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4. Anthropologie, ethnologie, sociologie

Daphna Ephrat, Ethel Sara Wolper, Paulo G. Pinto (eds), Saintly Spheres and Islamic Landscapes. Emplacements of Spiritual Power across Time and Place

Michel Boivin
Référence(s) :

Daphna Ephrat, Ethel Sara Wolper, Paulo G. Pinto (eds), Saintly Spheres and Islamic Landscapes. Emplacements of Spiritual Power across Time and Place, Leyden-Boston, Brill (Handbook of Oriental Studies. Section 1 The Near and Middle East, 147), 2021, 509 p., ISBN : 9789004443655

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Texte intégral

1La première phrase de l’introduction écrite par les trois codirecteurs annonce simplement l’objet de l’ouvrage : l’inscription dans l’espace de la sainteté musulmane. Plus précisément, il s’agit d’explorer la création, l’expansion et la perpétuation des sphères matérielle et imaginaire qui entourent les saints soufis et qui sont devenues centrales à l’expression de l’autorité religieuse, à la piété communautaire et la croyance en le miraculeux. Ce volumineux ouvrage de 537 pages est formé de trois parties et de dix-sept contributions. La première partie s’intitule « Creation and Revitalization » (p. 35-220), la deuxième « Spatial Formation and the Power of Place (p. 221-396), et la troisième « Transformation and Globalization » (p. 397-510). Il concerne différentes aires géographiques telles que le Moyen-Orient, les Balkans, le Maghreb, l’Asie centrale, l’Asie du sud, l’Afrique subsaharienne occidentale, et également l’Argentine.

  • 1  Ethel Sara Wolper, Cities and Saints. Sufism and the Transformation of Urban Space in Medieval Ana (...)

2L’ouvrage s’ouvre par une longue introduction de trente et une pages (p. 1-31). Son titre apporte un nouvel éclairage : « History and Anthropology of Sainthood and Space in Islamic contexts », qui situe les perspectives privilégiées dans le volume. Il est par la suite précisé que cet ouvrage se situe au sein de deux cadres théoriques. Le premier est celui de la baraka en tant que principe performatif, que les auteurs associent au charisme et rapprochent également du mana tel qu’il est conçu par Marcel Mauss dans son Essai sur le don (p. 5). Le second cadre théorique est constitué par l’espace, envisagé comme un lieu de performances de la sainteté, des expressions de la dévotion et de croyance en le miraculeux (p. 6). Les auteurs ­reconnaissent que la question des sanctuaires (shrines), qui sont généralement multi-situés et dans un état de perpétuelle transformation, est complexe, et que par conséquent, il est nécessaire de déployer de multiples méthodologies liées à des champs différents. Par la suite, les auteurs mettent en valeur les avancées acquises à travers la théorie des réseaux, sachant que les bâtiments soufis ont souvent servi de lieux centraux de connections (p. 13). Il faut voir ici une réminiscence de la thèse défendue par l’une des coauteurs, Ethel Sarah Wolper, dans un ouvrage majeur1.

3Les dix-sept contributions reflètent, par conséquent, la multitude des approches et la diversité des situations, spatiales autant que temporelles. Cependant, ces contributions établissent par ailleurs de façon indiscutable qu’il a existé un bâti soufi et une gestion des espaces soufis présentant des caractéristiques et des convergences à travers l’ensemble du monde musulman. À cet égard, la contribution de Bulle Tuil Leonetti est significative. Elle est consacrée au culte des saints et à l’architecture des sanctuaires, c’est-à-dire à la fabrique des centres funéraires de dévotion dans l’Occident musulman médiéval (p. 90-116). Dès le début de sa contribution, elle annonce d’emblée que son objectif est bien de montrer que, malgré des distinctions relatives aux styles locaux, ce sont les éléments architecturaux partagés qui dominent, en particulier à l’échelle de la région que forme le Maghreb.

4À partir de trois cas d’étude situés à Fès, Tlemcen et Tunis, l’auteure identifie une dynamique similaire ayant conduit de la tombe du saint soufi à l’érection d’un mausolée. Ce processus qu’elle qualifie de « monumentalisation » est une conséquence du développement de la piété centrée sur la figure du shaykh, le maître soufi. Ceci dit, B. Tuil Leonetti ajoute que le passage de l’un à l’autre nécessitait que les élites soient impliquées dans la vie religieuse, voire que les groupes exerçant le pouvoir politique se servent de la construction de monuments consacrés aux saints à des fins de légitimation de leur pouvoir (p. 106). En fait, c’est bien l’implication des élites politiques qui constitue la condition sine qua non de l’érection de mausolées monumentaux. De surcroît, l’auteur situe le xive siècle comme le tournant dans la monumentalisation des tombeaux des saints soufis. C’est en effet, à cette période, qu’apparaît, dans l’ensemble des mondes musulmans un modèle de sanctuaire funéraire, marqué par un dôme qui, bien qu’apparu au xe siècle au Proche-Orient, est devenu la forme architecturale standard au xiie siècle pour les militaires et les politiques seulement.

  • 2  Nile Green, Bombay Islam. The Religious Economy of the West Indian Ocean, 1840-1915, Cambridge-New (...)

5Dans un tout autre registre, Alexandre Papas étudie, de 1800 à nos jours, les mausolées et les saints musulmans dans la fabrique urbaine de Bombay, (p. 335-365), une ville où les musulmans représentent 20 % de la population totale. A. Papas part de ce qu’il qualifie d’approche inverse de celle développée par Nile Green dans son remarquable ouvrage intitulé Bombay Islam, publié en 20112. Green s’appuyait sur la religion conçue comme économie commerciale basée sur un marché symbolique de clients et de consommateurs et servie par différentes firmes proposant différents services et produits. Mais sa démarche inversée provient du fait qu’A. Papas, contrairement à Green qui se référait à de multiples sources vernaculaires, privilégie une source en persan écrite en 1816. Ainsi, suit-il le destin de plusieurs sanctuaires et personnages musulmans sur une période donnée.

  • 3  Dans ce numéro no 18 publié en 2018 (https://journals.openedition.org/samaj/4523), voir l’excellen (...)
  • 4  En fait, Papas évoque cette question dans la note 67 p. 363.

6A. Papas s’intéresse, par conséquent, à plusieurs sites sacrés musulmans à Bombay et dans sa grande banlieue, comme la ville voisine de Kalyan où se trouve, perché sur une colline, le sanctuaire de Haji Malang. Dans la conclusion, il souligne la grande diversité de l’inscription des sites musulmans dans l’espace de Bombay, marqué par la diversité des publics qui les fréquentent en termes de religion, de classe, de caste et d’ethnie. Cependant, il semble bien que cet itinéraire qu’il propose, et qui se fixe surtout sur les grands sanctuaires musulmans de la ville, comme celui de Haji Baba situé sur une petite île, l’incite à exprimer l’intérêt qu’il y aurait à se concentrer sur les sites « secondaires », un thème auquel un numéro récent de la revue SAMAJ a été consacré3. Une autre piste, évoquée par l’auteur, consiste à développer une approche comparée entre les différentes mégapoles de la zone, en incluant Karachi4. À ce sujet, l’auteur de ces lignes ne peut que renchérir. La mégapole du Pakistan souffre d’un énorme déficit de travaux, en particulier en ce qui concerne l’approche de l’anthropologie et de la sociologie des religions.

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Notes

1  Ethel Sara Wolper, Cities and Saints. Sufism and the Transformation of Urban Space in Medieval Anatolia, University Park (Pennsylvania), The Pennsylvania State University Press, 2003.

2  Nile Green, Bombay Islam. The Religious Economy of the West Indian Ocean, 1840-1915, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 2011.

3  Dans ce numéro no 18 publié en 2018 (https://journals.openedition.org/samaj/4523), voir l’excellente contribution de William Elison consacrée justement à Sai Baba, ainsi que son ouvrage, The Neighborhood of Gods. The sacred and the visible at the margins of Mumbai, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2018. Le chapitre 3 (p. 93-122) est également consacré à Sai Baba.

4  En fait, Papas évoque cette question dans la note 67 p. 363.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Michel Boivin, « Daphna Ephrat, Ethel Sara Wolper, Paulo G. Pinto (eds), Saintly Spheres and Islamic Landscapes. Emplacements of Spiritual Power across Time and Place »Bulletin critique des Annales islamologiques [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 09 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/bcai/1191 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bcai.1191

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Auteur

Michel Boivin

CNRS – CEIAS

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