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Dossier : Autour des campagnes, XVIIe-XXe siècles

Les sociétés rurales face aux risques naturels. Les secours des pouvoirs

Stéphanie Lachaud

Résumés

On a souvent dit des sociétés anciennes qu’elles étaient des sociétés sans risque, dans le sens où elles restaient soumises à des menaces qu’elles ne pouvaient ni mesurer ni anticiper. Or, les risques naturels (aléas météorologiques, animaux, etc.) ont une grande place dans la vie quotidienne des campagnes modernes, en raison de leurs répercussions sur les récoltes et sur l’économie agraire et la vie des populations. L’époque moderne se caractérise même par la construction d’un discours neuf sur les expériences vécues, lié aux pratiques émergentes de secours. Au‑delà du discours, les formes de prévoyance et les actions au moment des difficultés participèrent à construire une nouvelle manière de penser le rapport à l’environnement et un rapport plus complexe avec les pouvoirs qui encadrent les sociétés rurales. Ainsi, les xviiexviiie siècles sont marqués par deux grandes tendances : d’une part la volonté de comprendre pour agir, d’autre part l’attente de secours plutôt que l’acceptation d’une forme de fatalité, avec une émancipation du pouvoir explicatif de l’Église et un besoin accru de celui de l’État royal.

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Texte intégral

  • 1 Jean‑Baptiste Fressoz et Fabien Locher, Les révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique (...)
  • 2 La notion de risque est apparue au xiie siècle, avec le terme de « resicum », dans le vocabulaire d (...)
  • 3 Soraya Boudia et Nathalie Jas, « Introduction: Risk and ‘risk society’ in historical perspective »,(...)
  • 4 David Niget et Martin Petitclerc, « Introduction. Le risque comme culture de la temporalité », dans (...)
  • 5 Sans exhaustivité, François Walter, Catastrophes. Une histoire culturelle xvie-xxie siècle, Paris, (...)
  • 6 La bibliographie sur ce sujet est abondante. On citera l’article fondateur de Lucien Febvre, « Pour (...)
  • 7 Patrick Peretti-Watel, La société du risque, Paris, La Découverte, 2001, p. 6-7.

1Jean‑Baptiste Fressoz et Fabien Locher ouvrent leur ouvrage Les révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique xvexxe siècle avec « dix thèses historiques sur le changement climatique » qui, pour un grand nombre d’entre elles, soulignent le lien fondamental entre les sociétés rurales et les pouvoirs à propos des aléas et des risques liés aux phénomènes météorologiques ou aux évolutions climatiques profondes1. Le concept de risque n’est pas exprimé comme tel dans les sources modernes qui utilisent les mots de fléau ou de catastrophe, voire de menace2. Fléaux et catastrophe désignent le résultat d’un phénomène perturbateur délétère alors que celui de risque n’en désigne que la potentielle survenue et cette différence sémantique traduit une appréhension différente relevant de l’anticipation3. De ce fait, l’utilisation du terme de risque et son questionnement par les historiens permettent de « rendre compte de discours et de pratiques qui s’appuient sur une connaissance plus ou moins formalisée de ce qui pourrait advenir » selon David Niger et Martin Petitclerc4. Néanmoins, l’historiographie du risque environnemental dans les sociétés rurales modernes est encore souvent établie à partir de deux principales entrées – celle de l’histoire du climat et celle de l’histoire des catastrophes5 –, alors que l’histoire du risque est celle d’un quotidien marqué par les enjeux économiques vitaux de la production agricole6. Pour François Ewald, ce qui fait du risque un danger qui ne peut être confondu avec d’autres qui relèvent de la responsabilité humaine, c’est qu’il n’y aurait ni faute ni responsabilité morale : le risque dépend de la nature, voire d’une volonté divine7.

  • 8 Grégory Quenet, « Des sociétés sans risques ? Les catastrophes naturelles en France à l’époque mode (...)
  • 9 Rémi Luglia (dir.), Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat, Rennes, Pre (...)

2A longtemps prévalu l’idée que les sociétés anciennes étaient des sociétés sans risque, dans le sens où elles restaient soumises à des menaces qu’elles ne pouvaient ni mesurer ni anticiper8. Or, les risques naturels, conceptualisés en tant que tels ou non, ont une grande place dans les campagnes modernes, qu’il s’agisse des aléas météorologiques comme les pluies trop abondantes, les gels tardifs, les sécheresses, les grands froids, la grêle, les orages ou des dégâts provoqués par les animaux considérés comme « nuisibles »9 : insectes et « bêtes fauves ». Leurs répercussions sur les récoltes, donc sur l’économie agraire et la vie des populations, est considérable. Néanmoins, tous les risques ne peuvent être appréhendés de la même manière, car la survenue d’accidents météorologiques ne pouvait être anticipée ni maîtrisée, alors que d’autres périls relevaient davantage des pratiques et du travail humains sur la nature. Il est donc essentiel de définir les risques qui, en fonction des époques, des sociétés et des catégories sociales, n’étaient pas pris pas en compte de la même manière. En effet, l’époque moderne se caractérise par la construction d’un discours neuf sur les expériences vécues, lié aux pratiques émergentes de secours et à l’invention du calcul des probabilités dans le dernier tiers du xviie siècle. Au‑delà du discours, les formes de prévoyance et les actions au moment des difficultés participèrent à construire, selon Jean‑Baptiste Fressoz et Fabien Locher, une « réflexivité environnementale », c’est‑à‑dire une façon de penser le rapport à l’environnement. Cette première affirmation mérite d’être prolongée par l’idée selon laquelle la pensée d’un « agir » humain sur le climat, qu’il soit mélioratif ou destructeur, qu’il soit subi ou qu’il exerce un contrôle de la nature, participe aussi à construire un rapport plus complexe avec les pouvoirs qui encadrent les sociétés rurales.

  • 10 Stéphanie Lachaud, La vigne, une culture contre nature ? Essai d’histoire rurale et environnemental (...)

3Ceci n’est ni neuf, ni propre à la période moderne. En revanche, les xviiexviiie siècles sont marqués par deux grandes tendances : la volonté de comprendre pour agir et l’attente de secours plutôt que l’acceptation d’une forme de fatalité. Sur ces fondements se construisent des rapports aux pouvoirs qui encadrent les sociétés rurales de plus en plus complexes, avec une émancipation du pouvoir explicatif de l’Église et un besoin accru de celui de l’État royal. Cette contribution puisera un nombre important d’exemples dans les régions viticoles, car la vigne est une culture marquée par une vulnérabilité importante et durable face aux risques10.

Les habituels secours de l’Église : explications et tentatives d’actions

Exorcismes et prières

4Face aux enjeux économiques que représentaient les aléas météorologiques et les animaux considérés comme nuisibles, les ruraux se sentaient souvent impuissants, ce qui explique qu’ils se tournaient vers les secours de la religion. Ainsi, le 19 avril 1733, les paroissiens d’Aÿ (actuel département de la Marne) eurent recours à l’exorcisme et aux prières publiques pour tenter de sauver leurs vignes des vers qui les mangeaient :

  • 11 Archives départementales de la Marne, E-Dépôt 2427, délibérations paroissiales d’Aÿ, 19 avril 1733.

Le procureur d’office a dit qu’il sait que depuis quelques jours des vignes du terroir d’Aÿ et circonvoisines sont fatiguées et mangées dans leurs bourgeons de la saison naissante par des vers qu’on y voit en quantité considérable, que les soins qu’on pourrait y donner par la main de l’homme seraient inutiles ainsi qu’on l’a infructueusement éprouvé l’année dernière, en sorte qu’il ne reste d’autre ressource qu’implorer la miséricorde du Seigneur par les prières publiques et exorcismes de ces insectes, qu’ils se livrent d’autant plus volontiers à y avoir recours qu’en pareille occasion lesdits habitants en ont été délivrés notamment en mil sept cent dix‑sept, mais que pour cet effet, il est besoin de l’autorité et permission de Son Altesse monseigneur l’archevêque de Reims, pourquoi requéraient qu’il en fût délibéré et que l’un ou l’autre de nos officiers de la mairie royale d’Aÿ fut autorisé de présenter requête11.

  • 12 Journal de François Lattron, vigneron du Bois‑aux‑Moines, à Naveil (1756‑1810), dans Ernest Nouel, (...)
  • 13 Cité sans référence précise par Marcel Lachiver, Vins, vignes et vignerons, Histoire du vignoble fr (...)
  • 14 J. Delumeau, Rassurer et protéger, op. cit., p. 69.

5Cette pratique d’exorcisme des insectes était courante et montre la fatalité avec laquelle on se rendait à l’évidence de l’impuissance humaine. En Vendômois, on exorcisa les urbecs – appelés hirbets – le 3 juin 1787 après avoir déjà déploré leur présence l’année précédente ainsi qu’en 178512. Dans ce genre de rite, la religion se teintait de superstition. C’est pourquoi, en 1660, l’usage de porter le Saint‑Sacrement dans les vignes conduisit l’archevêque Paul de Gondi, cardinal de Retz à refuser d’accéder à cette demande formulée par les habitants de Sartrouville (actuel département des Yvelines) : « Il fut ordonné que l’on ferait seulement l’exorcisme des vers dans un carrefour de la campagne et que l’on retournerait ensuite à l’église pour y chanter la messe De necessitatibus, à laquelle le Saint‑Sacrement serait exposé »13. L’Église tridentine entoura de précautions diverses les bénédictions, adjurations et exorcismes relatifs aux animaux nuisibles et aux orages. Jean Delumeau montre très bien que les restrictions portées par les évêques et archevêques à ces pratiques sont aussi le signe des insistances, voire des impatiences collectives que l’on s’efforçait de canaliser14.

  • 15 Armelle Bonin‑Kerdon, « à la recherche d’un ‘lieu perdu’ : les vignobles du pays du Buch », dans Ma (...)
  • 16 Éric Baratay, « L’excommunication et l’exorcisme des animaux aux xviie et xviiie siècles, une négoc (...)
  • 17 Id., « Exorciser les bêtes dans le diocèse de Besançon au xviiie siècle », dans Maïté Billoré et Jo (...)

6Pour autant, ces usages se maintinrent longtemps. Armelle Bonin‑Kerdon mentionne des processions contre l’eumolpe en Pays de Buch (actuel département de la Gironde) jusqu’au début du xixe siècle15. De même, les Archives départementales du Doubs contiennent deux dossiers de 110 lettres de clercs et de laïcs demandant à l’archevêché de Besançon l’autorisation d’excommunier ou d’exorciser des animaux ravageant les cultures16. Cela concerne 97 paroisses entre 1729 et 1762, avec une forte concentration en 1755-1757 et 1761-176217, marquées par des invasions massives et répétées, ce qui va à l’encontre de l’idée trop simple d’un xviiie siècle plus rationnel face à la gestion des risques. Jusqu’au xixe siècle, le recours aux secours spirituels resta courant, ce qui témoigne de la place de la peur du manque et de la cherté des denrées alimentaires. Il soulève aussi un paradoxe des sociétés modernes, à savoir l’expression d’une forme d’impuissance face aux forces de la nature autant qu’une volonté d’agir.

7En l’absence de grands moyens techniques ou mécaniques, les secours divins apparaissaient comme une protection solide, dont on croyait avec ferveur en l’efficacité, quitte d’ailleurs à ce que cette question divisât la communauté. Le numéro des Affiches des Trois‑Évêchés, un journal hebdomadaire, du 28 avril 1774 rapporte « un fait assez extraordinaire » survenu dans un village des environs de Nancy dans la nuit du 21 au 22 avril :

  • 18 Affiches des Trois‑Évêchés : feuille hebdomadaire, 28 avril 1774 (Bibliothèques‑Médiathèques de Met (...)

On craignait beaucoup qu’une petite gelée qui se manifestait ne causât des dommages aux biens de la terre et surtout aux vignes ; en conséquence, les habitants des villages faisaient sonner sur le minuit, pour implorer le secours et la protection de l’être suprême (leurs prières furent exaucées, car cette gelée n’a occasionné aucun mal). Le maître d’école d’une de ces paroisses ne voulut pas se lever pour sonner, sous prétexte que le son des cloches n’empêchait pas la gelée ; ce qui irrita fortement une partie des paroissiens qui ont pris sa réponse pour un blasphème, et qui l’ont maltraité si grièvement qu’il est, dit‑on, réduit à garder le lit, et à se pourvoir en justice contre ses agresseurs, d’après un rapport en chirurgie18.

  • 19 Benoît Musset, Vignobles de Champagne et vins mousseux : 1650-1830, Paris, Fayard, 2008, p. 171.
  • 20 François Lebrun, « Le calendrier agro‑liturgique dans la société traditionnelle de l’ouest de la Fr (...)
  • 21 Ibid.
  • 22 J. Delumeau, Rassurer et protéger, op. cit., p. 90.
  • 23 Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne, xviexviiiie sièc (...)

8Cet incident illustre combien la spiritualité catholique se mêlait à des formes païennes au cœur du siècle dit des Lumières. Il faut considérer les prières, processions et demandes d’exorcisme « comme d’authentiques moyens pour peser sur les événements, du point de vue des représentations de ceux qui y participèrent », selon l’expression de Benoît Musset19. Ce recours au religieux ne concernait pas seulement la lutte contre les insectes, mais aussi celle contre les éléments météorologiques, avec de grandes processions, comme en mai pour les Rogations (correspondant aux trois jours précédant l’Ascension). François Lebrun a ainsi montré, en Anjou, combien le calendrier liturgique était intrinsèquement lié au calendrier agraire, avec des adaptations nécessaires en pays viticole20, en particulier dans les vignobles marqués par la présence et la propriété foncière d’ordres religieux. Benoît Musset a fait le lien entre l’emprise foncière des abbayes sur les vignobles de Champagne et une « religiosité viticole ». L’abbaye Saint‑Rémi de Reims était une des plus sollicitées pour cette mission de protection, particulièrement pour obtenir un temps favorable pour les vendanges. En 1725, année calamiteuse, de grandes manifestations en l’honneur de saint Rémi furent organisées. Des prières publiques eurent lieu en juin, à Reims et dans les environs pour faire cesser les pluies, pour lesquelles on sortit le suaire du saint. Puis, après une nouvelle dégradation du temps, on sortit de nouveau les reliques du saint pour des processions. Enfin, en août, une nouvelle exposition du suaire pendant 12 jours fut destinée à conjurer les pluies continuelles21. À chaque fois, ces manifestations suscitaient une grande affluence car la société moderne était attachée au « phénomène processionnel »22, qui montrait le besoin collectif s’exprimant soit lors de cortèges prévus par un calendrier annuel, soit lors de liturgies de crise. Mais elles se firent plus rares au cours du xviiie siècle, parce que les religieux y répugnaient, considérant de plus en plus ces pratiques comme des formes de superstition23. En revanche, l’importance constante accordée par les populations à ces moyens d’agir sur l’environnement naturel s’inscrivait dans une forme de spiritualité mais aussi dans la crainte des conséquences économiques d’une mauvaise récolte.

L’attention aux « malheurs du temps »

  • 24 Stéphane Minvielle, « Les ‘malheurs des temps’ en Gironde au xviiie siècle, d’après les registres p (...)

9On retrouve beaucoup de mentions des « malheurs du temps » dans les registres paroissiaux, ce qui témoigne d’une convergence d’intérêts entre paroissiens et curés. Stéphane Minvielle a montré combien les curés girondins se souciaient des récoltes de leurs ouailles au xviiie siècle, car ils mentionnaient très régulièrement les aléas naturels : inondations, gelées, orages, grêles24. Cette préoccupation partagée avec les populations est sans doute liée au fait que de la récolte dépendait le produit de la dîme. Il y avait aussi une inquiétude des conséquences en termes de cherté des denrées alimentaires pour les petites gens et le partage d’une forme de spiritualité. En 1781, par exemple, le curé Boniol, de la paroisse Sainte‑Anne-du-Puy, dans le diocèse de Bazas (actuel département de la Gironde), écrivit dans son registre :

  • 25 Extrait tiré des volumes 1 à 5 (Archives départementales de la Gironde [désormais AD 33], E-Supplém (...)

Tout le mois de mai a été suivi de pluies, d’orages et de grêle qui ont affligé successivement tous les environs de ce pays, au couchant, au nord et au levant, en ravageant les blés, les vignes et les prés, jusqu’à emporter tout dans certains endroits. […] Il a été fait partout des neuvaines et prières publiques. Selon l’usage, nous n’avons chanté qu’une fois les litanies des saints, en procession sur la place au-devant de cette église25.

10Toute l’année est analysée par le double prisme météorologique et divin, montrant que l’observation des conditions concrètes de croissance de la vigne et de maturation du raisin n’excluaient aucunement l’explication divine.

  • 26 Archives départementales de la Charente, 142 B 13, cahiers de doléances de Bassac, 1789.

11À la fin du xviiie siècle, cette analyse providentielle des dommages subis restait opérante, comme on le voit par exemple dans les cahiers de doléances de Bassac, en Charente : « Nos vignes sont pour le moins aussi sujettes que nos terres aux intempéries des saisons puisque la moindre gelée nous ravit toutes nos grappes, et quand par des soins particuliers que la Providence nous donne quelques fois nos vignes sont préservées de cette vilénie, la récolte des vins est en abondance »26. Ces mentions montrent combien les espoirs soulevés par le recours aux rites religieux étaient grands, ce qui permet d’entrevoir les pressions exercées sur le clergé comme intermédiaire spirituel mais aussi comme médiateur culturel entre la théologie orthodoxe et les conceptions du plus grand nombre dont la religiosité accordait une grande place aux éléments naturels. Comme l’excommunication des animaux, les rites processionnels pour influer sur la météorologie s’inscrivaient dans une forme de vulgarisation des dogmes, qui incitait à diaboliser les éléments naturels perturbateurs. Du côté de l’Église, encore une fois, ces demandes furent de moins en moins bien acceptées après la réforme tridentine qui rejeta largement ces formes proches d’un paganisme rural. Quoiqu’il en soit, la référence à la Providence dans les écrits et le recours aux rites religieux jusqu’au xixe siècle n’ont rien à voir avec la résignation tant ils étaient vécus comme un moyen d’action réel et essentiel.

Les secours du pouvoir religieux pour les gens sans pouvoir ?

  • 27 F. Walter, Catastrophes. Une histoire culturelle, op. cit., p. 62-84, citation p. 62.
  • 28 M. Douglas, Risk and Blame, op. cit.
  • 29 Peter Gray et Oliver Kendrick, The Memory of Catastrophe, Manchester, Manchester University Press, (...)
  • 30 Keith Thomas, Religion and the decline of magic, New York, Scribner, 1971.
  • 31 J. Delumeau, Rassurer et protéger, op. cit., 1989.
  • 32 F. Walter, Catastrophes. Une histoire culturelle, op. cit., p. 77.

12François Walter rappelle que les références providentialistes n’étaient pas l’apanage des milieux populaires ni de ceux qui étaient à leur contact, du moins avant le siècle des Lumières. Il s’appuie pour cela sur l’étude du xviie siècle anglais menée par Kaspar von Greyerz, qui a mis en évidence la complexité de ces mentions dans les journaux et autobiographies qu’il a étudiés et qui émanaient d’une soixantaine de personnes issues des élites, mettant en évidence les tensions entre la norme traditionnelle et les expériences personnelles. « Sorte de conjoncture eschatologique propice, les moments de troubles ou de difficultés poussent les diaristes à décrypter les signes annonciateurs »27. Comme Mary Douglas l’a montré28, les sociétés modernes, n’en déplaise à leurs savants positivistes, n’ont pas renoncé à recourir à des références sacrées pour fabriquer une culture du risque et ont parfois même érigé des catastrophes vécues en lieu de la mémoire collective29. Cela change‑t‑il au xviiie siècle du côté des élites ? L’anthropologue Keith Thomas a adopté à ce sujet un point de vue fonctionnaliste dans Religion and the decline of magic30, en soulignant combien le déclin de la magie était lié à la diminution de la vulnérabilité aux catastrophes naturelles, idée reprise et appuyée par Jean Delumeau dans Rassurer et protéger31. Or, François Walter considère que, sous l’influence des idées de Leibniz, le xviiie siècle marque surtout un nouveau rapport intellectuel à la catastrophe, qui articule une explication naturaliste et une explication providentialiste rendant possible l’essor de la recherche scientifique32. La promotion de valeurs anthropologiques sans finalité chrétienne se traduit par un renouvellement des réponses apportées aux aléas environnementaux, tout particulièrement dans le développement de certaines stratégies d’anticipation, voire de prévention.

Identifier, ordonner, réprimer : le triptyque de la lutte contre les animaux considérés comme nuisibles

Vers, chenilles, oiseaux, chiens et autres « nuisibles » : identifier et proposer des moyens de lutte

  • 33 Jean‑Marie Desbordes, La Chronique villageoise de Varreddes (Seine‑et‑Marne) : un document sur la v (...)
  • 34 Archives départementales d’Indre-et-Loire [désormais AD 37], 6NUM7/046/007, registre paroissial de (...)
  • 35 Ibid., 1730-1749, vues 117-118, nota du curé pour 1739.

13Après les considérations météorologiques, les mentions qui reviennent le plus souvent dans les documents de la gestion quotidienne de la vigne sont les attaques d’animaux considérés comme nuisibles et contre lesquelles on tentait de lutter. Ces informations sont nombreuses dans les sources du for privé et montrent la menace que ces invasions représentaient pour la récolte. En 1728, en région parisienne, Jean-Michel Desbordes établit ce lien de causalité dans sa chronique au sujet des pommiers : « En l’année 1728 n’a pas été fait grand hiver, en sorte que l’année s’est bien disposée pour être fertile mais pour à l’égard des fruits, il y en a eu peu particulièrement des pommes parce qu’il est venu un vent doux dans la fleur, qu’il les a bien gâtées, et qui a engendré une quantité de chenilles qui a tout mangé les feuilles, en sorte qu’ils étions presque morts »33. En Touraine en 1731, toutes les cultures à Céré‑la‑Ronde furent envahies de chenilles, que la pluie de l’année suivante fit disparaître34. Surtout, en 1739, les vers mangeaient les vignes par la racine : « L’année 1739 a été abondante en gros et menus grains dans les endroits où on a pu faire la couvraille aussi bien qu’en vin, surtout dans la paroisse de Saint‑Georges[-sur-Cher] mais dans plusieurs autres vignobles, les vers avaient mangé la racine des vignes de sorte qu’il n’y avait pas une feuille »35. Il s’agissait ici sans doute des larves de hannetons qui sont très friandes des racines des arbres et des vignes. Le Manuel du cultivateur du vignoble d’Orléans, utile à tous les autres vignobles du royaume de Jean‑François Colas (1702‑1772), paru en 1770, consacre un article entier aux « Hannetons et autres insectes » :

  • 36 Jean‑François Colas, Le Manuel du cultivateur dans le vignoble d’Orléans, utile à tous les autres v (...)

Les hannetons ne broutent pas moins la vigne, que les arbres. Après avoir paru environ un mois, ils tombent à terre, où ils font leurs œufs, qui éclosent quelques jours après, et produisent de petits vers appelés turcs, qui s’enfoncent peu à peu en terre, et y rongent les racines de la vigne, jusqu’à ce qu’ils en sortent, pour reprendre la figure de hannetons36.

  • 37 Ibid., p. 115‑116.
  • 38 É. Baratay, « L’excommunication et l’exorcisme des animaux », art. cit., p. 223‑254, citation p. 22 (...)

14La présence d’insectes constituait un risque récurrent, identifié par les communautés, et qui survenait généralement en avril‑mai, voire début juin. Face aux hannetons, on ne pouvait rien, mais face à d’autres, on tentait de comprendre et de lutter, particulièrement contre le plus fameux d’entre eux, l’urbec, de la famille des charançons. Également appelé cigarier de la vigne ou cigareur, ce coléoptère vert doré mesure de 6 à 8 mm et est muni d’un long bec qui permet à la femelle de piquer le pétiole des feuilles pour y déposer ses œufs lors de la ponte. Les feuilles se flétrissent et s’enroulent sur elles‑mêmes, ce qui leur donne une apparence de cigare. Connu depuis le Moyen Âge, cet insecte représentait une grave menace pour la récolte mais aussi pour la plante qui s’épuisait. Les seuls moyens de lutte étaient manuels, comme l’écrit Olivier de Serres : enlever les feuilles enroulées avant le début de l’été et les brûler pour anéantir les nouvelles générations d’insectes. Les ravages causés par l’urbec sont très connus et Le Manuel du cultivateur du vignoble d’Orléans y consacre plusieurs pages37. La connaissance encore approximative de cet animal se remarque par les formules assez vagues que l’auteur utilise « à ce que quelques‑uns prétendent » ou « on a essayé contre ces insectes un remède qu’on prétend qui a réussi ». La méconnaissance générale des insectes a été démontrée par Éric Baratay dans son étude d’une centaine de demandes d’exorcisme des insectes auprès de l’archevêché de Besançon. Les deux tiers des missives ne parlent que d’« insectes » en général et les autres sont confuses car ce sont les dommages qui primaient, « les animaux sont définis par ce qu’ils font plus et non par ce qu’ils sont »38.

15Une connaissance très partielle de l’animal et des moyens de sa reproduction limite l’efficacité des moyens mis en œuvre pour lutter contre sa propagation. Seul le fait de ramasser et tuer sur place les insectes pouvait avoir un effet, mais les dégâts qu’ils provoquaient formaient un vrai sujet de préoccupation collective. Une meilleure compréhension des comportements de l’animal concerné permet ensuite d’agir plus efficacement sur ses points faibles. C’est d’ailleurs une question dont Louis XVI lui‑même s’empara en 1779, dans une « lettre du roi à M. l’amiral du 5 avril 1779 », que la Gazette de France publia le 11 mai suivant :

  • 39 Gazette de France, Paris, Imprimerie royale, 1762‑1792, 11 mai 1779 (BnF, 4-LC2-1).

Mon cousin, […] Un ecclésiastique du diocèse de Blois, écrit que les possesseurs des vignobles considérables de l’Orléanais et du Blésois, voient presque tous les ans une partie de leurs héritages dévastée par un insecte, qu’on y désigne vulgairement sous le nom d’urbec, espèce d’escarbot qui se multiplie à l’infini, et qui dépouillant tous les ceps de leurs premières feuilles, laisse les branches découvertes exposées à l’ardeur du soleil, qui achève de ruiner les espérances du cultivateur. Ce citoyen a examiné l’insecte au microscope, et dit que ce petit scarabée, moins gros qu’une mouche ordinaire, est revêtu d’une écaille verte et brillante du plus bel or. Une espèce de trompe très dure, longue et armée de plusieurs scies, dont il se sert pour causer tous ses ravages, est sur le devant de sa tête ; après avoir dévoré les feuilles nécessaires à sa subsistance, il s’enferme dans celle qu’il a conservée, en la roulant autour de lui, la tapisse d’une toile ou duvet, et y dépose ses œufs ; en hiver il se retire dans le sein de la terre, et ne reparoît qu’au printemps. Le même ecclésiastique, en observant que l’insecte, par le dépôt visible de ses œufs, fournit lui‑même les moyens d’en détruire la quantité, espère que le gouvernement qui a déjà pris les plus sages précautions contre les chenilles, en étendra la pratique contre les urbecs39.

16On retrouve d’ailleurs dans les journaux et livres de raison ces initiatives et les journées payées aux ouvrières et aux enfants, souvent sollicités pour les tâches consistant à traquer les nuisibles. Ainsi, le journal du château Filhot en Sauternais mentionne très régulièrement que des salaires étaient versés pour « tirer les limaçons de la vigne », c’est‑à‑dire ramasser les escargots. Le calendrier de l’année 1788 montre que cette tâche se concentrait au printemps, car la première façon eut lieu le 6 avril avec 10 journées de femmes à 7 sols la journée, puis le 20 avril et le 18 mai, précisément au moment où la vigne met ses jeunes pousses dont les escargots raffolent. Ici, la tâche n’apparaît ni extrêmement chronophage ni très coûteuse, mais l’enjeu reste de taille pour les cultures et la vulnérabilité des ruraux face à ce risque était, contrairement à la grêle ou au sel, fortement lié au pouvoir économique des propriétaires.

La gestion collective d’un problème commun : les pouvoirs de police (seigneur et communauté d’habitants)

  • 40 Fabrice Mauclair, Tranches de vie en Touraine au xviiie siècle. À travers les archives des justices (...)
  • 41 A. Bonin‑Kerdon, « À la recherche d’un ‘lieu perdu’ : les vignobles du pays du Buch », art. cit., p (...)

17En effet, lorsque la menace allait au‑delà de la parcelle individuelle, la réponse se devait d’être collective. Dans le vignoble ligérien, ces insectes dévastaient les vignes depuis le début des années 1760 et on peut retracer très clairement le processus de l’action collective en train de se construire à partir de l’exemple de la baronnie de Vernou en Touraine40. D’abord, on constata l’arrivée d’un insecte alors peu connu. Puis, l’action contre l’infestation des insectes ravageurs relevait alors de deux niveaux : l’initiative individuelle d’abord, la contrainte portée des ordonnances de police ensuite, notamment celle du 9 juin 1766 par laquelle le procureur fiscal de la baronnie obligea les vignerons, propriétaires et closiers à aller travailler dans les vignes pour y couper les feuilles touchées, sur lesquelles les urbecs avaient déposé leurs œufs, et les brûler à peine de 200 livres d’amende (abaissée ensuite à 50 livres). Deux ans plus tard, le 13 mai 1768, semblable ordonnance fut prise pour le vignoble d’Amboise, car « cet insecte se multipliant considérablement d’année en année est à la fin devenu si nombreux qu’on en aperçoit les ceps tout couverts de telle sorte que ces animaux par l’effet de leurs morsures viennent à bout de ruiner les vignes et ne se retirent qu’après les avoir laissées sans espérance de récolte » et elle fut renouvelée pour la baronnie de Vernou le 16 du même mois. La mise en application des mesures prévues par l’ordonnance relevait ici de l’échelle individuelle, car chaque propriétaire ou bien‑tenant devait s’y plier, mais le contrôle de sa bonne application était de la responsabilité de la communauté d’habitants. En effet, l’assemblée des habitants devait nommer au plus vite quatre commissaires chargés de sillonner la baronnie pour faire un rapport sur les contrevenants, de façon à les sanctionner. Elle était également chargée d’établir des hommes dans les vignes pour faire exécuter l’ordonnance aux frais des mêmes contrevenants. Au cours du xviiie siècle, les ordonnances des intendants orchestrèrent très régulièrement la lutte contre les animaux nuisibles au moment des infestations. Dans le vignoble de Buch, près d’Arcachon, des arrêtés administratifs enjoignirent de la même façon aux habitants de traquer l’eumolpe – insecte également appelé gribouri ou écrivain – en 1798 et en 182441, ce qui montre combien la lutte restait difficile jusqu’à l’arrivée des insecticides chimiques et devait passer par l’obligation faite à chacun, sous la responsabilité collective des communautés d’habitants.

  • 42 F. Mauclair, Tranches de vie en Touraine, op. cit., p. 211.
  • 43 Ibid., p. 211-212.
  • 44 Ibid., p. 211‑212.
  • 45 M. Lachiver, Vins, vignes et vignerons, op. cit., p. 196.

18Avec les justices seigneuriales, ces dernières prenaient également en charge ce qui pouvait relever des désordres et troubles locaux portés par d’autres animaux considérés comme des menaces pour la vigne. Cochons et chiens figuraient au premier rang des animaux errants jugés malfaisants, avant les vendanges surtout. Les officiers seigneuriaux du duché‑pairie de La Vallière en Touraine rappelaient souvent l’interdiction formelle faite à tous les particuliers d’y laisser « vaguer leurs bestiaux », en particulier les cochons. En 1721, s’appuyant sur une ordonnance du bailliage et siège présidial de Tours de 1698, confirmée par un arrêt du parlement, le lieutenant de Saint‑Christophe interdit les vignes aux animaux, « bœufs, vaches, porcs, brebis, moutons, agneaux, chèvres, chevaux, bourriques et autres bestiaux » entre le premier mars et le 25 novembre de chaque année42. Parfois, les chiens faisaient l’objet de l’interdiction. Le 27 septembre 1738, le juge de la châtellenie de Véretz, au sud‑est de Tours, prit une ordonnance pour protéger le vignoble contre les chiens errants. « Plusieurs particuliers dans ce bourg et autres de cette paroisse ont quantité de chiens qui vont dans les vignes dépendantes de cette seigneurie, et qui endommagent considérablement les vendanges qui y sont, au moyen de ce qu’ils n’ont aucun landon [morceau de bois] attaché au col qui leur empêche l’entrée et l’accès dans lesdites vignes »43. Obligation fut donc portée d’entraver les chiens au cou avec des landons à peine de 3 livres d’amende et d’abattage des chiens pris en infraction44. Cette gestion quotidienne des espaces viticoles relevait essentiellement des justices locales et des communautés d’habitants. Les moyens employés étaient efficients contre les dommages ponctuels causés par des animaux que l’on pouvait mettre hors d’état de nuire, mais dérisoires face aux attaques massives. Contre les insectes, notamment les eumolpes, les vignerons pouvaient mener dans les vignes les poules, les canards ou les dindons qui les mangeaient45. Malgré tout, l’efficacité de ces pratiques restait limitée.

Ordonnances royales, obligation et répression

  • 46 Ordonnance de l'intendant pour faire écheniller les arbres fruitiers et autres dans les jardins, te (...)
  • 47 J. Delumeau, Rassurer et protéger, op. cit., p. 375‑383 ; F. Walter, Catastrophes. Une histoire cul (...)

19L’analyse des formes de réponses aux invasions d’insectes permet de comprendre combien devint essentielle une politique de lutte collective pour préserver les intérêts alimentaires et économiques des généralités concernées. L’ordonnance de l’intendant de la généralité de Paris du 1er mars 1744 « pour faire écheniller les arbres fruitiers et tous les autres arbres dans les jardins, terres, vignes, prés, haies et sur les grands chemins », mentionnait qu’il s’agissait de « prévenir la multiplication de ces insectes, dont les nids sont prêts à éclore »46. L’intérêt de cette ordonnance est qu’elle ne fut pas prise pour gérer une situation de crise, contrairement aux cas précédents, mais dans le but de prévenir un risque connu. En faisant porter la responsabilité moins sur Dieu que sur la nature, cette attitude incitait à vouloir agir en prévention, ce qui semble témoigner d’une forme de laïcisation des fléaux, si l’on en croit Jean Delumeau et François Walter47.

  • 48 Archives nationales [désormais AN], H1 1167.
  • 49 René Grevet, « D’actifs relais administratifs du pouvoir exécutif. Les 32 bureaux d’intendance à la (...)

20On observe surtout la construction d’une politique d’anticipation du risque qui passait par des ordonnances de l’intendant à intervalle régulier, puis une délégation de l’application de l’ordonnance aux communautés d’habitants avec une répression sous forme d’amende pour les contrevenants. Une ordonnance de l’intendant de Pau sur la destruction obligatoire des chenilles en 1788 fut ainsi imprimée et diffusée à 200 exemplaires48. Le labeur administratif des bureaux d’intendance incluait donc ces décisions relatives à la gestion des risques naturels, leur impression, leur transmission, la vérification de leur réception et leur conservation notamment par l’entremise des subdélégués49. Cette anticipation du risque était d’autant plus nécessaire que la récurrence des fléaux était connue. Dans l’actuel département du Loir‑et‑Cher, par exemple, les cahiers de doléances de la paroisse de Vineuil demandaient la suppression des aides sur le vin, motif classique et récurrent des cahiers du tiers état, mais au nom des aléas environnementaux auxquels les habitants devaient faire face très souvent, à savoir la survenue de vers qui ravageaient les vignes tous les sept ans, comme une fatalité, ajoutée aux fréquentes inondations et ensablement de la Loire :

  • 50 Archives départementales du Loir‑et‑Cher [désormais AD 41], 1 B 660/2, cahiers de doléances de Vine (...)

Ils exposent que le sol de leur paroisse n’est en partie propre qu’à la culture de la vigne, que sa production est chargée d’impôts onéreux qui empêchent la consommation, que périodiquement tous les sept ans cette espèce de culture est entièrement ravagée et détruite par des vers qui enlèvent espérance de récolte pour plusieurs années de suite, et qu’à la suite de leurs terreurs, ils sont souvent exposés aux inondations de la Loire qui, en les ensablant, anéantit leurs propriétés50.

21L’évocation de ces aléas naturels visait fondamentalement la critique de la politique fiscale royale, en particulier l’injuste tarif des aides sur le vin. L’argument environnemental n’était‑il qu’un prétexte pour critiquer l’inégalité face à l’impôt ou constituait-il, malgré tout, une préoccupation majeure des populations ? Il est difficile de répondre à cette question de manière tranchée, et sans doute les deux interprétations sont‑elles complémentaires, mais cela soulève un point essentiel qui est la transformation du rapport au risque. Celui‑ci pouvait être soit perçu comme évitable dans sa survenue soit – et c’est le cas ici – comme modérable dans ses effets. La gestion du risque en termes de conséquences revêtait donc un aspect collectif inscrit dans le champ du politique.

La recherche de modération fiscale ou l’appel au roi

La modération fiscale comme réponse à la catastrophe : la réparation du risque

  • 51 Raoul Balso, « Les catastrophes naturelles dans le Biterrois au travers des secours royaux de 1750 (...)
  • 52 Thomas Labbé, Les catastrophes naturelles au Moyen Âge : xiiexve siècle, Paris, CNRS Éditions, 201 (...)

22Raoul Balso affirmait que les populations d’Ancien Régime « se tournaient encore prioritairement et instinctivement vers Dieu »51 mais, en réalité, elles se tournaient aussi largement vers les autorités supérieures pour rechercher un arrangement fiscal. Thomas Labbé démontre, dans Les catastrophes naturelles, que l’essentiel de l’activité des autorités locales à la fin du Moyen Âge consistait à trouver les moyens de l’allègement d’impôt52. C’est une logique que l’on retrouve aux siècles modernes, particulièrement dans les cahiers de doléances. L’article 1er du cahier du tiers de Chaumont‑sur‑Loire montre bien les attentes des communautés vis‑à‑vis du roi.

  • 53 AD 41, 1 B 658/1, cahier de doléances de Chaumont‑sur‑Loire, 1789.

Article 1er : Les habitants convaincus des efforts et des vœux de Sa Majesté pour le bonheur de ses peuples, déposent avec confiance dans son sein vraiment paternel que le poids des impôts déjà trop pesant pour eux l’est devenu davantage encore par les intempéries des saisons qui depuis six ans ou environ n’ont cessé de ravager leurs récoltes, par la cherté des grains et l’espèce de famine qui en sont le résultat, enfin par la rigueur de cet hiver qui ne les a, pas seulement pendant très longtemps privés de la ressource du travail mais qui en gelant leurs vignes vient de mettre le comble à leur infortune53.

  • 54 Archives départementales du Gard [désormais AD 30], E-Dépôt 15 01, délibérations paroissiales de Ca (...)
  • 55 Ibid., 12 août 1736, grêle survenue en juillet.
  • 56 Ibid., 3 mai 1739, gelée blanche.
  • 57 Ibid., 5 mai 1754, grêle survenue le 2 mai.
  • 58 Ibid., 22 août 1777, grêle survenue le 22 août.
  • 59 Ibid., 12 août 1736, grêle survenue en juillet.
  • 60 Antoine Follain et Gilbert Garrier (dir.), L’impôt des campagnes : fragile fondement de l’État dit (...)

23Ces formules de demande de modération fiscale étaient rituelles, sans aucune originalité particulière, témoignant de la permanence du principe de protection attendue de la part du souverain. À Castillon‑du‑Gard, en août 173154, en août 173655, en mai 173956, en mai 175457 et en août 177758, des déclarations furent portées par la communauté d’habitants pour demander des décharges fiscales suite à des épisodes de grêle et de gel tardif et ainsi « procurer une indemnité proportionnée à la perte considérable de tous les habitants »59. Les contributions fiscales négociées avec les commissaires du roi pour la taille étaient monnaie courante mais elles restent assez peu étudiées. Sur cette question, l’ouvrage important qu’est L’impôt des campagnes, envisage les modes de collecte, les enjeux et les conflits fiscaux, mais les négociations et demandes de modérations suite aux aléas météorologiques et autres formes de risques sont moins explorées60.

  • 61 Brigitte Maillard, « Les communautés d’habitants et la perception de la taille aux xviie et xviiie  (...)

24Plus généralement, les liens entre risques agraires et fiscalité des campagnes restent peu étudiés, alors que ce sont des variables extrêmement importantes des revenus fiscaux de la monarchie et de l’acceptation du poids de la fiscalité par les communautés. Brigitte Maillard évoque cet aspect lorsqu’elle travaille sur la Touraine, citant le cas de la paroisse de Civray qui demanda une remise partielle de taille en 1732 après un violent orage survenu le 10 août 1729 qui avait arraché les vignes, emporté les sols et fait perdre les récoltes. Les requêtes de ce type se multiplièrent sous l’intendance de François Pierre Du Cluzel, entre 1766 et 1783 : sans doute les catastrophes météorologiques se répétaient-elles mais on sait aussi que l’intendant était soucieux de ménager les campagnes. S’il n’était pas dans le pouvoir de l’intendant de modifier le montant de la taille exigible, il disposait des « fonds libres de la capitation » et pouvait octroyer des gratifications. En 1768, l’élection d’Amboise vit ainsi sa taille baisser de 21,8 %. L’intendant pouvait solliciter du Conseil une remise pour l’année suivante et si le roi l’accordait, le « moins perçu » était alors imposé sur les autres collectivités, qui faisaient ainsi preuve d’une solidarité forcée61. La réponse pouvait être négative comme à Illats, dans le sud Gironde, où le subdélégué Lagarde répondit défavorablement à la requête des habitants suite à une grêle survenue en 1785 :

  • 62 AD 33, C 691, correspondance du subdélégué de Cadillac avec l’intendant de Bordeaux, 1788.

Le procès-verbal que nous avons fait faire dans le temps et qui est joint à la requête justifie que nous avons cherché à faire constater le dommage dont les habitants de la paroisse d’Illats se plaignaient. Mais comme ce même dommage était si peu de chose, la récolte de 1785 ayant été d’une année commune, nous croyons inutile d’en rendre compte et nous estimons que cette paroisse ne mérite aucun soulagement sur cet objet62.

25Les subdélégués jouaient un rôle essentiel d’intermédiation, car ils relayaient l’information auprès de l’intendant, apportaient leur expertise en vérifiant la sincérité des motifs invoqués et répondaient ensuite aux communautés. D’autres types d’autorités intervenaient dans l’instruction de ces demandes. Le 26 décembre 1746, par exemple, l’assemblée des habitants de Castillon‑du‑Gard faisait état de la réponse reçue suite à une demande de dégrèvement de l’année passée :

  • 63 AD 30, E-Dépôt 15 03, délibérations paroissiales de Castillon-du-Gard, 26 décembre 1746.

Ledit sieur Calment consul a dit que M. Trinquelagues, syndic du diocèse, lui a envoyé un état de la répartition faite par M. les commissaires du diocèse de la somme de vingt‑huit mille livres accordée aux communautés dudit diocèse pour l’indemnité des dommages causés par les grêles et autres accidents l’année dernière et que la quotité de l’indemnité de cette communauté a été fixée à la somme de sept cents livres et parce que ledit état contient ordre de répartir ladite somme sur les habitants du présent lieu qui ont souffert des dommages par les grêles et autres cas fortuits l’année dernière, en présence de M. le curé, du collecteur de la taille et de quatre principaux habitants qui seront nommés à cet effet par le conseil de la communauté. Il en donne avis pour y être pourvu63.

  • 64 Nicolas Krautberger, « Malheurs des temps et malheureux du temps. Apprécier et dédommager les accid (...)

26Le syndic du diocèse, comme les curés, étaient au contact des gens de la terre et connaissaient les répercussions d’une mauvaise récolte sur les populations car, avec les épidémies, le risque climatique était celui qui pesait le plus fort sur le monde agricole de la France moderne. On retrouve cela de manière usuelle en milieu montagnard où « ces procédures de dédommagement y apparaissent presque naturelles, inhérentes à une agriculture de subsistance que les conditions du milieu contraignent forcément, transformant la plupart des activités humaines en véritables défis techniques » selon Nicolas Krautberger. L’invocation des intempéries comme motif de demande de décharge fiscale était souvent un prétexte, administrativement établi, en Dauphiné : « il apparut plus rentable administrativement de mettre en œuvre un dispositif de diminution d’impôt lié au dédommagement des accidents saisonniers que de remanier le péréquaire général de la province, invention bureaucratique génératrice des contradictions entre la fixité des revenus imposables de la terre et la fluidité des capacités productives de ces mêmes terres »64. Les aléas naturels étaient‑ils donc un prétexte à la contestation des modes de perception fiscale, une manière d’en souligner l’injustice ? On peut surtout en retenir l’idée que les requêtes de modération fiscale se répandaient comme processus d’intervention politique et modalité de dialogue entre les sujets du royaume et le roi, par ses représentants.

  • 65 Alain Contis et Teddy Auly, « Des fléaux du ciel aux bienfaits royaux. Exemples aquitains (1740‑178 (...)
  • 66 Michel Figeac, L’automne des gentilshommes, Paris, Champion, 2002, p. 93.
  • 67 A. Contis et T. Auly, « Des fléaux du ciel aux bienfaits royaux. Exemples aquitains (1740‑1789) », (...)

27Cette interprétation semble d’autant plus probante lorsqu’on constate combien les élites propriétaires formulaient, elles aussi, ce genre de demandes. En Aquitaine, Alain Contis constate, comme Brigitte Maillard en Touraine, la multiplication des requêtes dès les années 1740. L’intendance de Louis-Urbain Aubert de Tourny en 1743 fut un moment décisif de la mise en place de ces procédures de demandes, qui se multiplièrent après 1750 avec l’octroi de secours royaux aux communautés victimes. À ces demandes collectives s’ajoutaient des suppliques individuelles, particulièrement nombreuses lors des deux dernières décennies de l’Ancien Régime, la plupart du temps liées aux aléas météorologiques, demandant des allègements des autres impositions directes, capitation et vingtième. Si elles concernaient parfois des catégories populaires très modestes, ces demandes émanaient essentiellement des riches propriétaires qui mettaient en exergue des dégâts dans leurs cultures65. La sincérité des déclarations devait parfois être mise en doute, car les demandes de modération noircissaient souvent le manque de ressources pour tromper l’administration66. En effet, le contrôleur général Joseph Marie Terray ayant voulu faire davantage contribuer les plus riches, les nobles multiplièrent les requêtes pour demander des dégrèvements et, afin de donner plus de crédibilité à leur demande et échapper à un refus, ils s’appuyaient sur des motifs climatiques67. Ainsi, en 1789, la dame Losse, veuve de Gensac, de la paroisse de Pujols, déposa une longue requête pour demander une modération – qu’elle obtint – et fit écrire un certificat par le curé de la paroisse :

  • 68 AD 33, C 691.

Je soussigné, curé de la paroisse de Pujols en Barsac, certifie que le 2e du mois de juin de l’année dernière 1788, il tomba sur ladite paroisse une grêle si affreuse qu’elle enleva la vingtième partie des fruits de ladite paroisse, ce qui fut vérifié par le procès-verbal qui en fut fait par le juge de Barsac. Et notamment que le bien de Madame la veuve de Gensac essuya encore plus par sa situation sous l’effort de la grêle, de sorte que son bien fut totalement ruiné et ne lui donna que très peu de vin, seule production de son terrain. Et que la récolte de la présente année se réduira à très peu de choses, par une suite nécessaire de la grêle, et à cause du froid excessif de l’hiver dernier qui a fait mourir une quantité prodigieuse de pieds de vigne, et ce qui est resté s’est évanoui par les gelées et les pluies qui ont fait écouler généralement le peu de manne qui restait sur les pieds. En foi de quoi, à Pujols, le 12 juillet 1789. Barré, curé de Pujols68.

  • 69 AD 33, C 2972, ordonnance de décharge sur les vingtièmes des fonds nobles dans l’élection de Bordea (...)
  • 70 A. Contis et T. Auly, « Des fléaux du ciel aux bienfaits royaux. Exemples aquitains (1740‑1789) », (...)

28L’insistance sur la situation personnelle de la dame Losse, veuve et mère de cinq enfants, montre la place croissante faite au statut des victimes dans les discours et considérations accordées par l’État à la fin du xviiie siècle. De même, lorsque le conseiller au parlement de Bordeaux, Leblanc de Mauvezin obtint, en 1764, un allègement de son vingtième après avoir signifié qu’il avait perdu les trois quarts de sa récolte en vin, c’est aussi parce qu’il mentionna la pension annuelle de 6 000 livres qu’il versait à sa fille qui venait de se marier69. Globalement, les requêtes individuelles présentées à l’intendant aboutissaient, pour 70 % d’entre elles, à une réduction de cote égale ou supérieure à la moitié du montant initialement exigé dans la généralité de Guyenne70 et, pour ce faire, l’appel à la sensibilité des autorités était fréquent.

  • 71 On retrouve ici l’idée soutenue par la sociologue Gaëlle Clavandier, La mort collective. Pour une s (...)
  • 72 Pour une synthèse utile sur les communautés rurales, voir Antoine Follain, « Les communautés rurale (...)
  • 73 Eugène Nolent, La commune rurale et la paroisse, Paris, Société d’économie sociale, 1904, p. 469‑48 (...)

29Ainsi abordé sous l’angle de la compassion, sinon de l’empathie, l’événement naturel difficile devient un drame71 et l’idée d’une responsabilité de l’État par la figure du roi, non pas dans la survenue mais dans le secours aux victimes, se construisit peu à peu. De la réponse des autorités aux demandes de modération fiscale dépend une forme de régulation sociale et, partant de là, de justice. En effet, manifester une solidarité face aux aléas subis par toute ou partie de la communauté obligeait à s’entendre sur ce qu’était l’intérêt collectif, à s’accorder sur des principes puis à s’engager collectivement dans une action72. Dès 1904, Eugène Nolent considérait en effet que la vie communale sous l’Ancien Régime n’était une forme d’association vivante que si elle avait « le triple caractère de la solidarité, de la tradition et de l’autonomie des moyens »73. Plus que l’espace commun, c’est bien l’environnement collectif que les communautés d’habitants étaient amenées à réguler dans les demandes de modération fiscale qui étaient régulièrement rédigées. Au fond, il s’agit là d’une chose fort simple : la gestion, à échelle locale, de l’ensemble des affaires et des intérêts. La fiscalité d’abord, l’environnement ensuite, y tenaient une bonne place et se croisaient.

La construction d’une politique du risque

  • 74 G. Quenet, Les tremblements de terre aux xviie et xviiie siècles, op. cit.
  • 75 Archives départementales du Lot‑et‑Garonne [désormais AD 47], E-Sup 3008, délibérations paroissiale (...)
  • 76 Cité par R. Balso, « Les catastrophes naturelles dans le Biterrois au travers des secours royaux », (...)

30C’est bien aux communautés que la protection des victimes, en tant qu’acte de gouvernance, s’imposa d’abord au xvie siècle, avant de devenir une mission de l’État à partir du xviiie siècle. L’historiographie de la question s’est principalement construite autour de ce transfert de la gestion des catastrophes naturelles depuis l’échelon local vers l’autorité de l’État74. Or, les délibérations paroissiales montrent que le recours à l’État existait au tout début du xviiie siècle sous des formes normées, et donc sans aucun doute plus tôt. Dans les délibérations paroissiales de Calignac (département actuel du Lot‑et‑Garonne), on peut lire à la date du 9 juillet 1702 qu’il était tombé une si grande quantité de grêle qu’elle avait ravagé les fruits des grains et des vignes de la communauté, qui demandait alors à l’intendant de lui faire accorder un rabais sur les tailles75. La grêle, le gel tardif ou la coulure printanière ne constituaient pas des catastrophes, au sens utilisé par Grégory Quenet dans sa réflexion sur les tremblements de terre face auxquels l’autorité de l’État devient la seule capable d’apporter une réponse en situation d’urgence ; mais les dommages régulièrement encourus par les cultures permettent justement de voir les nuances des formes de gestion des risques qui existaient dans la France moderne. En 1754, par exemple, l’intendant de Montpellier rédigea un mémoire précisant « la nature des indemnités que le roi a la bonté d’accorder annuellement aux diocèses, communautés et particuliers dont les récoltes ont été endommagées »76, ce qui montre le caractère normé et habituel de ces procédures. Les communautés d’habitants s’appropriaient ces directives générales pour établir leurs demandes fiscales, comme on le voit dans les délibérations paroissiales de Francescas du 21 juillet 1771 :

  • 77 AD 47, E-Sup 2650, délibérations paroissiales de Francescas, 21 juillet 1771.

Le vingt‑sept du mois dernier, il tomba une prodigieuse quantité de grêle et une pluie si excessive accompagnée d’un vent si furieux que d’un côté les grains ont été considérablement endommagés, les foins enlevés par les inondations, les guérets emportés par les torrents et les vignes fracassées. En conséquence, la communauté aurait nommé des commissaires par son acte de jurade du quatre du présent mois de juillet, et ayant reçu depuis des ordres de Monsieur le subdélégué pour nous faire constater les dégâts, les commissaires sont venus faire le rapport à l’assemblée, dont la teneur s’ensuit77.

31Cette déclaration croise plusieurs des enjeux de la politique du risque en matière agricole. Pour obtenir une remise d’impôt, il s’agissait d’abord d’établir les faits, puis les conséquences des événements sur les cultures, immédiatement et à venir. En tant que relais du pouvoir royal, les intendants mirent en place des modalités précises de déclaration des accidents météorologiques permettant de rationaliser les secours consentis et de voir quelles conséquences réelles ces aléas avaient sur la production agricole de leur généralité. Sur ce point, le concept de subsidiarité apparaît pertinent à mobiliser, car les modalités d’intervention face aux aléas subis par la vigne montrent l’existence d’une politique multiscalaire de gestion des risques et, de ce fait, l’affirmation de la pertinence du local.

  • 78 AD 47, E-Sup 167, délibérations paroissiales de Fals, 17 juillet 1783.
  • 79 R. Balso, « Les catastrophes naturelles dans le Biterrois au travers des secours royaux », art. cit (...)
  • 80 Gazette des tribunaux, 1778, p. 397‑398 (Bibliothèque de la Cour de cassation, 2013 247156).

32Dans les années 1780, plusieurs arrêts du Conseil, comme celui du 14 mars 1784 ou celui de 1783 que l’on retrouve dans une ordonnance de l’intendant de Guyenne du 17 juillet 178378, définirent les quatre types de dommages qui donnaient droit à des indemnités. Dans le tableau dressé par les arrêts figure un « modèle de l’état constaté des pertes faites par les communautés », il y a quatre colonnes pour « causes des pertes » : Grêle ; Gelées ; Inondations ; Abats d’eau. La procédure était simple : la déclaration devait être faite dans les quinze jours qui suivaient le dommage auprès du subdélégué. Ce dernier intégrait ensuite la requête dans la tournée des commissaires vérificateurs qui en faisaient généralement deux par an avant les principales récoltes. En Biterrois, elles avaient lieu « avant la récolte du blé et au moment de la vendange ou de la cueillette des olives »79. Les experts étaient des propriétaires qui connaissaient la culture de la vigne pour évaluer les dommages : ils indiquaient la superficie touchée, la nature des fruits et estimaient les dégâts pour proposer ensuite une modération fiscale car les secours résidaient quasi‑systématiquement en une remise d’impôt. On retrouve ce mode d’intervention face aux dégâts occasionnés par les animaux. Le Parlement de Paris, par exemple, rendit un arrêt le 21 juillet 1778 « concernant les indemnités demandées par les propriétaires ou fermiers relativement au dégât causé par le gibier et les bêtes fauves aux grains ou vignes »80. Les demandeurs devaient se pourvoir devant les juges des Eaux-et-Forêts dont relevaient leurs biens et faire procéder à la visite des terres concernées par des experts. Ces procédures de dommages dessinées par les politiques publiques s’exprimaient dans des jeux d’échelles permanents entre les enjeux locaux et l’État. Elles illustrent très nettement le rôle des forces locales dans la construction d’une politique du risque. Retrouver dans les délibérations paroissiales de Fals (département actuel du Lot‑et‑Garonne), le 17 juillet 1783, l’ordonnance de l’intendant de Guyenne reprenant les décisions du Conseil, recopiée après lecture publique à tous, illustre parfaitement ce principe de subsidiarité. À cet endroit, il faut souligner le rôle des subdélégués qui formaient les interlocuteurs privilégiés des communautés et des intendants, participaient à faire circuler les demandes et à les justifier. La transmission de l’information et l’appropriation au plus près des enjeux locaux constituait un gage d’action efficace de l’État face aux problèmes environnementaux.

Une politique d’anticipation des risques

  • 81 Christian Pfister, « Surmonter les catastrophes naturelles. Les stratégies de 1500 à nos jours », d (...)
  • 82 Grégory Quenet, « État, élites, communautés face à la catastrophe. Le tremblement de terre de 1708 (...)

33Selon Christian Pfister, « ce n’est que lorsque les forces et les moyens manquaient au plus bas niveau, celui de la famille et du voisinage, que les communes, les autorités ou les aides extérieures intervenaient »81, comme si les autorités n’agissaient que sur la sollicitation des sinistrés, sans chercher à anticiper les problèmes. Or, la question semble un peu plus complexe qu’il n’y paraît. Dans son étude du tremblement de terre de 1708 en Moyenne‑Durance, Grégory Quenet a montré que cet événement ainsi que le grand hiver de 1709 constituèrent des références dans la culture gouvernementale qui participèrent à construire une politique d’anticipation. À partir d’évènements de ce type, la monarchie administrative renforça son paternalisme préventif pour mieux atténuer les catastrophes et leurs conséquences, notamment les disettes et les épidémies, mais aussi pour les prévoir82. Or, il est intéressant de se demander si la spécialisation viticole a généré des risques particuliers, minoré ou amplifié des problèmes repérés, participé à forger une politique de réaction et d’anticipation. L’intervention de l’avocat Pomarel, dans l’élection de Sarlat, en Dordogne, offre l’occasion d’étudier la question. Nommé commissaire des chemins, il fut chargé de rédiger un rapport, en date du 30 juillet 1761, au sujet de la paroisse de Pazayac :

  • 83 AD 33, C 1317, rapport de Pomarel au sujet de la paroisse de Pazayac, 30 juillet 1761.

La position de cette paroisse est principalement en plaine, bornée au nord par le Limousin, la rivière de Vézère entre deux ; au midi est une montagne élevée qui la borde d’un bout à l’autre et c’est sur le penchant de cette montagne que sont les vignes tournées au nord. Elles ont péri au sommet par le manquement de la terre que les ravines entraînent. Il y a quelque terrain en bruyères qu’on convertit successivement en vignes peu durables, à mesure qu’il en périt, on en fait de nouvelles mais il reste toujours du pays inculte sans pâturage. […] Les vignes sont sur le penchant de la montagne en terrain blanchâtre et graveleux83.

  • 84 Thomas Labbé, « Transformation des milieux naturels et conscience environnementale à la fin du Moye (...)

34Mandaté par l’intendant, il était un homme du cru, bon connaisseur des enjeux du territoire et capable d’en comprendre les dynamiques environnementales et ainsi les risques encourus. Par conséquent, dirait‑on de lui qu’il représentait l’État royal qui, par son intermédiaire, élaborerait un savoir autour de la gestion des sols agricoles ? Ou n’est-ce pas plutôt un homme de l’échelon local qui se met alors au service de l’administration royale ? Bien plus sûrement le recours à cet avocat, commis et collaborateur de l’intendant, montre combien la monarchie dite administrative ne pouvait fonctionner sans les petites élites locales qui, sur le terrain, avaient une attitude pragmatique et tiraient de l’expérience les moyens de lutter contre certains risques. La culture de la vigne générait un discours sur l’anthropisation du milieu qui mettait en cause les aménagements nouveaux dans la responsabilité de dynamiques porteuses de risques, discours qui puise ses origines du Moyen Âge et qui témoigne du développement d’une certaine forme de conscience environnementale84, entendue au sens de l’analyse des conséquences de l’action humaine sur le milieu.

  • 85 AD 30, E-Dépôt 18 03, délibérations paroissiales de Codolet, 29 avril 1767.

35Les délibérations paroissiales permettent de discuter largement l’idée selon laquelle l’État remplacerait peu à peu les communautés dans la gestion des risques au cours du xviiie siècle. Plutôt que de s’opposer, ces deux types d’acteurs doivent être vus comme complémentaires dans leurs formes d’intervention. Le pouvoir royal s’appuyait fortement sur les communautés pour mettre en œuvre sa politique de secours et de prévention pour tout ce qui relevait des questions agraires. En retour, les communautés exprimaient parfois leur incapacité à assumer les charges relatives à la gestion des dégâts et reportaient sur l’État royal la mission de secours. On le constate à Codolet (département actuel du Gard), lors d’une délibération du 29 avril 1767, dans laquelle les consuls exposèrent que les deux derniers hivers avaient été très froids et qu’ils avaient occasionné la perte presque totale des oliviers et d’une grande partie des vignes. À cela s’ajoutait une épizootie en 1775, ainsi qu’un gel tardif qui toucha les mûriers et le reste des vignes. Ils suppliaient alors l’intendant de porter leur plainte auprès du roi « afin que, touché de leur état, toujours plein d’amour et de commisération pour ses peuples, il daigne leur accorder les secours qui leur sont nécessaires pour subsister jusqu’à ce qu’il eût plu à la divine providence touchée de leurs larmes et de leurs prières de les relever par ses bienfaits de l’état pitoyable où ils sont réduits »85. Au‑delà du discours qui visait à susciter la pitié des autorités face aux difficultés des victimes, la communauté invoquait le besoin d’État. En ce sens, on peut considérer que le recours croissant à l’État royal faisait passer les instances locales au second plan. Toutefois, si cela est exact du point de vue de l’origine financière des subsides accordés, cela ne signifie pas pour autant que les communautés avaient un rôle disqualifié ni même minoré dans la politique de gestion des risques naturels. Dans la paroisse de Fals, une délibération se tint le 9 septembre 1788 pour fixer le ban des vendanges et posa en préambule la nécessité de « prévenir ces événements » en parlant des orages de grêle pour préserver la récolte :

  • 86 AD 47, E-Sup 167, délibérations paroissiales de Fals, 9 septembre 1788.

Par lesdits sieurs consuls a été dit et proposé que conformément aux arrêts de règlement, il est porté de nommer des experts pour visiter les vignes aux fins de reconnaître si les raisins sont en maturité pour le règlement et fixation des vendanges. Mais comme les grandes chaleurs durables et consécutives qu’il a fait la présente année en ayant retardé la maturité et une pluie survenue depuis vendredi dernier les ayant forcés tout à coup de mûrir, on prévoit qu’on n’aurait pas le temps de nommer dans la forme des règlements des experts pour procéder à ladite visite et que ce serait retarder les vendanges à un point, s’il fallait remplir ce préalable actuellement, que les habitants et bien tenants pourraient souffrir de ce retardement par rapport aux orages fréquents qui se présentent chaque jour et qui sont toujours mêlés de grêle. Qu’en conséquence, il serait à propos de prévenir ces évènements en procédant au règlement et fixation des vendanges86.

  • 87 J. Delumeau et Y. Lequin (dir.), Les malheurs des temps, op. cit., p. 344‑350.

36À plusieurs reprises, fut invoquée la volonté de ne pas faire courir de péril inutile à la communauté, en raccourcissant le protocole habituel de fixation des dates de vendanges. La conscience du risque de survenue des orages de fin d’été faisait craindre pour les intérêts économiques de l’ensemble de la population. La politique de gestion du vignoble, entendu comme territoire économique de production de vin, s’élaborait bien à l’échelle locale, à partir de deux leviers d’intervention : d’abord la gestion collective de l’espace et la prise de décisions, ensuite la bonne connaissance de l’environnement et de la vigne. Tous deux formaient les fondements d’un nouveau discours sur « la maîtrise du risque »87 viticole.

Conclusion

  • 88 Anthony Giddens, Runaway World. How Globalization is Reshaping our Lives, Londres, Routledge, 2003 (...)
  • 89 P. Delvaux, B. Fantini et F. Walter (dir.), Les cultures du risque, op. cit., p. XI.

37La prise en charge de plus en plus grande des risques par les communautés et sociétés, s’inscrit aussi selon le sociologue Anthony Giddens dans la modernité capitaliste : « Le risque est la dynamique qui mobilise une société orientée vers le changement, qui désire déterminer son propre avenir plutôt que de le laisser sous l’emprise de la religion, de la tradition ou des aléas de la nature. […] Le capitalisme moderne se projette continuellement dans l’avenir en calculant les profits et les pertes futurs »88. Au‑delà de cette vision qui oppose tradition et modernité, soumission et maîtrise face à la nature, l’étude de la vigne comme culture du risque permet de réfléchir à la notion de vulnérabilité des sociétés. « La crise qui actualise le risque est donc d’abord un événement social, par lequel un aléa peut devenir une catastrophe »89 qui dépend et révèle le seuil de vulnérabilité des sociétés. Les hommes attendaient d’être protégés, voire secourus, encore fallait‑il que ce fût possible. Cela impliquait des fonds collectés ou répartis par l’État ou par une autre instance, que l’argent vînt des impôts ou de la charité. En outre, selon que le danger relevait de causes naturelles ou d’une action humaine, qu’on eut une prise possible sur lui ou aucune, les réactions variaient. En somme, la vigne dans son environnement offre un moyen intéressant pour approcher certaines formes de conceptualisation de l’incertitude.

  • 90 Christian Pfister et Christof Mauch, Natural disasters, cultural responses: case studies toward a g (...)

38Pour les périls ordinaires, comme la gestion des sols face à l’érosion, la lutte contre les insectes ravageurs de la vigne, la chasse aux oiseaux considérés comme nuisibles, on peut observer, par la succession des événements, les processus d’apprentissage qui se mirent en place, rendant une communauté ou un vigneron capable de mieux gérer les menaces à venir90. Ce faisant, on s’éloigne largement d’une histoire culturelle des dangers encourus et des catastrophes qui prendrait en compte seulement l’interprétation et la dimension anthropologique et morale des événements. Il me semble fondamental de revenir à la manière dont les choses étaient vécues et gérées par les acteurs eux‑mêmes.

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Notes

1 Jean‑Baptiste Fressoz et Fabien Locher, Les révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique, xvexxe siècle, Paris, Seuil, 2020, p. 9‑16. La notion de « réflexivité » des sociétés européennes constitue la deuxième thèse des auteurs, p. 10‑11.

2 La notion de risque est apparue au xiie siècle, avec le terme de « resicum », dans le vocabulaire du commerce maritime. Il ne fut étendu à la question de risque naturel que plus tardivement aux xixe et xxe siècles. Voir Sylvain Piron, « L’apparition du resicum en Méditerranée occidentale, xiiexiiie siècles », dans Emmanuelle Collas‑Heddeland et al., Pour une histoire culturelle du risque. Genèse, évolution, actualité du concept dans les sociétés occidentales, Strasbourg, Université de Haute‑Alsace, 2004.

3 Soraya Boudia et Nathalie Jas, « Introduction: Risk and ‘risk society’ in historical perspective », History and Technology, 23/4 (2007), p. 317-331.

4 David Niget et Martin Petitclerc, « Introduction. Le risque comme culture de la temporalité », dans id. (dir.), Pour une histoire du risque : Québec, France, Belgique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 9‑39, citation p. 9. Le concept a fait son entrée depuis plus de trente ans dans le champ des sciences sociales, notamment avec les travaux d’Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Aubier, 2001 (1986), de Mary Douglas, Risk and Blame: Essays in Cultural Theory, Londres/New York, Routledge, 1992 et de Niklas Luhmann, Risk: A Sociological Theory, New York, Aldine de Gruyter, 1993.

5 Sans exhaustivité, François Walter, Catastrophes. Une histoire culturelle xvie-xxie siècle, Paris, Seuil, 2008 ; Grégory Quenet, Les tremblements de terre aux xviie et xviiie siècles : la naissance d’un risque, Paris, Éditions Champ Vallon, 2005 ; François Locher, Le Savant et la Tempête. Étudier l’atmosphère et prévoir le temps au xixe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008 ; Emmanuel Garnier, Les dérangements du temps : 500 ans de chaud et de froid en Europe, Paris, Plon, 2010 ; René Favier, Les pouvoirs publics face aux risques naturels dans l’histoire, Grenoble, MSH‑Alpes, 2002 ; Geneviève Massard Guilbaud et Richard Rodger, Environmental and Social Justice in the City. Historical Perspectives, Cambridge, White Horse Press, 2011.

6 La bibliographie sur ce sujet est abondante. On citera l’article fondateur de Lucien Febvre, « Pour l’histoire d’un sentiment : le besoin de sécurité », Annales. Histoires, Sciences Sociales, 11/2 (1956), p. 244‑247 et les travaux de Jean Delumeau : La peur en Occident, xive-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1978 ; Les malheurs des temps : histoire des fléaux et des calamités en France, Paris, Larousse, 2020 (1987) (ouvrage dirigé avec Yves Lequin) ; Rassurer et protéger : le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, Fayard, 1989. Voir également Madeleine Ferrières, Histoire des peurs alimentaires : du Moyen Âge à l’aube du xxe siècle, Paris, Seuil, 2002 ; Joanna Bourke, Fear : A Cultural History, Londres, Virago, 2006 ; Pascal Delvaux, Bernardino Fantini et François Walter (dir.), Les cultures du risque (xviexxie siècle), Genève, Presses d’histoire suisse, 2006 ; François Chauvaud (dir.), L’ennemie intime. La peur : perception, expressions, effets, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.

7 Patrick Peretti-Watel, La société du risque, Paris, La Découverte, 2001, p. 6-7.

8 Grégory Quenet, « Des sociétés sans risques ? Les catastrophes naturelles en France à l’époque moderne », dans Gérard Chastagnaret (dir.), Les sociétés méditerranéennes face au risque. Disciplines, temps, espaces, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, p. 139‑155.

9 Rémi Luglia (dir.), Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018.

10 Stéphanie Lachaud, La vigne, une culture contre nature ? Essai d’histoire rurale et environnementale, France xviie-xviiie siècles, mémoire d’habilitation à diriger des recherches, Université Bordeaux Montaigne, 2024.

11 Archives départementales de la Marne, E-Dépôt 2427, délibérations paroissiales d’Aÿ, 19 avril 1733.

12 Journal de François Lattron, vigneron du Bois‑aux‑Moines, à Naveil (1756‑1810), dans Ernest Nouel, « Journal d’un vigneron vendômois », Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, XIV (1875), p. 321-363, années 1785, 1786 et 1787, p. 341.

13 Cité sans référence précise par Marcel Lachiver, Vins, vignes et vignerons, Histoire du vignoble français, Paris, Fayard, 1988, p. 197‑198.

14 J. Delumeau, Rassurer et protéger, op. cit., p. 69.

15 Armelle Bonin‑Kerdon, « à la recherche d’un ‘lieu perdu’ : les vignobles du pays du Buch », dans Marguerite Figeac-Monthuis et Stéphanie Lachaud (dir.), Patrimoines viticoles. Les lieux et les objets de la vigne et du vin de l’Antiquité à nos jours, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2015, p. 201.

16 Éric Baratay, « L’excommunication et l’exorcisme des animaux aux xviie et xviiie siècles, une négociation entre bêtes, fidèles et clergé », Revue d’histoire ecclésiastique, 107/1 (2012), p. 223. Ce rituel est attesté du xive au début du xixe siècle, avec même des procès en excommunication, de plus en plus fréquents à partir des dernières décennies du xiiie siècle, qui s’expliquent par l’interrogation autour de la responsabilité morale des animaux.

17 Id., « Exorciser les bêtes dans le diocèse de Besançon au xviiie siècle », dans Maïté Billoré et Johan Picot (dir.), Dans le secret des archives. Justice, ville et culture au Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 343‑355.

18 Affiches des Trois‑Évêchés : feuille hebdomadaire, 28 avril 1774 (Bibliothèques‑Médiathèques de Metz, LSG 112).

19 Benoît Musset, Vignobles de Champagne et vins mousseux : 1650-1830, Paris, Fayard, 2008, p. 171.

20 François Lebrun, « Le calendrier agro‑liturgique dans la société traditionnelle de l’ouest de la France », dans François Lebrun et Normand Seguin (dir.), Sociétés villageoises et rapports villes‑campagnes au Québec et dans la France de l’Ouest, Trois‑Rivières/Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1987, p. 347‑352.

21 Ibid.

22 J. Delumeau, Rassurer et protéger, op. cit., p. 90.

23 Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne, xviexviiiie siècle, Paris, Fayard, 2002, p. 166.

24 Stéphane Minvielle, « Les ‘malheurs des temps’ en Gironde au xviiie siècle, d’après les registres paroissiaux », Annales du Midi. Revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, 117-249 (2005), p. 45‑73.

25 Extrait tiré des volumes 1 à 5 (Archives départementales de la Gironde [désormais AD 33], E-Supplément, cité par S. Minvielle, « Les ‘malheurs des temps’ en Gironde au xviiie siècle », art. cit., p. 63).

26 Archives départementales de la Charente, 142 B 13, cahiers de doléances de Bassac, 1789.

27 F. Walter, Catastrophes. Une histoire culturelle, op. cit., p. 62-84, citation p. 62.

28 M. Douglas, Risk and Blame, op. cit.

29 Peter Gray et Oliver Kendrick, The Memory of Catastrophe, Manchester, Manchester University Press, 2004 ; J. Bourke, Fear. A Cultural History, op. cit.

30 Keith Thomas, Religion and the decline of magic, New York, Scribner, 1971.

31 J. Delumeau, Rassurer et protéger, op. cit., 1989.

32 F. Walter, Catastrophes. Une histoire culturelle, op. cit., p. 77.

33 Jean‑Marie Desbordes, La Chronique villageoise de Varreddes (Seine‑et‑Marne) : un document sur la vie rurale des xviie et xviiie siècles, Paris, Éditions de l’École, [1961], p. 19. Cité par Jean‑Marc Moriceau, La mémoire des paysans : chroniques de la France des campagnes, 1653-1788, Paris, Taillandier, p. 337.

34 Archives départementales d’Indre-et-Loire [désormais AD 37], 6NUM7/046/007, registre paroissial de Céré-la-Ronde, 1730-1749, vue 36, nota du curé pour 1732.

35 Ibid., 1730-1749, vues 117-118, nota du curé pour 1739.

36 Jean‑François Colas, Le Manuel du cultivateur dans le vignoble d’Orléans, utile à tous les autres vignobles du royaume, Orléans, C. Jacob, 1770, p. 117 (Bibliothèque nationale de France [désormais BnF], S-20889).

37 Ibid., p. 115‑116.

38 É. Baratay, « L’excommunication et l’exorcisme des animaux », art. cit., p. 223‑254, citation p. 227.

39 Gazette de France, Paris, Imprimerie royale, 1762‑1792, 11 mai 1779 (BnF, 4-LC2-1).

40 Fabrice Mauclair, Tranches de vie en Touraine au xviiie siècle. À travers les archives des justices seigneuriales, Avon‑les‑Roches, Anovi, 2015, p. 226‑227.

41 A. Bonin‑Kerdon, « À la recherche d’un ‘lieu perdu’ : les vignobles du pays du Buch », art. cit., p. 201.

42 F. Mauclair, Tranches de vie en Touraine, op. cit., p. 211.

43 Ibid., p. 211-212.

44 Ibid., p. 211‑212.

45 M. Lachiver, Vins, vignes et vignerons, op. cit., p. 196.

46 Ordonnance de l'intendant pour faire écheniller les arbres fruitiers et autres dans les jardins, terres, vignes, prés, baies et sur les grands chemins, Paris, Imprimerie royale, 1744 (BnF, F-21136 (92)).

47 J. Delumeau, Rassurer et protéger, op. cit., p. 375‑383 ; F. Walter, Catastrophes. Une histoire culturelle, op. cit., p. 9‑12.

48 Archives nationales [désormais AN], H1 1167.

49 René Grevet, « D’actifs relais administratifs du pouvoir exécutif. Les 32 bureaux d’intendance à la fin du xviiie siècle », Annales historiques de la Révolution française, 332 (avril‑juin 2003), p. 7‑24.

50 Archives départementales du Loir‑et‑Cher [désormais AD 41], 1 B 660/2, cahiers de doléances de Vineuil, 1789.

51 Raoul Balso, « Les catastrophes naturelles dans le Biterrois au travers des secours royaux de 1750 à 1790 », dans Anne Blanchard, Henri Michel et élie Pélaquier (dir.), Météorologie et catastrophes naturelles dans la France méridionale à l’époque moderne, Montpellier, Université Paul‑Valéry, 1993, p. 77‑89, citation p. 78.

52 Thomas Labbé, Les catastrophes naturelles au Moyen Âge : xiiexve siècle, Paris, CNRS Éditions, 2017, p. 211.

53 AD 41, 1 B 658/1, cahier de doléances de Chaumont‑sur‑Loire, 1789.

54 Archives départementales du Gard [désormais AD 30], E-Dépôt 15 01, délibérations paroissiales de Castillon-du-Gard, 19 août 1731, grêle survenue le 15 août.

55 Ibid., 12 août 1736, grêle survenue en juillet.

56 Ibid., 3 mai 1739, gelée blanche.

57 Ibid., 5 mai 1754, grêle survenue le 2 mai.

58 Ibid., 22 août 1777, grêle survenue le 22 août.

59 Ibid., 12 août 1736, grêle survenue en juillet.

60 Antoine Follain et Gilbert Garrier (dir.), L’impôt des campagnes : fragile fondement de l’État dit moderne (xvexviiie siècle), Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique, 2005.

61 Brigitte Maillard, « Les communautés d’habitants et la perception de la taille aux xviie et xviiie siècles, en pays d’élections (d’après l’exemple de la généralité de Tours) », dans A. Follain et G. Garrier (dir.), L’impôt des campagnes, op. cit., p. 481‑510.

62 AD 33, C 691, correspondance du subdélégué de Cadillac avec l’intendant de Bordeaux, 1788.

63 AD 30, E-Dépôt 15 03, délibérations paroissiales de Castillon-du-Gard, 26 décembre 1746.

64 Nicolas Krautberger, « Malheurs des temps et malheureux du temps. Apprécier et dédommager les accidents saisonniers et les sinistres agricoles dans les Alpes (xviiie-xixe siècles) », Histoire & Mesure, XXVIII‑1 (2013), p. 107‑144. Un péréquaire est un relevé général de l’ensemble des parcellaires qui permettait de fixer en feux et fraction de feux la part de chacune des communautés face à la somme de taille royale exigée pour la province.

65 Alain Contis et Teddy Auly, « Des fléaux du ciel aux bienfaits royaux. Exemples aquitains (1740‑1789) », dans Caroline Le Mao et Corinne Marache (dir.), Les élites et la terre du xvie siècle aux années 1930, Paris, Armand Colin, 2010, p. 87‑100. Alain Blanchard, à partir de l’exemple de la généralité de Soissons au xviiie siècle, intègre aussi les aléas climatiques dans son étude des modes de répartition de la charge fiscale et montre la croissance des demandes d’allègement : Alain Blanchard, « Répartir les impôts entre les paroisses, une tâche difficile : l’exemple de la généralité de Soissons au xviiie siècle », dans A. Follain et G. Garrier (dir.), L’impôt des campagnes, op. cit., p. 435‑480.

66 Michel Figeac, L’automne des gentilshommes, Paris, Champion, 2002, p. 93.

67 A. Contis et T. Auly, « Des fléaux du ciel aux bienfaits royaux. Exemples aquitains (1740‑1789) », art. cit., p. 93.

68 AD 33, C 691.

69 AD 33, C 2972, ordonnance de décharge sur les vingtièmes des fonds nobles dans l’élection de Bordeaux, 1764.

70 A. Contis et T. Auly, « Des fléaux du ciel aux bienfaits royaux. Exemples aquitains (1740‑1789) », art. cit., p. 100.

71 On retrouve ici l’idée soutenue par la sociologue Gaëlle Clavandier, La mort collective. Pour une sociologie des catastrophes, Paris, CNRS Éditions, 2004.

72 Pour une synthèse utile sur les communautés rurales, voir Antoine Follain, « Les communautés rurales en France, définitions et problèmes (xvexixe siècle) », Histoire & Sociétés Rurales, 12 (1999), p. 11-62.

73 Eugène Nolent, La commune rurale et la paroisse, Paris, Société d’économie sociale, 1904, p. 469‑482. Je reprends cette référence d’Antoine Follain (dir.), L’Argent des villages du xiie au xviiie siècle : comptabilités paroissiales et communales, fiscalité locale. Actes du colloque d’Angers, 30‑31 octobre 1998, Rennes, Association d’histoire des sociétés rurales, 2000, p. 6, qui cite aussi Jean Jacquart, « Réflexions sur la communauté d’habitants » (1976), réédité dans Jean Jacquart, Paris et l’Île‑de‑France au temps des paysans (xviexviie siècles), Paris, Éditions de la Sorbonne, 1990, p. 157‑181.

74 G. Quenet, Les tremblements de terre aux xviie et xviiie siècles, op. cit.

75 Archives départementales du Lot‑et‑Garonne [désormais AD 47], E-Sup 3008, délibérations paroissiales de Calignac, 9 juillet 1702.

76 Cité par R. Balso, « Les catastrophes naturelles dans le Biterrois au travers des secours royaux », art. cit., p. 78‑79.

77 AD 47, E-Sup 2650, délibérations paroissiales de Francescas, 21 juillet 1771.

78 AD 47, E-Sup 167, délibérations paroissiales de Fals, 17 juillet 1783.

79 R. Balso, « Les catastrophes naturelles dans le Biterrois au travers des secours royaux », art. cit., p. 79.

80 Gazette des tribunaux, 1778, p. 397‑398 (Bibliothèque de la Cour de cassation, 2013 247156).

81 Christian Pfister, « Surmonter les catastrophes naturelles. Les stratégies de 1500 à nos jours », dans id., Le jour d’après. Surmonter les catastrophes naturelles : le cas de la Suisse entre 1500 et 2000, Bern/Stuttgart/Vienne, Haupt, 2002, p. 215.

82 Grégory Quenet, « État, élites, communautés face à la catastrophe. Le tremblement de terre de 1708 en Moyenne‑Durance », dans Jean‑Michel Goger et Nicolas Marty (dir.), Cadre de vie, équipement, santé dans les sociétés méditerranéennes, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2005, p. 137‑154.

83 AD 33, C 1317, rapport de Pomarel au sujet de la paroisse de Pazayac, 30 juillet 1761.

84 Thomas Labbé, « Transformation des milieux naturels et conscience environnementale à la fin du Moyen Âge : une esthétique du paysage manquante ? », dans Le paysage rural au Moyen Âge. Actes du 135e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Paris, Éditions du CTHS, 2012, p. 17‑28.

85 AD 30, E-Dépôt 18 03, délibérations paroissiales de Codolet, 29 avril 1767.

86 AD 47, E-Sup 167, délibérations paroissiales de Fals, 9 septembre 1788.

87 J. Delumeau et Y. Lequin (dir.), Les malheurs des temps, op. cit., p. 344‑350.

88 Anthony Giddens, Runaway World. How Globalization is Reshaping our Lives, Londres, Routledge, 2003 [1999], p. 24‑25.

89 P. Delvaux, B. Fantini et F. Walter (dir.), Les cultures du risque, op. cit., p. XI.

90 Christian Pfister et Christof Mauch, Natural disasters, cultural responses: case studies toward a global environmental history, Lanham, Lexington Books, 2009.

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Stéphanie Lachaud, « Les sociétés rurales face aux risques naturels. Les secours des pouvoirs »Bulletin de l’Association des historiens modernistes des universités françaises [En ligne], 46 | 2025, mis en ligne le 28 janvier 2025, consulté le 13 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/bahmuf/1637 ; DOI : https://doi.org/10.4000/136ka

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Auteur

Stéphanie Lachaud

Stéphanie Lachaud est maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches en histoire moderne à l’Université Bordeaux Montaigne. Spécialiste d’histoire rurale, sous l’angle économique, social et environnemental, elle a publié et dirigé des ouvrages sur l’histoire de la vigne et du vin ainsi que sur l’histoire des campagnes : Économie et société en France de 1600 à 1715 (Atlande, 2018), Ville et vin en Europe du xve siècle à nos jours (La Geste, 2021), Liquoreux d’Aquitaine et d’ailleurs (Cairn, 2024), Pouvoirs et sociétés rurales, France et ses colonies, 1634‑1814 (Armand Colin 2024), Sciences, techniques et agriculture, des Lumières au xxe siècle (Presses universitaires de Bordeaux, 2024).

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