Une histoire « au ras du fleuve » ? Approche multiscalaire des trafics clandestins au bord du Rhône entre Lyon et la Méditerranée (fin xviie-xviiie siècle)
Résumés
Reliant l’Europe du Nord au monde méditerranéen, le Rhône est un axe commercial fréquenté sur lequel transitent des produits venus du monde entier, notamment via le port franc de Marseille. Il dessine également une frontière mouvante et contestée qui, séparant des provinces aux différents régimes fiscaux, favorise les tentatives de fraude et de contrebande. Pour appréhender ces phénomènes, il est nécessaire de multiplier les points d’observation sur le fleuve. L’approche multiscalaire met en relief des situations différenciées générant plusieurs formes de trafics clandestins et dévoile certaines spécificités du Rhône. Outre la variation des échelles spatiales, il faut prendre en considération les évolutions chronologiques pour une étude qui couvre la fin du xviie siècle et le xviiie siècle. Ce travail repose donc sur une démarche empirique et l’analyse de cas. Il s’inspire de l’expérimentation micro-historique et se nourrit des apports des autres sciences humaines et sociales.
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- 1 Jacques Revel, « L’histoire au ras du sol », préface à l’ouvrage de Giovanni Levi, Le pouvoir au vi (...)
« Parce qu’ils ont choisi de faire varier de façon systématique et contrôlée la focale de leur objectif, les microhistoriens ont en commun d’être, plus que d’autres peut-être, attentifs à la construction du réel et au rôle qu’y jouent l’observateur et ses instruments »1.
- 2 Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles. La microanalyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Seuil, 1996
- 3 Xavier Rousseaux, « Existe-t-il une criminalité d’Ancien Régime ? Réflexions sur l’histoire de la c (...)
- 4 Biagio Salvemini et Roberto Zaugg, « Premessa », Quaderni storici, 48/143 (2013), p. 313. Sur la di (...)
- 5 Silvia Marzagalli, « Espaces et circuits de la fraude », dans Géraud Béaur, Hubert Bonin et Claire (...)
- 6 Éric Doutriaux, « Aménagements hydrauliques dans le cours du Rhône français, bilan sédimentaire », (...)
1Cette phrase de Jaques Revel, tirée de sa préface au livre de Giovanni Levi Le pouvoir au village, synthétise les enjeux liés à la variation des échelles en histoire qui doit tendre, selon lui, à une meilleure compréhension de la construction du réel. Le terme « construction » est ici intéressant en ce qu’il suppose que le réel n’existe pas en tant que tel, mais qu’il est échafaudé, reconstitué par les chercheuses et chercheurs à partir d’éléments trouvés dans les archives. Ces réflexions sur les échelles, qui sont au cœur de la démarche microhistorique2, imprègnent la présente recherche et la microhistoire est une source d’inspiration dans la création de notre objet d’étude car étudier les trafics clandestins au bord du Rhône durant un long xviiie siècle allant de la mise en place de la Ferme générale (1664) à la Révolution française n’est pas chose aisée. D’un côté, ces échanges, définis comme l’ensemble des délits économiques portant atteinte aux biens des personnes publiques (roi, municipalités) ou privées sont, par essence, difficiles à repérer. N’apparaissent dans les sources que les entreprises criminelles ayant échoué, laissant les historiennes et historiens face au « chiffre noir de l’impunité »3. Toute une partie du réel nous échappe, alors même que la fraude, entendue dans un sens large, constitue une donnée structurante de l’économie et des circulations d’Ancien Régime, à l’interface entre le légal et l’illégal4. Elle prospère dans le royaume de France en raison des normes imposées au commerce, mais surtout des aspirations nouvelles des consommateurs au sein d’un marché en voie de globalisation5. De l’autre côté, le Rhône n’est pas un simple cadre d’étude, choisi par hasard. Il est envisagé comme un acteur à part entière de l’économie clandestine en raison de ses particularités qui font de lui un des fleuves les plus dangereux du royaume (inondations et crues dévastatrices). Mais, le Rhône constitue un objet d’étude qui se dérobe aux regards, qui échappe constamment à la connaissance et qu’il est difficile de se représenter tant son cours et son tracé ont été modifiés depuis les grands travaux de canalisation et d’aménagement lancés à partir de la seconde moitié du xixe siècle6. De ce fait, comment écrire l’histoire d’une économie souterraine, volontairement discrète et fuyante, au bord d’un fleuve difficile à approcher et dont la morphologie a radicalement évolué ?
- 7 Antonio Stopani, La production des frontières. État et communautés en Toscane (xvie-xviiie siècles)(...)
- 8 Bernard Lepetit, « De l’échelle en histoire », dans J. Revel (dir.), Jeux d’échelles…, op. cit., p. (...)
- 9 Bibliothèque Ceccano, Ms. 2949/37, fol. 11, mémoire pour le syndic général de la province de Langue (...)
- 10 Archives départementales de l’Isère [désormais AD38], 2 C 894, « carte de la relaissée du Rosne ent (...)
2Face à cette interrogation, la microhistoire propose certaines pistes. En choisissant un prisme d’observation local et en jouant sur les échelles, il est possible d’approcher un peu plus finement le milieu fluvial rhodanien et d’éviter les effets globalisants et simplificateurs des cartes dressées sous l’Ancien Régime. En effet, l’utilisation de cartes pour délimiter le terrain d’étude pose plusieurs problèmes car chaque carte est une réification d’un objet naturel dynamique et en perpétuel mouvement7. « La carte n’est pas le territoire »8, nous rappelle Bernard Lepetit. Le Rhône est insaisissable et les contemporains eux-mêmes admettent les limites des entreprises cartographiques9. De plus, hormis la carte de Cassini datant de la deuxième moitié du xviiie siècle, il n’existe pas, à notre connaissance, de représentation complète du cours du Rhône. La carte de Grandvoinet, également réalisée au xviiie siècle, ne représente le Rhône que de Limony (dans l’actuel département de l’Ardèche) à la mer. Les cartes les plus précises sont celles qui sont dressées en cas de litige, mais elles ne sont pas nombreuses et restent circonstancielles10. Les cartes anciennes offrent une vue d’ensemble permettant de délimiter le sujet, mais il importe d’aller plus loin pour faire du Rhône un observatoire des pratiques économiques illicites. Le fleuve n’est pas un bloc monolithique : il est multiple et complexe. La frontière administrative, fiscale, judiciaire et politique qu’il dessine est représentée sur les cartes, mais il est difficile d’en saisir l’ensemble des implications. La petite échelle montre rapidement ses limites : il convient de varier la focale pour se rapprocher du fleuve et comprendre les spécificités de la frontière fluviale.
- 11 Pierre Veltz, Paris, France, Monde : Repenser l’économie par le territoire, La Tour-d’Aigues, Éditi (...)
- 12 J. Revel, « L’histoire au ras du sol », op. cit., p. ix.
3Saisie au plus près des sources, l’économie clandestine au bord du fleuve constitue un véritable microcosme. Placer le curseur sur le fleuve et varier les échelles d’analyse permet de faire la part belle aux acteurs de cette économie, d’en comprendre plus finement les enjeux et d’étudier son ancrage dans le territoire11. Il s’agit de mettre en avant une histoire matérielle, concrète, au ras du fleuve, ainsi qu’une histoire sociale de l’économie dans le sens où ce sont moins les volumes échangés qui comptent ici que les mécanismes de l’échange clandestin et ses évolutions entre la fin du xviie et le xviiie siècle. Ainsi, cette démarche accorde une grande importance à la pratique, ce qui invite à s’interroger sur la constitution du corpus de sources12.
- 13 Jacques Berlioz et Jean Guibal, « Le Rhône médiéval. Entretien avec Jacques Rossiaud », L’Alpe, 97 (...)
- 14 Archives départementales du Gard [désormais AD30], instrument de recherche de la sous-série 7 B [En (...)
4Dans un entretien accordé à la revue L’Alpe parue en 2022, Jacques Rossiaud confesse avoir « fréquenté assidûment quatre-vingts lieux de conservation et d’étude, dans les villes et les bourgades au long du Rhône »13. Travailler sur le fleuve ancien suppose d’effectuer une recherche empirique, au plus près des archives. Le corpus mobilisé pour étudier l’économie illicite est principalement constitué de sources judiciaires. Elles sont complétées par des sources administratives (correspondances, par exemple entre l’intendant et le contrôleur général), normatives (édits, ordonnances, déclarations royales) et iconographiques (représentations diverses du fleuve, allant de la carte au plan en passant par les gravures, peintures et autres représentations graphiques). Pour délimiter ce corpus, il a été décidé de suivre une méthode inductive, de fonctionner par des tâtonnements chers aux microhistoriens. Bien que l’objet d’étude soit relativement circonscrit, il nécessite de faire appel à un grand nombre de sources et suppose de passer un certain temps en bibliothèque et dans les archives municipales, départementales et nationales. Sur place, la tâche s’apparente à la reconstitution d’un puzzle, puisqu’à l’évidence aucun inventaire ne porte exclusivement sur l’économie illicite ou sur le fleuve. Il faut alors, en amont, cibler les tribunaux intéressants pour le sujet, dépouiller leurs archives et sélectionner les affaires liées au Rhône. C’est un travail long, dépendant de plusieurs facteurs et contraignant à faire des choix. La qualité des inventaires et les logiques d’archivage orientent la recherche : si les Archives départementales de la Drôme et de l’Hérault disposent d’instruments de recherche détaillés assez précis, cela varie selon les dépôts d’archives. Les inventaires des Archives départementales du Gard sont, pour certaines séries dont celle consacrée aux cours et juridictions (série B), sommaires. Cela oblige, faute de temps, à fonctionner par sondage. Par exemple, l’inventaire des archives de la viguerie de Pont-Saint-Esprit (sous-série 7 B) est laconique. Ainsi, pour la cote 7 B 191, seuls un titre (« Informations ») et une date (1786) sont indiqués, sans plus de détails14. Il faut donc bien avoir en tête que les résultats reposent sur des choix et qu’il y a des biais dont il faut tenir compte dans l’analyse des données. L’effet de sources joue un rôle non négligeable dans la construction du sujet, révélant certaines lacunes.
- 15 Thomas Boullu, « Remédier à la désobéissance fiscale. L’accommodement en matière d’impositions indi (...)
- 16 Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier au xvie siècle, Paris, Flammarion, 1 (...)
- 17 La notion de transformission a été proposée par Gérard Chouquer. Voir Hélène Noizet, « De l’usage d (...)
5Une autre limite tient à la nature même des sources étudiées. En effet, les archives judiciaires ne permettent d’accéder qu’à ce qui a été réprimé ; il n’est donc pas possible d’avoir une vue d’ensemble de l’économie illicite qui, par essence, cherche à rester secrète. Un des moyens de contourner cette difficulté est de mobiliser des sources administratives à l’image des transactions ou accommodements entre parties, mais une part d’ombre subsiste toujours15. De même, ni les archives ni les inventaires ne sont neutres16. Cela a bien été mis en avant depuis le tournant archivistique des années 1990 et la présentation de l’archivage comme « transformission » et non simple transmission17. La plupart des instruments de recherche sur lesquels cette étude s’appuie sont des inventaires anciens, réalisés au xixe siècle, qui reflètent les préoccupations de cette époque. Ainsi, les inventaires des archives anciennes des Archives départementales de la Drôme conçus par l’archiviste André Lacroix (1824-1910) mettent en valeur certaines sources et passent plus vite sur d’autres, considérées comme moins intéressantes. Il faut alors du temps pour retrouver dans les documents des éléments pertinents et bâtir un corpus cohérent.
- 18 Sebouh David Aslanian, Joyce E. Chaplin, Ann McGrath et Kristin Mann, « How Size Matters: The Quest (...)
- 19 Edoardo Grendi, « Repenser la microhistoire », dans J. Revel (dir.), Jeux d’échelles…, op. cit., p. (...)
6Afin de comprendre les mécanismes de l’économie informelle sur les rives du Rhône et d’approcher la diversité des acteurs et actrices impliqués, il est essentiel de combiner plusieurs échelles d’analyse, à la fois spatiales et temporelles18. « L’histoire devient une science sociale qui se construit dans le temps et dans l’espace »19 selon Edoardo Grendi ; par conséquent, la première partie de l’article sera consacrée aux échelles spatiales puis la seconde aux échelles temporelles. Dans un dernier temps, une étude de cas sera proposée à partir de la ville de Beaucaire.
Varier les échelles d’observation spatiales
- 20 Sur les commissions, voir Jérôme Pigeon « Commission », dans Marie-Laure Legay et Thomas Boullu (di (...)
7Pour pénétrer au cœur de l’économie souterraine, il convient d’enquêter et de naviguer au sein de la pyramide judiciaire. Entre Lyon et la Méditerranée, il existe de nombreux tribunaux dont le ressort territorial comprend le Rhône et qui ne sont pas nécessairement situés au bord du fleuve. Plusieurs échelles doivent être prises en compte, de la première instance (juridictions royales inférieures) à l’appel (cours souveraines) en passant par les évocations au Conseil du roi et les tribunaux d’exception (Commission de Valence créée en 173320). Cela permet d’appréhender les phénomènes illicites sur le Rhône à plusieurs niveaux allant du petit trafic frontalier au commerce d’envergure impliquant des bandes armées qui traversent régulièrement le Rhône. Alors que les échanges à échelle réduite sont perceptibles dans les juridictions inférieures, à savoir les élections (pour les pays d’élection), les vigueries, juridictions des traites, maîtrises des ports (pour les pays d’État) ou encore les tribunaux des gabelles, les trafics de grande ampleur ressortissent à un échelon judiciaire supérieur. En effet, ces trafics représentent un manque à gagner conséquent pour la monarchie et mettent en doute sa capacité à imposer son autorité en province. Ce sont donc généralement dans les archives des cours souveraines (cours des aides par exemple) ou des tribunaux d’exception (intendance ou Commission de Valence à partir de 1733) qu’il est possible de retrouver la trace de ces circulations irrégulières. Par conséquent, varier les échelles judiciaires permet d’avoir une vision d’ensemble, d’observer l’imbrication de différents types de fraude et l’inscription d’une affaire dans un temps plus ou moins long.
- 21 Vincent Millot, « L’admirable police ». Tenir Paris au siècle des Lumières, Ceyzérieu, Champ Vallon (...)
- 22 Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris (...)
- 23 Archives municipales de Lyon [désormais AM Lyon], FF 13, n.f., ordonnances et règlements particulie (...)
- 24 Synonyme de portefaix.
- 25 AM Lyon, FF 13, n.f., procès-verbal de police pour Nizier, crocheteur, 5 juillet 1777.
- 26 R. Abad, Le grand marché…, op. cit., p. 37.
8Outre les tribunaux, les villes constituent des points d’observation privilégiés. La surveillance, qui se structure autour de l’institution policière, génère des archives21. Cela permet de retrouver le lien entre les municipalités et le fleuve, de mettre en évidence des délits spécifiquement urbains et de rendre compte des activités illégales dans les villes et les ports22. À Lyon, les archives de police de la ville regorgent de procès-verbaux pour accaparement de bois lors de son arrivée en ville, dans les ports du Rhône ou de la Saône. Cette pratique est dénoncée car cela contribue à l’augmentation des prix et nuit à l’approvisionnement de la cité pour une matière première essentielle23. Le 5 juillet 1777, les marchands de bois de Lyon portent une plainte collective au commissaire de police contre un dénommé Nizier, crocheteur24 sur le quai du Rhône. Ce dernier est accusé d’acheter et d’accaparer auprès des marchands forains les bois à brûler qu’ils amènent en ville, portant par-là préjudice aux marchands de bois de la ville et à l’ensemble des Lyonnais25. Les voies d’eau jouent un rôle majeur dans l’approvisionnement des villes ; à ce titre, elles sont étroitement surveillées par les autorités urbaines pour éviter tout désordre, notamment en période de crise26.
- 27 Marie-Laure Legay, « Arles » dans M.-L. Legay et T. Boullu (dir.), Dictionnaire numérique…, op. cit (...)
- 28 Archives départementales des Bouches-du-Rhône [désormais AD13], 5 B 879, n.f., procès-verbal contre (...)
- 29 Sur la contrebande de sel en France, voir Jean-Claude Hocquet (dir.), Le Roi, le Marchand et le Sel(...)
- 30 Archives départementales du Rhône et de la Métropole de Lyon [désormais ADRML], 1 C 249, n.f., « ex (...)
- 31 ADRML, 1 C 249, n.f., papiers personnels retrouvés chez Antoine Grobié, s.d.
- 32 A. Stopani, La production des frontières…, op. cit., p. 21.
9À partir des différentes sources, on comprend la complexité des trafics clandestins au bord du Rhône et surtout leur diversité. L’approche multiscalaire permet de mettre au jour à la fois des trafics de proximité, des trafics régionaux et des trafics internationaux. Par exemple, le 4 avril 1762, les employés de la brigade des fermes de Tarascon arrêtent Jeanneton Grimaud en possession de cinq livres de sel de poids de table (soit l’équivalent de 2 kilos). Il s’agit de sel d’Arles, soumis à un privilège et dont l’usage est défendu à Tarascon27. La marchandise est saisie et l’accusée est placée en détention28. Lors de son interrogatoire, elle prétend que le sel était destiné à son propre usage et qu’elle l’avait mendié aux mas du terroir de Fontvieille. Il est vrai que la quantité de sel transportée est assez faible : son délit s’apparente davantage à une stratégie de survie qu’à une volonté de faire du profit29. À l’inverse, en réduisant la focale, on peut observer que des trafics beaucoup plus importants et lucratifs se déroulent à proximité du Rhône. Le 7 janvier 1727, l’intendant du Lyonnais est commis par arrêt du Conseil d’État pour s’occuper du procès d’Antoine Grobié dit Printemps et de ses complices. Antoine Grobié est soupçonné d’être un intermédiaire au sein d’un vaste réseau de contrebande entre Lyon et Genève. Au fil de la procédure, on apprend que les marchandises, principalement des indiennes, arrivent à Lyon « tantôt par la Savoie, tantôt par le Dauphiné et quelques fois par le Rhône »30. Le rôle de l’intermédiaire est de les faire entrer discrètement en ville, notamment en les faisant passer par-dessus les murailles. Dans ses papiers personnels sont retrouvées des lettres échangées avec ses correspondants au sujet de différentes dépenses effectuées. Il est fait mention d’un « pot de vin »31 de sept sols, soulignant l’existence d’une entreprise criminelle organisée. Autour du même fleuve se développent donc des flux prohibés de différentes ampleurs. L’étude de l’illicite à travers le prisme du fleuve et de la frontière qu’il trace permet de voir concrètement l’articulation du local et du global32. En reprenant l’exemple d’Antoine Grobié, il apparaît clairement que les marchandises entrant à Lyon circulent au sein d’un réseau de contrebande de plus vaste étendue.
- 33 Marie-Laure Legay, « Petites gabelles » dans M.-L. Legay et T. Boullu (dir.), Dictionnaire numériqu (...)
- 34 Buterne, Dictionnaire de législation, de jurisprudence et de finances sur toutes les fermes unies d (...)
- 35 Archives départementales de la Drôme [désormais AD26], B 1310, n.f., procès-verbal contre Antoine P (...)
- 36 René Moulinas, « Avignon, le Comtat Venaissin et la contrebande du sel au xviiie siècle », Études H (...)
- 37 AD26, B 1309, n.f., ordonnance de M. Bolozon, subdélégué de la commission du Conseil établie à Vale (...)
- 38 Ibid. ; AD26, B 1309, n.f., inventaire des procédures faites en la juridiction des gabelles de Vale (...)
- 39 Cette estimation personnelle a été établie à partir de la notice « Minot » de Marie-Laure Legay, da (...)
- 40 AD26, B 1304 / 2 Mi 9, fol. 237, jugement souverain du 15 mai 1747.
10La variation d’échelle permet aussi de déceler les stratégies des acteurs, d’analyser la manière dont ils interagissent concrètement avec le milieu fluvial et l’utilisent pour leur commerce. Pour une même marchandise comme le sel, des logiques clandestines différentes peuvent être mises en avant entre les cas de fraude individuelle opportuniste et les trafics organisés de manière collective. Les provinces rhodaniennes appartiennent au régime des petites gabelles ; cela signifie que la vente du sel, orchestrée et contrôlée par la Ferme générale, est libre. Il n’y a pas d’obligation d’achat, au contraire des provinces de grandes gabelles. Le prix du sel varie selon les provinces et les greniers à sel33. D’après Buterne dans son Dictionnaire de législation, de jurisprudence et de finances sur toutes les fermes unies de France, en 1763, le prix du sel par minot varie de 20 livres 4 sols à 23 livres 10 sols dans les greniers du Dauphiné situés à proximité du Rhône (Montélimar, Valence, Pierrelatte, Saint-Vallier, Vienne). Ce prix est beaucoup plus élevé dans les greniers rhodaniens du Lyonnais (Lyon, Condrieu, Sainte-Colombe), oscillant entre 27 et 28 livres34. Le Rhône matérialise la transition entre différents régimes fiscaux ; cette situation crée des discontinuités favorisant le développement de la fraude. Ainsi, Antoine Perrin, voiturier, est pris en flagrant délit de faux-saunage alors qu’il était en train de charger ses bêtes dans un bateau au port d’Irigny du côté du Dauphiné. Lors de son arrestation par les employés des fermes, ceux-ci trouvent trois minots et demi de sel, ce qui correspond à environ 175 kilos35. C’est une quantité de sel importante, qui sous-tend un commerce organisé au moins à l’échelle régionale et une volonté de faire du profit en revendant en Lyonnais du sel venant du Dauphiné. À titre indicatif, d’après un calcul de la Ferme générale, en 1772, la Provence voisine consomme chaque année 70 000 minots de sel pour 690 000 habitants, ce qui revient en moyenne à deux minots pour quinze personnes par an36. Transporter trois minots et demi de sel revient à transporter une quantité de sel équivalente à la consommation annuelle d’environ vingt-six personnes. Les quantités de sel échangées sont parfois encore plus impressionnantes, révélant un commerce structuré à l’échelle du fleuve et impliquant des solidarités au sein même de la Ferme générale. En 1745, un commerce clandestin de sel est découvert sur les trains de bateaux remontant le Rhône. Des sacs contenant 58 minots sont cachés dans les îles du Pouzin en Vivarais. Ce sont des sacs de sel volés sur les embarcations du Rhône et entreposés dans les îles avant d’être revendus en Dauphiné et en Vivarais. Ce commerce est extrêmement préjudiciable à la Ferme générale d’autant qu’il est régulier : à peine un an plus tard, dans la nuit du 13 au 14 août 1746, des sacs contenant 38 minots de sel sont découverts par la brigade de Charmes-sur-Rhône. Ils étaient transportés par Jean-Pierre Gensel et Alexandre Desblais, deux laboureurs du Dauphiné. Ces derniers disent que ces minots de sel leur ont été délivrés sur le bord du Rhône37. Ces affaires sont si graves et récurrentes qu’elles sont attribuées à la Commission de Valence par deux arrêts datés du 28 septembre 1745 et du 30 août 174638. Les quantités de sel qui échappent au contrôle de la Ferme sont énormes ; les 38 minots mentionnés plus haut représentent 4 750 livres poids de table (environ 1 900 kilos), soit la ration annuelle de sel de près de 285 personnes39. Pour leur crime, les deux hommes sont condamnés à un bannissement de trois ans hors du Dauphiné40. Il est alors aisé de comprendre que ces flux illicites dépassent de loin ceux qui ont été présentés précédemment entre Dauphiné et Lyonnais. Un trafic d’une telle envergure suppose une préméditation et des complicités à plusieurs niveaux, que ce soit dans les bateaux, parmi les agents de la Ferme générale et sur le terrain, dans les îles du Rhône, pour stocker et cacher l’objet du délit.
11La variation des échelles spatiales est ici fondamentale pour approcher l’illicite puisque plusieurs formes de trafic se superposent, voire s’entremêlent dans certains cas. Mais une autre variable est à prendre en compte pour une étude qui s’étend de la fin du xviie au xviiie siècle : la chronologie.
Varier les échelles d’observation temporelles
12Dans le cas d’une étude de frontière, qui est un espace socialement et politiquement construit, et qui n’a rien de naturel, il importe de prendre en compte les évolutions dans le temps. Le couloir rhodanien est un espace contrôlé par les agents du roi et de la Ferme générale dont la surveillance fluctue selon la conjoncture. La guerre des Cévennes (1702-1710) ainsi que la circulation des bandes armées dans le sud-est du royaume durant la première moitié du xviiie siècle contribuent à la militarisation de ses rives. À l’inverse, les réunions d’Avignon et du Comtat Venaissin à la France en 1662-1664, 1688-1689 et 1768-1774, ou de la principauté d’Orange au Dauphiné en 1731 modifient localement le statut du Rhône en annihilant sa fonction de frontière politique. Ces évènements induisent de nouveaux comportements, créent ou au contraire font disparaître des opportunités pour l’économie illicite le long du Rhône. Ces mutations multiples renvoient à des évènements qui concernent le royaume, mais aussi à des situations plus locales. Les pratiques économiques illicites, notamment la fraude et la contrebande, sont en constante adaptation par rapport au marché, à l’évolution de la demande et de la consommation, mais aussi face aux lois répressives. Il importe donc de prendre en compte les dispositions législatives et leur application concrète sur le terrain au fil du Rhône. De manière générale, plusieurs types d’évènements sont à prendre en considération en commençant par les évènements politico-économiques.
- 41 Felicia Gottman, Global Trade, Smuggling, and the Making of Economic Liberalism: Asian textiles in (...)
- 42 Marie-Laure Legay, « Comtat-Venaissin » dans M.-L. Legay et T. Boullu (dir.), Dictionnaire numériqu (...)
- 43 R. Moulinas, « Avignon, le Comtat Venaissin… », art. cit., p. 17-18.
- 44 AD26, B 1036, n.f., interrogatoire de Joseph Gouret, 9 novembre 1767.
- 45 Olivier Rouchon, « Entre le roi et le pape : les réunions d’Avignon au royaume de France (xviie-xvi (...)
13Les décisions royales, politiques, économiques et diplomatiques jouent un rôle non négligeable dans l’évolution de l’économie illicite. Par exemple, la prohibition des indiennes, entre 1686 et 1759, génère une forte contrebande autour de ce produit particulièrement apprécié41. À une échelle locale, le concordat signé en 1734 entre Avignon et le royaume de France pour la circulation des marchandises réduit considérablement la contrebande de tabac et d’indiennes en interdisant la culture du tabac et la fabrication d’indiennes dans les États pontificaux42. Cependant, ce concordat accentue la contrebande du sel puisque le prix de cette denrée précieuse est établi à 6 livres 10 sols le minot pour tous les sujets du pape, ce qui est bien moins élevé que dans les provinces voisines43. De nombreux procès pour faux-saunage entre le Comtat Venaissin et le Dauphiné sont recensés, à l’image de celui dressé contre Joseph Gouret qui a acheté du sel aux Pilles pour le revendre en Dauphiné aux habitants de Bézaudun-sur-Bîne et alentour44. Même s’il n’y a pas toujours de liens avec le Rhône, il est clair que les évolutions politiques et économiques, en contexte frontalier, modifient les comportements à l’échelle locale45. Il convient de les prendre en considération pour observer la manière dont les individus jouent avec les normes et profitent de certaines opportunités.
- 46 Élisabeth Labrousse, Essai sur la révocation de l’édit de Nantes. « Une foi, une loi, un roi ? », G (...)
- 47 Myriam Yardeni, « Contrebande et circulation des livres religieux protestants au xviiie siècle », d (...)
- 48 Archives nationales [désormais AN], TT 437, n.f., lettre du marquis de La Deveze, commandant en Viv (...)
- 49 Archives départementales de l’Hérault [désormais AD34], C 2814, n.f., lettre d’un expéditeur non id (...)
- 50 Valérie Sottocasa, « Protestants et catholiques en Languedoc. Fragilités d’une coexistence confessi (...)
- 51 Marie-Hélène Rumeau Dieudonné, « Louis Mandrin : capitaine général des contrebandiers », dans Valér (...)
14D’autres phénomènes exercent une grande influence sur l’économie illicite du couloir rhodanien à l’image des luttes religieuses. En effet, la révocation de l’édit de Nantes en 1685 entraîne l’interdiction de culte pour les protestants, les obligeant à vivre leur foi dans la clandestinité46. C’est à partir de ce moment que l’on observe des échanges prohibés de livres protestants sur le fleuve, venant souvent de Genève ou des Pays-Bas47. En juillet 1743, les employés des fermes saisissent en Languedoc, « au passage du Rhône », une balle de livres défendus dont une partie est à l’usage des protestants48. Trente-quatre ans plus tard, au mois d’août 1777, les employés des fermes de la brigade de La-Voulte saisissent sur le nommé Jean Sorette huit volumes de livres de la « religion prétendument réformée ». Ils sont mis au pilon en janvier 177849. Ces saisies sont spatialement et chronologiquement situées : elles ont lieu en Languedoc, entre la révocation de l’édit de Nantes en 1685 et l’édit de tolérance de 1787, province dans laquelle réside une communauté réformée solidement implantée50. Les contrebandiers ont très bien compris l’évolution de la situation et n’hésitent pas à proposer, parmi leurs marchandises, des ouvrages à destination des protestants51. Cette connivence de circonstance entre protestants et contrebandiers inquiète, depuis les autorités locales jusqu’au sommet de l’État, notamment lorsque les premiers décident de prendre les armes et d’entrer en rébellion.
- 52 AD34, C 6874, n.f., lettre du marquis de La Deveze à Philippe-Charles de La Fare, commandant en che (...)
- 53 AN, E 2130, fol. 242-244, arrêt du Conseil d’État du 31 mars 1733 portant création de la Commission (...)
- 54 AD 26, B 1304 / 2 Mi 9.
- 55 Maurice Pardé, « Le régime du Rhône », Revue de géographie alpine, tome 13/3 (1925), p. 504.
- 56 AD26, B 1304 /2 Mi 9, fol. 101, jugement souverain rendu contre Innocent Du Roux, 3 août 1740.
15La guerre des Cévennes, ainsi que le développement des bandes armées dans la première moitié du xviiie siècle, accélèrent la militarisation des rives du fleuve, notamment entre Languedoc et Dauphiné. Dans une lettre adressée au marquis de La Fare, commandant en chef dans la province du Languedoc, le marquis de La Deveze, commandant en Vivarais, propose, afin d’« être toujours en force contre les fraudeurs », de placer le régiment de Bretagne le long du Rhône « depuis Limony jusqu’à l’Ardèche »52. Face à la violence de groupes de contrebandiers, la répression s’intensifie. Cela se traduit également par la création de la Commission de Valence le 31 mars 1733. Ce tribunal extraordinaire, aux compétences territoriales étendues, est chargé de juger en dernier ressort les affaires de contrebande et fraude aggravées53. Son objectif est de mettre fin à l’impunité des bandes et à l’insécurité qui règne dans le sud-est du royaume. L’activité de la Commission de Valence, qui atteint son apogée dans les années 1730-1760, est connue grâce à un registre de 360 jugements souverains imprimés et conservés aux Archives départementales de la Drôme54. Parmi ces jugements, environ 17% impliquent le Rhône. Une analyse plus fine montre que dans plus de la moitié des cas, les jugements concernent le tronçon du Rhône moyen, compris entre Lyon et Beauchastel55. Innocent du Roux a été jugé par la Commission de Valence en 1740. Membre d’une bande de contrebandiers sillonnant la vallée du Rhône, il est repéré au passage du fleuve à Andance et à Champagne et accusé d’avoir assassiné un employé des fermes. Pour ses crimes, il est condamné à mille livres d’amende et à être rompu vif sur la place des Clercs à Valence56. En somme, la zone du Rhône moyen entre Vivarais et Dauphiné est considérée, durant la première moitié du xviiie siècle, par les autorités comme dangereuse et nécessitant surveillance. Les échelles spatiales et temporelles se croisent une nouvelle fois car le phénomène des bandes armées concerne essentiellement le Languedoc et le Dauphiné. La Provence et le Lyonnais semblent moins touchés par ce phénomène. Cela peut s’expliquer par le fait que la portion du Rhône entre Vivarais et Dauphiné est majoritairement rurale et donc la surveillance plus lâche. Il convient également de souligner la proximité des montagnes, idéales pour se réfugier. De plus, les connexions sont importantes entre les deux provinces ; le Rhône semble y jouer un rôle de trait d’union alors que les conflits incessants de propriété entre Provence et Languedoc contribuent à rendre la frontière fluviale plus hermétique aux échanges.
- 57 René Favier et Christian Pfister (dir.), Solidarité et assurance. Les sociétés européennes face aux (...)
- 58 Archives départementales de l’Ardèche [désormais AD07], C 700, n.f., procès-verbal des pertes et dé (...)
- 59 AD34, C 783, p. 2-4, information judiciaire, 12 février 1732.
- 60 Jean-Claude Passeron et Jacques Revel, « Penser par cas. Raisonner à partir de singularités », dans (...)
- 61 Edoardo Grendi, « Micro-analisi e storia sociale », Quaderni storici, 35 (1977), p. 506-520.
- 62 Caroline Le Mao, Fournisseurs de Marine. Les fournisseurs de la Marine française au temps de la gue (...)
- 63 Ibid., p. 278.
- 64 Françoise de Person, Bateliers contrebandiers du sel. La Loire au temps de la gabelle, Molineuf, Éd (...)
- 65 Jean-Paul Bravard et Anne Clémens (dir.), Le Rhône en 100 questions, Lyon/Villeurbanne, Groupe de R (...)
16Enfin, il paraît nécessaire de faire une place aux évènements climatiques comme les inondations et les crues qui bouleversent les sociétés riveraines du fleuve et modifient régulièrement les structures de l’économie, licite comme illicite57. Cela est difficilement perceptible dans les sources, mais il est évident que cela entraîne des répercussions sur le commerce clandestin. Dans les archives, il y a de fréquentes occurrences relatives aux caprices du fleuve. Bourg-Saint-Andéol, communauté rhodanienne située dans le sud du Vivarais, est frappée par une inondation du Rhône en juin 1697. Elle dure plus de deux semaines (17 jours exactement), ce qui est assez exceptionnel et génère des pertes considérables dans les cultures. Cela gâche la récolte des vers à soie, des céréales et des fruits58. Ces catastrophes, répétées, peuvent parfois se transformer en aubaine pour certains fraudeurs comme le montre l’exemple suivant. En raison d’inondations du Rhône et de la Saône au début de l’année 1732, une partie des bois conduits pour la construction des vaisseaux de marine du roi a été perdue et dispersée sur le bord du fleuve et dans les îles qui jalonnent son cours. Cela incite les riverains à s’en emparer pour les revendre ou les utiliser à des fins personnelles : le 12 janvier 1732, près de Villeneuve-lès-Avignon, cinq patrons d’Avignon sont arrêtés en possession d’une pièce de bois de marine59. Le roi doit intervenir pour faire récupérer ces bois et réprimer les abus. Ce cas, singulier car isolé dans les archives, éclaire-t-il des pratiques communes60 ? Peut-il être révélateur d’un « exceptionnel normal »61 ? Il n’est pas illogique de supposer que ces pratiques sont beaucoup plus fréquentes que ce que laissent penser les archives locales. Dans son ouvrage consacré aux fournisseurs de Marine, Caroline Le Mao démontre, en s’appuyant sur la correspondance ministérielle, que les aléas climatiques perturbent la chaîne d’approvisionnement rhodanienne62. Les bateaux se retrouvent parfois bloqués dans l’embouchure du Rhône, abandonnés par les transporteurs, ce qui peut favoriser les tentatives de vol63. Cette hypothèse s’appuie également sur la comparaison avec les autres fleuves et notamment la Loire qui a été bien étudiée. Dans son ouvrage consacré aux bateliers contrebandiers du sel, Françoise de Person explique en effet que « les faux-sauniers savent aussi tirer parti de la Loire, de ses îles, de la multiplicité de ses bras, de la mobilité de ses formes et de ses crues »64. Si Rhône et Loire partagent des similitudes, la variation des échelles d’analyse doit permettre de mettre en valeur des divergences. Chaque fleuve possède des caractéristiques propres le distinguant de ses semblables : il importe par conséquent de sortir des logiques globalisantes. Par exemple, le Rhône et la Loire n’ont pas les mêmes régimes hydrologiques. Le Rhône est un fleuve puissant dont le régime évolue entre l’amont et l’aval, suivant les climats et l’apport de ses principaux affluents65. Son débit rapide et les fréquents changements de lit participent des difficultés de la navigation. Le transport du sel est moins aisé que sur la Loire : à la remonte, le recours au halage avec des chevaux ou des bœufs est indispensable alors que sur la Loire, le halage est effectué par des hommes. De même, sur le Rhône, les écueils sont nombreux et les accidents fréquents.
17Ainsi, la mobilisation d’une fine échelle d’observation permet de porter une attention plus grande aux interactions entre les Hommes et le milieu. Pour comprendre les mécanismes de l’économie illicite au bord du Rhône, il est en effet nécessaire de prendre en compte l’espace et le temps. L’approche multiscalaire révèle un fleuve multiple, divisé en plusieurs tronçons et une frontière fluctuante, soumise aux aléas naturels et géopolitiques. Cela apporte de la complexification et une compréhension plus claire des enjeux noués autour de cette économie informelle et de ses acteurs. La troisième partie de cet article sera consacrée à une étude de cas centrée sur la ville de Beaucaire, reflétant des interactions quotidiennes entre le local et le global.
Étude de cas : la ville de Beaucaire, du local au global
- 66 Jacques-Louis Ménétra, Journal de ma vie écrit pour moi en l’an 1764, Paris, Montalba, 1984, présen (...)
- 67 Théodore Fassin, Essai historique et juridique sur la foire de Beaucaire, Aix-en-Provence, Typograp (...)
18Beaucaire est une ville de moyenne importance, située dans le Bas-Languedoc sur la rive droite du Rhône. Elle est notamment connue, sous l’Ancien Régime, pour sa foire internationale se déroulant chaque année au mois de juillet (autour de la Sainte-Madeleine, ce qui lui vaut parfois d’être surnommée « foire de la Madeleine »). Dans son journal, sobrement intitulé Journal de ma vie, Jacques-Louis Ménétra, célèbre compagnon vitrier parisien, raconte être allé « voir la fameuse foire de Beaucaire »66. Théodore Fassin résume l’effervescence de la ville au moment de la foire : « Par sa position sur le Rhône, à proximité de la mer, Beaucaire est en relations directes, d’un côté, avec la Bourgogne, le Lyonnais, la Suisse, l’Allemagne ; de l’autre, avec le Levant, l’Italie, l’Espagne, en un mot avec tout le bassin de la Méditerranée »67. L’auteur montre également à travers cette citation que la ville constitue un point d’observation privilégié pour appréhender l’illicite sur le Rhône à plusieurs échelles.
- 68 AD34, C 3779, n.f., tarif pour le droit du passage du pont de Tarascon à Beaucaire et de Beaucaire (...)
- 69 AD30, 6 B 79, n.f., information contre Mathieu Bois et autres soldats, 15 juin 1691.
- 70 Anne Conchon, Le péage en France au xviiie siècle. Les privilèges à l’épreuve de la réforme, Paris, (...)
- 71 Petit corps de garde dans lequel sont postés les employés des fermes aux abords du pont.
- 72 AD34, 1 B 8658, n.f., procès-verbal contre Thérèse Gravielle, 19 juin 1744 ; ibid., interrogatoire (...)
- 73 Buterne, Dictionnaire de législation…, op. cit., p. 194.
- 74 Marie-Laure Legay, « Provence » dans M.-L. Legay et T. Boullu (dir.), Dictionnaire numérique…, op. (...)
19Tout d’abord, à l’échelle micro, le pont de bateaux reliant la ville à Tarascon, sa jumelle provençale, est un observatoire idéal pour comprendre l’effet criminogène induit par la frontière fluviale séparant Provence et Languedoc. En effet, le pont est un espace de l’entre-deux sur lequel se nouent des interactions et échanges nombreux. La gestion du pont et son entretien sont confiés à des particuliers nommés fermiers du pont. Ils perçoivent un droit de passage selon un tarif affiché à l’entrée du pont sur les personnes, les bêtes et les marchandises qui le traversent. Ce tarif, inchangé depuis la mise en service du pont en 1690, impose par exemple le paiement de 8 deniers pour les habitants de Beaucaire ou Tarascon circulant à pied68. Cet argent, qui doit servir à l’entretien de l’infrastructure, est une source récurrente de conflits, les individus refusant de payer des droits jugés excessifs. Le 4 juin 1691, vers huit heures du matin, deux hommes se présentent à l’entrée du pont du côté de Tarascon. Ils souhaitent se rendre à Beaucaire, mais refusent de payer les droits sous prétexte qu’ils sont des soldats de la milice bourgeoise de Beaucaire. Pierre Petit, adjudicataire du pont, refuse de les faire passer, en leur signifiant que s’ils veulent être exemptés, il leur faut présenter un ordre de l’intendant. Les hommes repartent et reviennent dans l’après-midi avec trois autres personnes armées et forcent le passage en brusquant et insultant l’adjudicataire69. Cette affaire illustre les tensions autour du franchissement du fleuve. Les péages, taxes et autres droits à payer sont nombreux sur le Rhône et suscitent des mécontentements. Seule l’utilisation d’une grande échelle permet de rendre compte des querelles quotidiennes qui se déroulent sur le pont. Ces altercations répétées peuvent s’inscrire dans un mouvement général de critique des droits de passage et des péages70. Outre la question du droit de passage, le pont est un point de contrôle privilégié pour surveiller les marchandises qui transitent entre Provence et Languedoc. La Ferme générale a des bureaux aux abords du pont et des commis chargés d’inspecter les produits et de vérifier le paiement des droits dus. Le 19 juin 1744, deux employés des fermes postés à la gardette71 du pont de la ville de Beaucaire voient venir, du côté de Provence, une femme conduisant une bourrique chargée de deux sacs. Ils l’arrêtent, la fouillent et découvrent du sel de Provence, par conséquent prohibé en Languedoc. Ce sel, du poids de 80 livres brut selon le poids de marc soit environ 40 kilos, est confisqué et la femme placée en prison en attente de sa comparution devant le visiteur général des gabelles de Montpellier. Lors de son interrogatoire, la dénommée Thérèse Gravielle confesse qu’elle était chargée de conduire ce sel à Beaucaire. Elle n’agit pas pour elle, elle se charge seulement de conduire la marchandise contre une rétribution. C’est une activité qu’elle pratique régulièrement puisqu’elle est connue pour être « contrebandeuse de profession » et récidiviste72. Cette affaire révèle l’existence de réseaux de trafic de sel à faible rayon. Quelques personnes font transiter le sel entre Provence et Languedoc en exploitant les différences de prix entre ces deux provinces de petite gabelle. En effet, le sel dans les greniers et chambres du Bas-Languedoc est au prix de 20 livres le minot73 tandis que dans les greniers de Provence, ce prix tombe à 15 livres le minot74. De plus, il y a un grenier à Beaucaire et un autre à Tarascon qui sont très proches. La discontinuité engendrée par la frontière fiscale incarnée par le fleuve encourage le développement de trafics à une échelle plus ou moins locale, éventuellement régionale, entre les deux provinces.
- 75 AN, 129 AP 22, n.f., tournées dans le Midi, vers 1698. Voir aussi la vue d’optique de la foire d’ap (...)
- 76 AD13, C 3588, n.f., lettre probablement écrite par Jean-Baptiste des Gallois de La Tour, intendant (...)
- 77 AD30, C 187, n.f., état alphabétique des marchandises passées par les bureaux d’Arles, Fourques, Ra (...)
- 78 Catherine Chaize, « Une saisie de livres à la foire de Beaucaire, 18-21 juillet 1766 », dans Sociét (...)
- 79 ADRML, 1 C 253, Affaire Degoin, 1734-1735. Voir aussi Cécile Benoist, André Degoin et le livre prot (...)
- 80 ADRML, 1 C 253, n.f., jugement définitif rendu contre André Degoin, 23 mai 1735.
- 81 Dominique Varry, « Commerce et police du livre prohibé aux foires de Beaucaire », Histoire et Civil (...)
- 82 AD34, C 2803, n.f., mémoire pour le chancelier à propos des livres prohibés qui arrivent dans la pr (...)
20Ainsi, l’échelle d’observation micro permet de cerner le fleuve dans son usage quotidien, d’observer les flux illicites de moindre importance. En changeant la focale, on peut observer une autre réalité et voir que la ville de Beaucaire et son fleuve sont le théâtre de trafics de plus grande ampleur. D’un point de vue macro, la foire internationale de Beaucaire se retrouve chaque année au cœur de vastes trafics, surveillés de près par les autorités locales et la Ferme générale. La foire de Beaucaire se tient à la fois dans la ville et dans une prairie sur le bord du Rhône, sur laquelle est construit chaque année un grand nombre de cabanes où les marchands font apporter leurs marchandises75. La ville a été choisie en raison de sa situation géographique avantageuse pour le commerce, à proximité de la mer et des routes terrestres et fluviales. Au moment de la foire, un vaste réseau d’employés, brigadiers et commis de la Ferme générale est mobilisé pour faire respecter les droits du roi et veiller aux abus qui pourraient se commettre. Il y a également des détachements de maréchaussée prévus en renfort pour veiller à la sûreté des chemins pendant la tenue de la foire. Ils sont aussi chargés d’inspecter les cabarets et autres endroits suspects76. Au xviiie siècle, la foire est un débouché important pour les livres. En 1786, 15 000 articles de librairie entrent à la foire de Beaucaire par les bureaux d’Arles, Fourques, Ramatuelle (au sud de Villeneuve-lès-Avignon) et Tarascon77. À côté des ouvrages légaux, d’autres non autorisés sont en circulation : la foire de Beaucaire est identifiée comme une plaque tournante du commerce de livres contrefaits ou interdits78. André Degoin, imprimeur-libraire à Lyon, fait imprimer et revend des livres de la « religion prétendument réformée », notamment à l’occasion de la foire de Beaucaire. Les ouvrages sont mis en caisse ou en balle et envoyés à Beaucaire par terre ou par eau, grâce aux coches du Rhône. Le 3 juillet 1734, au port de Beaucaire, quatre balles de livres interdits appartenant à André Degoin sont saisies. Ce sont des livres à l’usage des protestants imprimés à Genève et d’autres interdits comme la Henriade de Voltaire ou Les aventures de Télémaque de Fénelon79. Une enquête commence entre Lyon et Beaucaire, à la suite de laquelle André Degoin est condamné par contumace à faire amende honorable et aux galères à perpétuité80. L’étude de la foire permet donc d’observer des trafics de plus grande ampleur entre Genève, Lyon et Beaucaire. La proximité de Beaucaire avec les Cévennes et les communautés protestantes du Languedoc ouvre un marché intéressant et lucratif pour les libraires81. Avignon est un autre centre d’imprimerie notable pour les ouvrages contrefaits et « hérétiques » qui se diffusent via le fleuve en Languedoc et dans les Cévennes notamment lors de la foire de Beaucaire82.
- 83 AD30, C 187, n.f., lettre de Jean de Boullongne, contrôleur général des finances à Jean-Emmanuel Gu (...)
- 84 Ibid., lettre de Boullongne à Saint-Priest, 24 juillet 1758.
- 85 François Mancebo, « Katrina et la Nouvelle-Orléans : entre risque “naturel” et aménagement par l’ab (...)
- 86 René Favier, Provence et Dauphiné confinés face à la peste de 1720, Fontaine, Presses universitaire (...)
- 87 AM Beaucaire, EE 31, n.f., entretien de frégates sur le Rhône, 1657.
- 88 AD34, C 1655, n.f., mémoire sur la contrebande du tabac du Comtat Venaissin, xviiie siècle.
21La bonne tenue de la foire est également dépendante de la conjoncture. Au xviiie siècle, des aléas climatiques et épidémiques ont à plusieurs reprises perturbé le commerce à Beaucaire. En 1758, le Rhône déborde pendant la foire et interrompt les échanges. Dans sa lettre à Jean de Boullongne, contrôleur général des finances, Jean-Emmanuel Guignard, vicomte de Saint-Priest, intendant du Languedoc rapporte que « les circonstances qui avoient presque entièrement suspendu les opérations de la foire de Beaucaire et dont j’ai eu l’honneur de vous entretenir sont toujours les mêmes »83. La prairie sur laquelle se tient la foire est inondée, obligeant les marchands à quitter les cabanes pour mettre leurs marchandises à l’abri dans la ville, dans des maisons prêtées par les habitants. La maréchaussée est mobilisée d’urgence pour garantir le maintien de l’ordre84. Cela tend à confirmer l’hypothèse évoquée plus haut selon laquelle les temps de crise favorisent l’apparition de certains délits nécessitant l’intervention des forces de l’ordre85. L’étude de l’économie, licite ou non, suppose de prendre en compte les évènements ayant une incidence sur cette dernière. Outre les inondations, la foire a été interrompue au moment de la peste de Provence. En 1720, la peste arrive dans le port de Marseille depuis Tripoli. La maladie progresse à l’occasion de la foire de Beaucaire ; au lendemain de cette dernière, le 4 août 1720, les échanges avec la Provence sont prohibés. L’intendant du Languedoc fait établir le long du Rhône et sur la côte méditerranéenne une véritable ligne de blocus dont la garde est assurée par l’armée et des milices bourgeoises86. Ces mesures n’empêchent pas l’annulation de la foire les deux années suivantes, en 1721 et 1722. Déjà, en 1657, lorsque la peste était à Gênes, quatre bâtiments de guerre avaient été déployés sur le Rhône pour protéger la foire de Beaucaire et empêcher l’introduction de laines du Levant87. Certaines marchandises réussissent toutefois à passer de manière clandestine à travers les barrières : un mémoire sur la contrebande du tabac dans le Comtat Venaissin rappelle que pendant la contagion, malgré la vigilance des troupes, des marchandises provenant des « lieux infectés » ont été introduites en Languedoc88.
22Ainsi, l’exemple de la ville de Beaucaire permet de mettre en avant la complexité et la diversité des échanges clandestins sur le bord du fleuve. Les trafics s’inscrivent dans un territoire soumis à des aléas qu’il importe de prendre en compte en analysant plus finement les évolutions chronologiques entre la fin du xviie et le xviiie siècle. Le pont vis-à-vis de Tarascon (un des rares sur le Rhône à l’époque moderne) et la foire internationale sont des points d’observations particulièrement intéressants, permettant de mettre en exergue des trafics illicites, du local au global.
Conclusion
- 89 Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2014 (1re éd. 2000), p. 270.
- 90 D’après Géoconfluences : « Alors que l'échelle multiscalaire étudie les emboîtements successifs d'é (...)
- 91 M. Kwass, Contraband…, op. cit.
- 92 Romain Bertrand et Guillaume Calafat, « La microhistoire globale : affaire(s) à suivre », Annales, (...)
23Dans La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paul Ricœur expose : « Ce que la notion d’échelle comporte de propre dans l’emploi qu’en font les historiens, c’est l’absence de commensurabilité des dimensions. En changeant d’échelle, on ne voit pas les mêmes choses en plus grand ou en plus petit […]. On voit des choses différentes »89. L’approche multiscalaire, voire transcalaire90, des trafics clandestins sur le Rhône entre Lyon et la Méditerranée permet de mettre en lumière la diversité de l’économie illicite sous l’Ancien Régime et ouvre de nouvelles pistes de réflexion. Sur le fleuve s’entremêlent, selon des rythmes différents étroitement liés à la conjoncture, des échanges de plus ou moins grande ampleur. Les produits échangés, les acteurs impliqués évoluent selon des logiques que seuls des changements systématiques d’échelles, tant spatiales que temporelles, permettent de distinguer. Le Rhône apparaît alors comme un observatoire privilégié pour saisir le développement d’un « global underground » (économie souterraine mondialisée)91 entre la fin du xviie et le xviiie siècle dans la mesure où il relie différents espaces, du local au global. La mobilisation de jeux d’échelles autour du fleuve permet d’entrevoir l’insertion des territoires rhodaniens au cœur d’une économie souterraine mondialisée et connectée. Le prisme d’observation local ne s’oppose pas au global ; au contraire, il participe de son enrichissement et aboutit à une meilleure compréhension des trafics clandestins au bord du Rhône92.
Notes
1 Jacques Revel, « L’histoire au ras du sol », préface à l’ouvrage de Giovanni Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont au xviie siècle, Paris, Galimard, 1989, p. xv.
2 Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles. La microanalyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Seuil, 1996.
3 Xavier Rousseaux, « Existe-t-il une criminalité d’Ancien Régime ? Réflexions sur l’histoire de la criminalité en Europe (xive-xviiie siècle) », dans Benoît Garnot (dir.), Histoire et criminalité de l’Antiquité au xxe siècle. Nouvelles approches, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1992, p. 123-148.
4 Biagio Salvemini et Roberto Zaugg, « Premessa », Quaderni storici, 48/143 (2013), p. 313. Sur la distinction entre fraude et contrebande, voir Renaud Morieux, Une mer pour deux royaumes : la Manche, frontière franco-anglaise, xviie-xviiie siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 241-242.
5 Silvia Marzagalli, « Espaces et circuits de la fraude », dans Géraud Béaur, Hubert Bonin et Claire Lemercier (dir.), Fraude, contrefaçon et contrebande de l’Antiquité à nos jours, Genève, Droz, 2006, p. 216 ; Michael Kwass, Contraband. Louis Mandrin and the Making of a Global Underground, Cambridge, Harvard University Press, 2014.
6 Éric Doutriaux, « Aménagements hydrauliques dans le cours du Rhône français, bilan sédimentaire », Archives des Sciences, 59 (2006), p. 151-160.
7 Antonio Stopani, La production des frontières. État et communautés en Toscane (xvie-xviiie siècles), Rome, École française de Rome, 2008, p. 6.
8 Bernard Lepetit, « De l’échelle en histoire », dans J. Revel (dir.), Jeux d’échelles…, op. cit., p. 87.
9 Bibliothèque Ceccano, Ms. 2949/37, fol. 11, mémoire pour le syndic général de la province de Languedoc contre les consuls et habitants de Tarascon et les procureurs des États de Provence : « C’est une mauvaise ressource que de faire des plans et des cartes, comme ont fait les consuls de Tarascon, pour la preuve de ce qu’ils avancent ; car les cartes, quand elles seroient exactes, et quand elles auroient été faites d’autorité de justice, ne pourroient representer les lieux en l’état qu’ils étoient en 1428 », xviiie siècle.
10 Archives départementales de l’Isère [désormais AD38], 2 C 894, « carte de la relaissée du Rosne entre Roussillon et Sablon pour M. le fermier du domaine de Dauphiné contre le fermier des îles de la province du Languedoc », octobre 1678 ; Archives municipales de Beaucaire [désormais AM Beaucaire], DD 46, « plan de l’isle vulgairement appelée de la ville par ordre des Messieurs les maires, consuls et viguiers lieutenants généraux de Police en cette ville de Beaucaire, levé géométriquement », septembre 1768.
11 Pierre Veltz, Paris, France, Monde : Repenser l’économie par le territoire, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2012.
12 J. Revel, « L’histoire au ras du sol », op. cit., p. ix.
13 Jacques Berlioz et Jean Guibal, « Le Rhône médiéval. Entretien avec Jacques Rossiaud », L’Alpe, 97 (2022), p. 22.
14 Archives départementales du Gard [désormais AD30], instrument de recherche de la sous-série 7 B [En ligne : https://earchives.gard.fr/document/FRAD030_07_B].
15 Thomas Boullu, « Remédier à la désobéissance fiscale. L’accommodement en matière d’impositions indirectes aux xviie et xviiie siècles », dans Damien Salles (dir.), La désobéissance à la loi à l’époque moderne (xvie -xviiie siècle), Poitiers, Presses universitaires juridiques de Poitiers, 2023, p. 233-250 ; Benoît Garnot, « Justice, infrajustice, parajustice et extra justice dans la France d’Ancien Régime », Crime, Histoire & Sociétés/Crime, History & Societies, 4/1 (2000), p. 103-120.
16 Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier au xvie siècle, Paris, Flammarion, 1980, p. 12.
17 La notion de transformission a été proposée par Gérard Chouquer. Voir Hélène Noizet, « De l’usage de l’archéogéographie », Médiévales, 66 (2014), p. 179-197 et Joseph Morsel, « Production d’archives, ou archives de la reproduction ? La question des archives au miroir de la continuité seigneuriale », dans Véronique Lamazou-Duplan (dir.), Les archives familiales dans l’Occident médiéval et moderne. Trésor, arsenal, mémorial, Madrid, Casa de Velázquez, 2021, p. 17-27.
18 Sebouh David Aslanian, Joyce E. Chaplin, Ann McGrath et Kristin Mann, « How Size Matters: The Question of Scale in History », American Historical Review, 118/5 (2013), p. 1431-1472. Les auteurs soulignent régulièrement la nécessité de réfléchir aux échelles, tant spatiales que temporelles, en histoire.
19 Edoardo Grendi, « Repenser la microhistoire », dans J. Revel (dir.), Jeux d’échelles…, op. cit., p. 243.
20 Sur les commissions, voir Jérôme Pigeon « Commission », dans Marie-Laure Legay et Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire numérique de la Ferme générale [En ligne : https://fermege.meshs.fr. Date de consultation : 03/11/2023].
21 Vincent Millot, « L’admirable police ». Tenir Paris au siècle des Lumières, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2016 ; Vincent Denis, « La police au siècle des Lumières », dans Lise Andries et Marc-André Bernier (dir), L’Avenir des Lumières, Paris, Hermann, 2019, p. 185-200.
22 Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2002, p. 35.
23 Archives municipales de Lyon [désormais AM Lyon], FF 13, n.f., ordonnances et règlements particuliers de la ville, accaparements et plaintes, 1708-1788.
24 Synonyme de portefaix.
25 AM Lyon, FF 13, n.f., procès-verbal de police pour Nizier, crocheteur, 5 juillet 1777.
26 R. Abad, Le grand marché…, op. cit., p. 37.
27 Marie-Laure Legay, « Arles » dans M.-L. Legay et T. Boullu (dir.), Dictionnaire numérique…, op. cit. [En ligne : https://fermege.meshs.fr] ; Patricia Payn-Echalier, Les marins d’Arles à l’époque moderne, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2007, p. 261.
28 Archives départementales des Bouches-du-Rhône [désormais AD13], 5 B 879, n.f., procès-verbal contre Jeanneton Grimaud, 4 avril 1762.
29 Sur la contrebande de sel en France, voir Jean-Claude Hocquet (dir.), Le Roi, le Marchand et le Sel, Lille, Presses universitaires de Lille, 1987 ; André Ferrer, Tabac, sel, indiennes : douane et contrebande en Franche-Comté au xviiie siècle, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 2002 ; Micheline Huvet-Martinet, « Faux-saunage et faux-sauniers dans la France de l’Ouest et du Centre à la fin de l’Ancien Régime (1764-1789) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 85/3 (1978), p. 377-400 ; Anne Montenach, « Le faux-saunage en Haut-Dauphiné au xviiie siècle : entre économie parallèle et pluriactivité », Geschichte der Alpen – Histoire des Alpes – Storia delle Alpi, 14 (2009), p. 149-163.
30 Archives départementales du Rhône et de la Métropole de Lyon [désormais ADRML], 1 C 249, n.f., « extrait des registres du greffe de la commission du conseil de monseigneur le président de Saint-Maurice », 22 décembre 1726.
31 ADRML, 1 C 249, n.f., papiers personnels retrouvés chez Antoine Grobié, s.d.
32 A. Stopani, La production des frontières…, op. cit., p. 21.
33 Marie-Laure Legay, « Petites gabelles » dans M.-L. Legay et T. Boullu (dir.), Dictionnaire numérique…, op. cit.
34 Buterne, Dictionnaire de législation, de jurisprudence et de finances sur toutes les fermes unies de France, Avignon, Louis Chambeau, 1763, t. 1, p. 196-197.
35 Archives départementales de la Drôme [désormais AD26], B 1310, n.f., procès-verbal contre Antoine Perrin, 13 janvier 1761.
36 René Moulinas, « Avignon, le Comtat Venaissin et la contrebande du sel au xviiie siècle », Études Héraultaises, 4 (1983), p. 19
37 AD26, B 1309, n.f., ordonnance de M. Bolozon, subdélégué de la commission du Conseil établie à Valence, 15 août 1746.
38 Ibid. ; AD26, B 1309, n.f., inventaire des procédures faites en la juridiction des gabelles de Valence en conséquence du procès-verbal rendu le 14 août 1746, 20 septembre 1746.
39 Cette estimation personnelle a été établie à partir de la notice « Minot » de Marie-Laure Legay, dans M.-L. Legay et T. Boullu (dir.), Dictionnaire numérique…, op. cit. et de l’article de R. Moulinas, « Avignon, le Comtat Venaissin… », art. cit., p. 19.
40 AD26, B 1304 / 2 Mi 9, fol. 237, jugement souverain du 15 mai 1747.
41 Felicia Gottman, Global Trade, Smuggling, and the Making of Economic Liberalism: Asian textiles in France 1680-1760, London, Palgrave MacMillan, 2016, p. 54; M. Kwass, Contraband..., op. cit.
42 Marie-Laure Legay, « Comtat-Venaissin » dans M.-L. Legay et T. Boullu (dir.), Dictionnaire numérique…, op. cit.
43 R. Moulinas, « Avignon, le Comtat Venaissin… », art. cit., p. 17-18.
44 AD26, B 1036, n.f., interrogatoire de Joseph Gouret, 9 novembre 1767.
45 Olivier Rouchon, « Entre le roi et le pape : les réunions d’Avignon au royaume de France (xviie-xviiie siècles) », dans Jacques Berlioz et Olivier Poncet (dir.), Se donner à la France ? Les rattachements pacifiques de territoires à la France (xive-xixe siècle), Paris, Publications de l’École nationale des chartes, 2013, p. 55-81.
46 Élisabeth Labrousse, Essai sur la révocation de l’édit de Nantes. « Une foi, une loi, un roi ? », Genève et Paris, Éditions Labor et Fides et Payot, 1985.
47 Myriam Yardeni, « Contrebande et circulation des livres religieux protestants au xviiie siècle », dans id., Le Refuge huguenot. Assimilation et culture, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 178.
48 Archives nationales [désormais AN], TT 437, n.f., lettre du marquis de La Deveze, commandant en Vivarais à Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin, secrétaire d’État de la Religion Prétendument Réformée (RPR), 5 juillet 1743.
49 Archives départementales de l’Hérault [désormais AD34], C 2814, n.f., lettre d’un expéditeur non identifié adressée à Marie-Joseph-Emmanuel Guignard, vicomte de Saint-Priest, intendant de Languedoc, 19 septembre 1777.
50 Valérie Sottocasa, « Protestants et catholiques en Languedoc. Fragilités d’une coexistence confessionnelle à la fin du xviiie siècle », dans Didier Boisson et Yves Krumenacker (dir). La coexistence confessionnelle à l’épreuve. Études sur les relations entre protestants et catholiques dans la France moderne, Lyon, LARHRA, 2009, p. 193.
51 Marie-Hélène Rumeau Dieudonné, « Louis Mandrin : capitaine général des contrebandiers », dans Valérie Huss (dir.), Louis Mandrin. Malfaiteur ou Bandit au grand cœur ?, Grenoble, Musée dauphinois, 2005, p. 27.
52 AD34, C 6874, n.f., lettre du marquis de La Deveze à Philippe-Charles de La Fare, commandant en chef en Languedoc, 22 novembre 1729.
53 AN, E 2130, fol. 242-244, arrêt du Conseil d’État du 31 mars 1733 portant création de la Commission de Valence, 31 mars 1733.
54 AD 26, B 1304 / 2 Mi 9.
55 Maurice Pardé, « Le régime du Rhône », Revue de géographie alpine, tome 13/3 (1925), p. 504.
56 AD26, B 1304 /2 Mi 9, fol. 101, jugement souverain rendu contre Innocent Du Roux, 3 août 1740.
57 René Favier et Christian Pfister (dir.), Solidarité et assurance. Les sociétés européennes face aux catastrophes (17e-21e s.), Grenoble, Publications de la MSH-Alpes, 2007 ; Denis Cœur, La plaine de Grenoble face aux inondations. Genèse d’une politique publique du xviie au xxe siècle, Versailles, Éditions Quare, 2008.
58 Archives départementales de l’Ardèche [désormais AD07], C 700, n.f., procès-verbal des pertes et dégâts causés par l’inondation, 14 octobre 1697.
59 AD34, C 783, p. 2-4, information judiciaire, 12 février 1732.
60 Jean-Claude Passeron et Jacques Revel, « Penser par cas. Raisonner à partir de singularités », dans id. (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005, p. 9-44.
61 Edoardo Grendi, « Micro-analisi e storia sociale », Quaderni storici, 35 (1977), p. 506-520.
62 Caroline Le Mao, Fournisseurs de Marine. Les fournisseurs de la Marine française au temps de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), La Crèche, La Geste, 2021, p. 277.
63 Ibid., p. 278.
64 Françoise de Person, Bateliers contrebandiers du sel. La Loire au temps de la gabelle, Molineuf, Éditions La Salicaire, 2010 [1999], p. 34.
65 Jean-Paul Bravard et Anne Clémens (dir.), Le Rhône en 100 questions, Lyon/Villeurbanne, Groupe de Recherche Rhône-Alpes sur les Infrastructures et l’Eau, 2008, p. 36-43.
66 Jacques-Louis Ménétra, Journal de ma vie écrit pour moi en l’an 1764, Paris, Montalba, 1984, présenté par Daniel Roche, p. 89.
67 Théodore Fassin, Essai historique et juridique sur la foire de Beaucaire, Aix-en-Provence, Typographie et Lithographie B. Niel, 1900, p. 9.
68 AD34, C 3779, n.f., tarif pour le droit du passage du pont de Tarascon à Beaucaire et de Beaucaire à Tarascon, 1766.
69 AD30, 6 B 79, n.f., information contre Mathieu Bois et autres soldats, 15 juin 1691.
70 Anne Conchon, Le péage en France au xviiie siècle. Les privilèges à l’épreuve de la réforme, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002, p. 115-152.
71 Petit corps de garde dans lequel sont postés les employés des fermes aux abords du pont.
72 AD34, 1 B 8658, n.f., procès-verbal contre Thérèse Gravielle, 19 juin 1744 ; ibid., interrogatoire de Thérèse Gravielle, 27 juin 1744 ; ibid., défenses sur soit montré pour Jacques Forceville, adjudicataire général des fermes unies du roi, contre Thérèse Gravielle, 23 novembre 1744.
73 Buterne, Dictionnaire de législation…, op. cit., p. 194.
74 Marie-Laure Legay, « Provence » dans M.-L. Legay et T. Boullu (dir.), Dictionnaire numérique…, op. cit.
75 AN, 129 AP 22, n.f., tournées dans le Midi, vers 1698. Voir aussi la vue d’optique de la foire d’après une gravure de Litret, xviiie siècle, collection Musée Auguste Jacquet.
76 AD13, C 3588, n.f., lettre probablement écrite par Jean-Baptiste des Gallois de La Tour, intendant de Provence à Nicolas-Prosper Baüyn d’Angervilliers, secrétaire d’État de la Guerre, 2 octobre 1738.
77 AD30, C 187, n.f., état alphabétique des marchandises passées par les bureaux d’Arles, Fourques, Ramatuelle et Tarascon pour la destination de la foire de Beaucaire en l’année 1786.
78 Catherine Chaize, « Une saisie de livres à la foire de Beaucaire, 18-21 juillet 1766 », dans Société d’histoire et d’archéologie de Beaucaire, Beaucaire. Carrefour de l’histoire, Toulouse, Privat, 2010, p. 399-432 ; Robert Darnton, Éditer et pirater. Le commerce des livres en France et en Europe au seuil de la Révolution, Paris, Gallimard, 2021, p. 32-33.
79 ADRML, 1 C 253, Affaire Degoin, 1734-1735. Voir aussi Cécile Benoist, André Degoin et le livre protestant : production et diffusion d’ouvrages clandestins depuis Lyon au début du xviiie siècle, mémoire en histoire moderne sous la direction de Dominique Varry, Lyon et Villeurbanne, Université de Lyon 2 et ENSSIB, 2009.
80 ADRML, 1 C 253, n.f., jugement définitif rendu contre André Degoin, 23 mai 1735.
81 Dominique Varry, « Commerce et police du livre prohibé aux foires de Beaucaire », Histoire et Civilisation du livre, 7 (2011), p. 85-98.
82 AD34, C 2803, n.f., mémoire pour le chancelier à propos des livres prohibés qui arrivent dans la province du Languedoc, 1744.
83 AD30, C 187, n.f., lettre de Jean de Boullongne, contrôleur général des finances à Jean-Emmanuel Guignard, vicomte de Saint-Priest, intendant du Languedoc, 27 juillet 1758.
84 Ibid., lettre de Boullongne à Saint-Priest, 24 juillet 1758.
85 François Mancebo, « Katrina et la Nouvelle-Orléans : entre risque “naturel” et aménagement par l’absurde », Cybergeo: European Journal of Geography, 2006 [En ligne : https://journals.openedition.org/cybergeo/90#quotation].
86 René Favier, Provence et Dauphiné confinés face à la peste de 1720, Fontaine, Presses universitaires de Grenoble, 2020 [En ligne : https://www.cairn.info/le-virus-de-la-recherche--9782706147975-page-2.htm].
87 AM Beaucaire, EE 31, n.f., entretien de frégates sur le Rhône, 1657.
88 AD34, C 1655, n.f., mémoire sur la contrebande du tabac du Comtat Venaissin, xviiie siècle.
89 Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2014 (1re éd. 2000), p. 270.
90 D’après Géoconfluences : « Alors que l'échelle multiscalaire étudie les emboîtements successifs d'échelles, l'approche transcalaire étudie plutôt l'influence des échelles les unes sur les autres » [En ligne : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/transcalaire].
91 M. Kwass, Contraband…, op. cit.
92 Romain Bertrand et Guillaume Calafat, « La microhistoire globale : affaire(s) à suivre », Annales, histoire, sciences sociales, 73/1 (2018), p. 1-8.
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Référence électronique
Cécile Bournat-Quérat, « Une histoire « au ras du fleuve » ? Approche multiscalaire des trafics clandestins au bord du Rhône entre Lyon et la Méditerranée (fin xviie-xviiie siècle) », Bulletin de l’Association des historiens modernistes des universités françaises [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 28 novembre 2024, consulté le 07 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/bahmuf/1122 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12svi
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