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Dossier : Autour des campagnes, XVIIe-XXe siècles

La stratification sociale des campagnes de l’Ouest : le cas du Haut-Maine / de la Sarthe, 1720-1815

Benoît Musset

Résumés

Les sociétés rurales de l’Ouest, marquées par un système de polyculture orienté vers l’élevage, sont caractérisées par l’existence d’une vaste classe d’exploitants agricoles moyens, appelés bordagers (Sarthe), bordiers ou encore closiers. Néanmoins, la société rurale, composée de deux autres catégories de travailleurs de la terre (les journaliers et les laboureurs), est très inégalitaire. La majorité des terres est possédée par le clergé, la noblesse, les bourgeois des villes mais aussi par beaucoup de petits rentiers ruraux. Les 10 % les plus riches voient leur part du patrimoine immobilier et mobilier croître dans les années 1760-1815, s’appropriant 65 % du total. Les bordagers forment en effet une classe moyenne, exposée à la domination économique des laboureurs, qui louent les plus belles exploitations (métairies) et occupent une position dominante dans le monde agricole. Les journaliers forment quant à eux un prolétariat rural, fragile et mobile. Ces catégories sociales rurales ont parfois des intérêts divergents, qui se manifestent durant les débuts de la Révolution.

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Texte intégral

  • 1 Pierre Goubert, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contributions à l'histoire sociale de la (...)
  • 2 Paul Bois, Paysans de l'Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis (...)
  • 3 Pour Paul Bois qui propose une vaste analyse de géographie électorale pour appuyer sa thèse, cette (...)
  • 4 Étudiant les sociétés politiques de l’Ouest durant la Révolution, Christine Peyrard a montré qu’il (...)

1La question de la stratification sociale dans les campagnes a été au cœur des études rurales dans les années 1960-1980. La référence la plus aboutie est sans doute l’étude de Pierre Goubert sur la société du Beauvaisis au xviie siècle, qui reste un ouvrage incontournable, par sa précision, sa proximité avec les sources et son approche empirique1. C’est dans ce sillage que nous voudrions présenter ici un tableau de la société rurale du Haut-Maine dans les années 1720-1815. Ce territoire est loin d’être vierge de toute étude, l’ombre des travaux de Paul Bois (1960) planant toujours2. Après une étude très fine de la société du Haut-Maine au xviiie siècle, celui-ci avait perçu une opposition forte entre l’ouest et l’est du département à partir de la Révolution. L’ouest, plus riche et marqué selon lui par une paysannerie plus autonome face aux propriétaires, a basculé dans le refus de la Révolution, à la suite de la vente des biens nationaux qui aurait imposé de nouveaux propriétaires bourgeois. L’Est, déjà acclimaté à la présence bourgeoise et à l’économie de marché (grâce à l’industrie textile rurale), a soutenu le régime républicain3. Pourtant, l’examen attentif des sources trahit des omissions et des simplifications, en particulier concernant l’opposition entre le nord-est industrieux et le sud-ouest agricole du Haut-Maine, devenu la Sarthe en 17904.

  • 5 Les études sont nombreuses. Pour une mise en perspective de la stratification sociale dans l’Ouest, (...)
  • 6 Pierre Goubert, « Sociétés rurales françaises du xviiie siècle. Vingt paysanneries. Quelques problè (...)

2Le dépassement des travaux de Paul Bois n’est pas le seul but de ce travail. Il s’agit surtout d’étudier, à partir de ce territoire, les caractéristiques de la société rurale dans un ensemble plus vaste qui est le quart Ouest de la France, incluant la Normandie, le Maine, l’Anjou, la Bretagne ou encore le Poitou5. Cette région est structurée par le commerce des animaux (bovins, chevaux mais aussi porcs et moutons) drainé par le pôle parisien et repose sur un système de métairies, véritables exploitations de polyculture tournées vers l’élevage. Dans le cadre des « vingt paysanneries contrastées » de Pierre Goubert, les campagnes du Haut-Maine fournissent un poste d’observation intéressant, au-delà des contrastes qui peuvent exister dans l’Ouest6. Ces sociétés rurales sont caractérisées par l’existence d’une vaste classe moyenne, formée par des agriculteurs nommés bordagers (Maine, sud de la Normandie), bordiers (Poitou), ou encore closiers (Anjou), et contrastent avec les sociétés plus polarisées des pays de grande culture du Bassin parisien.

  • 7 Archives départementales de la Sarthe [désormais AD 72], 6 M 475-485.
  • 8 François Dornic, L’industrie textile dans le Maine et ses débouchés internationaux (1650-1815), Le (...)

3Le Haut-Maine correspond à peu près au département actuel de la Sarthe. Il se distingue du Bas-Maine (actuel département de la Mayenne), avec lequel il formait l’évêché du Mans. Sur la route de Paris à la Bretagne, il marque le début du bocage et est caractérisé par un commerce intensif des animaux (bovins, porcs, moutons et chevaux, mais aussi volailles) vendus dans la capitale, dans la Beauce et la Brie. Ces campagnes sont marquées par les haies qui quadrillent un paysage en forme de marqueterie, avec une diversité assez importante. D’après l’enquête de 1803-1804, les terres labourables couvrent 68 % des terres, contre 10 % pour les prés et pacages permanents, 10 % pour les landes et « brières », les 8 % restant étant occupés par des forêts, des bois et des vignes7. C’est aussi une zone de fabrication d’étoffes, avec des draps de laine très fins (les étamines donnant des voiles de religieuses) aux débouchés internationaux, et des toiles de chanvre communes pour les foyers, le commerce (toiles d’emballage) et la marine (voiles). Elle est très connectée aux régions voisines et même au « vaste monde » par le commerce des étamines8.

  • 9 Il convient de se référer à l’ouvrage de Jean-Marc Moriceau, Terres mouvantes. Les campagnes frança (...)

4L’objectif de cette contribution est de dresser un tableau général de la société rurale, et de montrer sa complexité et ses clivages. Il convient de ne pas la considérer comme immobile et monolithique9. Une analyse à plusieurs échelles permet de saisir des clivages multiples générant des rapports de force entre les différents groupes sociaux des campagnes. Les ruraux ne sont pas tous des « paysans », et le renforcement de la division du travail dans les campagnes traduit une économie complexe, fortement marchandisée et en symbiose avec les noyaux urbains. Sous l’effet de la croissance économique et démographique (le « beau xviiie siècle »), les campagnes sont de plus en plus inégalitaires, avec une nette concentration des patrimoines et une prolétarisation accrue des travailleurs de la terre. Un pouvoir économique, que l’on peut définir comme la capacité des individus et des groupes à s’approprier les ressources (terres, productions végétales et animales, numéraire, biens…), s’y déploie, mettant aux prises des propriétaires non-exploitants, des agriculteurs à la tête d’exploitations plus ou moins vastes, des travailleurs agricoles sans terre et une grosse minorité d’artisans et de marchands.

Une structure socio-économique diversifiée

Des agriculteurs-locataires

Fig. 1 :

Fig. 1 :

Statuts professionnels et sociaux dans 54 villages de l’est du Haut-Maine (1729-1730)

  • 10 AD 72, C 11-17, recensements généraux des biens fonds, 1768-1784.
  • 11 Sylvie Lemercier, Les rapports des hommes à la terre dans la baronnie de Tuffé (xviie-xviiie siècle (...)
  • 12 Voir Annie Antoine, « L’élevage en France, xviie-xviiie siècles », dans La terre et les paysans. Pr (...)

5Ces agriculteurs sont divisés en trois grandes catégories. Les laboureurs, métayers, fermiers ou encore marchands-laboureurs constituent le sommet du monde agricole et forment l’élite des agriculteurs, exploitant plus de 20 hectares (tout en étant locataires de la quasi-totalité). Dans les 54 villages au cœur de notre étude, ils ne représentent que 10 % des ménages dans les années 1730 et sont une dizaine par village. D’après les recensements des biens fonds visant à établir une taille tarifée et réalisés dans les années 1770-1780, ils représentent 8,3 % des ménages, mais ils exploitent 49,9 % des terres10. Il s’agit toutefois d’un groupe contrasté. On y trouve des laboureurs ancrés dans un territoire, dont la famille contrôle la même métairie pendant deux ou trois générations, mais également des laboureurs mobiles, qui changent de village pour occuper des fermes plus intéressantes11. Les laboureurs sont au cœur du commerce des animaux : ils contrôlent et vendent la majorité des bêtes ; mais seuls les plus entreprenants entrent dans la catégorie des marchands-laboureurs, achetant et vendant des animaux au-delà de leurs besoins, fréquentant pour cela les marchés et foires de la région et expédiant des bêtes vers la Normandie et Paris12.

  • 13 A. Antoine, Fiefs et villages, op. cit., p. 323-339.

6Les bordagers constituent la seconde ligne des agriculteurs, la fameuse « classe moyenne » emblématique de l’Ouest, représentant 31,6 % des foyers et exploitant entre 30 et 40 % des terres. Comme l’a montré Annie Antoine pour le Bas-Maine, ce sont des laboureurs en plus petit, moins indépendants et plus fragiles, menant leurs affaires dans un cadre géographique plus réduit13. Ils participent aussi au commerce des animaux, mais ils vendent et achètent surtout aux laboureurs et sont peu actifs sur les marchés. Enfin, comme pour les laboureurs, les contrastes sont forts entre les bordagers exploitant 2 à 5 hectares (les sources les qualifient de bordagers) et ceux en exploitant 15 à 20 avec une douzaine de grands animaux.

7Les « journaliers » constituent l’« armée de réserve », représentant 16 % des ménages dans les années 1730. Rarement sans terre, ils exploitent au minimum un grand jardin et le plus souvent des « terres détachées » louées à d’autres ruraux. En revanche, pratiquement aucun n’a accès à des prés et n’élève de grands animaux. Comme leur nom l’indique, ils vivent en grande partie du travail chez les plus grands exploitants.

  • 14 L’échantillon n’est pas négligeable : il couvre 35 000 hectares pour un montant des loyers évalué d (...)

8Une grande majorité de ces agriculteurs sont locataires. Dans 27 villages de l’est du Haut-Maine ayant laissé des rôles de taille tarifée, 81 % des terres n’appartiennent pas à ceux qui les cultivent (voir Fig. 2)14. La noblesse, le clergé et les institutions religieuses (fabriques et hôpitaux) possèdent pratiquement la moitié des terres (46,4 %). Dans le détail, les biens de mainmorte (clergé et institutions religieuses) représentent 13,9 % et les biens des nobles atteignent 23 % (sans les forêts). Les écarts sont néanmoins très importants d’un village à l’autre. Dans le petit village de Bouër, les nobles (en particulier le marquis du Luart) possèdent 72,3 % des terres. Dans 4 communautés, la part des nobles dépasse les 50 %, et dans 12 communautés sur 29 (41 %), la part des privilégiés dépasse les 50 % des terres. Ces derniers tiennent donc solidement le patrimoine foncier et en tirent des revenus énormes.

Fig. 2 :

Fig. 2 :

Statut des propriétaires dans 27 villages de l’est de la Sarthe

  • 15 AD 72, C 13, recensement général de tous les biens fonds, Lavaré, 1775. À partir de travaux publiés (...)
  • 16 Ibid. ; AD 72, C 11. Le Luart, qui constitue le cœur de ses propriétés, n’a pas laissé de rôle de t (...)
  • 17 AD 72, C 15, recensement général de tous les biens fonds, Saint-Mars-d’Outillé, 1769.
  • 18 AD 72, C 11, recensement général de tous les biens fonds, Sainte-Cérotte, 1771. On ne lui connaît a (...)
  • 19 Laurent Bourquin et Jean-Marie Constant, « Les fortes densités nobiliaires de l’Ouest », dans Gens (...)

9Naturellement, ces catégories ne sont pas uniformes. Les grandes abbayes et le chapitre du Mans détiennent des patrimoines importants. L’abbaye de la Couture (Le Mans) possède 336 hectares à Lavaré, avec quatorze exploitations allant de 3 à 50 hectares15. Une partie de la noblesse s’assure des revenus énormes, avec des dizaines de métairies, de bordages et de maisons. Ainsi, le marquis du Luart possède des métairies et bordages dans plusieurs villages, dont la métairie de Toucheronde, couvrant 150 hectares à Lavaré, de loin la plus grande exploitation de cette région, mais aussi 300 hectares aux Loges, divisées en huit métairies et un bordage16. Parmi ces propriétaires privilégiés, on trouve aussi des petits nobles ne touchant les revenus que de deux ou trois exploitations, comme le seigneur de Saint-Mars-d’Outillé et ses trois métairies couvrant 90 hectares17. Le seigneur de Sainte-Cérotte, Henri de Trémault, est un peu mieux loti avec 220 hectares composés de cinq métairies et quatre bordages18. Comme les autres provinces de l’Ouest, le Haut-Maine est une terre de forte densité nobiliaire, avec une petite noblesse située aux franges de la grosse paysannerie19.

  • 20 C’est peut-être un peu plus ; il n’a pas toujours été possible d’identifier tous les propriétaires.

10La propriété bourgeoise couvre, quant à elle, moins de 10 %20. Nous y trouvons les marchands et rentiers de la petite ville de Saint-Calais. Néanmoins, cette propriété bourgeoise est progressivement transformée en propriété noble – même si l’anoblissement diminue au xviiie siècle –, ce qui explique sans doute qu’elle ne soit pas plus importante. Par ailleurs, dans l’ensemble, l’emprise citadine est relativement contenue : les bourgeois du Mans possèdent très peu de terres à plus de 15-20 kilomètres de la ville, et les villes de la région sont relativement modestes dans l’ensemble (15 000 à 18 000 habitants au Mans, 8 000 habitants à La Flèche, 5 000 habitants à La Ferté-Bernard, 3 000 habitants à Saint-Calais, dont la moitié d’agriculteurs). Les capacités de financement des élites urbaines locales sont moindres que celles d’Angers, de Rennes ou de Caen.

  • 21 AD 72, C 11, recensement général de tous les biens fonds, Sainte-Cérotte, 1771.

11Pour autant, la part des ruraux non-exploitants n’est pas négligeable, puisqu’elle atteint 36,9 %. Dans les campagnes, il existe de nombreux rentiers qui possèdent des terres et les louent : des veuves, d’anciens marchands ou artisans, des notaires. De même, si les laboureurs louent à des tiers des métairies de 20 à 60 hectares, ils possèdent assez souvent des bordages qu’ils concèdent à d’autres agriculteurs. Les bordagers possèdent, eux aussi, des « terres détachées » qu’ils louent à des tiers. Les loyers circulent donc également à l’intérieur de la société rurale. Ainsi, à Sainte-Cérotte, le laboureur Julien Boiron possède le bordage de la Charbonnerie (10,4 hectares) qu’il loue à Pierre Fougeray, alors que lui-même exploite la métairie de Filloire (38 hectares) qu’il tient d’un chanoine de Saint-Calais. Il en est de même pour Jean Paineau, qui loue la métairie du château au seigneur, tout en concédant son petit lieu de La Minée (1,5 hectare) au journalier René Chevereau21.

  • 22 Selon nos calculs, dans les 27 villages de l’est de la Sarthe, les loyers représentent un flux de 2 (...)

12Toujours est-il que les loyers représentent des flux financiers considérables des campagnes vers les villes (avec les impôts et les rentes), qui doivent être compensés par des flux inverses en travail et surtout en produits de la terre22.

Une division du travail non négligeable

13Là encore, il faut renoncer à l’image des campagnes immobiles, autarciques et repliées sur elles-mêmes. Une division du travail y est relativement élaborée au xviiie siècle et la société rurale est également composée d’une fraction importante de marchands et artisans, mais aussi des professions de service, soit 24 % des ménages.

  • 23 Benoît Musset, « L’auberge et le cabaret comme forum marchand (Haut-Maine, xviiie siècle) », Annale (...)

14Les marchands forment une petite minorité avec 4 % du total des ménages. Parmi eux se trouvent des marchands de détail, de bestiaux, d’étoffes, des marchands-fabricants de toiles ou de draps. Les cabaretiers et/ou aubergistes forment l’infrastructure marchande de base. Les rôles donnent une fréquence de 61 %, mais d’autres sources, comme les archives consulaires (justice marchande) laissent raisonnablement penser qu’il y en a un dans tous les villages – souvent un double actif23. Le nombre de cabaretiers s’élève avec le nombre des habitants, mais aussi en fonction de la composition sociale. La présence de nombreux tisserands favorise la multiplication des cabarets. À Coudrecieux, la présence d’une verrerie avec de nombreux ouvriers et des travailleurs forestiers explique celle de 3 cabaretiers, pour un village de 122 foyers seulement.

  • 24 Les inventaires après décès montrent que les ruraux font, pour la plupart, leur propre pain. Ils so (...)

15Les artisans « classiques » (hors textile et bois) constituent 6,8 % des ménages. Le meunier – que l’on hésite à classer parmi les artisans ou les marchands tant ils sont actifs dans le commerce des céréales au-delà de leur activité de mouture – est présent presque partout : si quelques villages n’en ont pas, d’autres en ont entre 2 et 9. Les artisans de base sont le maréchal (89 % des villages), le charron (52 %), le couvreur (46 %), le tailleur d’habit (48 %), le charpentier (42 %) ou encore le maçon (39 %). Les boulangers sont présents dans 25 % des villages seulement, avec une présence presque systématique dans les villages de tisserands, qui très largement ne sont pas équipés pour fabriquer leur pain et donc l’achètent24.

16Des artisans spécialisés diversifient l’éventail des métiers. Les travailleurs du bois sont plus affirmés autour des forêts de Bercé et de Vibraye : sabotiers (50 %), fendeurs, scieurs, bûcherons et tonneliers (37 %). Les tisserands surtout forment 12 % des ménages et sont présents dans 63 % des villages de la zone. Parfois, il y a un seul tisserand, mais en général, ils sont plus d’une dizaine (avec un record à 52 pour les 205 foyers de Volnay). Ces tissiers ou tisserands tissent le chanvre alors que les sergers tissent la laine. Les deux catégories sont présentes, en particulier autour de Saint-Calais, dont les marchands vivent du commerce des deux étoffes.

17Les professions de « service » ne sont pas absentes. Nous pouvons y ranger les membres du clergé (curé, vicaire, quelques chanoines), qui ne forment que 1 % mais qui sont présents dans la totalité des villages. Les hommes de loi (notaires, procureurs, huissiers) sont présents dans 61 % des localités, contre 37 % pour les « employés » (gardes, agents seigneuriaux, commis des fermes) et 22 % pour les chirurgiens.

  • 25 Rôles de taille et listes nominatives : AD 72, C 58 et 2 Mi 124 3, Saint-Vincent-du-Lorouer ; AD 72 (...)
  • 26 Plus généralement, les campagnes du Haut-Maine ont gagné environ un tiers d’habitants en plus duran (...)
  • 27 P. Bois, Paysans de l'Ouest, op. cit., p. 330.
  • 28 La notion de prolétarisation des campagnes au xviiie siècle est controversée et beaucoup d’historie (...)

18En comparant, pour un groupe de dix villages, les données des rôles de taille (années 1693-1760) avec celles des recensements (1791-1820), trois constats s’imposent quant à la situation dans les années 1800-181025. Tout d’abord, la population a augmenté depuis les années 1730, puisque les neuf villages comptent 26 % de ménages en plus26. La tension sur l’exploitation des terres est donc mécaniquement plus forte qu’au début du siècle précédent, conduisant Paul Bois à parler d’un « surpeuplement rural menaçant à la fin du xviiie siècle »27. Ensuite, la société rurale semble se prolétariser davantage. La part des travailleurs de la terre (des journaliers aux laboureurs) est plus forte, avec 71,4 % des statuts connus. Cette hausse s’explique essentiellement par la nette croissance du nombre de journaliers, passant de 28 à 36 % des actifs connus. Cela traduit une prolétarisation croissante de la population rurale. Cette relative prolétarisation semble être une conséquence logique de la croissance démographique. Une partie de plus en plus grande de la population se retrouve exclue de l’exploitation de la terre28 et l’évolution des rapports de force et des patrimoines accompagne largement cette tendance.

Des écarts sociaux de plus en plus marqués

La concentration des patrimoines

  • 29 AD 72, 2 C 1448, 2 C 1670-1671, 2 C 2282, 2 C 3084, 2 C 3229, 2 C 3677, 2 C 3745, 2 C 3823, 2 C 385 (...)
  • 30 Michel Vovelle a été le principal utilisateur de ces données dans son étude sur Chartres au xviiie  (...)
  • 31 Ce hasard semble tout de même relativement limité. Une comparaison entre l’ensemble des successions (...)

19À partir du Contrôle des actes, il est possible de dresser un tableau chiffré global des patrimoines29. Des années 1720 à 1790, les contrôleurs des actes ont dressé, à partir de leurs registres généraux, des index des successions collatérales, indiquant les nom, prénom et montant. Ces index sont justifiés par l’imposition au centième denier sur les successions collatérales (les successions directes en sont exemptées), afin d’en surveiller le paiement. Malheureusement, le lieu et le statut des personnes ne sont pas indiqués, sauf exceptions. C’est sans doute pour cette raison que ces index ont été moins utilisés que les registres de ventes, de baux ou de déclarations de rentes30. De plus, ces sources posent plusieurs difficultés. L’imprécision sociale et géographique conduit à ne pas pouvoir distinguer les villes des campagnes. Il est aussi difficile de cerner les contours sociaux des déclarations de successions. Il est certain qu’une forte fraction de la population, qui ne possède pas de biens immobiliers ou qui ne transmet que de petites successions partagées rapidement après le décès, échappe largement à cette source. Les données recueillies dépendent enfin du hasard des successions collatérales31.

Fig. 3 :

Fig. 3 :

Répartition par décile des successions immobilières enregistrées dans le Contrôle des actes (1720-1789)

  • 32 Cette trajectoire rejoint les tendances mises en valeur pour d’autres régions européennes. Voir Jan (...)

20Malgré ces limites, il apparaît que les zones rurales et leurs petites villes sont de plus en plus inégalitaires. C’est ce qu’il ressort de l’examen des plus de 10 000 successions de la période 1720-1789 (cf. Fig. 3). Un classement par décile pour chaque décennie dévoile une répartition en « pierre tombale ». Les 10 % les plus riches monopolisent une majorité du patrimoine. Leur part est passée de 55 % dans les années 1720 à 62 % dans les années 1780. À l’inverse, la part des 70 % les moins dotés est passée de 21,2 % à 17,6 %. Parmi le 10e décile, on trouve un grand nombre de nobles – pour partie ruraux – qui forment la majorité du 1 % le plus riche (qui détient entre 20 et 35 % du patrimoine selon les décennies et la présence ou non de très grosses successions)32. Ces écarts croissants entre les patrimoines s’expliquent assez facilement. Avec un tiers d’habitants en plus, l’impact de la croissance démographique est réel. Elle rend l’accès à la terre plus difficile alors qu’elle contribue à morceler les patrimoines. Or, la réduction des descendances des ménages les plus aisés (une tendance forte du xviiie siècle) a certainement contribué à maintenir et consolider les plus gros patrimoines, alors que la croissance démographique a tendance à pulvériser les petits patrimoines.

Fig. 4 :

Fig. 4 :

Les loyers de l’Hôpital général du Mans et le prix des grains, 1755-1820 (indice 100 en 1755)

  • 33 Cette évolution rejoint les tendances générales mises en valeur par Gérard Béaur, Histoire agraire (...)
  • 34 Pour les loyers de l’Hôpital Général du Mans : AD 72, HG 479 et 606. Les prix du froment sont tirés (...)
  • 35 AD 72, HG 254-260.

21Le renforcement des plus gros patrimoines a également été soutenu par la forte hausse des loyers durant les années 1760-1780, poursuivie jusque dans les années 1800 avant de marquer un net recul et une stabilisation dans les années 1820 (voir Fig. 4)33. Sur la base des biens de l’Hôpital général du Mans, les loyers des terres ont triplé, alors que les prix du blé ont doublé et que les salaires à la journée ont, au mieux, augmenté d’un quart depuis les années 174034. Dans les années 1780, les loyers représentent ainsi 78 % des dettes recensées dans les inventaires après décès de laboureurs des environs de Saint-Calais, contre 54 % dans les années 1730. La hausse du prix des bovins (*1,6 en 1760-1789, alors que les loyers doublaient) n’a pas permis de suivre le rythme35. Aussi les défaillances de laboureurs sont-elles fréquentes dans les registres de l’Hôpital général du Mans dans les années 1780, conduisant soit à des rupture de bail, soit à des modérations de loyer en cours de bail. En concurrence les uns avec les autres à l’échelle de plusieurs villages, beaucoup n’hésitant pas à changer de village pour obtenir une ferme plus intéressante, les laboureurs ne sont pas en position de force et sont totalement dépendants des métairies qu’ils peuvent louer pour nourrir le cheptel dont ils sont propriétaires (une quinzaine de bovins, plusieurs chevaux, trente à quarante moutons).

  • 36 Pour une mise au point sur le système fiscal et son impact sur les campagnes, voir G. Béaur, Histoi (...)
  • 37 En 2008, l’historien néerlandais Jan de Vries a affirmé, dans The Industrious Revolution, Consumer (...)

22Enfin, les inégalités du système fiscal ont nécessairement contribué à cette polarisation des patrimoines. En exemptant largement le clergé et la noblesse, soumise à une capitation et à un vingtième relativement légers, en sous-taxant les bourgeois urbains pour leurs biens ruraux, tout en frappant lourdement les laboureurs, le système fiscal d’Ancien Régime a contribué à accroître les écarts36. Cette conjoncture a largement favorisé les plus grands propriétaires qui ont pu accroître leurs patrimoines. Pour autant, cela ne signifie pas que les foyers modestes sont plus pauvres dans l’absolu : les inventaires après décès montrent que les ménages sont plutôt mieux équipés et mieux habillés dans les années 1780. Le creusement des inégalités n’est pas incompatible avec une légère hausse du niveau de vie des plus modestes37.

La société rurale des années 1799-1814

  • 38 AD 72, série 3 Q, bureaux de Bonnétable (3 Q 1418-1420), Beaumont-sur-Sarthe (3 Q 726-728), La Flèc (...)

23La nouvelle administration de l’Enregistrement préconise la prise en compte des successions directes à partir de 1790 (loi des 5-19 décembre 1790), mais uniquement pour la partie immobilière. L’examen des registres montre qu’une minorité de successions a été enregistrée durant la décennie 1790. La loi du 22 frimaire an VII (12 décembre 1798) élargit la déclaration à l’ensemble des biens pour tous les héritages. Mais là encore, l’écart entre le nombre des décès (adultes) et celui des successions mentionnées dans les registres reste très élevé jusqu’en 1809-1810 (entre 30 et 40 % dans la quinzaine de villages examinés). Par ailleurs, la massification des données (des dizaines de milliers de successions sont enregistrées en quelques années) a deux conséquences statistiques. Elle rend d’une part très longue la collecte de données, ce qui nous a conduit à privilégier 4 bureaux (Bonnétable, Beaumont, Saint-Calais et La Flèche)38. Elle a d’autre part tendance à affaiblir la moyenne des patrimoines des premiers déciles dans lesquels s’accumulent de très petites successions, et à augmenter la part des derniers déciles dans lesquels les très grosses successions s’accumulent. Sur ce point, la concordance avec les données de l’Ancien Régime est assez nette (voir Fig. 5). Les 10 % les plus riches sont passés de 62 % du patrimoine transmis en 1780-1789 à 63,4 % dans les années 1790-1799 (2 200 successions), pour atteindre 65,6 % en 1800-1809 (5 100 successions) et même 69,9 % pour la seule période 1810-1814 (plus de 2 000 successions). Les inégalités n’ont donc pas diminué durant la Révolution et l’Empire et ont même sans doute un peu augmenté, surtout à partir des années 1800.

Fig. 5 :

Fig. 5 :

Le patrimoine des ruraux dans 4 bureaux de l’Enregistrement, 1800-1814 (Bonnétable, Beaumont-sur-Sarthe, La Flèche, Saint-Calais)

  • 39 Rappelons que les historiens ont estimé qu’environ un tiers des biens a été acquis par des ruraux. (...)

24La vente des biens nationaux a eu une portée limitée39. Si l’on prend les biens vendus dans la région de Saint-Calais, où la propriété religieuse était relativement importante, les habitants de la petite ville ont acheté 58,8 % du montant des biens vendus, alors que 25 % se trouvaient dans le territoire de la ville (l’abbaye de Saint-Calais y possédait une grande partie des terres). Les habitants des campagnes ont emporté 36,2 % seulement du montant des biens. Parmi ceux-ci, le statut de 60 % d’entre eux a pu être identifié : 24 % de cultivateurs (surtout des laboureurs et bordagers, aucun journalier bien sûr), 19 % de marchands ruraux et 13 % d’artisans. Les habitants les plus modestes des campagnes n’ont rien récupéré. Fort logiquement, les biens ont été accaparés par ceux qui étaient déjà riches. Dans le cas de Saint-Calais, la vente des biens nationaux n’a donc pas transformé la répartition des biens et a même davantage concentré les biens entre les mains des habitants de la petite ville, qui avait un contrôle limité sur les terres auparavant.

25À partir des registres de successions des années 1800-1814, il est possible de mieux saisir le profil spécifique de la répartition des patrimoines dans le monde rural. En croisant avec les registres d’état civil, il a été possible d’identifier le statut social de plus de 4 000 individus dans les ressorts des quatre bureaux de l’Enregistrement.

Fig. 6 :

Fig. 6 :
  • 40 Nous avons reporté les médianes (préférées aux moyennes) correspondantes aux différents statuts soc (...)

Statuts (médiane) et patrimoines (jusqu’à 30 000 F) des ruraux dans 4 bureaux de l’Enregistrement (Beaumont, Bonnétable, Saint-Calais, La Flèche), 1799-1814 (2 281 successions)40

  • 41 À Chartres dans les années 1800, un journalier des environs de la ville laisse en moyenne 45 F et l (...)

26Fort logiquement, les journaliers forment le « peuple » des campagnes, ne laissant très majoritairement que des biens mobiliers, pour un montant modeste (avec une médiane de 107 F). Ces journaliers remplissent les 4 à 5 premiers déciles. Notons toutefois que 25 % d’entre eux laissent quelques biens immobiliers (248 F), alors que 40 sur 348 dépassent les 500 F (dont 11 dépassent les 1 000 F)41.

27Les bordagers (médiane de 596 F) et laboureurs (médiane de 1 067 F) se situent à un niveau nettement supérieur. La moitié d’entre eux laisse des biens fonciers (2 200 F de moyenne). Les bordagers constituent bien, d’un point de vue statistique, une véritable classe moyenne rurale, alors que les laboureurs forment un groupe aisé.

28La médiane des autres catégories se positionne du 6e au 10e décile. La médiane des artisans les place à l’entrée du 6e décile, avec des écarts sensibles selon les individus et les métiers. Au sein d’un même métier, il y a des individus très aisés et d’autres très modestes. Les capacités individuelles, le capital de départ et la chance peuvent expliquer de tels écarts. Dans l’ensemble, les charpentiers, menuisiers et cordonniers sont plus modestes alors que les maréchaux et charrons accumulent des fortunes plus conséquentes. Les tisserands ont une position relativement fragile. S’ils ne sont pas de pauvres ruraux prolétarisés, leurs positions sont très contrastées. Certains tisserands laissent des patrimoines très modiques alors que d’autres accumulent un patrimoine significatif (un cinquième d’entre eux dépasse les 2 000 F, pour un cinquième sous les 100 F).

29Au sommet des patrimoines, on retrouve les personnages emblématiques du village. Les meuniers, souvent aisés à l’échelle du village, se positionnent généralement du 8e au 10e décile. Les marchands-laboureurs, qui spéculent sur les animaux, dépassent de loin les autres agriculteurs. Ce sont de véritables hommes d’affaires qui vivent en grande partie de leur activité commerciale, fréquentant les marchés et foires parallèlement à leur exploitation agricole. Certains ont accumulé des patrimoines compris entre 20 000 et 30 000 F, une fortune à l’échelle du monde rural. Les notaires, avec un patrimoine pouvant aller de 5 000 à 20 000 F, figurent de même en bonne place. Le nouveau clergé paroissial maintient les niveaux de celui de l’Ancien Régime, avec des patrimoines de plusieurs milliers de francs. Quant aux ci-devant nobles, ils sont les seuls à dépasser les 100 000 F de patrimoine. Parmi les douze patrimoines supérieurs à 30 000 F, nous trouvons six ci-devant nobles. Anne Jean Legras du Luart, issu d’une famille mancelle implantée dans le village du même nom depuis le xive siècle, laisse ainsi 678 934 F dans le ressort de Bonnétable (le reste de sa fortune se trouvant dans le ressort de La Ferté-Bernard), contre 529 703 F pour son dauphin, Jacques François Baigneux de Courcival.

30Surtout, le patrimoine moyen des citadins excède de manière sensible celui des campagnes. Alors que le patrimoine moyen des ruraux est de 1 738 F, celui des habitants du Mans est de 7 312 F et celui des habitants de La Flèche de 6 438 F. Même les petites villes se détachent, avec 2 217 F pour Beaumont, 2 890 F pour Bonnétable et 3 851 F pour Saint-Calais. En revanche, lorsque l’on retient la médiane, les écarts sont moindres. La ville de Saint-Calais est particulièrement aisée avec une médiane de 1 000 F, contre 509 F pour les villages environnants. En revanche, La Flèche se détache moins nettement avec 808 F contre 387 F pour ses campagnes. À l’inverse, Bonnétable et Beaumont paraissent moins riches que leurs campagnes : 518 F contre 557 F pour l’une, et 260 F contre 336 F pour l’autre. Il faut dire que ces petites villes sont caractérisées par la forte présence d’ouvriers du textile (draperie surtout) travaillant directement pour les négociants de la ville du Mans. Ces ouvriers constituent un véritable prolétariat avec des patrimoines très faibles.

31Il convient enfin de remarquer que les écarts sont significatifs entre les villages. Il y a des villages dans lesquels les patrimoines sont plus élevés que d’autres. Si l’on compare les médianes des quatre zones rurales (ville exclue), on constate des écarts sensibles, allant de 336 F à 557 F (39 % de plus). Néanmoins, le sous-enregistrement des successions les plus modestes est peut-être responsable de ces écarts.

Le pouvoir économique au village

La position dominante des laboureurs

  • 42 AD 72, 4 E 50 595-620 (1780-1789) et 659-691 (1800-1810), étude de Thomas-Antoine Tironneau.

32L’étude des dettes recensées dans les inventaires après décès permet d’avoir un aperçu de l’économie marchande rurale et des rapports de force qui la structurent. Deux échantillons pris dans la région de Saint-Calais (1780-1789 et 1800-1810) permettent d’envisager les flux qui circulent entre les différents groupes42. Les inventaires après décès dressent dans plus de 4 cas sur 5 une liste de créances et de dettes après celle des biens mobiliers. Dans chaque échantillon, une centaine d’inventaires a livré environ 2 500 dettes, donnant un aperçu des flux financiers circulant entre les groupes sociaux. Ces listes, dans lesquelles il convient de mettre à part les dépenses liées aux inhumations et aux frais de notaire (très coûteux et qui expliquent en partie la réussite de ces hommes de loi), contiennent de nombreuses dettes courantes comme des achats de grains, des gages de domestiques, des achats de matériel, d’étoffes ou de vêtements.

  • 43 AD 72, 4 E 50 618, n.f, inventaire après décès, 6 décembre 1786.

33Les laboureurs sont de loin les acteurs dominants de l’économie rurale. Ce sont eux qui ont les plus hauts niveaux de biens mobiliers, de créances et de dettes. En 1800-1810, le montant des dettes des cultivateurs (laboureurs et bordagers) est en moyenne sept fois plus élevé que celui des journaliers. Ces laboureurs sont les principaux clients des artisans (maréchal, charron, charpentier…) et sont logiquement les principaux vendeurs de nourriture. S’ils vendent prioritairement leurs grains aux meuniers, qui les revendent ensuite sous forme de farine aux journaliers, aux artisans mais aussi à une fraction des bordagers, ils vendent aussi directement des menues denrées aux autres habitants du village. En 1786, Pierre Jardin, laboureur à Semur, énumère plusieurs ventes d’œufs, d’oies, de poules, de beurre et même de fromage à d’autres habitants du village43.

  • 44 AD 72, 4 E 50 610, n.f, inventaire après décès, 25 octobre 1784.
  • 45 AD 72, 4 E 50 684, n.f, inventaire après décès, 8 juillet 1808.

34Alors qu’ils contribuent lourdement à la rente foncière extraite des campagnes par les élites sociales, les laboureurs touchent aussi des loyers, puisque la plupart d’entre eux sont propriétaires de maisons et de bordages. Jean Coudray, laboureur à Montaillé, doit ainsi 724 livres de loyer pour sa métairie de la Grande Jaunaie aux Bénédictins de Saint-Calais en 1784, plus 331 livres pour « abus et malversations », c’est-à-dire de réparations à payer au nouveau locataire. Dans le même temps, il lui est dû 47 livres pour le loyer de deux maisons, 70 livres pour deux petits lieux, et 693 livres pour le loyer de la Coupetière à La Chapelle-Huon44. Plus modestement en 1808, Pierre Rocheron, de La Chapelle-Huon, touche 80 F pour des terres qu’il loue, alors qu’il est lui-même locataire de sa métairie45. Cependant, si 63 % des laboureurs touchent des loyers en 1780-1789, ils ne sont que 25 % dans l’échantillon de 1805-1810.

35Ce sont aussi les principaux employeurs des villages, avec des journaliers et aussi des domestiques agricoles. En général, les laboureurs en emploient deux ou trois, mais les plus gros d’entre eux peuvent en employer sept ou huit à l’année. C’est pourquoi les gages, souvent payés avec retard, constituent une lourde charge : 160 livres pour Jean Coudray (1784) et 575 F pour Pierre Rocheron (1808). Cela explique sans doute pourquoi le paiement de ces gages peut intervenir deux ou trois ans après le service. Les laboureurs privilégient le paiement des loyers, des impôts et de leurs animaux avant celui de leurs propres travailleurs. Les journaliers, employés à la semaine, au mois ou pour une campagne de travaux saisonniers, représentent une charge comparativement moins lourde, sans doute parce qu’ils sont payés plus régulièrement. Jean Coudray doit ainsi de l’argent à un seul d’entre eux, alors qu’aucun n’apparait dans les dettes de Pierre Rocheron.

  • 46 Sur les liens entre fermier et propriétaire et les mécanismes de dépendance financière, voir A. Ant (...)

36Il faut ajouter enfin les rentes et prêts d’argent. Comme pour les loyers, les laboureurs sont débiteurs des rentiers de la terre, tout en étant créanciers des autres catégories sociales du village. S’ils touchent rarement des rentes constituées (25 % en 1780-1789, contre 5 % seulement en 1805-1810), ils réalisent des prêts « loyaux » sans intérêts auprès des autres groupes. Ce sont des prêts conséquents (parfois plusieurs centaines de livres), qui doivent impliquer en retour des obligations tacites de la part des débiteurs, essentiellement des bordagers et des journaliers46.

  • 47 Pour les laboureurs en pays de grande culture, on peut se reporter à Jean-Marc Moriceau, Les fermie (...)

37Les laboureurs sont ainsi au cœur de flux financiers les reliant à tous les groupes sociaux : d’autres cultivateurs (10 % de leurs dettes en 1780-1789 et 14 % en 1805-1810), les domestiques et journaliers qu’ils emploient (17 et 28 %), les artisans (12 et 23 %), les rentiers (bourgeois, nobles, religieux, pour 35 et 19 %) et les marchands (26 et 17 %). S’ils sont moins puissants que les « coqs de village » d’Île-de-France, de Picardie ou du nord de la France, les laboureurs du Maine occupent malgré tout une position dominante dans la société rurale47.

La vie fragile des journaliers

  • 48 Ces données sont tirées, comme les loyers, des registres de l’Hôpital général, ainsi que de l’abbay (...)

38La conjoncture des années 1720-1815 n’a pas été favorable aux journaliers. L’évolution générale des salaires à la journée n’a pas couvert la hausse des prix des grains et des loyers. Dans les années 1720, le prix de la journée dans les campagnes du Mans tourne autour de 10 sols par jour (soit 0,50 F) pour un homme, la moitié pour une femme et le tiers pour un adolescent, le tout nourri. En 1790, la journée de travail recensée par les tableaux du Maximum tourne autour de 15 sols (soit 0,75 F), alors qu’elle varie entre 0,75 et 1,25 F selon l’enquête préfectorale de 1803-1804, avec une convergence autour de 0,90 F (nourri)48. Ce doublement cependant ne suit pas complètement le cours des grains et est assez conforme au cours des loyers de maisons rurales (voir Fig. 4). La quasi-totalité des gains est donc consommée dans l’année et la capacité d’épargne des journaliers quasi-nulle : leur patrimoine en fin de vie n’atteint que le produit de quelques semaines de travail.

  • 49 Nous avons réalisé des relevés sur deux communes de l’est de la Sarthe, Cogners et Montaillé, pour (...)

39La structure de l’endettement des journaliers est révélatrice de cette fragilité fondamentale. Leur dépendance est forte dans tous les domaines : ils dépendent du travail dans les métairies et secondairement les bordages ; ils achètent une grande partie de leur nourriture (le produit des jardins est difficile à évaluer) ; ils sont presque intégralement locataires (les loyers montent à 23 et 21 % de leur endettement total). Seule la charge fiscale les épargne, avec une dizaine de livres dans les années 1780, ce qui représente tout de même presque un mois de travail, et 3 à 5 F dans les années 180049. Les emprunts sans intérêts représentent 43 % de leur endettement en 1780-1789, et 33 % en 1805-1810, auquel il faut ajouter des rentes constituées, montant à 12 et 24 %.

  • 50 AD 72, C 22, rôles de taille de 1730 à 1789 (manquent les années 1732 et 1753).
  • 51 Pour la Gâtine poitevine, Jacques Péret a noté une forte confusion dans les dénominations, entre bo (...)

40Les journaliers ne sont pas pour autant passifs et impuissants face à cette situation défavorable. La mobilité de ce groupe vers les autres n’est pas nulle. Des journaliers deviennent bordagers, alors qu’en sens inverse, des bordagers voire des laboureurs peuvent se retrouver, plus ou moins temporairement, parmi les journaliers. Dans le village de Sainte-Cérotte, proche de Saint-Calais, il a été possible de suivre l’ensemble des taillables de 1729 à 1789. En 1772, sur les dix journaliers, trois seulement n’exploitent aucune terre (sauf un jardin), alors que les autres exploitent entre 0,22 et 12 hectares (soit le niveau d’un bordager). L’un d’entre eux a été bordager et un autre tisserand par le passé. Par ailleurs, parmi les 57 bordagers et laboureurs, neuf ont été journaliers pendant une ou plusieurs années durant leur vie (et ont parfois été tisserands ou ont exercé un autre métier artisanal). Assez souvent, les fils de laboureurs en attente d’installation sont qualifiés de « journaliers », alors qu’ils n’en ont en réalité pas le statut social. Plus largement, entre 1729 et 1789, 16 bordagers sont devenus journaliers, alors que 21 journaliers sont devenus bordagers, 2 laboureurs et 7 artisans (presque tous tisserands). La carrière de Julien Priou est à ce titre éloquente : d’abord tisserand en 1729, il est qualifié de journalier en 1733, bordager en 1734, de nouveau tisserand en 1739 puis bordager en 1744 pour finir journalier en 1756. Simon Roullier commence serger en 1729, passe journalier en 1736, cardeur en 1738 avant d’être déclaré comme regrattier à partir de 173950. La porosité entre les groupes d’agriculteurs-locataires est une caractéristique que l’on retrouve plus largement dans l’Ouest51.

  • 52 AD 72, 2 Mi 289/94, Cogners, liste nominative, 1793.

41Les journaliers font de même preuve d’une forte mobilité géographique. Celle-ci témoigne aussi bien d’une fragilité que d’une forme d’agentivité, consistant à rechercher de meilleures conditions de vie et de travail dans d’autres villages. À Saint-Cérotte, les soixante-sept journaliers « exclusifs » (qui n’ont pas eu d’autre statut) présents entre 1729 et 1789 ont résidé en moyenne 6 ans seulement, avec 11 journaliers apparus une seule année dans les rôles. Seuls seize journaliers sur les soixante-sept sont morts à Sainte-Cérotte. À Cogners en 1793, au sud de Saint-Calais, sur les 21 journaliers de la commune, 10 s’y sont installés entre 1788 et 1792, alors que vingt cultivateurs sur cinquante-deux ne sont pas originaires de la commune52. Le « déguerpissement » fréquent permettait très certainement de solder à moindre frais une partie des dettes du quotidien, même s’il ne faut pas négliger le poids de l’interconnaissance à l’intérieur des « pays » ou « cantons » formés autour des petites villes. Il était assez aisé de retrouver un débiteur parti à quinze ou vingt kilomètres.

42Par ailleurs, la condition des journaliers ne semble pas aussi défavorable que ce que la situation patrimoniale laisse penser. En prenant en compte l’âge moyen au décès dans les années 1799-1814, il apparaît que les journaliers et épouses de journaliers décèdent en moyenne à l’âge de 56 ans. Si c’est sensiblement moins que les membres du 10e décile composé essentiellement de propriétaires et de rentiers (62 ans), c’est autant que les laboureurs et les bordagers, un peu plus que les artisans (55,5 ans) et marchands (55 ans), et nettement plus que les tisserands (51 ans), de loin les moins bien lotis. Les travailleurs de la terre, qu’ils soient laboureurs, bordagers ou journaliers, sont exposés à des conditions de vie relativement homogènes. Les inventaires après décès et les évaluations de patrimoine vont eux aussi dans ce sens. Si les laboureurs sont dix fois plus riches en mobilier que les journaliers, c’est avant tout à cause de leur capital d’exploitation (le cheptel avant tout, secondairement le matériel de transport) et de leurs réserves (grains, chanvre, bois). Les équipements domestiques (cuisine, chambre) sont relativement proches, même si la qualité des objets et des matériaux les distingue bien souvent. La dégradation du rapport de force économique subi par les journaliers dans le courant du xviiie siècle n’est en effet nullement incompatible avec le maintien et même la légère amélioration des conditions de vie.

Conclusion

43Ce panorama global de la société rurale du Haut-Maine et de ses clivages laisse dans l’ombre, faute de sources, le xviie siècle. Si la complexité de la société rurale semble s’accroître à partir de la seconde moitié du xviiie siècle, ses structures n’étaient sans doute pas fondamentalement différentes aux siècles précédents. La part des travailleurs sans terre était sûrement moindre et la circulation marchande moins intense, avec un peu moins de marchands et d’artisans spécialisés. Par contre, la structure hiérarchisée des exploitations (métairies, bordages) est solidement installée depuis au moins le xve siècle. Ces clivages, opposant propriétaires et locataires, exploitants grands et moyens, journaliers et domestiques, artisans et marchands s’inscrivent très certainement dans une histoire longue des campagnes de l’Ouest.

44Pour les citadins et administrateurs, les paysans sont les gens du pays. Vue de l’extérieur, la société rurale paraît volontiers indifférenciée, marquée par le travail de la terre, une vie fragile mais saine (cf. les tableaux des frères Le Nain), soumise au contrôle bienveillant du seigneur et du curé. Certes, la société rurale paraît relativement soudée, autour de structures religieuses (paroisse), sociales (seigneurie) politiques (communauté d’habitants) et psychologiques (attachement à la terre et aux lieux). Pourtant, il ne faut jamais ignorer ces clivages qui traversent les sociétés rurales, et les intégrer dans la lecture des mouvements collectifs. Paul Bois, si attentif à la différenciation sociale de la société rurale au xviiie siècle, a, selon nous, largement négligé ces clivages en considérant la société rurale comme un bloc à partir de la Révolution.

  • 53 AD 72, B 1429, présidial du Mans, dossiers de procédures criminelles, 1789.

45Ainsi, une lecture sociale de l’assassinat des nobles Cureau et Montesson (un beau-père anobli et son gendre de vieille famille) à Ballon le 23 juillet 1789 s’avère riche d’enseignements53. Ce jour-là, plus de 3 000 personnes sont rassemblées dans le bourg de Ballon, afin d’organiser la défense contre les « brigands », suite aux rumeurs ayant circulé les jours précédents à Mamers et au Mans. Charles-Dominique Cureau et Balthazar-Michel de Montesson, intégrés de force dans les cortèges villageois au lever du jour, sont suspectés d’un manque de solidarité, contrairement à d’autres nobles ayant accompagné les contingents villageois, puis exécutés et décapités par la « foule » des ruraux. Le premier était réputé avoir provoqué la faillite de plusieurs marchands de la région, alors que le second faisait figure, avec la marquise de Sourches, qui n’était pas chez elle, de rentier inflexible. Un examen des témoignages permet d’identifier la composition sociale de cette « foule » et les attitudes de 214 personnes (tableau 1). Parmi les 51 « défenseurs » de Cureau et Montesson, qui ont soit cherché à les protéger, soit ouvertement désavoué les actes, on trouve des nobles, des bourgeois, une partie des marchands et artisans. Une vaste « plaine » des « neutres » comprend les bordagers, laboureurs, aubergistes et cabaretiers ainsi qu’une autre partie des artisans et marchands. Quant au noyau des agresseurs ou personnes ayant manifesté une nette adhésion, il est composé de domestiques et de journaliers, soutenus par une minorité de bordagers, de laboureurs et d’artisans.

  • 54 Ibid., n.f, interrogatoire, 26 août 1789.

46Au-delà des irréductibles engagements individuels, nous retrouvons ici de manière nette les clivages de la société rurale. Ces inégalités sociales, que nous avons mesurées statistiquement, généraient de fortes tensions et même des haines. Une partie du « peuple » a dénoncé toute la matinée les « affameurs du peuple ». Peu après l’assassinat, Pierre Valienne, chirurgien de Ballon, se rend dans une auberge et dit à son ami notaire et avocat, François Jean Manguin, « que le peuple attendoit la justice »54.

Tableau 1.

Tableau 1.

Attitude de 214 individus présents à Ballon le 23 juillet 1789, lors de l’assassinat des deux nobles, Cureau et Montesson, d’après les témoins (en couleur, le groupe majoritaire)

  • 55 « Les victimes de l’insurrection du 12 septembre 1793 dans le canton de Brûlon », La Révolution dan (...)
  • 56 P. Bois, Paysans de l'Ouest, op. cit., p. 304.

47À l’inverse, l’engagement dans la chouannerie – née, rappelons-le, dans la Mayenne au printemps 1793, parallèlement à l’explosion de la Vendée –, dont l’histoire reste à mener dans la Sarthe pour dépasser les généralisations de Paul Bois, implique davantage les laboureurs et bordagers, touchés par les diverses levées de soldats, les occupations de troupes, particulièrement éprouvés par le Maximum des prix et les réquisitions de grains et de bétail. Lors du soulèvement de Brûlon en septembre 1793, accompagnant le passage des Vendéens dans la Mayenne toute proche, les cultivateurs représentent 53 % des 135 victimes socialement identifiés (sur 236) de la répression républicaine, contre 14 % pour les artisans, 19 % pour les travailleurs du textile et seulement 5 % pour les journaliers, les notables étant presque absents55. Tout en admettant la diversité de la société rurale, Paul Bois concluait que « les oppositions de classes qui ont pu exister ailleurs entre paysans riches et paysans pauvres ne semblent pas avoir eu d’importance ici »56. Cette affirmation paraît désormais devoir être dépassée.

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Notes

1 Pierre Goubert, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contributions à l'histoire sociale de la France au xviie siècle, Paris, SEVPEN, 1960.

2 Paul Bois, Paysans de l'Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l'époque révolutionnaire dans la Sarthe, Le Mans, Vilaire, 1960 ; nous utilisons dans ce texte la version abrégée, publiée en 1971 (Paris, Flammarion). Il faut néanmoins citer l’ouvrage collectif Gens de l’Ouest. Contribution à l’histoire des cultures provinciales (Le Mans, Université du Maine, 2001), qui apporte des éclairages nouveaux par rapport à Paul Bois, surtout pour les élites nobiliaires et bourgeoises.

3 Pour Paul Bois qui propose une vaste analyse de géographie électorale pour appuyer sa thèse, cette opposition traverse les xixe et xxe siècles. Cette analyse n’a pas été retenue par la géographe Jeanne Dufour, dans sa grande thèse sur les campagnes de la Sarthe (Jeanne Dufour, Agriculture et agriculteurs dans les campagnes mancelles, thèse de doctorat, géographie, Université du Mans, 1981).

4 Étudiant les sociétés politiques de l’Ouest durant la Révolution, Christine Peyrard a montré qu’il n’y avait pas d’opposition entre l’est et l’ouest du département. La partie ouest, perçue par Paul Bois comme refermée sur elle-même et conservatrice, a eu ses clubs politiques en 1790-1794, y compris dans des zones touchées par la chouannerie à partir de 1793 (Christine Peyrard, Jacobins de l’Ouest, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, p. 140). De même, Jeanne Dufour montre que la Sarthe a été une marqueterie de petits territoires plus ou moins typés (J. Dufour, Agriculture et agriculteurs dans les campagnes mancelles, op. cit., p. 121-122).

5 Les études sont nombreuses. Pour une mise en perspective de la stratification sociale dans l’Ouest, voir Jean-Pierre Jessenne, « La recomposition des différenciations sociales dans la France rurale du Nord-Ouest par-delà la Révolution », dans Annie Antoine (dir.), Campagnes de l’Ouest. Stratigraphie et relations sociales dans l'histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999, p. 21-44. Pour les études régionales, voir : Louis Merle, La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine, de la fin du Moyen Âge à la Révolution, Paris, SEVPEN, 1958 ; Annie Antoine, Fiefs et villages du Bas-Maine au xviiie siècle, Mayenne, 1994. Sur la Bretagne, on peut se reporter à Tim J. A. Le Goff, Vannes et sa région. Ville et campagne dans la France du xviiie siècle, Loudéac, Salmon, 1989 ; Jacques Péret, Les paysans de Gâtine au xviie siècle, La Crèche, Geste Editions, 1998.

6 Pierre Goubert, « Sociétés rurales françaises du xviiie siècle. Vingt paysanneries. Quelques problèmes », dans Conjoncture économique, structures sociales. Hommage à Ernest Labrousse, Paris/La Haye, Mouton, 1974, p. 375-387.

7 Archives départementales de la Sarthe [désormais AD 72], 6 M 475-485.

8 François Dornic, L’industrie textile dans le Maine et ses débouchés internationaux (1650-1815), Le Mans, Pierre Belon, 1955.

9 Il convient de se référer à l’ouvrage de Jean-Marc Moriceau, Terres mouvantes. Les campagnes françaises du féodalisme à la mondialisation, xiie-xixe siècle, Paris, Fayard, 2002.

10 AD 72, C 11-17, recensements généraux des biens fonds, 1768-1784.

11 Sylvie Lemercier, Les rapports des hommes à la terre dans la baronnie de Tuffé (xviie-xviiie siècles), mémoire de maîtrise, histoire moderne, Université du Mans, 1997 ; Danielle Grégoire, Contribution à l’histoire du revenu agricole : dîme et rente foncière dans le Haut-Maine au xviiie siècle, thèse de doctorat, histoire moderne, Université du Mans, 1982, 2 vol. ; Benoît Musset, « Les laboureurs du Haut-Maine : des entrepreneurs de polyculture au xviiie siècle », dans Philippe Madeline et Sylvain Skora (dir.), Les Campagnes dans l’histoire. Mélanges offerts à Jean-Marc Moriceau, Caen, Presses universitaires de Caen, 2023, t. 1, p. 451-460.

12 Voir Annie Antoine, « L’élevage en France, xviie-xviiie siècles », dans La terre et les paysans. Productions et exploitations agricoles aux xviie et xviiie siècles en France et en Angleterre, numéro de : Bulletin de l’Association des historiens modernistes des universités, 24 (1999), p. 7-60 ; voir aussi Bernard Garnier, « Des bœufs pour Paris. Commercialisation et élevage en Basse-Normandie (1700-1900) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 106-1 (1999), p. 101-120.

13 A. Antoine, Fiefs et villages, op. cit., p. 323-339.

14 L’échantillon n’est pas négligeable : il couvre 35 000 hectares pour un montant des loyers évalué dans les rôles à 318 000 livres (AD 72, C 11-19).

15 AD 72, C 13, recensement général de tous les biens fonds, Lavaré, 1775. À partir de travaux publiés par Charles Girault sur la vente des biens nationaux, Paul Bois a estimé la propriété du clergé à 10-11 % du département (P. Bois, Paysans de l'Ouest, op. cit., p. 335).

16 Ibid. ; AD 72, C 11. Le Luart, qui constitue le cœur de ses propriétés, n’a pas laissé de rôle de taille tarifée. Dans les années 1830, le marquis du Luart possédait 4 500 hectares de terres (J. Dufour, Agriculture et agriculteurs dans les campagnes mancelles, op. cit., p. 275).

17 AD 72, C 15, recensement général de tous les biens fonds, Saint-Mars-d’Outillé, 1769.

18 AD 72, C 11, recensement général de tous les biens fonds, Sainte-Cérotte, 1771. On ne lui connaît aucune autre propriété dans les villages voisins.

19 Laurent Bourquin et Jean-Marie Constant, « Les fortes densités nobiliaires de l’Ouest », dans Gens de l’Ouest…, op. cit., p. 179-197.

20 C’est peut-être un peu plus ; il n’a pas toujours été possible d’identifier tous les propriétaires.

21 AD 72, C 11, recensement général de tous les biens fonds, Sainte-Cérotte, 1771.

22 Selon nos calculs, dans les 27 villages de l’est de la Sarthe, les loyers représentent un flux de 247 000 livres par an dans les années 1770, contre 230 000 livres pour les impositions (impôts indirects compris, sauf les aides) et 45 000 livres pour la dîme, soit plus de 500 000 livres à compenser.

23 Benoît Musset, « L’auberge et le cabaret comme forum marchand (Haut-Maine, xviiie siècle) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 127/4 (2020), p. 125-151.

24 Les inventaires après décès montrent que les ruraux font, pour la plupart, leur propre pain. Ils sont équipés de maies et leurs dettes ne comportent presque jamais de mention de pain, contrairement aux artisans et aux notables (curés, seigneurs).

25 Rôles de taille et listes nominatives : AD 72, C 58 et 2 Mi 124 3, Saint-Vincent-du-Lorouer ; AD 72, C 76 et 2 Mi 289 125, Nogent-le-Bernard ;  AD72, C 23 et 2 Mi 289 91, Challes ; AD 72, C 26 et 2 Mi 289 96, Courdemanche ; AD 72, C 46 et 2 Mi 289 127, Parigné-l’Evêque ; AD 72, C 51 et 2 Mi 289 134, Ruillé-sur-le-Loir ; AD 72, C 34 et 2 Mi 289 144, Saint-Jean-des-Echelles ; AD 72, C 40 et 2 Mi 289 146, Saint-Mars-de-Locquenay ; AD 72, C 54 et 2 Mi 289 149, Surfonds ; AD 72, C 38 et 2 Mi 289 105, Luceau.

26 Plus généralement, les campagnes du Haut-Maine ont gagné environ un tiers d’habitants en plus durant cette période.

27 P. Bois, Paysans de l'Ouest, op. cit., p. 330.

28 La notion de prolétarisation des campagnes au xviiie siècle est controversée et beaucoup d’historiens la contestent. Nous l’utilisons tout de même de façon plus descriptive que dogmatique.

29 AD 72, 2 C 1448, 2 C 1670-1671, 2 C 2282, 2 C 3084, 2 C 3229, 2 C 3677, 2 C 3745, 2 C 3823, 2 C 3853.

30 Michel Vovelle a été le principal utilisateur de ces données dans son étude sur Chartres au xviiie siècle, soulignant l’intérêt et les limites de la source. Contrairement à nous, il a utilisé des tranches de patrimoines (moins de 500 livres, de 500 à 1 000 livres, de 1 000 à 2 000 livres, etc.), mais il constate les mêmes évolutions, c’est-à-dire l’accroissement considérable des plus grosses successions. Les plus de 10 000 livres sont passés de 25 % du patrimoine total (1710-1719) à plus de 50 % (1780-1789), surtout au détriment de la classe des 2 000-5 000 livres. Michel Vovelle, Ville et campagne au xviiie siècle. Chartes et la Beauce, Paris, Éd. Sociales, 1988, p. 47-62.

31 Ce hasard semble tout de même relativement limité. Une comparaison entre l’ensemble des successions et les successions collatérales des années 1800-1814 révèle des données presque identiques.

32 Cette trajectoire rejoint les tendances mises en valeur pour d’autres régions européennes. Voir Jan Luiten Van Zanden, « Tracing the beginning of the Kuznets curve : western Europe during the early modem period », Economic History Review, xlviii-4 (1995), p. 643-664 ; Guido Alfani, « Wealth inequalities and population dynamics in early modern North Italy », The Journal of Interdisciplinary History, 40-4 (2010), p. 513-549; Wouter Ryckbosch, « Economic inequality and growth before the industrial revolution: the case of the Low Countries (fourteenth to nineteenth centuries) », European Review of Economic History, 20 (2015), p. 1-22. Voir encore la synthèse de Guido Alfani, As Gods Among Men. A History of the Rich in the West, Princeton, Princeton University Press, 2023 et notamment le chapitre 2, où l’auteur met en valeur le renforcement du 1 % le plus riche aux xviie et xviiie siècles.

33 Cette évolution rejoint les tendances générales mises en valeur par Gérard Béaur, Histoire agraire de la France au xviiie siècle. Inerties et changements dans les campagnes françaises de 1715 à 1815, Paris, SEDES, 2000, chapitre 8 : « Prix, revenus et conjoncture », p. 255-294.

34 Pour les loyers de l’Hôpital Général du Mans : AD 72, HG 479 et 606. Les prix du froment sont tirés de Michel Gautier, Mercuriales des grains de la Sarthe xviie, xviiie et xixe siècles, Paris, chez l’auteur, 2010.

35 AD 72, HG 254-260.

36 Pour une mise au point sur le système fiscal et son impact sur les campagnes, voir G. Béaur, Histoire agraire de la France …, op. cit., p. 247-249.

37 En 2008, l’historien néerlandais Jan de Vries a affirmé, dans The Industrious Revolution, Consumer Behavior and the Household Economy, 1650 to the Present (Cambridge, Cambridge University Press) que les catégories populaires européennes (plus précisément les Néerlandais, les Flamands et les Britanniques) avaient travaillé plus pour gagner plus et surtout dépenser plus. Selon lui, le désir de consommer aurait été le moteur d’une intensification du travail et d’une hausse du niveau de vie. En 2017, Gérard Béaur, avec une équipe d’historiens européens, a contesté cette assertion, montrant que cette intensification du travail avait été subie, répondant à une dégradation de la conjoncture. Néanmoins, dans l’ensemble, les populations modestes ont vu leur niveau de vie augmenter. Gérard Béaur, « La révolution industrieuse introuvable », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 64-4 (2017), p. 7-24.

38 AD 72, série 3 Q, bureaux de Bonnétable (3 Q 1418-1420), Beaumont-sur-Sarthe (3 Q 726-728), La Flèche (3 Q 18-20) et Saint-Calais (3 Q 18857-18859). La numérisation des archives a rendu possible ce travail. Ces bureaux ont été choisis afin de constituer un échantillon ayant une représentativité géographique la plus complète possible, avec l’est (Saint-Calais), le nord (Bonnétable et Beaumont) et le sud-ouest (La Flèche) de la Sarthe.

39 Rappelons que les historiens ont estimé qu’environ un tiers des biens a été acquis par des ruraux. Pour la vente des biens nationaux, voir Bernard Bodinier et Éric Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution. La vente des biens nationaux (1789-1867), Paris, CTHS, 2000. On peut se reporter également à G. Béaur, Histoire agraire de la France …, op. cit., p. 31-34.

40 Nous avons reporté les médianes (préférées aux moyennes) correspondantes aux différents statuts sociaux sur l’axe des successions, afin de mieux visualiser la position et les écarts sociaux.

41 À Chartres dans les années 1800, un journalier des environs de la ville laisse en moyenne 45 F et les vignerons 336 F ; la moitié des artisans laisse moins de 1 000 F. Ces niveaux sont assez comparables à ceux des campagnes du Haut-Maine (M. Vovelle, Ville et campagne au xviiie siècle…, op. cit., p. 78).

42 AD 72, 4 E 50 595-620 (1780-1789) et 659-691 (1800-1810), étude de Thomas-Antoine Tironneau.

43 AD 72, 4 E 50 618, n.f, inventaire après décès, 6 décembre 1786.

44 AD 72, 4 E 50 610, n.f, inventaire après décès, 25 octobre 1784.

45 AD 72, 4 E 50 684, n.f, inventaire après décès, 8 juillet 1808.

46 Sur les liens entre fermier et propriétaire et les mécanismes de dépendance financière, voir A. Antoine, Fiefs et villages…, op. cit., chapitre 9 : « L’hommage et la mesurée », p. 417-452.

47 Pour les laboureurs en pays de grande culture, on peut se reporter à Jean-Marc Moriceau, Les fermiers d’Ile-de-France. L'ascension d'un patronat agricole (xve-xviiie siècle), Paris, Fayard, 1994 ; voir aussi Jean-Pierre Jessenne, Le pouvoir au village. L’hégémonie des fermiers en Artois. 1770-1848, Lille, Presses universitaires de Lille, 1981. Pour saisir la vie d’un métayer dans l’orbite de son propriétaire : A. Antoine, Fiefs et villages…, op. cit., en particulier le chapitre 8 : « La gestion des biens ruraux », p. 349-415.

48 Ces données sont tirées, comme les loyers, des registres de l’Hôpital général, ainsi que de l’abbaye de Beaulieu au Mans (AD 72, H 420 et 421).

49 Nous avons réalisé des relevés sur deux communes de l’est de la Sarthe, Cogners et Montaillé, pour lesquelles nous disposons aussi des données fiscales pour l’Ancien Régime ; AD 72, Cogners, 35 AC 53, contribution personnelle et mobilière, an III-1817 ; AD 72, Cognes, 35 AC 56, contribution foncière, 1791-1817 ; AD 72, Montaillé, 34 AC 36, contribution personnelle et mobilière, an V-1817 ; AD 72, Montaillé, 34 AC 37, contribution foncière, 1790-1817. Les rôles des contributions des années 1790-1810 sont encore plus mal conservés que ceux de l’Ancien Régime.

50 AD 72, C 22, rôles de taille de 1730 à 1789 (manquent les années 1732 et 1753).

51 Pour la Gâtine poitevine, Jacques Péret a noté une forte confusion dans les dénominations, entre bordiers et journaliers, dont les conditions sont souvent proches. L’écart est plus net avec les laboureurs. J. Péret, Les paysans de Gâtine, op. cit., p. 121-169.

52 AD 72, 2 Mi 289/94, Cogners, liste nominative, 1793.

53 AD 72, B 1429, présidial du Mans, dossiers de procédures criminelles, 1789.

54 Ibid., n.f, interrogatoire, 26 août 1789.

55 « Les victimes de l’insurrection du 12 septembre 1793 dans le canton de Brûlon », La Révolution dans le Maine, 2 (1926), p. 143-151. Cette présence importante des travailleurs du textile contredit largement la thèse de Paul Bois, selon laquelle ils étaient presque absents de l’ouest de la Sarthe. Il en faisait l’avant-garde de l’esprit urbain qui s’était, selon lui, répandu dans l’est du Haut-Maine, mais qui avait préservé l’ouest. Christine Peyrard a déjà contesté cette opposition entre l’est et l’ouest (C. Peyrard, Jacobins de l’Ouest, op. cit., p. 132).

56 P. Bois, Paysans de l'Ouest, op. cit., p. 304.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 :
Légende Statuts professionnels et sociaux dans 54 villages de l’est du Haut-Maine (1729-1730)
URL http://journals.openedition.org/bahmuf/docannexe/image/1402/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 132k
Titre Fig. 2 :
Légende Statut des propriétaires dans 27 villages de l’est de la Sarthe
URL http://journals.openedition.org/bahmuf/docannexe/image/1402/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
Titre Fig. 3 :
Légende Répartition par décile des successions immobilières enregistrées dans le Contrôle des actes (1720-1789)
URL http://journals.openedition.org/bahmuf/docannexe/image/1402/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 144k
Titre Fig. 4 :
Légende Les loyers de l’Hôpital général du Mans et le prix des grains, 1755-1820 (indice 100 en 1755)
URL http://journals.openedition.org/bahmuf/docannexe/image/1402/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 100k
Titre Fig. 5 :
Légende Le patrimoine des ruraux dans 4 bureaux de l’Enregistrement, 1800-1814 (Bonnétable, Beaumont-sur-Sarthe, La Flèche, Saint-Calais)
URL http://journals.openedition.org/bahmuf/docannexe/image/1402/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 84k
Titre Fig. 6 :
Légende Statuts (médiane) et patrimoines (jusqu’à 30 000 F) des ruraux dans 4 bureaux de l’Enregistrement (Beaumont, Bonnétable, Saint-Calais, La Flèche), 1799-1814 (2 281 successions)40
URL http://journals.openedition.org/bahmuf/docannexe/image/1402/img-6.jpg
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Titre Tableau 1.
Légende Attitude de 214 individus présents à Ballon le 23 juillet 1789, lors de l’assassinat des deux nobles, Cureau et Montesson, d’après les témoins (en couleur, le groupe majoritaire)
URL http://journals.openedition.org/bahmuf/docannexe/image/1402/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 51k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Benoît Musset, « La stratification sociale des campagnes de l’Ouest : le cas du Haut-Maine / de la Sarthe, 1720-1815 »Bulletin de l’Association des historiens modernistes des universités françaises [En ligne], 46 | 2025, mis en ligne le 28 janvier 2025, consulté le 13 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/bahmuf/1402 ; DOI : https://doi.org/10.4000/136k6

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Auteur

Benoît Musset

Benoît Musset est maître de conférences en histoire moderne à Le Mans Université et membre de TEMOS (UMR-9016). Il a travaillé sur le vignoble de Champagne (1650-1830) et l’étude comparée des vignobles à l’époque moderne. Il travaille actuellement sur les campagnes du Haut-Maine au xviiie siècle, principalement sur les marchands ruraux et sur la sociologie économique des échanges marchands : institutions, marchés, interrelations, solidarités et concurrence.

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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