], notamment pour la description des sites : « Dessiner un territoire oblige à faire des choix, à extraire l’essentiel, à hiérarchiser, car on ne peut pas tout représenter. À travers le cadrage et la sélection des éléments surgissent une prise de position et des décisions intuitives, car la description paysagiste est très empirique, elle se fait par allers-retours incessants entre la pratique et la pensée » [Keravel, 2015, p. 17]. Le dessin est un outil d’expression du sensible, et être sur site pour dessiner a permis aux étudiant(e)s de développer une réflexivité sur les dessins réalisés. Mais dessiner avec ses encadrants, reprendre les dessins face aux sites, permet de progresser dans la représentation graphique, mais surtout de comprendre l’utilité de certains modes de représentation plutôt que d’autres. Les étudiant(e)s ont parfois une approche utilitariste du dessin : leur carnet de terrain sera relevé et noté, ils sont donc amenés à le compléter régulièrement. Ils dessinent parfois plus pour répondre à la consigne, que parce que le terrain les invite à le faire. L’arrivée des enseignants change quelque peu la donne, les échanges avec les encadrants permettant d’expliciter encore l’importance de ce média pour les paysagistes. Joséphine en témoigne : « Et du coup, moi je disais à Constance, tout à l’heure, sur l’ancienne voie ferrée, je lui ai dit bah "c’est la première fois que je fais une coupe parce que ça me semble plus utile que le dessin" » (Joséphine, extrait Focus Group Post Atlas, 2020).
38Enfin, partager le sensible revient non seulement à trouver des outils pour l’exprimer, mais également à accepter de partager le regard des autres. Les entretiens avec les habitants du territoire ont permis aux étudiant(e)s de s’y confronter. Ils ont aussi dû partager le regard des encadrants. Ils apprécient ce partage du regard d’autrui, ce qui ramène au rôle du paysagiste considéré comme un traducteur. « Là en parlant, je trouve que les jours où on était juste nous, où on regardait avec notre regard, et puis d’un coup on a été plongés dans le regard des professeurs. […] D’un coup c’était plus notre regard mais le leur, qu’on écoutait. Et du coup on a eu cette confrontation où d’un coup on est plongés dans un autre point de vue, dans une autre manière de fonctionner et de regarder. Et ça, ça nous empêchera pas de faire notre travail de manière personnelle aussi, mais juste d’un coup on se rappelle qu’il faut concilier les deux ». (Joséphine et Constance, extrait Focus Group Post Atlas, 2020).
39La question de la complexité devient un enjeu central en termes de formation : comment construire des clés d’intelligibilité d’un monde de plus en plus complexe ? La formation à une pensée de la complexité est notamment développée en didactique de la géographie [Hertig, 2018], et le paysage apparaît comme un levier pertinent pour former à ces questions : « Former à la complexité par la transversalité du paysage : aborder un espace public grâce au paysage implique la prise de conscience de la diversité des acteurs, des ressources et contraintes, la compréhension des facteurs d’évolution d’un territoire qu’ils soient sociaux ou biophysiques, la confrontation des échelles spatiales et temporelles ; les dispositifs permettent la circulation de savoirs "savants" et "profanes". » [Sgard, Guillaumont, 2019]. Il permet de faire des liens en « mettant en relation des éléments biophysiques, culturels, économiques, sociaux et sur les enjeux politiques que le paysage donne à voir » [Sgard, Partoune, 2019], qu’il s’agisse de publics scolaires, étudiants ou de participants à des démarches de médiation. Là aussi, le terrain paraît particulièrement à même de favoriser ces apprentissages.
40Les questionnaires complétés par l’ensemble de la promotion font souvent part d’une appréhension : l’immensité des connaissances à acquérir. Hiérarchiser, organiser, faire des liens, établir des priorités, sont des composantes essentielles de la pensée complexe, et le terrain, parce qu’il demande à faire des choix, parce que tout ne peut être analysé dans le détail, invite à développer ces compétences. Cela demande toutefois d’accompagner les étudiant(e)s dans cette direction. Lors des premières journées de terrain, je suis surprise par leur choix de se rendre essentiellement sur des sites touristiques en bord de littoral. L’intérieur des terres, et les problématiques particulières qui se posent en termes de friches agricoles se traduisant par une fermeture des paysages ou de cabanisation, ne sont explorés que devant l’insistance des encadrants. Confrontés à l’immensité de la tâche, les étudiant(e)s tombent dans l’écueil de résumer le paysage aux paysages remarquables et patrimonialisés, et dépassent difficilement ce biais.
41Et, s’ils explicitent leur crainte de « louper des choses », elle ne vient pas nécessairement nourrir une réflexion sur des méthodes alternatives pour aborder autrement un travail sur le grand paysage. La méthode du transect [Poussin, et al., 2016] par exemple n’est pas mobilisée, préférant une randonnée le long du sentier côtier. Il faut attendre l’arrivée des encadrants, qui les amènent au cœur des terres pour qu’ils tournent le dos au littoral.
42Le passage d’une échelle à une autre est l’une des attentes de l’équipe pédagogique, notamment parce que le module « Atlas » est le premier cours d’analyse du grand paysage : « On inscrit le module dans une continuité pédagogique, lecture du paysage dispensé par Alexis Pernet. Le travail est sur un site plus conscrit. On leur demande de changer » (Entretien Post – Monique Toublanc, 2020). Cette question du changement d’échelle pour l’analyse du grand paysage, qui nécessite des échelles plus réduites, génère des difficultés. « Ça marchait à une certaine échelle. Mais comme on doit réélargir l’échelle, du coup si on fait autant dans le détail, on aurait trop d’informations, et après la synthèse n’est pas facile » (Pauline, extrait Focus Group Atlas, 2020). « Clairement le changement d’échelle n’est pas clair pour eux. Il faut vraiment mettre l’accent sur le changement d’échelle » (Entretien Post – Monique Toublanc, 2020).
43Si le terrain favorise des réflexions sur les échelles, les outils donnés aux étudiant(e)s, ainsi que les consignes du module, influent dans les apprentissages. L’exercice d’Atlas est aussi celui du passage du terrain à la carte et inversement. La carte est un outil privilégié de la lecture des grands paysages [Pernet, 2014]. C’est un élément incontournable de l’exercice puisque celui-ci demande de découper la carte en différentes unités de paysage, qui nécessite des allers-retours entre carte et terrain. La carte est un levier pour accéder à la complexité. Elle permet de faire des liens, de passer d’une échelle à une autre. Ce support devient un outil d’appropriation du paysage, comme l’exprime Joséphine : « Mais c’est vrai que le fait de vraiment observer une carte. C’est vrai qu’on apprend. […] C’est la carte qui aide vraiment à s’approprier le paysage, à comprendre comment fonctionne le paysage, c’est quelque chose que j’avais jamais fait » (Joséphine, extrait Focus Group Atlas, 2020).
44Les étudiant(e)s ont beaucoup progressé dans l’utilisation de la carte topographique au 1/25 000, qui est devenue durant leur séjour de terrain, le support de leurs discussions et échanges. La carte leur a permis de faire des liens, d’une carte à une autre, en posant des hypothèses et en apportant des réponses. C’est ce que Thomas expose : « Et puis aussi le fait de faire des liens entre les cartes. Là on n’avait que géologie et IGN, mais c’est important de superposer ces informations et de voir ce qu’il en sort. C’est ce qu’on avait fait un peu avec Alain en disant voilà c’est bizarre le relief à des moments, ça fait comme des collines mais avec des bords plats pourquoi ça fait ça et puis en fait on regarde sur la carte géologique et on voit que c’est découpé comme ça, dans le sens où il y a des reliefs. C’est le fait de devoir gérer plusieurs informations en même temps et de les corréler entre elles qui est intéressant » (Thomas, extrait Focus Group Atlas, 2020).
45Confrontés à un exercice complexe, les étudiant(e)s progressent dans leur approche des territoires à différentes échelles, améliorant leur compréhension de l’espace et de la spatialité, et leur capacité à mobiliser les outils du paysagiste et du géographe.
46Une fois le terrain achevé, vient le temps du retour en classe, des suivis en atelier, puis du rendu. Ce rendu final du groupe, plusieurs mois plus tard, s’est avéré quelque peu décevant pour l’observatrice entretemps redevenue enseignante. Le re-confinement lié au Covid-19 a distendu les suivis du groupe, a empêché leur retour sur site. Dans les rendus, la dimension politique du paysage a été peu abordée, la méconnaissance des acteurs et des politiques déjà observées sur le terrain a conduit les étudiant(e)s à passer à côté de certaines dynamiques. Seul le rôle du Conservatoire du littoral a été largement explicité. Pour l’approche sensible du paysage, la polysensorialité, qui s’exprimait si fortement sur le terrain semble avoir été quelque peu oubliée et les descriptions lui laissait peu de place, peut-être parce que le ressenti est difficile à exprimer dans le cadre d’une évaluation. Enfin, pour la dimension complexe, si le passage d’une échelle a une autre semble acquis, tout comme l’aisance dans l’utilisation des différentes cartes, les étudiant(e)s sont retombés dans leur prisme littoral, revenant principalement sur les paysages remarquables dans leur présentation orale.
47Les restitutions finales des travaux reflètent davantage la compréhension des consignes que les apprentissages réalisés et le rendu n’en est pas le reflet. Il est ainsi difficile d’identifier ce que le terrain a permis comme apprentissage à partir de cette évaluation. Cela confirme l’intérêt de la méthodologie conçue par l’équipe de recherche qui s’appuie sur des observations et des entretiens, et parie sur les compétences réflexives des encadrants et des étudiant(e)s. L’observation s’est avérée très riche, difficile à retranscrire tant les situations sont subtiles et les apprentissages progressifs et difficiles à mesurer. Le focus groupe avec les étudiant(e)s confirme son intérêt pour étayer, nuancer voire infirmer les observations. Contrairement à une démarche d’évaluation, la méthode tente de suivre de près la fabrique de ces pratiques, prendre la mesure des hésitations, des choix de circonstance, des déclics, des enthousiasmes, des freins, etc. Elle tente aussi de cerner le rôle précis et contextualisé des encadrants, qui s’est révélé déterminant dans le champ du sensible.
48Quelles pistes d’amélioration peut-on dégager, notamment sur le moment et les conditions du terrain au regard des attendus du module « Atlas » ? Il s’avère que le terrain a été peu préparé, mais de quoi les étudiant(e)s avaient-ils besoin pour en tirer profit ? Le statut du terrain est ici un peu flou, ni lieu de questionnement pour des regards neufs et non outillés, ni terrain de validation de connaissances et compétences antérieures. Ils doivent simultanément apprendre à faire du terrain et apprendre du terrain, pour nourrir l’un l’autre. Un temps de travail plus long en amont semble nécessaire. Il est apparu en outre au fil des observations que le terrain seul ne permet pas de décrypter le contexte politique et les systèmes d’acteurs ; les étudiant(e)s ont besoin d’outils de compréhension et d’analyse des dimensions politiques du paysage. Des temps intermédiaires de réflexion, pour se raconter, se rappeler le terrain pourraient être utiles au cours du module qui est étalé sur un semestre. Cela permettrait de renforcer les compétences réflexives des étudiant(e)s vis-à-vis de leurs connaissances (qu’avons-nous appris sur le terrain ?), de la méthode pour « faire du terrain » (comment avons-nous appris ?), et sur leur relation personnelle au terrain (quelles pratiques ai-je envie de me construire ?).
49Enfin, ce qu’il reste de ce terrain, c’est le plaisir pris à arpenter de tels sites, partagés aussi bien par les encadrants, les étudiant(e)s que par moi-même.
« Tu as beau expliquer ça en cours, ce n’est pas pareil. Entre les types de paysage et les unités. Je me rends compte qu’en cartographiant ensemble, on arrive à le faire. Là il y avait l’ambiance pour le faire, dans la maison de Joséphine, accueillis par eux.... On a une complicité avec les étudiants. Le fait d’être sur le terrain avec eux. Marcher ensemble… […] On fait aussi ce métier pour ça, pour ces moments assez intenses, de rencontres amicales. Et ça c’est aussi ça qu’il est important de leur faire passer. Il est important d’avoir ces moments. La dimension du bonheur de faire ensemble. De prendre du plaisir dans notre métier » (Extrait entretien Alain Freytet, 2020).
« Moi il y a un côté qui m’a choquée et que j’ai beaucoup apprécié, c’est que je pense que c’est une des premières fois depuis le début de l’école que j’apprécie vraiment un travail, que je comprends les enjeux, et que ça me fait plaisir de travailler, que je ne travaille pas parce qu’on m’a donné ce travail, mais parce que j’ai envie de travailler là-dessus » (Joséphine, extrait Focus Group Atlas, 2020).
50Il en résulte une capacité d’engagement plus importante dans l’exercice, un intérêt renouvelé pour le métier, une volonté de prolonger ces temps avant un retour en classe.
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