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4. Anthropologie, ethnologie, sociologie

Mariam Abou Zahab, Pakistan. A Kaleidoscope of Islam

Michel Boivin
Référence(s) :

Mariam Abou Zahab, Pakistan. A Kaleidoscope of Islam, Londres, Hurst & Company, 2020, 256 p., ISBN : 9781787383227

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Mots-clés :

chiisme, sunnisme, jihad, Pashtun, Punjab
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Texte intégral

  • 1  Voir par exemple l’article de Kinda Chaib dans la REMMM : https://journals.openedition.org/remmm/1 (...)

1Ce livre n’est pas un livre habituel. Non parce que c’est un ouvrage posthume que des collègues ont décidé de colliger à partir d’articles forcément déjà publiés, mais à cause de la personnalité hors du commun de son auteur, comme en ont témoigné les nombreux hommages qui ont suivi sa mort en 20171. Cette publication résulte de l’initiative du politologue Christophe Jaffrelot, dans la collection qu’il dirige chez Hurst : « Comparative Politics and International Studies ». L’ouvrage est composé de dix articles écrits par Mariam Abou Zahab, et il s’ouvre par une préface écrite par Laurent Gayer, intitulée « Scholar with a Cause » (p. ix-xx), avec le concours de quatre autres chercheurs. Elle est suivie d’une introduction composée par Christophe Jaffrelot (p. 1-13). La préface est une présentation de la personne et de la carrière de Mariam Abou Zahab, alors que l’introduction porte sur les problématiques principales qu’elle a échafaudées, et qui forment le cœur des articles réunis dans ce volume. Ces articles sont regroupés en quatre parties : « sunnisme et chiisme militants au Pakistan » ; « sectarisme : le conflit chiite-sunnite au Pakistan » ; « talibanisation et jihad dans l’aire pashtun et au Punjab » ; « convergences entre le jihad transnational et le sectarisme sunnite ».

2Mariam Abou Zahab avait une connaissance exceptionnelle des régions et des populations sur lesquelles elle écrivait, grâce à son empathie et à sa maîtrise des langues principales utilisées dans ces régions. Cependant, sa plus grande contribution, hormis le fait que l’aire afghano-pakistanaise demeurait sous-étudiée en France, consiste en son approche basée sur la sociologie politique. Bien que formée à Sciences Po, puis à l’INALCO, sa méthode se démarquait des perspectives qui allaient faire florès dans les années à venir, de la science politique classique « pure et dure », à la géopolitique, deux domaines qui allaient devenir prédominants, voire même écrasants, au regard des autres sciences sociales. À cet égard, et sans vouloir caricaturer, la théorie fondamentale mise en avant par M. Abou Zahab est limpide : les mouvements religieux, pacifiques ou violents, constituent avant tout des expressions sociales émanant des groupes les plus défavorisés au sein d’un environnement local.

3Forte de cette approche de type weberien, M. Abou Zahab ne rechignait pas à être provocante, allant à contre-courant des théories, souvent d’origine américaine, qui inondèrent les médias après le 11 septembre 2001. Par exemple, elle voyait dans les Talibans qui prirent le pouvoir en 1996 à Kaboul, un mouvement social, totalement indépendant des services secrets pakistanais ; point de vue qu’elle aurait toujours pu défendre au moment de la deuxième conquête du pouvoir par les Talibans afghans en 2021. Plus encore, elle critiquait sans réserve le mythe du commandant Massoud, érigé en nouveau Che Guevara par l’intelligentsia parisienne bien-pensante, avec en tête de file Bernard-Henri Lévy.

4En outre, elle fut une des premières chercheures à s’intéresser aux chiites du Pakistan, alors que ce pays réunit, par le nombre de pratiquants, la troisième communauté chiite mondiale, après celles de l’Iran et de l’Inde. Concernant cette question, certains articles du volume sont très éclairants, comme par exemple le troisième intitulé « sectarisme comme identité de substitution » (p. 55-66), suivi par « le conflit sunnite-chiite à Jhang (Pakistan) » (p. 67-78), respectivement publiés, pour la première fois, en 2002 et 2004. Il faut s’arrêter en détails sur ces deux articles qui contiennent la quintessence de l’approche mise en œuvre par M. Abou Zahab. Dans l’introduction certes brève mais percutante du premier de ces articles, elle pose immédiatement les jalons : le Pakistan est une contradiction, puisque c’est un État moderne séculier créé à partir de ‘sentiments religieux’, dans lequel le processus de construction d’un État-Nation est un échec (p. 55). Il en résulte une grande fragmentation sociale qui réduit les Pakistanais à construire leur identité en s’emparant d’autres référents comme l’ethnie, la secte, la caste, la langue ou la biradari (groupe patrilinéaire endogamique qui constitue l’unité fondamentale de la société pakistanaise). Dans ces articles, elle analyse la situation au sud Punjab, dont la capitale est Jhang. La ville est limitrophe à la province méridionale du Sindh. Elle est animée d’un mouvement politico-culturel arguant que la langue locale, le siraiki, est indépendante du punjabi, contrairement à ce que prétend le discours officiel en la matière.

5Dans cette région fortement rurale du Pakistan, le principal clivage est de type socio-économique : les propriétaires terriens (zamindars) dominent la société locale. Ils sont chiites, mais M. Abou Zahab explique que les chiites mohajirs, c’est-à-dire ceux qui ont migré de l’Inde en 1947, ne s’assimilent pas à eux, bien qu’ils partagent la même appartenance au chiisme duodécimain. Ces derniers appartiennent aux classes moyennes éduquées et, de ce fait, ils partagent la même haine que les sunnites nourrissent à l’encontre des zamindars chiites. Pour autant les mohajirs sunnites sont deobandis alors que les sunnites locaux sont barelvis, et restent de ce fait soumis au système piri muridi. Ce système proche du clientélisme est dominé par le pir, qui est lui-même souvent la même figure que le zamindar, ou ad minima son allié. Ce faisant, M. Abou Zahab avait un véritable don pour exposer en termes simples et significatifs le système social complexe qui prévalait, et qui prévaut toujours, dans cette région du Pakistan, et qui demeure, en fait, mutatis mutandis, dominant dans la plus grande partie du pays.

6Compte tenu de la justesse des analyses développées par Mariam Abou Zahad, ce volume est une initiative bienvenue qui pourra, espérons-le, susciter de nouvelles vocations. En fait, on souhaiterait voir la parution d’un volume 2 qui permettrait de découvrir, ou de mettre en œuvre une nouvelle lecture stimulante d’autres travaux de M. Abou Zahad tout aussi éclairants.

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Notes

1  Voir par exemple l’article de Kinda Chaib dans la REMMM : https://journals.openedition.org/remmm/12616.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Michel Boivin, « Mariam Abou Zahab, Pakistan. A Kaleidoscope of Islam »Bulletin critique des Annales islamologiques [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/bcai/1179 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bcai.1179

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Auteur

Michel Boivin

CNRS - CEIAS

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Droits d’auteur

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