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3. Histoire

Stephen J. Shoemaker, A Prophet has Appeared. The Rise of Islam through Christian and Jewish Eyes. A Sourcebook

Adrien de Jarmy
Référence(s) :

Stephen J. Shoemaker, A Prophet has Appeared. The Rise of Islam through Christian and Jewish Eyes. A Sourcebook, Oakland, University of California Press, 2021, 306 p. ISBN : 9780520299610

Texte intégral

  • 1  Andrew Palmer, The Seventh Century in the West Syrian Chronicles, Liverpool, Liverpool university (...)

1Stephen J. Shoemaker est connu pour adopter une position très critique vis-à-vis des historiens qui se reposent sur la Tradition islamique pour reconstituer la biographie « historique » de Muḥammad. Les sources littéraires chrétiennes et juives ont meilleure presse auprès de lui car elles fournissent un témoignage extérieur, et souvent plus précoce, de l’histoire des débuts de l’Islam. L’auteur choisit ici de présenter des textes issus d’une vingtaine de sources majoritairement contemporaines de l’expansion de l’Islam au viie siècle. Si Stephen J. Shoemaker propose occasionnellement des traductions inédites, tous ces textes ont déjà été préalablement édités. Andrew Palmer a ainsi déjà recensé les chroniques syriaques du viie siècle, et Robert G. Hoyland a traduit et ­commenté une impressionnante liste de sources externes à la Tradition islamique1. C’est ce dernier travail qui constitue encore la référence sur le sujet. Plus qu’un réel livre de recherche, cet ouvrage est donc plutôt destiné aux enseignants et aux étudiants qui veulent s’initier à cette historiographie complexe, aux textes qui nous renseignent sur le point de vue de « l’autre » sur l’histoire des débuts de l’Islam.

  • 2  Sean Anthony, « Muḥammad, the Keys to Paradise, and the Doctrina Iacobi: A Late Antique Puzzle », (...)

2Contrairement à l’annonce du titre, le nombre d’occurrences explicites du nom de Muḥammad dans les extraits choisis par Stephen J. Shoemaker est plutôt réduit. Les textes extraits de la Chronique arménienne de 661 de Sébéos (viie siècle) et du récit de Jean Bar Penkaye (fin du viie siècle) sont certainement les plus riches en descriptions sur le Prophète de l’islam, parmi les œuvres citées dans ce recueil. Le premier le présente comme un marchand prônant la restauration des lois abrahamiques en Arabie. Le second fait de Muḥammad le guide (mhaddyānā) des Arabes, un homme prêchant l’unicité de Dieu à ses partisans. Ces témoignages sont effectivement très anciens et on peut les rapprocher du récit présenté dans la Doctrina Jacobi – non inclus dans ce corpus mais étudié par Sean Anthony2 –, qui, tout en critiquant la nature prophétique de cette nouvelle révélation, confirme que le personnage de Muḥammad a, très tôt, été considéré comme un réformateur dans la société des conquérants de la fin des années 10/630.

3Mis à part ces deux extraits, la présence du Prophète reste timide dans ce recueil. Il arrive ainsi à l’auteur de fournir des commentaires plus spéculatifs, comme lorsqu’il associe, sans hésitation aucune, Muḥammad au messie nommé MRYʿW dans l’Apocalypse de Rabbi Shimʿōn b. Yoḥai. Sans autre élément pour corréler cette affirmation, une telle association est méthodologiquement risquée. On peut souligner un second problème lorsque, en se fondant sur la Chronique du Khuzistan qui nous informe que les « Arabes de Muḥammad » ont pris la région, Stephen J. Shoemaker évoque l’hypothèse de la survivance du Prophète à l’époque des premières conquêtes. Cette hypothèse est peu convaincante, car d’autres sources chrétiennes, telles les Chroniques syriaques de 705 et 724 – non incluses dans cet ouvrage –, nous informent, en accord avec la Tradition islamique, que Muḥammad est bien décédé en l’an 10/632. Étonnamment, Stephen J. Shoemaker n’évoque pas la possibilité que l’expression « les Arabes de Muḥammad » puisse être un simple qualificatif, un moyen pour les auteurs chrétiens de nommer l’identité de ces hommes qui revendiquent l’enseignement d’un nouveau prophète.

4En réalité, il est bien plus question dans cet ouvrage des « partisans de Muḥammad » (Muḥammad’s followers), aussi appelés les « émigrés » (mhaggrāyē en syriaque, dérivé de l’arabe muhājirūn) ou les « Sarrasins ». Sur ce point, le livre de Stephen J. Shoemaker propose une grande variété des témoignages. À titre d’exemples, les homélies du patriarche de Jérusalem Sophronius (m. 638), la Lettre à Jean le Stylite de Jacob d’Édesse (m. 708) ou le traité De locis sanctis de l’abbé irlandais Adomnan (m. 704), qui évoque le pèlerinage de l’évêque franc Arculfe en Terre sainte, nous renseignent sur la façon dont les muhājirūn ont été perçus par leurs contemporains dans plusieurs endroits du Proche-Orient et même au nord de l’Europe. Les pillages, l’appât du butin et l’hérésie des conquérants venus d’Arabie sont des thèmes courants, sans qu’il soit toujours possible de savoir si ces descriptions nous fournissent des témoignages « historiques » ou si nous sommes en présence de topoï littéraires, caractéristiques de ce type de textes.

5Indépendamment des lieux communs, deux grands thèmes émergent de ce recueil de textes et des commentaires de l’auteur. Le premier est lié à l’atmosphère eschatologique et apocalyptique qui distingue à la fois les sources chrétiennes et juives de cette époque. Outre les textes chrétiens évoqués précédemment, L’Apocalypse de Rabbi Shimʿōn b. Yoḥai et le Pirqé de Rabbi Éliézer – une exégèse haggadique-midrashique de la Torah – contiennent des prédictions annonciatrices de la fin des temps et de l’arrivée prochaine d’un Messie. L’Apocalypse du Pseudo-Shenouté nous fournit une version copte de ce type de récits, peu après l’arrivée des conquérants en Égypte. La conquête du Proche-Orient est perçue comme le signe annonciateur de l’Apocalypse et donne l’occasion aux auteurs de fournir leur propre récit de la fin du monde. La Passion de Pierre de Capitolias nous éclaire également sur les potentiels premiers mouvements de conversion du christianisme à l’islam dès le viie siècle, sur fond de discours martyrologiques et de promesses eschatologiques. Stephen J. Shoemaker se place ici dans le prolongement des Late Antique studies, une tendance historiographique bien connue et dont les conclusions dépassent néanmoins ces textes strico sensu et influencent notre compréhension de la prophétologie de Muḥammad, ainsi que du processus de rédaction et de canonisation du corpus coranique.

  • 3  Fred M. Donner, Muhammad and the Believers. At the Origins of Islam, Cambridge, The Belknap Press (...)

6Plus original, un deuxième thème concerne l’identité religieuse des muhājirūn. Alors que la Tradition islamique nous apprend que le dogme et les rituels de l’islam se sont définitivement formés à la mort du Prophète Muḥammad, Fred M. Donner a émis l’hypothèse que l’identité religieuse des conquérants était encore en pleine élaboration à l’époque des conquêtes. La communauté des croyants (muʾminūn) était alors ouverte aux chrétiens et aux juifs, au moins jusqu’au règne du calife ʿAbd al-Malik (r. 65-685/85-705) qui fit graver sur le Dôme du Rocher la profession de foi (shahāda) dans sa forme complète et les éléments d’une christologie telle qu’on peut la retrouver dans le Coran3. Stephen J. Shoemaker suit le chemin tracé par son prédécesseur et trouve les preuves de l’existence d’une communauté interconfessionnelle dans plusieurs textes. La Chronique maronite en fournit le plus bel exemple lorsque son auteur nous informe que les muhājirūn ont pour habitude de prier avec les chrétiens dans l’Église du Saint-Sépulcre de Jérusalem. En nous amenant à repenser les processus qui guident la formation des identités religieuses, cette voie constitue certainement un champ de recherche intéressant pour l’avenir et, politiquement, très actuel.

7Stephen J. Shoemaker livre ici un ouvrage non dénué de pédagogie, mais les commentaires qui suivent les textes sont inégaux. Le recueil est utile pour une première approche des sources chrétiennes et juives du viie siècle et constitue un outil tout à fait intéressant pour l’enseignement, à condition que le professeur et l’étudiant intègrent l’orientation historiographique de son auteur.

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Notes

1  Andrew Palmer, The Seventh Century in the West Syrian Chronicles, Liverpool, Liverpool university press, 1993 ; Robert G. Hoyland, Seeing Islam as Others Saw It: A Survey and Evaluation of Christian, Jewish and Zoroastrian Writings on Early Islam, Princeton, The Darwin Press, 1997.

2  Sean Anthony, « Muḥammad, the Keys to Paradise, and the Doctrina Iacobi: A Late Antique Puzzle », Der Islam, 91/2, 2014 p. 243-165.

3  Fred M. Donner, Muhammad and the Believers. At the Origins of Islam, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2010.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Adrien de Jarmy, « Stephen J. Shoemaker, A Prophet has Appeared. The Rise of Islam through Christian and Jewish Eyes. A Sourcebook »Bulletin critique des Annales islamologiques [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/bcai/991 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bcai.991

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Auteur

Adrien de Jarmy

Doctorant Sorbonne Université, UMR 8167 Orient & Méditerranée

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