2Les données réunies dans cet ouvrage sont le résultat d’un travail collectif reposant sur l’apport de plusieurs spécialistes – historien, archéologue, numismate, archéozoologue, carpologue et anthracologue – rattachés à différentes institutions françaises et espagnoles. Le propos est ainsi organisé en dix chapitres thématiques auxquels il convient d’ajouter un prologue (p. ix), une introduction (p. 1-6), une conclusion (p. 123-125), une table des illustrations et des matières en fin d’ouvrage (p. 135-138). Les indications bibliographiques rassemblent cent-cinquante-deux références dont une quinzaine de sources latines et arabes (p. 127-133). Des illustrations variées enrichissent le propos des auteurs tout au long de l’ouvrage, constituant un support visuel particulièrement appréciable pour le mobilier archéologique et le contexte stratigraphique. Il est ainsi question de quarante-huit planches, la plupart en couleurs, six graphiques, soixante-cinq figures et deux cartes.

3Si le propos de l’introduction est synthétique, de nombreux thèmes y sont abordés. Un bref rappel des grandes lignes de l’évolution de l’archéologie rurale en péninsule Ibérique introduit d’abord le cadre dans lequel a émergé le programme de recherche de 1986 et les différents soutiens financiers et matériels dont a bénéficié le chantier de fouilles de Las Sillas. Cette nécessaire recontextualisation permet aux auteurs d’insister sur les enjeux de cette enquête de terrain malgré les nombreuses contraintes matérielles et autres difficultés logistiques rencontrées (p. 3).

4Une profonde méconnaissance entourait alors la nature et le fonctionnement des établissements ruraux. Les sources documentaires sont bien en peine de nous éclairer sur ce sujet tant la polysémie des termes employés pour désigner les foyers de peuplement en campagne (ḥiṣn, castrum, castellum, turris, almunia) ne renvoie à aucune réalité matérielle et structurelle tangible (« Des sources limitées et déformantes » p. 3-5). Quelques travaux opérés dans la vallée de l’Èbre sont cités en guise d’exemple, comme ceux menés par Felix Montón à Zafranales (Fraga, Huesca) puisque la fonction militaire réelle de cet établissement aux allures de petit fortin fait toujours débat, certains spécialistes préférant insister davantage sur le rôle de ses activités agricoles (« Des établissements ruraux mal étudiés », p. 5-6).

5Les auteurs ont donc pour ambition d’apporter un éclairage inédit à bien des aspects méconnus des sociétés musulmanes rurales de la Marche Supérieure : « les pages qui suivent n’ont d’autre objectif que de fournir à la communauté scientifique les résultats d’une longue enquête, tout en espérant qu’elles susciteront de nouvelles vocations à une époque où l’extension irraisonnée des surfaces vouées à l’agriculture céréalière menace chaque jour davantage le patrimoine archéologique aragonais » (p. 6).

7Dans la droite ligne de ce dynamisme de la recherche, la publication des résultats de l’enquête archéologique menée à Las Sillas permet d’enrichir de façon décisive nos connaissances sur le mode de vie des populations rurales de la Marche Supérieure tant la période comprise entre les viii^e et xi^e siècles a livré, pour l’heure, peu de vestiges matériels.

8Les trois premiers chapitres sont l’occasion de revenir sur le cadre naturel et historique dans lequel se sont inscrits l’édification et le développement de Las Sillas (ou Las Cías). Pour mener à bien cette étude, les auteurs n’ont pas manqué de croiser les données de l’analyse géographique avec les quelques informations délivrées par la documentation écrite et les découvertes archéologiques les plus significatives survenues dans la vallée du Flumen (« Le milieu géographique et humain », p. 7-11).

9Ils s’emploient, dans un second temps, à décrire les multiples fortifications disséminées dans la région (« L’environnement castral et les établissements voisins », p. 13-20). Ces constructions à vocation défensive sont présentées selon un découpage quelque peu arbitraire – et dont la logique aurait mérité une explication plus détaillée – reposant sur la distinction entre les ḥuṣūn de la vallée du Flumen, les habitats fortifiés et les autres établissements. Cette approche est l’occasion de réaliser une analyse de l’évolution du peuplement depuis la fin de l’Antiquité jusqu’à l’annexion de ce territoire par les royaumes chrétiens au début du xii^e siècle. Avant d’exposer les résultats des opérations archéologiques, les auteurs consacrent un passage, forcément succinct mais non moins bienvenu, à l’apport des sources écrites et, en particulier, à l’occurrence du toponyme de Marcén dans les textes latins (« Les sites et les données des sources écrites » p. 21-24).

10Les sept chapitres qui composent le volet archéologique sont regroupés en trois principaux volets : la stratigraphie et les structures, le mobilier et les études spécialisées. La thématique est introduite par une explication minutieuse de la méthode de fouilles et d’enregistrement des données de terrain (« La fouille, la stratigraphie et les critères de datation », p. 25-32). Le séquençage stratigraphique a confirmé la réoccupation très ponctuelle du site après la période islamique dont l’occupation est estimée à près d’un siècle et demi. La présentation des résultats reprend ensuite l’organisation des deux principaux secteurs identifiés au cours de la fouille : à l’est le secteur I, d’environ 1000 m², organisé autour d’un vaste bâtiment rectangulaire identifié comme étant la mosquée (« Le secteur I et la mosquée », p. 33-39), et à l’ouest le secteur II qui réunit différentes constructions de type résidentiel et artisanal (« Les constructions du secteur II », p. 41-56).

12Pour finir, une hypothèse de restitution des habitudes alimentaires et des activités agricoles est élaborée grâce au concours de différents spécialistes : Alain Hénault pour les analyses archéozoologiques et Jérôme Ros pour les données carpologiques et anthracologiques (« Alimentation et activités agricoles », p. 115-121). Si on peut regretter le caractère quelque peu synthétique du propos, les résultats sont en mesure de préciser le spectre végétal, carné et céréalier consommé par les habitants de Las Sillas. Ces informations, croisées à la quarantaine de silos et aux nombreux fragments de meule découverts sur place, viennent conforter le tableau d’une agriculture vivrière reposant en grande partie sur la culture des céréales.

13La conclusion (p. 123-125) rappelle, à juste titre, toute la difficulté de dresser un bilan général et exhaustif à partir de données archéologiques et en l’absence de précisions dans les textes. Les enquêtes menées à Las Sillas ont au moins permis de préciser la nature de cet habitat et l’identité de ses occupants. Ce village tourné vers la culture des céréales, l’exploitation des arbres fruitiers et l’élevage de petits ruminants, devait également abriter des activités artisanales. La brève évocation de scories présentes dans des niveaux riches en cendre ne permet malheureusement pas, pour le moment, de préciser le caractère des opérations de forgeage réalisées sur place ; elles ne manqueront toutefois pas d’éveiller la curiosité des intéressés (p. 50 et 120).

14L’intérêt de cet ouvrage est porté par la qualité du propos de ses auteurs mais, également, par l’originalité du thème et la méthodologie d’étude adoptée. Nous espérons que cette initiative ouvrira la voie à de nouvelles enquêtes de terrain, servant à la fois à l’enrichissement de nos connaissances des sociétés rurales musulmanes et à la valorisation du patrimoine culturel aragonais.