La sériciculture, un révélateur des jeux de pouvoir dans les sociétés rurales françaises au xviiie siècle
Résumés
Cet article explore le rôle de la sériciculture comme révélateur des jeux de pouvoir dans les sociétés rurales françaises au xviiie siècle. Il examine comment, dans les régions séricicoles, le développement de la culture du mûrier et de l’élevage des vers à soie a modifié les rapports de force et de domination, notamment entre grands propriétaires et petits exploitants, entre hommes et femmes, ou encore entre seigneurs et communautés. Dans les territoires où l’État royal cherche à implanter la sériciculture ex nihilo, l’analyse met en lumière les tensions liées aux efforts – souvent confrontés à des résistances locales – de l’administration royale pour gouverner les campagnes.
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- 1 Archives nationales [désormais AN], F 12 736, « journal des opérations du sieur Rodier », 1754.
Mes projets à l’avantage des nouveaux établissements en soye du Haut Languedoc n’ayant point déplu à nos seigneurs de Lavaur et de Castres, j’ai lieu d’espérer d’en être secondé. J’ai fait mes représentations aux principaux des lieux sur le défaut de la culture de leurs meuriers. Je leur ai lu ensuite un mémoire instructif sur tout ce qui a rapport à cet objet, à l’éducation des vers à soye et aux motifs de leurs facheuses maladies. Ils m’en ont demandé des exemplaires, mais je me suis au préalable adoné à des faits. Le commissionnaire à la filature de Castres m’ayant conduit à sa campagne, j’y ai trouvé 300 meuriers qui, plantés depuis cinq ans dans un bon fond, n’avoient pas acquis plus de deux pouces de grosseur, tandis qu’ils auroient été à cet âge en état d’être plantés en plein champs s’ils eussent été cultivés1.
- 2 Jean-Baptiste Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique. Une histoire de la culture du mûrier en (...)
1Ainsi débute le « journal des opérations » dans le Haut-Languedoc tenu par l’élève-inspecteur des manufactures Jean-Baptiste Rodier, à l’hiver 1754. Suit une description de sa tournée dans le diocèse de Castres : de village en village il cherche les mûriers, les compte, explique à leurs propriétaires comment faire plus et mieux, joignant toujours à l’en croire la démonstration pratique aux exposés théoriques. L’élève-inspecteur est un des agents envoyés sur le terrain par une administration du commerce qui multiplie les efforts pour développer la production de soie en France, dans un contexte de difficultés d’approvisionnement en matière première pour les filatures. À partir du milieu du xviiie siècle surtout, le pouvoir royal cherche à développer la culture du mûrier et l’élevage des vers à soie (qui ne mangent que la feuille de cet arbre). Cet objectif concerne les régions où la sériciculture constitue une activité productive importante depuis le milieu du xvie siècle (Bas-Languedoc, Basse-Provence, Bas-Dauphiné), mais aussi celles où elle est encore rare, voire inconnue, et où il s’agit donc de l’implanter ex nihilo. Dans les deux cas il s’agit d’un défi de taille, à l’épreuve duquel s’exerce le pouvoir de l’administration du commerce sur les sociétés rurales2.
2La diversité des acteurs sur lesquels Jean-Baptiste Rodier s’appuie pour mener à bien sa mission dans le Haut-Languedoc montre que les mesures prises pour réaliser cet objectif impliquent la collaboration de différents types et échelons de pouvoirs. L’élève-inspecteur a d’abord échangé avec les évêques pour obtenir un soutien particulier des curés dans sa mission. Une fois sur le terrain, dans les villages, il s’adresse aux « principaux des lieux » : non seulement les curés, mais aussi les consuls, les seigneurs et les plus grands propriétaires fonciers. Il est par ailleurs guidé par le commissionnaire de la filature de Castres, ce qui montre qu’il peut compter sur le concours des acteurs locaux de l’industrie de la soie. Enfin, le rapport détaillé de sa tournée est envoyé à l’intendant de Languedoc mais aussi et surtout à Daniel Trudaine, qui à Paris dirige le bureau du commerce dont dépend l’inspection des manufactures.
3Cet exemple montre que la diffusion de la sériciculture constitue une volonté politico-économique au service de laquelle de nouvelles méthodes et outils destinés à gouverner l’activité productive des sociétés rurales sont susceptibles d’être conçus et mis à l’épreuve. Par ailleurs, il laisse entr’apercevoir des rapports de force intrinsèques à la sériciculture. En mentionnant les 300 mûriers possédés par le commissionnaire de la filature de Castres dans « sa campagne », le texte de Rodier laisse à penser que les grands propriétaires fonciers ont pu investir dans la production de feuilles. Mais il laisse en suspens la question de leur mise en valeur : celle-ci était-elle directement prise en charge par le propriétaire des arbres, ou ceux-ci vendaient-ils leur précieux fourrage aux éleveurs de vers à soie qui en avaient besoin ? Cette question relative à la division du travail séricicole et aux rapports de pouvoir susceptibles de s’y nouer en amène une autre : le progrès d’une activité aussi spécialisée et lucrative que la sériciculture n’était-il pas susceptible de bouleverser l’équilibre des forces entre les groupes sociaux concernés ?
4Pour montrer comment la culture du mûrier et l’élevage des vers à soie constituent un efficace révélateur des jeux de pouvoir au sein des sociétés rurales françaises du xviiie siècle, il est d’abord nécessaire de comprendre comment le développement de cette activité s’insère dans la configuration des rapports de force à l’échelle locale. Ensuite seulement, en se demandant comment l’administration du commerce s’y prend pour diffuser la sériciculture dans tout le royaume, il sera possible de voir comment le pouvoir de l’État royal sur les sociétés rurales s’accroît à tâtons, se cherchant des alliés et rencontrant son lot de résistances.
Mûriers, vers à soie et pouvoirs dans les campagnes séricicoles
5Il s’agira d’abord ici de caractériser les rapports de domination qui se nouent dans l’organisation du travail séricicole, puis de montrer que le succès de la sériciculture met en jeu et redessine les jeux de pouvoir à l’échelle locale.
Rapports de domination dans l’organisation du travail séricicole
6À travers ses différentes phases, le processus de production séricicole repose principalement sur trois formes de domination qui caractérisent les sociétés rurales dans lesquelles il prend place, et qu’il contribue à modifier : celle des gros propriétaires fonciers sur les petits, celle des hommes sur les femmes, celle de la ville et de ses marchands et manufacturiers sur les campagnes.
La sériciculture renforce la domination des propriétaires fonciers
- 3 Archives départementales de l’Hérault [désormais AD 34], C 9989, état des vérifications du vingtièm (...)
7Si l’on s’intéresse au marché du fourrage nécessaire à l’élevage des vers à soie, c’est-à-dire des feuilles de mûriers, on voit que la sériciculture tend à accroître la dépendance des plus pauvres vis-à-vis des principaux propriétaires de la terre. Certes, dans les régions séricicoles comme les Cévennes, l’immense majorité des propriétaires de fonds, petits et grands, possède des mûriers pour nourrir des vers à soie. Cela n’est guère surprenant, car il s’agit d’une culture dont les profits sont très importants. Au Vigan (département actuel du Gard) par exemple, le tarif du vingtième des biens ruraux établi en 1753 estime à 3 livres tournoi (l.t.) le revenu annuel généré par un mûrier de première qualité, alors que celui d’une sétérée de terre labourable est estimé à 12 l.t. : 4 bons mûriers rapporteraient donc à peu près autant à leur propriétaire que 19 ares de bonnes terres à blés. On comprend alors aisément pourquoi 83 % des propriétaires de cette petite ville rurale possèdent au moins un mûrier3.
- 4 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique… op. cit., p. 524-536.
8Cependant, tous n’exploitent pas ces arbres de la même manière comme le montrent les 48 ventes de feuilles conclues devant notaire dans la petite ville cévenole de Saint-Jean-du-Gard dans la deuxième moitié du xviiie siècle. Parmi les échangistes impliqués, les paysans sont le plus souvent acheteurs et acquièrent les plus grandes quantités de feuilles, alors que les membres de la noblesse et de la bourgeoisie locale possèdent l’essentiel du fourrage mis sur le marché. Une division sociale du travail séricicole apparaît ici. Les paysans élèvent davantage de vers à soie qu’ils ne peuvent en nourrir avec les quelques mûriers qu’ils possèdent, parce que la vente des cocons constitue pour eux un revenu complémentaire appréciable, voire indispensable. Ils ont donc besoin d’acheter du fourrage, et les rentiers de la terre répondent à cette demande en formant d’importantes plantations de rapport destinées à la vente des feuilles4.
- 5 Ibid., p. 521-525.
- 6 Archives départementales du Gard [désormais AD 30], 2 E 58 534, fol. 132v, 3 juillet 1749.
9Cette situation tend logiquement à accroître la dépendance des premiers à l’égard des seconds, ce qui peut également être observé dans les baux qui unissent les propriétaires de terres complantées de mûriers et leurs fermiers. Toujours à Saint-Jean-du-Gard, ces contrats d’exploitation révèlent une complexification des exigences des propriétaires quant à l’entretien des mûriers plantés sur leurs terres. Les clauses techniques se font à la fois plus nombreuses et plus précises : absentes des baux contractés en 1729, elles sont présentes dans 40 % de ceux conclus en 17785. Ainsi, en 1749, l’ancien lieutenant de dragons Julien de Lacoste impose à son fermier de laisser tous les deux ans en jachère ses champs complantés de mûriers, et de bien labourer au pied de ces arbres, dont il se réserve par ailleurs toute la feuille6. Les cas comme celui-ci, où les mûriers font l’objet d’une clause spécifique qui exclut du bail la récolte des feuilles pour en réserver la jouissance aux propriétaires, sont fréquents. Tous les soins qui sont exigés des fermiers pour entretenir les arbres ne s’apparentent-ils pas alors à du travail gratuit ? Ils témoignent en tout cas d’une superposition entre marché de la terre et marché du travail à travers les contrats d’exploitation, qui tourne à l’avantage des propriétaires.
« L’éducation » des vers à soie et la domination masculine
- 7 Françoise Clavairolle, Le magnan et l’arbre d’or. Regards anthropologiques, Paris, Éditions de la M (...)
10La culture des mûriers et la cueillette de leurs feuilles, auxquelles correspondent des tâches principalement confiées aux hommes, ne constituent qu’une première étape du processus de production séricicole, complètement subordonnée à l’élevage des vers à soie proprement dit, qui est quant à lui essentiellement confié aux femmes. Fortement associé dans l’imaginaire à la maternité, pratiqué souvent au sein même des maisons dans le cadre de la pluriactivité paysanne, l’élevage des vers à soie est couramment qualifié « d’éducation ». La division genrée du travail qui en fait une affaire de femmes, calquée sur l’organisation plus générale des ménages ruraux, tend à leur réserver les activités domestiques. Si celle-ci est ancrée dans un modèle patriarcal de domination masculine, elle n’en confère pas moins aux femmes un rôle fortement valorisé au sein de la famille et de la communauté rurale, assorti d’un pouvoir réel sur les opérations qu’elles dirigent7.
- 8 Ibid., p. 246.
- 9 Constance Paris, Les États de Bourgogne et la question agricole dans la seconde moitié du xviiie si (...)
11Aux xviiie et xixe siècles, dans les ménages cévenols qui comptent sur la récolte des cocons, « c’est la femme qui assure dans la continuité l’élevage des vers à soie alors que l’homme n’a qu’un rôle secondaire de main-d’œuvre, sollicitée en fonction des besoins »8. De l’incubation printanière de leurs œufs (appelés « graines ») dans de petits sachets ou « nouets » conservés entre le corps et l’habit, jusqu’au « déramage » des cocons au début de l’été, « l’éducation » des vers à soie requiert pendant quelques semaines une attention de tous les instants. Les chenilles doivent être quotidiennement nourries de feuilles fraîches et s’avèrent de plus en plus voraces à mesure qu’elles grandissent, passant de mue en mue de leur premier à leur cinquième et dernier « âge ». La litière doit être nettoyée régulièrement pour éviter les maladies, que l’on cherche par ailleurs à prévenir en observant minutieusement chacune des chenilles qui composent la « chambrée ». L’attention ne fait pas tout : dans le détail de leurs gestes, dans la précision de leurs temporalités, tous ces soins quotidiens sont guidés par un ensemble complexe de savoirs techniques dont les femmes sont les principales détentrices, et qui sont d’autant plus valorisés au sein des ménages qu’ils permettent annuellement, avec la vente des cocons, une précieuse rentrée de numéraire. Cette expertise, à plus forte raison quand elle est assortie d’une maîtrise du tirage de la soie, permet une mobilité géographique et sans doute sociale à nombre de Languedociennes dans la seconde moitié du xviiie siècle, à la faveur de l’intérêt porté au développement séricicole par les pouvoirs politiques. Marie Laville, par exemple, est employée par les États de Bourgogne au milieu des années 1770 pour mener l’élevage des vers à soie et le tirage des cocons au sein de la pépinière de mûriers blancs financée par la province, et au sein de laquelle elle dirige chaque année une ou plusieurs élèves9.
- 10 Michèle Perrot, Arlette Farge, Cécile Dauphin et al., « Culture et pouvoir des femmes : essai d’his (...)
- 11 Voir notamment AD 30, 2 E 58 549, vente de feuilles de mûrier par le marchand Pierre Cessenat aux m (...)
- 12 Jean-Baptiste Vérot, « Savoir faire et pouvoir dire. Pierre-Augustin Boissier de Sauvages et la réd (...)
12La division genrée du travail séricicole dans les sociétés rurales concernées semble donc contribuer à « l’inflexion du couple domination masculine / oppression féminine » qui a longtemps été « sous-jacent à toute étude sur les rôles sexuels »10. Néanmoins, il convient de souligner qu’à la période qui nous occupe, ce que l’on pourrait appeler le pouvoir séricicole des magnanières demeure fortement limité. S’affirmant surtout dans le cadre domestique des petits élevages menés par des ménages paysans pluriactifs, il est manifestement évincé dans le cadre des grandes magnaneries. Les plus grosses ventes de feuilles conclues à Saint-Jean-du-Gard dans la deuxième moitié du xviiie siècle montrent que ces bâtiments spécialement conçus pour des élevages conséquents sont dirigés par des hommes11, et ce sont bien des « magnaguiers » réputés que le naturaliste Pierre-Augustin Boissier de Sauvages considère comme les meilleures sources pour étudier les techniques séricicoles employées dans les Cévennes12. Par ailleurs, l’élevage et le tirage domestiques, essentiellement féminins, font l’objet à partir du milieu du siècle d’une critique croissante au sein du monde de la marchandise et de la manufacture.
Marchands et manufacturiers cherchent à prendre le contrôle du tirage de la soie
13La dispersion du tirage de la soie des cocons en une myriade de petits ateliers mal équipés est en effet considérée comme une des principales causes de la médiocre qualité des soies françaises, par les marchands et les manufacturiers qui les achètent et les font transformer. Au milieu du xviiie siècle, les tentatives se multiplient pour accroître le contrôle exercé par les acteurs qui dominent l’aval de la filière sur la production de la matière première.
- 13 Cité par Bernard Hillau, « Progrès technique et acteurs du changement dans la soierie lyonnaise au (...)
- 14 Philippe Minard, La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, F (...)
- 15 Line Teisseyre-Sallmann, L’industrie de la soie en Bas-Languedoc, xviie-xviiie siècles, Paris, Édit (...)
14Une des plus célèbres est celle de Jacques Vaucanson, membre de l’Académie royale des sciences, auquel le contrôleur général des finances Philibert Orry confie en 1741 l’inspection générale des manufactures de soie du royaume. Peu après, le célèbre mécanicien se rend dans le Piémont en compagnie du marchand Jean-Claude Montessuy, maître-garde de la Grande Fabrique de Lyon – ville qui est alors de loin le principal centre européen du tissage des soieries. Leur objectif est d’observer les techniques de tirage et de moulinage des soies qui expliquent l’incomparable qualité des fils piémontais. Déplorant la dispersion des tirages du Lyonnais « dans des boutiques, des cours, des écuries, sur des tours mal construits et sans règle »13, Vaucanson propose de les remplacer par cinq à sept manufactures royales de tirage et de moulinage. Équipées de machines conçues par ses soins pour égaler les filatures piémontaises, celles-ci devraient être financées par les principaux marchands-fabricants de Lyon réunis en une même compagnie, qui se retrouverait alors en position de force pour imposer ses normes de fabrication. Ce projet est soutenu par le contrôleur général des finances, mais il fait l’objet d’une forte opposition des maîtres ouvriers de la Fabrique, qui obtiennent son abandon à l’issue d’une grève et d’une émeute en 174414. L’échec incite alors l’administration royale du commerce à favoriser des moyens moins ambitieux pour améliorer la qualité du tirage, comme ceux que proposent les marchands-fabricants nîmois, avides d’obtenir le soutien du pouvoir royal pour accroître leur contrôle sur les soies produites dans l’arrière-pays cévenol. En 1744, leur syndic demande ainsi à l’intendant de Languedoc d’user de son autorité pour diffuser dans les campagnes un tour à tirer la soie récemment inventé par un inspecteur des manufactures. Quelques années plus tard, en 1751, l’intendant ordonne, non sans un certain succès, la diffusion des tours inventés par l’abbé Soumille, dont la nouveauté repose sur une modification simple et peu coûteuse de ceux qui sont ordinairement utilisés en Languedoc15.
- 16 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 213-215.
- 17 Jean-Baptiste Constant-Castellet, L’Art de multiplier la soie, ou traité sur les mûriers blancs, l’ (...)
15Les marchands-fabricants de soieries ne sont pas les seuls acteurs de la filière à vouloir mieux contrôler la production de la matière première dans les campagnes. C’est également le cas des entrepreneurs qui établissent des filatures et des moulinages, de plus en plus nombreux en France à partir de la fin du xviie siècle16. Jean-Baptiste Constant-Castellet, propriétaire d’une importante filature à La Tour-d’Aigues, près d’Aix-en-Provence, propose dans son traité intitulé L’Art de multiplier la soie de bouleverser radicalement l’organisation de la production séricicole pour améliorer la qualité des cocons. Plutôt que de vendre la feuille de leurs arbres à plusieurs sériciculteurs indépendants, il conseille aux propriétaires de mûriers de la mettre eux-mêmes en valeur en dirigeant les élevages. Ce système doit permettre de contrôler étroitement les opérations et donc d’améliorer la qualité des soies transformées ensuite dans les filatures. Pour cela, Constant-Castellet préconise de payer à la journée, tant pour l’entretien des arbres que pour le soin des vers à soie, des familles logées dans de petites maisons-ateliers construites exprès au milieu des plantations encloses17. Cette volonté de reconfigurer en profondeur les rapports sociaux de production qui caractérisent la sériciculture procède de l’idéal d’ingénierie des sociétés rurales nouvellement porté par l’agronomie et l’économie politique : dans les cercles « éclairés », les campagnes sont de plus en plus conçues comme potentiellement malléables au gré des changements que souhaitent leur imposer les pouvoirs politiques et économiques. Le projet de Constant-Castellet ne semble cependant pas connaître de véritables applications. Il apparaît comme une petite utopie capitaliste sans lendemains mais qui témoigne tout de même du fait que les progrès de la sériciculture au xviiie siècle ont été considérés par certains acteurs de la filière comme capables de rebattre les cartes du pouvoir à l’échelle locale.
Mûriers et pouvoirs au village
16La culture du mûrier, à la fois très lucrative et relativement nouvelle, met en jeu et redessine les rapports de pouvoir au village. Dans les régions séricicoles, son succès peut attiser les conflits relatifs aux impôts seigneuriaux et ecclésiastiques. Les communautés d’habitants la défendent et s’en emparent comme d’une source de revenus communautaires. Sa protection et son développement, conçus comme essentiels au maintien de l’industrie de la soie, incitent dès la fin du xviie siècle les pouvoirs provinciaux et centraux à s’y intéresser.
Des conflits autour des impôts seigneuriaux et ecclésiastiques
- 18 Alain Maureau, « La dîme ecclésiastique dans le diocèse de Carpentras à la fin du xviiie siècle », (...)
- 19 Gouvernement politique et économique, Amsterdam, s. n., 1766, t. 3, p. 190. Sur ce texte à forte te (...)
17D’introduction encore récente aux xviie et xviiie siècles, la culture du mûrier est alors une source de conflits potentiels entre ceux qui la pratiquent et les bénéficiaires des prélèvements en nature qui frappent les récoltes. Bien qu’il soit difficile de le démontrer, il semble hautement probable que sa progression tout au long de la période moderne ait été facilitée par le fait qu’elle ne soit pas soumise à la dîme. Planter des mûriers peut constituer une forme de résistance, en tout cas une stratégie d’évitement de cet impôt ecclésiastique. Les décimateurs, bien sûr, luttent contre ce manque à gagner, en particulier dans le Comtat Venaissin18 et en Languedoc, où le président de la Chambre des comptes de Montpellier, Jean de Serres, déplore qu’ils aient, dans les années 1760, « entrepris de prendre la dîme sur la feuille de mûrier » quoique « l’usage du royaume condamna cette prétention »19.
- 20 Archives départementales de la Drôme [désormais AD 26], E 106, « précis pour Messire Charles-Louis (...)
- 21 AD 26, E 3494, transaction du 11 novembre 1782 entre le comte et les consuls de Suze.
- 22 Sur la « réaction seigneuriale » par laquelle les seigneurs, à partir des années 1730-1740, auraien (...)
18Le problème est le même avec les droits seigneuriaux sur les récoltes, dont les communautés d’habitants tendent à considérer qu’ils ne peuvent peser sur les cultures nouvellement introduites. Prenons l’exemple du procès qui oppose, en 1780, Charles-Louis de La Baume, comte de Suze, aux consuls de la communauté d’habitants de ce petit bourg du Dauphiné. La question du prélèvement de la « tâche » ou « huitain » des mûriers, équivalent du champart en Dauphiné, figure en bonne place dans ce litige. Le « précis » rédigé par l’avocat feudiste engagé par le seigneur pour plaider sa cause devant le parlement de Grenoble nous apprend que le conflit dure en réalité depuis de longues années. En 1761, aux termes d’une première opposition, la communauté a obtenu du seigneur que soient exemptées du huitain les récoltes de safran, de haricots et de maïs, cultures nouvellement introduites. En 1770, c’est le seigneur qui est à l’initiative, et qui fait valoir son droit de percevoir le huitième de la récolte des amandiers, des oliviers et, surtout, des mûriers. À en croire l’avocat du comte, la sériciculture aurait réalisé des progrès considérables à Suze, dont les habitants se seraient mis « de toutes parts [à] planter des meuriers à travers les champs », réduisant la récolte des grains, et donc le bénéfice du huitain, à « rien ou presque rien ». Exagérant sans doute quelque peu l’ampleur du « préjudice » causé au seigneur, le feudiste rappelle également des actes de 1452, de 1623 et de 1691, qui prouvent que la communauté a par le passé consenti à ce que les vignes, les légumes, le foin et le chanvre soient soumis au huitain, en proportions réduites par rapport aux grains20. Ces arguments l’emportent devant le parlement de Grenoble, qui rend en 1780 un arrêt contraignant les habitants de Suze à livrer au seigneur un douzième de la récolte des arbres concernés. Deux ans plus tard, les consuls obtiennent du seigneur sa renonciation à ce droit, et lui cèdent en échange deux forêts communales21. Ce litige illustre de manière assez typique la judiciarisation de la conflictualité entre seigneurs et communautés rurales au xviiie siècle, phénomène qui repose tant sur une forme de « réaction » des premiers que sur la promptitude croissante des secondes à défendre leurs intérêts devant la justice du roi22. Il révèle aussi que dans les régions séricicoles, les communautés accordent alors aux mûriers une grande attention.
Les mûriers et les communautés d’habitants
- 23 AD 26, E 3363, délibérations consulaires de la ville de Pierrelatte, 5 février 1640.
- 24 AD 26, E 3374, délibérations consulaires de la ville de Pierrelatte, 27 décembre 1714.
- 25 AD 26, E 3364 et E 3373, délibérations consulaires de la ville de Pierrelatte, 6 janvier 1647 et 19 (...)
19Dans les régions séricicoles, les conseils politiques des communautés exercent un réel pouvoir local sur la culture du mûrier, très souvent évoquée dans les délibérations consulaires, ce dont Pierrelatte, une petite ville située dans le sud-ouest du Dauphiné, constitue un bon exemple. Les consuls doivent d’abord réglementer la culture du mûrier quand elle se propage de manière gênante. En 1640, ils demandent réparation à plusieurs particuliers qui ont planté des mûriers en bordure de certains chemins communaux au point d’entraver la circulation23. Mais le consulat veille aussi à l’état des plantations, en particulier quand l’année est mauvaise, afin de pouvoir ajuster au mieux l’assiette de la taille entre les habitants. En 1714, il décide ainsi de faire estimer les dommages causés par une terrible gelée aux vignes et au mûriers24. Enfin, les consuls gèrent l’exploitation des mûriers cultivés sur les terres qui appartiennent à la communauté qu’ils dirigent. Dès les années 1640, les fossés de Pierrelatte sont plantés de mûriers dont l’entretien et les revenus sont gérés par les consuls. Ceux-ci organisent annuellement la vente aux enchères des feuilles et décident régulièrement d’accroître le nombre de plants ainsi exploités : en 1707, 500 nouveaux arbres sont ajoutés aux plantations de la communauté25.
- 26 Pour ces deux exemples : AD 30, C 1260 et C 1261, procès-verbaux de vérification de l’état des bien (...)
- 27 Stéphane Durand, « Les budgets des communautés de Languedoc au xviiie siècle », dans Pierre Casado (...)
20Les exemples pourraient être multipliés. En Bas-Languedoc, comme en Bas-Dauphiné, il est très fréquent que les communautés comptent sur les revenus de leurs mûriers, dont le bénéfice et l’usage suscite parfois des tensions entre pouvoirs. Les consuls d’Avéjan par exemple, un petit village du diocèse d’Uzès, déclarent en 1734 que leur communauté n’a d’autre revenu que la vente des feuilles de six vieux mûriers plantés autour du cimetière, et se plaignent du curé qui leur en dispute la jouissance. Ceux de Saint-Laurent-des-Arbres, dans le même diocèse, déclarent utiliser les revenus tirés de l’exploitation des mûriers de la communauté pour s’acquitter de l’abonnement à la dîme ou encore pour rémunérer un garde-terre26. Ils contreviennent en cela aux règlements édictés par les États de Languedoc dès les années 1660, qui imposent que tous les revenus des « biens patrimoniaux » soient intégralement employés en moins-imposé pour les contribuables, en étant inscrits au titre des recettes dans le préambule du rôle des impositions établi à réception du mande de taille27. Ces deux exemples nous sont connus grâce à une enquête de vérification des biens patrimoniaux. Diligenté en 1734 par la nouvelle commission des États sur l’endettement des communautés initialement créée en 1662 et mené grâce au concours des subdélégués, ce travail d’inventaire répond à la volonté royale de mettre sous tutelle les finances des communautés afin de faciliter la ponction fiscale.
L’intérêt des pouvoirs provinciaux et centraux
- 28 On se reportera utilement à Robert Descimon et Alain Guéry, « Un État des temps modernes ? », dans (...)
21C’est notamment parce que la sériciculture apparaît comme un bon moyen de faciliter le paiement de l’impôt royal que les pouvoirs provinciaux et centraux s’y intéressent tôt, et se cherchent des relais dans les villages pour appuyer le développement de la culture du mûrier. Le rôle déterminant des impositions royales pour l’insertion croissante des populations rurales dans les cadres de l’économie monétaire est bien connu28 : payable seulement en espèces, l’impôt du roi contraint les paysans à vendre une partie de leurs récoltes ou de leur force de travail, et les incite à se tourner vers des cultures commerciales comme la vigne ou le mûrier pour se procurer de l’argent.
- 29 Voir par exemple AD 26, E 3927, ordonnance de Bouchu sur l’acquittement des dettes des communautés (...)
- 30 AD 26, E 3927, lettre de l’intendant Bouchu aux consuls d’Estoile, 23 novembre 1687.
- 31 Archives municipales de Livron-sur-Drôme, BB 31, délibérations consulaires, fol. 11v (25 janvier 16 (...)
22Les agents du pouvoir royal en sont parfaitement conscients, et certaines des mesures qu’ils prennent en faveur du développement séricicole sont à comprendre dans ce cadre. L’intendant de la généralité de Grenoble, Étienne Jean Bouchu, est de ceux qui ont entrepris avec zèle la mise sous tutelle des finances communautaires destinée à faciliter le prélèvement de l’impôt29. Dans le prolongement de cette action, en 1687, il adresse aux consuls des communautés de son ressort un imprimé relatif à la culture du mûrier30. Cet « ordre du roy » aux allures de circulaire leur enjoint de prendre les mesures nécessaires pour planter « le plus [de mûriers] que faire se pourra ». L’opération semble avoir contribué à augmenter les plantations réalisées sur les terres des communautés. Les consuls de Livron par exemple, après avoir fait afficher la lettre de l’intendant sur la porte de l’église, décident d’acheter une soixantaine de mûriers « pour les planter à la place du marché et autres endroictz »31.
- 32 AD 34, C 11892, affiche et instructions imprimées sur les mûriers, 1688.
- 33 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 166-169.
23L’année suivante, les États de Languedoc décident d’octroyer aux propriétaires de mûriers une gratification de 5 sols pour chaque pied récemment planté32. Cette mesure, qui repose sur un système déclaratif, requiert le concours des pouvoirs locaux que sont les curés et les consuls. Ceux-ci sont chargés d’effectuer, sur réquisition des déclarants, une double visite des parcelles, avant et après la plantation. À l’issue des vérifications, ils doivent établir, sur le modèle d’un formulaire qui leur est adressé par un des syndics généraux de la province, un certificat que les propriétaires peuvent remettre au receveur particulier des tailles de leur diocèse, pour faire valoir leur droit à la gratification. Les consuls et curés remplissent globalement très bien leur rôle : ils respectent scrupuleusement le formulaire et ajoutent même dans 73 % des cas des détails supplémentaires sur les parcelles visitées. Habitués à jouer un rôle de relais à l’échelle des villages, ils se montrent bien disposés à se muer en agents locaux d’un pouvoir qui cherche à gouverner les champs33.
Le pouvoir royal dans les champs
24Examiner la genèse de la politique de développement séricicole menée au milieu du xviiie siècle par l’État royal révèle que les agents de ce dernier tendent à présumer de leurs forces en matière de gouvernabilité des campagnes. Dans les régions où l’administration cherche à implanter la sériciculture ex nihilo, les distributions de mûriers produits dans des pépinières publiques ne rencontrent aucun succès parmi les cultivateurs.
Administration du commerce et gouvernabilité des campagnes
25Chercher à développer la sériciculture dans tout le royaume révèle un certain optimisme de l’administration du commerce quant à la gouvernabilité des campagnes, fondé sur trois présupposés : l’idée selon laquelle les paysans reconnaîtront que leur intérêt est aligné avec celui de l’État et suivront donc l’orientation que celui-ci entend donner à leur production ; la conviction que des enquêtes de terrain permettent de déterminer quantitativement les objectifs qui doivent être donnés aux mesures de développement séricicole qui seront prises ; la présomption d’un recours possible aux relais provinciaux.
La balance du commerce et l’intérêt des paysans
26Dès le milieu des années 1720, à la faveur de l’établissement de pépinières publiques destinées à fournir les arbres dont un arrêt de 1723 a ordonné la plantation en bordure des grands chemins, le contrôle général du commerce cherche à faire distribuer des mûriers dans les campagnes pour favoriser un développement séricicole. C’est néanmoins surtout à partir de 1740, suite à une lettre envoyée par le contrôleur général des finances Philibert Orry aux administrations provinciales, que les encouragements accordés par le pouvoir royal au développement de la culture du mûrier prennent une tournure systématique :
- 34 AN, F 10 218, lettre du contrôleur général des finances à l’intendant de Bourgogne, 25 juillet 1740
On fabrique en Piedmont, en Italie, en Espagne, en Sicile, en Levant et dans les Indes des soyes que l’on est obligé de faire venir en France pour les manufactures d’etoffes de soye, on en tire pour plusieurs millions qui, s’ils estoient repandus dans les provinces, y procureroient l’abondance sans interrompre la culture des terres ; ce sont les femmes et les enfans qui sont occupés à cet ouvrage et il ne paroit pas d’établissement plus utile et qui puisse procurer plus facilement le retablissement des provinces, et l’augmentation des peuples par l’utilité que les paysans tireront de leurs enfans en bas age […]. La premiere disposition necessaire pour y parvenir est la plantation des muriers, pour cet effet, je vous prie d’examiner avec soin les endroits où vous pourrés etablir une ou plusieurs pepinieres où on en puisse semer et où ils soient cultivés pour les distribuer gratuitement à ceux qui voudront les planter34.
- 35 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 215-217.
27La formation de pépinières publiques de mûriers répond clairement à un objectif de substitution d’importations, dans une logique que l’on pourrait qualifier de mercantiliste. Accroître la production française de soie grège semble alors plus que jamais nécessaire à l’administration du commerce. En effet, la consommation de soieries connaît en Europe une croissance sans précédent, ce qui incite les principaux États exportateurs de matière première à vouloir la contrôler plus étroitement, voire à en prohiber la sortie afin de réserver les profits liés à sa transformation à leurs manufacturiers. Le roi de Piémont-Sardaigne Victor-Amédée II de Savoie s’y résout en 1722 et Philippe V d’Espagne en 1739, alors même que la production française est stagnante, voire en perte de vitesse. Ce contexte met en grande difficulté les activités de transformation du fil, et notamment les manufactures de moulinage dont l’implantation en France est récente et considérée comme stratégique par l’administration du commerce35.
- 36 Archives départementales du Puy-de-Dôme [désormais AD 63], 1 C 211, lettre du contrôleur général de (...)
28La mise en place d’une politique de développement séricicole pose néanmoins une question d’un nouveau type au pouvoir royal : comment enrôler les « paysans » dans un projet de développement industriel auquel leur concours est absolument indispensable ? Orry insiste sur l’unité d’intérêts entre la balance commerciale du royaume et l’enrichissement du peuple des campagnes. La sériciculture rendrait ce dernier d’autant plus aisé qu’elle ne mobiliserait que les femmes et les enfants pendant le printemps, considéré comme un temps mort du calendrier agraire. Dix ans plus tard, son successeur au contrôle général des finances, Jean-Baptiste de Machault d’Arnouville, a des mots qui expriment plus clairement encore combien la politique de développement séricicole repose sur le pari d’une grande gouvernabilité des paysans quant au choix des plantes cultivées. Il faut, écrit-il à l’intendant d’Auvergne, veiller à ce que les mûriers des pépinières publiques soient prioritairement distribués « au peuple, qui seul peut en opérer une multiplication réelle lorsqu’il s’y adonnera et sentira l’avantage qu’il peut en retirer »36. Dans sa volonté d’aligner l’activité productive des « paysans » sur un agenda de développement industriel et commercial, l’administration du commerce semble avoir considéré trop rapidement que ce « peuple » qu’elle connaît encore mal gagnerait véritablement à élever des vers à soie, y compris dans les régions où la sériciculture n’est alors qu’une curiosité. Il ne s’agit-là que de l’un des paris audacieux sur lesquels est construite la politique séricicole de l’État royal au xviiie siècle.
Connaissance des territoires ruraux et gouvernement agricole
29Un autre pari, et non des moindres, consiste à considérer que le potentiel de développement séricicole d’un territoire donné repose principalement sur la surface de terre que l’on y juge disponible, sans prendre en considération des critères plus complexes mais déterminants, comme la compatibilité avec les principales cultures préexistantes. Les années 1750 voient fleurir les mémoires chiffrés qui se proposent de démontrer à l’administration du commerce combien il serait aisé de couvrir telle ou telle région de mûriers par centaines de milliers.
- 37 AN, F 10 427, « mémoire qui prouve qu’on peut encore planter plus de quatre cens mille pieds de meu (...)
- 38 Philippe Minard, « Volonté de savoir et emprise d’État. Aux origines de la statistique industrielle (...)
30Ces comptes fantastiques ne sont pas l’apanage des nombreux hommes à projets qui sollicitent le pouvoir royal à ce sujet mais prennent leur source dans la pratique administrative des inspecteurs des manufactures, et ce tout particulièrement à propos des territoires où la culture du mûrier et l’élevage des vers à soie n’existent que de manière très localisée alors même que les conditions climatiques sont conçues comme idéales à la généralisation de sa propagation. C’est le cas du Haut-Languedoc, où opère Jean-Baptiste Rodier, mais également le sieur Picot, inspecteur des manufactures à Castres, qui adresse en 1750 à Daniel Trudaine un mémoire par lequel il entend prouver « qu’on peut encore planter plus de quatre cens mille pieds de meuriers dans le departement de l’inspection de Castres »37. Projection chiffrée en forme de tableau sur le potentiel de progression du mûrier, ce document attribue à chaque communauté visitée un certain nombre d’arbres qui, à en croire l’inspecteur, pourraient aisément y être transplantés sans attendre. Au gré de leur mobilisation comme experts administratifs sur une question qui intéresse essentiellement l’industrie, les inspecteurs des manufactures transposent dans les champs leurs pratiques descriptives et prospectives d’inventaire des richesses, dans lesquelles Philippe Minard a identifié les origines de la statistique industrielle38.
- 39 AD 34, C 11892, lettre de l’évêque de Lavaur au syndic général de la sénéchaussée de Carcassonne, 2 (...)
31Les conclusions chiffrées du sieur Picot, qui l’amènent à formuler un projet de pépinières publiques dans les trois diocèses de Castres, Albi et Lavaur, importent peu en elles-mêmes. L’exercice auquel il entend se livrer révèle que la pratique des agents de l’administration du commerce est animée sur le terrain par la volonté de rendre connaissable et prévisible le territoire rural, afin d’en mieux gouverner l’orientation productive. Dans les faits, les choses ne sont pas si simples. Soumis à l’examen d’une « personne très au fait » par l’évêque de Lavaur qui, à la demande de l’intendant de Languedoc, a été consulté par le syndic général de la sénéchaussée de Carcassonne, le projet de Picot est fortement critiqué : formel, l’expert local assure que l’inspecteur a avancé des chiffres « sans avoir assez connu le terrain »39.
Désaccords et arythmies entre l’État royal et les États de Languedoc
- 40 Voir notamment Stéphane Durand, « La commission des travaux publics des États de Languedoc », Annal (...)
32La chaîne de consultations par laquelle le mémoire du sieur Picot est examiné en dit long sur la complexité de la circulation des connaissances et des avis qui précédent et informent une éventuelle décision au sein même des différentes organisations prenant part, de près ou de loin, à l’administration du commerce et à la construction de son action visant à gouverner l’activité productive des campagnes. Ce phénomène est logiquement amplifié dans les pays d’États, où les assemblées représentatives des trois ordres cherchent non seulement à contrôler les dépenses qui se répercutent sur l’impôt, mais aussi à accroître le champ de leurs compétences propres40.
- 41 AD 34, C 2248, lettre de l’intendant de Languedoc au syndic général de la sénéchaussée de Carcasson (...)
- 42 Stéphane Durand, Arlette Jouanna, Élie Pélaquier et al., Des États dans l’État. Les États de Langue (...)
33Ces deux objectifs déterminent la stratégie des États de Languedoc dans leurs relations avec l’État royal concernant les mûriers et les vers à soie. Dans le cas de l’examen du projet du sieur Picot, les agents des États font preuve d’un attentisme manifeste, voire d’une volonté délibérée de retarder la remontée d’informations précises qui permettraient au contrôle général des finances de trancher. Le syndic général de la sénéchaussée de Carcassonne, qui a été consulté par l’intendant, écrit bien aux évêques concernés par le projet, mais semble n’avoir jamais transmis leurs réponses41. Loin d’être anecdotique, cet épisode est symptomatique d’un désaccord profond entre le pouvoir royal et les États de Languedoc concernant les compétences et l’autonomie de l’assemblée provinciale en général, et l’utilité des dépenses visant à soutenir la sériciculture en particulier. La mauvaise volonté dont font preuve les États au début des années 1750 doit être resituée dans le contexte de la crise du vingtième : suite à son refus de voter le don gratuit pour manifester son hostilité à la création du vingtième, l’assemblée est dissoute en janvier 1750 et n’est plus convoquée par le roi avant octobre 175242. L’intendance est alors chargée de remplir l’essentiel des fonctions qu’elle assurait, dont celles qui relèvent de l’aide au développement agricole et industriel, mais l’administration des États n’a pas l’intention de céder la main.
- 43 AD 34, C 2248, lettre de l’intendant de Languedoc au contrôleur général des finances, 6 avril 1727.
34Outre la question de l’attribution des compétences, c’est la nécessité même du soutien à la sériciculture qui fait l’objet d’un désaccord manifeste entre les agents de l’État royal et ceux des États provinciaux. En effet, alors que dans les années 1750 le bureau du commerce dirigé par Trudaine fait du soutien à la culture du mûrier et à l’élevage des vers à soie une de ses priorités, les États de Languedoc considèrent depuis déjà 25 ans cet effort comme inutile. L’assemblée, nous l’avons vu, a organisé de manière autonome dès la fin du xviie siècle des mesures d’encouragement à la culture du mûrier. Au système des gratifications que nous avons brièvement décrit a succédé dès 1689 un système de distributions gratuites, permis par le financement de pépinières publiques. Ces dernières, suite à des cas de malversations, sont supprimées en 1725. Deux ans plus tard, manifestement ignorant de cette situation, l’intendant Louis de Bernage de Saint-Maurice consulte, à la demande du contrôle général des finances, un des trois syndics généraux de la province sur l’opportunité d’y former des pépinières publiques de mûriers, et se heurte naturellement à une fin de non-recevoir43. Ce phénomène d’arythmie et de déconnexion entre pouvoirs qui s’exercent sur les sociétés rurales montre à quel point, à la fin de la période moderne, tout demeure à construire en matière de gouvernement des champs.
Les instruments du gouvernement des champs
35La question du choix des instruments employés pour orienter l’activité productive des paysans vers la sériciculture est tout sauf anodine. Faut-il subventionner les plantations ou distribuer gratuitement des arbres ? Dans ce dernier cas, faut-il contraindre les cultivateurs à les planter ou les laisser libres, quitte à courir le risque d’un cinglant échec ? Les réponses données à ces questions engagent non seulement la connaissance de la diversité territoriale des besoins en matière de développement séricicole, mais aussi la détermination de l’étendue du pouvoir que l’État royal peut prétendre exercer sur le choix des plantes cultivées.
Rêves de contrainte, pépinières publiques et gratifications
- 44 AD 34, C 2255, « memoire des sieurs Bentabole et Compagnie pour la plantation des arbres meuriers » (...)
36Alors que la question des moyens les plus propres à diffuser la culture du mûrier se pose à l’administration du commerce, celle-ci reçoit de nombreuses propositions émanant d’« hommes à projets » intéressés comme les sieurs Bentabole, filateurs de soie établis à Narbonne. En 1748, ceux-ci soumettent à l’intendant de Languedoc un projet pour accroître la production séricicole de la province. Offrant leurs services pour fournir des mûriers, ils proposent que « le roy [...] ordonn[e] aux peuples de planter » les arbres, et que ceux-ci soient autoritairement distribués à « chacun suivant l’étendue de ses terres et suivant ses facultés »44. Émanant de filateurs ou de mouliniers qui espèrent ainsi contrôler la production de la matière première, les nombreux projets de ce type montrent à quel point l’imaginaire d’une gouvernabilité des campagnes par la contrainte est prégnant chez ces entrepreneurs. Plus absolutistes que le roi dans leurs propositions, ceux qui cherchent à entrer en affaire avec l’État monarchique tendent manifestement à en fantasmer la toute-puissance.
- 45 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 324-333.
37De fait, les agents centraux de l’administration du commerce, Daniel Trudaine en tête, disqualifient systématiquement ces projets qu’ils considèrent comme impossibles à mettre en œuvre, et surtout contraires aux droits des propriétaires. Une alternative pragmatique se dessine entre deux instruments qui permettent de développer la culture du mûrier : les gratifications et les distributions. Les premières sont privilégiées dans les territoires où la sériciculture est déjà bien implantée et où les mûriers sont par conséquent bien connus. Un système de gratifications, déjà expérimenté par les États de Languedoc à la fin du xviie siècle, est ainsi relancé dans cette province dans les années 1750, à l’initiative cette fois de l’intendant45. Dans les territoires qui ne sont pas séricicoles en revanche, où le mûrier est rare voire inexistant, l’administration du commerce choisit d’établir des pépinières publiques financées par des hausses de taille et destinées à produire des plants distribués gratuitement.
38Gratifications et distributions : ces deux instruments permettent certes de s’adapter aux besoins des différents territoires mais sont également porteurs de deux conceptions différentes des rapports entre l’État et les cultivateurs. Les gratifications sont considérées comme un moyen d’incitation souple, un simple « aiguillon » donné à l’émulation. Au contraire, les pépinières publiques sont souvent décriées pour leur coût et associées à une forme de dirigisme condamné soit à l’abus d’autorité, soit à l’inutilité. Comment faire en effet pour que les arbres soient effectivement distribués, alors que l’administration du commerce rejette les projets contraignants qui lui sont proposés ? En reposant sur le seul volontariat, les distributions de mûriers dans les régions non séricicoles ne sont-elles pas vouées à l’échec ?
La résistance des paysans dans les régions non séricicoles
- 46 AD 63, 1 C 237, circulaire de l’intendant d’Auvergne aux subdélégués de la généralité, 14 juin 1758
39De la Bourgogne à la Picardie, de l’Auvergne à la Bretagne, partout s’impose le même constat dans ces provinces où mûriers et vers à soie apparaissent comme d’exotiques curiosités : l’opportunité des distributions gratuites n’y est saisie que par les plus gros propriétaires, et très rarement par les petits cultivateurs. En Auvergne par exemple, une généralité où l’administration du commerce se montre particulièrement enthousiaste en matière de développement séricicole depuis le passage de Trudaine à l’intendance, l’indifférence des petits cultivateurs à l’égard des mûriers et des vers à soie que l’État veut leur faire cultiver semble totale. En 1758, face au manque de paysans intéressés par les arbres produits dans les pépinières publiques de la généralité, l’intendant Ballainvilliers décide même de leur remettre 2 sols par plant retiré46.
- 47 AN, F 12 1435, lettre de Matthieu Pradier à Daniel Trudaine, 4 juin 1750.
- 48 Voir notamment Joan Thirsk, Alternative Agriculture. A History from Black Death to the Present Day, (...)
40Comment expliquer cette indifférence ? Les agents du pouvoir royal investis dans cette affaire s’accordent globalement pour y voir l’expression de l’esprit routinier des paysans. C’est le cas de l’inspecteur des manufactures Matthieu Pradier qui, pour expliquer le succès à peu près nul de la pépinière publique d’Amiens, affirme que la « teste [des Picards] est ferme sur la négative de tout ce que leurs pères n’ont pas pratiqué »47. L’idée de campagnes immobiles et peuplées de paysans rétifs à toute innovation, particulièrement prégnante dans la correspondance administrative et dans la littérature agronomique, est en réalité éloignée de la réalité mais a fait long feu dans l’historiographie48. Dans le cas de la sériciculture, si les paysans auvergnats ou picards refusent de s’y adonner alors que l’État royal les y incite, n’est-ce pas plutôt parce qu’ils doutent, à juste titre, de la compatibilité climatique de leur région avec la production de soie ? N’est-ce pas aussi parce qu’ils estiment que les débouchés sont trop incertains pour qu’il soit raisonnable d’y consacrer de la terre, du travail et de l’argent ?
- 49 Archives départementales du Gers, C 6, lettre de l’intendant de la généralité d’Auch au contrôleur (...)
- 50 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 352-354.
41Quoi qu’il en soit, leur indifférence constitue une forme de résistance passive : en ignorant la possibilité qui leur est offerte de retirer des mûriers à la pépinière publique et de seconder ainsi les vues du gouvernement, ils manifestent de facto leur intention de ne pas se laisser gouverner en matière de choix des plantes cultivées. Parfois, certains se montrent même ouvertement hostiles aux pépinières, et font preuve d’une résistance très active. En 1749, la pépinière publique entretenue par les États du Nébouzan à Saint-Gaudens, en Gascogne, est « entièrement détruite par plusieurs habitants »49. En Auvergne, les subdélégués rapportent régulièrement à l’intendant des dégradations volontaires : ici c’est une chèvre qui est introduite dans la pépinière pour y ravager les jeunes pousses, là c’est une haie vive de clôture qui est abattue dans la nuit50.
Conclusion
- 51 James C. Scott, Weapons of the Weak. Everyday Forms of Peasant Resistance, New Haven, Yale Universi (...)
42Par ces petits gestes de résistance, véritables « armes des faibles » pour reprendre l’expression de l’anthropologue James C. Scott51, les paysans manifestent clairement leur hostilité à l’égard d’un gouvernement des champs qui n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Pour répondre à un objectif industriel et commercial pensé à l’échelle de l’État, les agents du pouvoir royal en charge de l’administration du commerce ont cherché à répandre la sériciculture dans tout le royaume. Afin d’orienter l’activité productive de celles et ceux qui forment la plus grande partie des sociétés rurales, ils ont mis au point des instruments complexes destinés à gouverner le choix des plantes cultivées. Ils rencontrent néanmoins bien des difficultés, avant même de se heurter au rejet des principaux intéressés. Le cas du Haut-Languedoc a montré que dans la fabrique même des dispositifs, la politique de développement séricicole est confrontée au manque de coopération des États de la province, ainsi qu’à un manque de moyens et de personnel sur le terrain. Les mémoires qu’envoient à Montpellier et à Paris l’élève-inspecteur Rodier et l’inspecteur Picot, malgré leur optimisme et leur précision de façade, donnent surtout à voir l’écart abyssal entre les capacités de ces deux hommes et l’ampleur des moyens qui seraient nécessaires pour mener à bien leur mission. L’État royal, qui se refuse à employer des méthodes contraignantes pour diffuser les mûriers dans les campagnes, en aurait-il eu seulement la possibilité ? Force est de constater qu’il exerce sur les sociétés rurales un pouvoir dont l’ambition croît plus vite que les capacités.
43Qu’en est-il des régions où le développement de la sériciculture n’a pas attendu l’action de l’État ? La production de cocons y constitue un bon exemple de spécialisation agricole tournée vers le marché, dont le succès rapide dans certaines régions est susceptible de bouleverser les rapports de pouvoir à l’échelle locale. Dans les Cévennes notamment, où il s’impose au xviie et surtout au xviiie siècle comme l’une des principales occupations de la paysannerie pluriactive, l’élevage des vers à soie renforce la domination des propriétaires fonciers sur les petits exploitants, en raison du contrôle qu’ils exercent sur la production du fourrage. À mesure que la culture du mûrier se répand dans un village, la récolte des feuilles suscite parfois la convoitise du seigneur qui cherche à en prélever une partie, ce à quoi tendent à s’opposer les communautés d’habitants. Au sein des foyers, « l’éducation » des chenilles est avant tout une activité féminine qui donne aux femmes un réel pouvoir, à travers le savoir extrêmement spécialisé et fortement valorisé dont elles sont détentrices.
44L’étude de la sériciculture agit bel et bien comme un révélateur de la nature et de la dynamique des pouvoirs qui s’exercent dans et sur les sociétés rurales en France. Si nous nous sommes concentrés ici sur le xviiie siècle, le même constat s’imposerait sans doute pour le suivant. Après son abandon, acté au début des années 1780, la politique de développement séricicole n’est-elle pas à nouveau mise à l’ordre du jour sous la Restauration et la monarchie de Juillet ? N’est-ce pas au milieu du xixe siècle, avant la crise de la pébrine, que l’élevage des vers à soie connaît dans les Cévennes son apogée, au point d’y bouleverser profondément la vie dans les campagnes ?
Notes
1 Archives nationales [désormais AN], F 12 736, « journal des opérations du sieur Rodier », 1754.
2 Jean-Baptiste Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique. Une histoire de la culture du mûrier en France (xviie-xviiie siècles), thèse de doctorat, Histoire moderne, Avignon Université, 2023.
3 Archives départementales de l’Hérault [désormais AD 34], C 9989, état des vérifications du vingtième de la ville du Vigan, 1753.
4 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique… op. cit., p. 524-536.
5 Ibid., p. 521-525.
6 Archives départementales du Gard [désormais AD 30], 2 E 58 534, fol. 132v, 3 juillet 1749.
7 Françoise Clavairolle, Le magnan et l’arbre d’or. Regards anthropologiques, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2003, p. 246-258.
8 Ibid., p. 246.
9 Constance Paris, Les États de Bourgogne et la question agricole dans la seconde moitié du xviiie siècle, mémoire de Master, Histoire moderne, Université de Bourgogne, 2024, p. 66.
10 Michèle Perrot, Arlette Farge, Cécile Dauphin et al., « Culture et pouvoir des femmes : essai d’historiographie », Annales. Économie, sociétés, civilisations, 41/2 (1986), p. 271-293.
11 Voir notamment AD 30, 2 E 58 549, vente de feuilles de mûrier par le marchand Pierre Cessenat aux magnaniers Pierre Farelle et Antoine Annot, 15 janvier 1768.
12 Jean-Baptiste Vérot, « Savoir faire et pouvoir dire. Pierre-Augustin Boissier de Sauvages et la réduction en art de la sériciculture au xviiie siècle », dans Fabien Knittel, Stéphanie Lachaud et Corinne Marache (dir.), Sciences, techniques et agriculture. Des Lumières au xxe siècle, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2024, p. 27-44.
13 Cité par Bernard Hillau, « Progrès technique et acteurs du changement dans la soierie lyonnaise au xviiie siècle », Formation Emploi, 64 (1998), p. 5-24 (p. 12).
14 Philippe Minard, La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998, p. 219-224 et p. 229-230.
15 Line Teisseyre-Sallmann, L’industrie de la soie en Bas-Languedoc, xviie-xviiie siècles, Paris, Éditions de l’École des chartes, 1995, p. 234-235.
16 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 213-215.
17 Jean-Baptiste Constant-Castellet, L’Art de multiplier la soie, ou traité sur les mûriers blancs, l’éducation des vers à soie & le tirage des soies, Aix-en-Provence, Veuve David et Esprit, 1760 p. 24-26 et p. 115-116.
18 Alain Maureau, « La dîme ecclésiastique dans le diocèse de Carpentras à la fin du xviiie siècle », Mémoires de l’académie du Vaucluse, 9/8 (2011-2012), p. 169-180.
19 Gouvernement politique et économique, Amsterdam, s. n., 1766, t. 3, p. 190. Sur ce texte à forte teneur contestataire et son attribution à Jean de Serres, voir Marcel Salières, Idées politiques et économiques de Jean de Serres, président à la Chambre des Comptes de Montpellier, Poitiers, A. Masson, 1909.
20 Archives départementales de la Drôme [désormais AD 26], E 106, « précis pour Messire Charles-Louis de La Beaume […] demandeur contre les consuls, communauté et habitants dudit lieu de Suze, défendeurs », 1780.
21 AD 26, E 3494, transaction du 11 novembre 1782 entre le comte et les consuls de Suze.
22 Sur la « réaction seigneuriale » par laquelle les seigneurs, à partir des années 1730-1740, auraient eu tendance à défendre et étendre leurs droits, aggravant les griefs de la population paysanne à leur égard, voir Olwen Hufton, « The Seigneur and the Rural Community in Eighteenth-Century France. The Seigneurial Reaction : A Reappraisal », Transactions of the Royal Historical Society, 29 (1979), p. 21-39, qui propose une utile mise au point. Sur l’initiative des communautés, voir notamment Hilton L. Root, « Challenging the Seigneurie : Community and Contention on the Eve of the French Revolution », Journal of Modern History, 57/4 (1985), p. 652-681 et Rafe Blaufarb, « Conflict and Compromise : Communauté and Seigneurie in Early Modern Provence », Journal of Modern History, 82/3 (2010), p. 519-545.
23 AD 26, E 3363, délibérations consulaires de la ville de Pierrelatte, 5 février 1640.
24 AD 26, E 3374, délibérations consulaires de la ville de Pierrelatte, 27 décembre 1714.
25 AD 26, E 3364 et E 3373, délibérations consulaires de la ville de Pierrelatte, 6 janvier 1647 et 19 juin 1707.
26 Pour ces deux exemples : AD 30, C 1260 et C 1261, procès-verbaux de vérification de l’état des biens patrimoniaux, octrois et subventions des communautés du diocèse d’Uzès, 1734.
27 Stéphane Durand, « Les budgets des communautés de Languedoc au xviiie siècle », dans Pierre Casado et Frédéric Rousseau (dir.), Retrouver les paysans. Communauté – pouvoirs – territoires (xiie-xxe siècle). Mélanges en l’honneur d’Élie Pélaquier, Montpellier, Presses universitaires de Montpellier, 2017, p. 113-125.
28 On se reportera utilement à Robert Descimon et Alain Guéry, « Un État des temps modernes ? », dans Jacques Le Goff (dir.), Histoire de la France. La longue durée de l’État, Paris, Seuil, 2000, p. 451-452.
29 Voir par exemple AD 26, E 3927, ordonnance de Bouchu sur l’acquittement des dettes des communautés d’habitants, 4 août 1686.
30 AD 26, E 3927, lettre de l’intendant Bouchu aux consuls d’Estoile, 23 novembre 1687.
31 Archives municipales de Livron-sur-Drôme, BB 31, délibérations consulaires, fol. 11v (25 janvier 1688) et fol. 18 (25 avril 1688).
32 AD 34, C 11892, affiche et instructions imprimées sur les mûriers, 1688.
33 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 166-169.
34 AN, F 10 218, lettre du contrôleur général des finances à l’intendant de Bourgogne, 25 juillet 1740.
35 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 215-217.
36 Archives départementales du Puy-de-Dôme [désormais AD 63], 1 C 211, lettre du contrôleur général des finances à l’intendant d’Auvergne, 9 avril 1750.
37 AN, F 10 427, « mémoire qui prouve qu’on peut encore planter plus de quatre cens mille pieds de meuriers dans le departement de l’inspection de Castres et qui donne des moyens sûrs et cour[t]s pour parvenir à cette plantation sans qu’il en coûte rien au roy ny à la province », 1750.
38 Philippe Minard, « Volonté de savoir et emprise d’État. Aux origines de la statistique industrielle dans la France d’Ancien Régime », Actes de la recherche en sciences sociales, 133 (2000), p. 62-71.
39 AD 34, C 11892, lettre de l’évêque de Lavaur au syndic général de la sénéchaussée de Carcassonne, 2 juin 1751.
40 Voir notamment Stéphane Durand, « La commission des travaux publics des États de Languedoc », Annales du Midi, 130/302 (2018), p. 177-193.
41 AD 34, C 2248, lettre de l’intendant de Languedoc au syndic général de la sénéchaussée de Carcassonne, 27 novembre 1751.
42 Stéphane Durand, Arlette Jouanna, Élie Pélaquier et al., Des États dans l’État. Les États de Languedoc de la Fronde à la Révolution, Genève, Droz, 2014, p. 489-512.
43 AD 34, C 2248, lettre de l’intendant de Languedoc au contrôleur général des finances, 6 avril 1727.
44 AD 34, C 2255, « memoire des sieurs Bentabole et Compagnie pour la plantation des arbres meuriers », 1748.
45 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 324-333.
46 AD 63, 1 C 237, circulaire de l’intendant d’Auvergne aux subdélégués de la généralité, 14 juin 1758.
47 AN, F 12 1435, lettre de Matthieu Pradier à Daniel Trudaine, 4 juin 1750.
48 Voir notamment Joan Thirsk, Alternative Agriculture. A History from Black Death to the Present Day, Oxford, Oxford University Press, 1997 et Gérard Béaur, « Alternative agriculture or agricultural specialization in early modern France ? », dans John Broad (dir.), A Common Agricultural Heritage ? Revising French and British Rural Divergence, Exeter, British Agricultural History Society, 2009, p. 121-137.
49 Archives départementales du Gers, C 6, lettre de l’intendant de la généralité d’Auch au contrôleur général des finances, 14 juin 1755.
50 J.-B. Vérot, L’arbre d’or et l’économie politique…, op. cit., p. 352-354.
51 James C. Scott, Weapons of the Weak. Everyday Forms of Peasant Resistance, New Haven, Yale University Press, 1985.
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Référence électronique
Jean-Baptiste Vérot, « La sériciculture, un révélateur des jeux de pouvoir dans les sociétés rurales françaises au xviiie siècle », Bulletin de l’Association des historiens modernistes des universités françaises [En ligne], 46 | 2025, mis en ligne le 28 janvier 2025, consulté le 12 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/bahmuf/1459 ; DOI : https://doi.org/10.4000/136k7
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