• 1 La découverte des reliefs et inscriptions au passage des théores (GTh 46) par E. Miller en 1864 con (...)

1Dans l’angle nord de l’agora thasienne s’élèvent les vestiges d’un sanctuaire de taille modeste (fig. 1), apparu dès les premières années de l’exploration systématique de l’aulè, en 1948-19501, et identifié sous le numéro GTh 34 dans la nomenclature du Guide de Thasos.

• 2 L’enceinte circulaire apparut quant à elle en partie lors du creusement des deux tranchées en 1946 (...)

2Les fouilleurs mirent d’abord au jour un autel (GTh 34.002), une partie de la façade d’un temple (GTh 34.001) ainsi que le long côté sud‑ouest de ce dernier. L’année 1948 vit se poursuivre le dégagement de l’autel et de la base dits de Théogénès (GTh 31 et 32) et d’une longue base rectangulaire qui coupait le péribole du sanctuaire (GTh 33). Une autre section de ce péribole, sur le côté nord‑ouest, fut également dégagée, sans que les fouilleurs puissent encore l’identifier comme tel. Ce secteur étant encore à l’époque propriété du Wakouf, la fouille ne put mettre au jour le reste de l’édifice. Cela fut chose faite en 1949 : les vestiges du temple, l’ensemble du péribole conservé et l’enceinte circulaire adjacente (GTh 35)2 furent entièrement dégagés.

• 3 « Chronique des fouilles », BCH 71‑72, 1947‑1948, p. 419‑422 ; « Chronique des fouilles », BCH 73, (...)
• 4 Ces missions bénéficient du soutien financier de l’École française d’Athènes et du laboratoire Auso (...)

3Bien que cet ensemble architectural suscitât d’emblée l’intérêt des archéologues, le secteur ne fut pas fouillé plus en profondeur et les vestiges firent seulement l’objet d’une description dans la chronique du Bulletin de correspondance hellénique des années 1949 et 19503. Dans le cadre d’une réflexion générale sur la place des lieux de culte dans l’espace public à Thasos, M. Imbs et moi‑même avons repris l’étude de ce sanctuaire important de l’agora. Trois campagnes de terrain ont permis de procéder au relevé pierre à pierre de l’ensemble des vestiges et au relevé des blocs que nous attribuons à l’élévation des édifices concernés4. L’objectif de notre travail est de proposer une étude architecturale de l’ensemble religieux GTh 34‑35 et de mettre en évidence l’évolution de ce secteur‑clé de l’agora, qui abrite, à partir du iv^e siècle av. J.‑C., les édifices politiques de la cité. En attendant la publication complète de cet ensemble, le présent article expose les données nouvelles portant sur l’autel du sanctuaire GTh 34 et propose une nouvelle interprétation de la pierre qui permit en 1949 l’identification du sanctuaire.

• 5 L’autel a fait l’objet d’une publication complète par Biard, Fournier, Imbs 2018.

4Le sanctuaire occupe l’angle nord de la place publique, le péribole étant situé à 6,50-7,50 m du portique nord‑ouest (GTh 10), à 8,45 m du bouleutèrion (GTh 11) et à environ 10,30 m au nord de l’autel des Césars (GTh 30)5. Son orientation suit celle du bouleutèrion et de l’édifice à paraskènia (GTh 12), situés sur son flanc nord‑est. Le sanctuaire se compose d’un petit temple comportant un pronaos et un naos (6,10 × 12 m aux fondations) qui occupe la partie nord du téménos. Seules sont conservées les fondations, constituées de grandes dalles de gneiss parmi lesquelles on rencontre parfois des blocs de marbre et, sur les petits côtés, l’assise de réglage mêlant marbre et gneiss. Dans l’axe du temple se trouve un autel, le tout enceint dans un péribole interrompu par une enceinte circulaire (GTh 35) à l’est et par une grande base à l’ouest (GTh 33).

• 6 En l’absence de fouille, il n’est pas possible de dire s’il existe d’autres assises sous celles qui (...)
• 7 L’emprise du blocage central est de 2,65 m sur 1,52 m.
• 8 L. totale : 0,06 m ; L. cavité : 0,044 m ; l. : 0,008 m ; prof. : 0,024 m. Positionnée à 0,19 m du (...)

5L’autel (GTh 34.002), situé à 3,50 m en face du temple, n’est conservé qu’en ses fondations situées à ca + 1,12 m (fig. 3 ; fig. 5). Ces dernières sont constituées de six épaisses dalles de gneiss, formant un rectangle de 3,55 m sur 2,39 m6. L’espace central, laissé libre, était destiné à recevoir un blocage de terre et de moellons7. Les dalles de fondation, non liaisonnées, présentent sur leur face supérieure, le long du vide central, un ressaut contre lequel venaient s’appuyer les blocs de marbre de l’euthynteria (fig. 6). N’est apparente qu’une seule encoche de levier pour la mise en place du bloc supérieur, sur la dalle de fondation de l’angle nord8.

• 9 Il semble en revanche que le bord tangent aux fondations de l’autel ait été taillé volontairement e (...)
• 10 Notamment parce qu’elle a été largement débitée sur son grand côté sud‑ouest.
• 11 Les mortaises font pour l’une 0,065 m de long, pour l’autre 0,054 m, pour une largeur de 0,02 m.

6Sur le long côté nord‑ouest de ces fondations et au même niveau (+ 1,12 m), s’appuie une dalle de marbre à gros grain, qui ne présente pas de traces de scellements qui auraient pu la lier à ces dernières9. De forme irrégulière10, elle présente une longueur maximale de 2,58 m sur 1,06 m de large. Sur le petit côté nord‑est, deux mortaises pour des scellements en agrafes, espacés de 0,64 m, indiquent qu’une autre dalle était liée à celle‑ci (fig. 6)11.

• 12 Disparaissant dans la cassure de la dalle, cette dernière n’est préservée qu’en partie, ce qui expl (...)
• 13 Cette disposition répond peut‑être au besoin de reprendre cette mortaise.

7Exactement dans l’axe de l’autel, la surface du marbre de cette dalle présente les traces d’une usure prononcée, créant une dépression de 0,01 m par rapport à la surface originelle. Au nord de cette zone lisse se trouvent, dans un alignement oblique, trois cavités carrées, espacées de 0,28 et 0,29 m (fig. 4). Les deux cavités extérieures font sensiblement la même taille, formant un rectangle de 0,15 m par 0,13 m de côté, d’une profondeur de 0,035 m pour la cavité proche des fondations de l’autel et 0,045 m pour l’autre12. La cavité centrale présente quant à elle une disposition différente : une première partie forme un rectangle de 0,17 m de côté par 0,065 m pour une profondeur de 0,04 m ; une seconde partie, recreusée dans la première, forme un carré de 0,15 m de côté pour une profondeur de 0,058 m13.

• 14 Cet autel, auquel menait vraisemblablement une voie processionnelle le long de laquelle furent impl (...)

8Bien que rasé jusqu’à ses fondations, l’autel GTh 34.002 répond au même principe constructif que d’autres autels thasiens, dont le grand autel (GTh 23) situé à l’angle sud de l’agora fournit un exemple monumental14. Élevé sur d’épaisses dalles de fondations de gneiss, l’autel GTh 34.002 est un autel appareillé, composé d’un parement de marbre « habillant » un noyau constitué d’un remplissage de moellons et de terre.

• 15 La campagne, sous la direction de J. Pouilloux, se déroula du 13 juin au 27 août 1949, campagne à l (...)

9C’est en 1949, après le dégagement complet de cet espace sacré, que les fouilleurs identifièrent le sanctuaire comme celui de Zeus Agoraios15 : ils firent le rapprochement avec un bloc inscrit découvert, au début du xx^e siècle, en remploi dans le dallage « de la rue menant de la tour génoise au wakouf », c’est‑à‑dire une rue longeant l’agora au nord‑ouest (fig. 7). L’inscription, qui fait apparaître le théonyme de Zeus Agoraios Thasios au génitif, permit de confirmer la destination de la pierre : il s’agissait, selon les archéologues, d’une borne marquant le sanctuaire du dieu, qu’ils proposèrent de replacer dans l’une des bases du péribole.

• 16 Relief de 0,007 m.
• 17 Cette frise de triangles est en certains endroits émoussée.

10La face inscrite, soigneusement lissée, est délimitée à l’arête inférieure par un bandeau en léger relief16, haut de 0,034 m (fig. 9). Les faces latérales sont soigneusement travaillées : elles présentent, le long des arêtes, excepté le long de l’arête postérieure, un bandeau lisse d’une largeur de 0,035 m sur la face latérale droite et de 0,040 m sur la face latérale gauche, auquel succède une délicate frise de triangles, réalisés au ciseau maintenu vers l’intérieur (fig. 12)17. À l’intérieur de ce cadre, le traitement de la surface, réalisé au moyen de la smille appliquée à l’oblique, est fortement fracturé et ménage ainsi un jeu sur les reliefs (fig. 11). La face arrière du bloc n’est pas plane : elle présente sur toute sa hauteur et sur une profondeur de 0,034 m une section démaigrie longue de 0,154 m, impliquant deux faces latérales de profondeurs différentes (0,308 m à droite et 0,342 m à gauche). Le lit de pose, non visible, est connu par un relevé réalisé par l’architecte J.‑N. Conan : le bloc est fendu et il n’est pas exclu qu’il s’y trouve une mortaise de goujon. Au lit supérieur, la pierre présente une mortaise de goujon à canal de coulée, de 0,065 m de côté, disposée à 0,060 m de l’arête droite (fig. 10). La surface est dressée à la pointe fine, tandis que le long des arêtes antérieure et droite, se distinguent des traces de gradine formant un cadre d’anathyrose.

• 19 Le sigma de la ligne 3 présente des hastes légèrement incurvées.

13Étant donné le nombre réduit de lettres, une datation de l’inscription par la paléographie est malaisée. Les lettres, hautes de 0,025 m, sont équilibrées, la gravure est profonde (fig. 8). On remarque toutefois quelques irrégularités de calibre et que les lignes 2 et 3 ne sont pas parfaitement horizontales. L’interligne l. 1‑2 est plus important que celui l. 2‑3, comme si la gravure mettait en valeur le théonyme. On note le sigma à branches ouvertes19, les alpha isocèles avec haste médiane horizontale, le gamma en angle droit, la boucle du rho, bien arrondie, placée dans la moitié supérieure de la haste et l’omicron de calibre inférieur et au‑dessus de la ligne d’écriture, de manière plus prononcée dans la désinence.

• 20 On constate des similitudes avec la graphie des groupes I, II et III mis en avant par P. Hamon (CIT (...)
• 21 Il s’agit du deuxième groupe stoichedon mentionné par Pouilloux, Recherches I, p. 443.
• 22 Il n’est bien sûr plus question ici de graphies pariennes, qui disparaissent vers 430‑420. Sur l’al (...)
• 23 CITh III, 47.

14La forme des lettres indique une date aux alentours de la fin du v^e et du début du iv^e siècle20. L’aspect régulier des lettres, tout comme la disposition stoichedon qui permet une lecture aisée, rapproche par ailleurs ce style de gravure d’un groupe d’inscriptions thasiennes datées de la même époque21. Un indice supplémentaire corrobore cette datation : le o long fermé du génitif singulier est noté encore par l’omicron et non par la diphtongue22. L’inscription qui fournit le parallèle le plus proche quant à la forme des lettres est une liste de noms que P. Hamon date de la fin du v^e siècle ou des toutes premières années du iv^e siècle23. Comme le proposait J. Pouilloux, cette inscription est datable de la fin du v^e siècle, au plus tard des toutes premières décennies du iv^e siècle.

• 24 Les côtés nord‑est et sud‑est sont perpendiculaires, tandis que les côtés nord‑ouest et nord‑est fo (...)
• 25 Les fondations se poursuivent vers le sud sur une longueur visible de 7,66 m.

15De l’avis des fouilleurs, la pierre inscrite était un élément du péribole du sanctuaire GTh 34. Ce péribole (GTh 34.005), de forme trapézoïdale24, est conservé au nord‑ouest, sur une longueur de 14,40 m, au nord‑est, sur une longueur de 15,17 m, ainsi que sur une petite section du côté sud‑est de 4,60 m25. Le côté sud‑ouest est manquant. La lecture des angles est et ouest est perturbée respectivement par l’enceinte circulaire GTh 35 et la grande base GTh 33 (fig. 2).

• 26 Les dimensions sont prises en partie inférieure, plus large. Les bases ne sont en effet pas dressée (...)
• 27 Le seuil A présente une longueur totale de 1,745 m, avec un passage de 0,715 m pour le vantail le p (...)

16Les côtés nord‑est et nord‑ouest du péribole présentent un dispositif identique, composé de huit bases carrées libres au nord‑est et de sept bases au nord‑ouest, espacées régulièrement de 0,98 m à 1 m. Ces bases de marbre à gros grain mesurent 0,606-0,625 × 0,588-0,618 m, pour une hauteur moyenne de 0,38 m26. Leur lit supérieur est pourvu de mortaises carrées, mesurant entre 0,342 et 0,36 m de côté pour des profondeurs variant entre 0,082 et 0,117 m. En l’état actuel, seuls ces deux côtés du péribole présentent des entrées, constituées de deux seuils quasiment identiques. L’un (seuil A ; fig. 13) vient se caler contre l’enceinte circulaire GTh 35, l’autre (seuil B) contre la grande base GTh 33, au moyen de l’ajout, dans les deux cas, d’une demi‑base carrée (fig. 2). Ces seuils permettent une fermeture réalisée par une porte à deux vantaux, de largeurs inégales, ouvrant vers l’intérieur du sanctuaire27.

• 28 À 2,64 m des fondations de l’autel.
• 29 Démaigrissement de 0,008 m.

17En revanche, en arrière de l’autel28, sur la section sud‑est conservée, le dispositif de clôture est différent : les trois bases entières et la demi‑base faisant jonction avec l’enceinte circulaire ne sont pas libres mais sont intercalés entre elles des blocs de même hauteur (fig. 14). Ces deux blocs présentent sur leur lit supérieur, à 0,20 m de la face de parement donnant sur l’extérieur du sanctuaire, une bande démaigrie29 large de 0,17 à 0,18 m, traitée à la pointe. À la différence du reste du péribole, où les bases carrées ne reposent que sur des petites dalles de gneiss, ici les fondations sont continues.

• 30 Le carnet de fouille de R. Martin précise que le bloc fut découvert dans la « tranchée aux marbres  (...)
• 31 Le haut du pilier est un carré de 0,29 m de côté.
• 32 Ces mortaises mesurent 0,085 m de côté et présentent des profondeurs allant de 0,048 à 0,065 m.
• 33 Dans la partie inférieure de la face munie de mortaises, une bande traitée grossièrement sur une ha (...)

18En 1946 fut découvert un pilier (GTh 34.009) que R. Martin attribua par la suite au péribole de GTh 34 (fig. 15)30. Entier, il présente une hauteur de 1,70 m et une section carrée de 0,32 m de côté à la base, pour adopter ensuite une forme légèrement pyramidante31. Ses faces antérieure et postérieure sont lisses. L’une de ses faces latérales est pourvue de six mortaises rectangulaires (fig. 15a)32, dont la dernière se trouve à cheval sur la face supérieure du pilier. La face opposée présente quant à elle une bande démaigrie, d’une profondeur de 0,017 m, haute de 1,30 m et large de 0,115 m (fig. 15b). Les dimensions de ce pilier au lit inférieur permettent, comme l’avait affirmé R. Martin, de le replacer dans l’une des bases carrées du péribole33.

• 34 La fouille a mis au jour, dans la mortaise de l’une de ces bases, la gangue de plomb destinée à mai (...)
• 35 Shear 1970. L’autel d’Artémis à Épidaure était aussi entouré par un système de clôture à claire‑voi (...)
• 36 Il s’agit du même dispositif que celui employé dans l’enceinte entourant l’autel des Douze dieux su (...)
• 37 La dernière mortaise à cheval sur la face supérieure du pilier indique qu’un couronnement, comme un (...)

19Si cette hypothèse est exacte, le péribole était donc matérialisé par des piliers de marbre, insérés dans les bases carrées34. La présence des mortaises rectangulaires sur l’une des faces latérales du pilier découvert permet de faire l’hypothèse d’une clôture à claire‑voie composée de barrières, très certainement de bois, disposées entre les piliers, sur le modèle de l’enceinte du monument des héros éponymes à Athènes35. Mais ce système est limité aux côtés nord‑est et nord‑ouest. Sur la section sud‑est, la bande démaigrie au lit supérieur des blocs intercalaires peut en effet attester la présence, entre les piliers, de plaques qui reposaient sur ces blocs. La rainure présente sur le pilier GTh 34.009 aurait, dans cette hypothèse, été mise en place pour recevoir l’une de ces plaques de parapet, qui était vraisemblablement de bois, étant donné l’absence de toute trace de fixation36. La présence, sur les deux faces opposées du pilier, de mortaises sur l’une, d’une rainure sur l’autre, indique que celui‑ci se trouvait à la jonction des deux systèmes de fermeture sans que l’on puisse toutefois déterminer où exactement37.

• 39 Notons par ailleurs que la largeur des supposées anathyroses du pilier ne correspond pas à celle de (...)

22Or le réexamen de la pierre mené dans le cadre de la publication de ce sanctuaire nous permet de réfuter ces deux arguments et d’avancer une nouvelle interprétation. L’idée que le pilier ait pu constituer un élément du parapet donnant sur la façade du temple et ainsi indiquer l’identité du dieu propriétaire est séduisante, mais ce bloc n’était pas destiné à être inséré dans un mur, comme l’affirme la Chronique, car ses faces latérales sont dépourvues d’anathyroses (fig. 9 ; fig. 11). Le travail de celles‑ci procède d’un traitement décoratif qui, bien qu’il soit moins visible aujourd’hui, s’avère particulièrement soigné : ce que les archéologues avaient considéré comme des anathyroses est en réalité un bandeau réalisé au ciseau, d’une largeur de 0,035-0,040 m, encadrant l’intérieur du parement traité quant à lui à la smille. Le travail joue ainsi sur la rupture entre l’aspect rustique de l’intérieur du parement et le cadre périphérique qui le met en valeur, entre lesquels la transition est assurée par une délicate bordure de triangles (fig. 12). Les faces latérales du bloc étaient par conséquent visibles : on ne peut donc restituer ce dernier intégré dans le parapet de la clôture39.

• 40 La largeur maximale de 0,36 m observée sur les mortaises des bases du péribole nous semble de surcr (...)
• 41 Il convient enfin de relever que le bloc inscrit présente une hauteur de 1,132 m qui, même augmenté (...)

23Un second élément déterminant réside dans le traitement de la face arrière. Celle‑ci, on l’a noté, présente deux plans, ce qui implique que les faces latérales sont de longueur différente : 0,308 m à droite et 0,342 m à gauche (fig. 10). Cela s’accorde mal avec les encastrements carrés des bases du péribole40. Surtout, le démaigrissement de la face arrière indique que la pierre n’était pas indépendante mais que des éléments constructifs venaient contre sa face postérieure41.

• 42 Les inscriptions nommant la divinité propriétaire de l’autel sont soit au génitif soit au datif. Po (...)

24Au vu de ces constatations, il ne paraît pas possible de replacer l’inscription dans le dispositif de péribole du sanctuaire GTh 34. Le bloc ne recevait en effet pas de cloisons sur ses faces latérales, lesquelles demeuraient, de fait, visibles en parement, et le traitement de la face postérieure démontre qu’il se situait à l’extrémité d’un muret. Or ce type de construction est bien connu à Thasos : le bloc n’est pas une borne mais plus probablement l’« ante » d’un autel en pi, type fréquent à Thasos. La gravure du théonyme au génitif marque l’appartenance en désignant le dieu en l’honneur duquel les sacrifices sont célébrés, comme l’illustrent de nombreux exemples dans le monde grec42.

• 43 Sur les difficultés de l’élaboration d’une typologie des autels, voir Cassimatis, Étienne, Le Dinah (...)
• 44 Sur la définition exacte du terme de prothysis, voir Ginouvès, Guimier-Sorbets 1991, p. 279, et Gin (...)

26L’autel dit « à antes », désigné plus justement par la formule « autel en pi »43, est le type majoritaire à Thasos à l’époque classique. Ce type d’autel, de tradition ionienne, présente une prothysis, c’est‑à‑dire l’espace où se tient l’officiant, enserrée de piliers placés de part et d’autre de la face antérieure de la table44.

• 45 Cet autel, dont les dimensions sont de 2,605 sur 1,825 m, fut édifié contre un autel plus ancien, à (...)
• 46 1,84 × 1,39 m (« Chronique des fouilles », BCH 79, 1955, p. 359 et fig. 28.) Le renfoncement dans l (...)
• 47 La base présente sur sa face supérieure une mortaise circulaire de 0,385 m de diamètre, profonde de (...)
• 48 Seyrig, Bon 1929 ; Ohnesorg 2005, p. 106‑109.
• 49 Il présente une longueur de 1,92 m pour une profondeur de 1,61 m au soubassement, tandis que la dal (...)
• 50 IG XII Suppl. 409. L’inscription fait l’objet d’une réédition dans le Corpus des Inscriptions de Th (...)
• 51 Blondé, Muller, Mulliez 1986, p. 797‑799 et fig. 13. Cet autel ne fut utilisé que jusqu’au début du (...)

27Au Dionysion (GTh 56), la construction du grand monument votif abritant le groupe sculpté de Dionysos et des représentations allégoriques des genres musicaux a respecté la présence de deux autels, dont l’un, daté de la fin du v^e siècle ou du début du iv^e siècle, est un autel en pi, où la prothysis est enserrée de pilastres (fig. 16)45. À l’extrémité nord‑est du mur C‑D du passage des théores (GTh 46), s’élevait un autel du même type46, que flanquait une base à deux degrés, dédiée à Athéna Propylaia (fig. 17)47. Le sanctuaire de Poséidon présente quant à lui deux exemples d’autels en pi48 : à l’intérieur de l’enceinte du sanctuaire, dans l’axe de l’entrée, sont visibles les fondations d’un premier autel, formant un massif de 3,40 par 2,10 m. Un second autel en pi, situé en avant du mur de péribole, à droite de l’entrée, appartient à Héra Épiliméniè (fig. 18)49, comme l’atteste une prescription rituelle gravée sur l’un des blocs de couronnement50. Enfin, il convient de mentionner, au début du v^e siècle, un autre autel en pi (3,20 × 1,45 m) découvert lors de la fouille du terrain Valma, sur la place située en contrebas de l’Artémision51.

• 52 Les exemples conservés à Thasos d’autels en pi présentent une assise de réglage d’une hauteur de ca(...)
• 53 L’assise surmontant l’euthynteria de l’autel d’Héra Épiliméniè présente une hauteur de 0,175 m, cot (...)

28Les fondations de l’autel GTh 34.002 situé en avant du temple du sanctuaire GTh 34 forment un rectangle de 3,55 sur 2,39 m : cet autel était plus grand que l’autel en pi du Dionysion et que l’autel d’Héra Épiliméniè ; ses dimensions le rapprochent de l’autel situé à l’intérieur de l’enceinte du Poséidonion (3,40 × 2,10 m). Ses fondations supportaient une assise de réglage, dont la profondeur maximale peut se déduire du ressaut présent à leur lit d’attente (fig. 6) : 0,47 m sur le long côté nord‑ouest, 0,40 m sur le côté sud‑est, 0,49 et 0,41 m sur les petits côtés nord‑est et sud‑ouest respectivement52. Une encoche de levier à l’angle nord des fondations permet de déterminer la profondeur du monument à l’euthynteria et indique la ligne d’implantation de cette dernière sur le long côté nord‑ouest. Les dimensions de l’autel sont ainsi de ca 3,40 × 2,30 m à l’euthynteria. Les autels thasiens en pi dont l’élévation est conservée, comme l’autel d’Héra Épiliméniè, présentent, au‑dessus de l’euthynteria, une seule assise, en léger retrait, qui est par conséquent la prothysis de l’autel, sur laquelle reposent directement les piliers flanquant la table d’autel53.

• 54 S’il n’est pas possible pour le moment de rapporter avec certitude d’autres éléments à l’élévation, (...)
• 55 Tout comme le terme d’ante, nous convenons que le terme de pilastre n’est pas complètement satisfai (...)
• 56 Ces carreaux étaient calés par le ressaut ménagé sur la face arrière.

29Le bloc inscrit est le seul vestige que l’on puisse attribuer à l’élévation54, comme pilastre de l’autel55. La position du pilastre, à gauche ou à droite, nous est donnée par l’observation de la face postérieure : celle‑ci présente sur sa surface démaigrie un traitement fin et forme avec la face latérale droite un angle droit tandis que la section au contact de la face latérale gauche est traitée plus grossièrement. C’est la raison pour laquelle nous identifions ce bloc comme le pilastre droit de l’autel qui recevait, sur la surface démaigrie de sa face arrière, des carreaux, juxtaposés à joints vifs, sur deux ou trois assises56, qui poursuivaient le traitement décoratif de la face latérale droite. Nous restituons en symétrie un élément identique à gauche, les deux pilastres flanquant ainsi la prothysis, dont la longueur restituée peut être estimée à ca 2,60 m.

• 57 C’est le cas notamment des autels du Dionysion et du Poséidonion.
• 58 Comme sur l’autel d’Héra Épiliméniè et sur l’autel du Dionysion. Ce mur est, selon les cas, composé (...)
• 59 Dans ce cas, la surface et les parois du foyer peuvent être doublées de dalles de gneiss destinées (...)
• 60 Nous ne possédons pas de bloc pouvant appartenir au couronnement. Les fouilles de Thasos ont livré (...)
• 61 Nous avons pris connaissance, à la fin de la rédaction de cet article, d’une publication parue dans (...)

30Les parallèles d’autels dits « à antes » de dimensions similaires présentent fréquemment une prothysis dont la profondeur avoisine le tiers de la profondeur de l’autel57. Si tel était le cas pour l’autel GTh 34.002, la profondeur de la prothysis serait de ca 0,77 m. Celle‑ci serait donc plus profonde que les pilastres qui la flanquent, ce que conforte, sur le bloc inscrit, l’absence de bandeau lisse le long de l’arête postérieure de la face latérale gauche, impliquant, comme pour la face latérale droite, que le motif décoratif se poursuivait sur un bloc adjacent. La présence de ce dernier reporte d’autant le parement de la table d’autel. Selon le dispositif des autels « à antes », on restitue un mur de bordure en pi enserrant cette dernière, mur dont l’épaisseur est le plus souvent identique à la longueur du pilastre58, soit ici une épaisseur restituée de 0,35 m. Ce mur permet de protéger la table d’autel proprement dite sur laquelle se tenait le foyer59. La mortaise de goujon au lit supérieur du bloc inscrit indique que ce dernier était surmonté d’un bloc appartenant à l’assise de couronnement qui protégeait l’ensemble du mur de bordure60. Si l’autel en pi auquel nous pensons pouvoir attribuer le pilier inscrit fut construit sur le même modèle que les exemples thasiens de la même époque que nous avons mentionnés, la hauteur totale restituée du monument serait autour de 1,60 m61 (fig. 19 ; fig. 20).

• 62 Chamoux 1979, p. 148.

31Demeure la question de la fonction des cavités rectangulaires (0,15 × 0,13 m) disposées en oblique sur la dalle de marbre située en avant de l’autel, sur son long côté nord‑ouest. En raison de sa position, Fr. Chamoux interprétait cette dalle comme la prothysis, c’est‑à‑dire la plate-forme sur laquelle se tient l’officiant62, et ces cavités étaient selon lui destinées à recevoir des anneaux sacrificiels. Malgré l’usure de sa surface, cette dalle n’est pas à proprement parler la prothysis : celle‑ci, selon la restitution que nous proposons, se trouverait entre les deux pilastres de l’autel en pi. En revanche, l’hypothèse d’anneaux sacrificiels est tout à fait séduisante, d’autant que la forme d’un autel en pi offre l’avantage que l’officiant, lorsqu’il se trouve sur la prothysis, n’est pas « gêné » par les animaux placés sur la dalle, ce qui serait le cas d’après la proposition de Fr. Chamoux.

• 63 Biard, Fournier, Imbs 2018, notamment fig. 8.
• 64 Chamoux 1979.
• 65 Launey 1944, p. 29.

32Toutefois, les dimensions des trois mortaises étonnent : les anneaux destinés à attacher les animaux en vue du sacrifice sont en effet passés dans des pitons, enrobés de plomb, pour lesquels il n’est point besoin de grandes mortaises. Ils sont installés sur un élément de dallage, sur un degré de l’autel ou sur des blocs indépendants dans le voisinage de ce dernier. À Thasos, on rencontre ce type de dispositif sur le soubassement de l’autel des Césars (GTh 30)63 ainsi que sur la dernière assise de fondation de l’autel de Théogénès (GTh 31)64. Un anneau de fer est également attesté à l’Héracleion, dans un joint du dallage en avant de l’autel65.

• 66 Robert 1955, p. 295 et pl. 45. Malheureusement, pour cet exemple et les suivants, les dimensions de (...)
• 67 La Genière 1998, p. 247‑249 et pl. I, VIII, XII ; La Genière, Jolivet (éd.) 2003. Un bloc à anneau (...)
• 68 Parisi Presicce 1999, notamment fig. 5. C’est en tout cas assuré pour le bloc fig. 6 qui présente l (...)
• 69 Zimmermann 1991, p. 148‑154, et fig. d pl. XLI : bloc Θ flanquant l’autel G. Une cavité de 0,14 m s (...)

33Mais il est vrai que l’on rencontre aussi des cavités de dimensions importantes dont il ne fait pas de doute qu’il s’agit de mortaises de fixation pour des anneaux : à Claros, un degré de l’autel d’Apollon porte en effet une grande cavité carrée, auprès de laquelle se trouve une trace semi-circulaire due aux frottements de l’anneau lors des mouvements brusques et répétés de l’animal pour se libérer, confirmant ainsi la présence d’un anneau sacrificiel66 ; de même, le dispositif pour les hécatombes est réalisé au moyen de blocs pourvus d’anneaux passés dans des pitons qui, enrobés d’une gangue de plomb, sont fixés dans des cavités d’encastrement dont les côtés mesurent une dizaine de centimètres67. Dans le sanctuaire d’Artémis et d’Apollon à Cyrène, sont attestés des blocs munis de cavités d’encastrement larges et profondes, qui, selon toute vraisemblance, étaient destinées à recevoir des anneaux sacrificiels68. Un bloc du même type est également attesté dans la zone des temples à Istros69.

• 70 Les images de l’animal attaché à un anneau fixé au sol avant sa mise à mort rituelle sont extrêmeme (...)
• 71 Cf. Chamoux 1979, p. 147, n. 13 : « Sur toutes ces représentations, l’anneau est fixé au sol soit c (...)
• 72 Les scellements sur le côté nord‑est de cette dalle attestent par ailleurs l’existence d’une dalle (...)
• 73 Sur les différentes étapes de la préparation de la viande, mentionnons l’hydrie Ricci (530‑520), pr (...)
• 74 « Chronique des fouilles », BCH 73, 1949, p. 544. Le carnet de fouille de J. Pouilloux de 1949 en d (...)

34À l’issue de la procession, les animaux étaient donc conduits aux abords de l’autel où ils étaient attachés, avant d’être abattus par le sacrificateur. La corde, enroulée autour des cornes de l’animal, était passée dans l’anneau, le contraignant à fléchir les pattes antérieures et à baisser la tête pour recevoir le coup, cette position marquant par ailleurs son assentiment70. L’officiant se tenait face au levant, les animaux destinés au sacrifice étant attachés derrière lui, en contrebas, devant l’autel71. La présence de trois cavités d’encastrement creusées dans le dallage devant l’autel de Zeus Agoraios implique que trois animaux au moins pouvaient être sacrifiés en même temps sur l’autel du sanctuaire GTh 34 tandis que l’usure de la dalle a pu être provoquée par les animaux qui étaient attachés à cet endroit72. Le sang des victimes déversé lors de la mise à mort et de la préparation des parts de viande73 était évacué au moyen d’un égout qui fut mis au jour au sud‑ouest de la dalle portant les cavités d’encastrement74, tandis qu’une épaisse couche de cendres entourait l’autel lui‑même.

• 75 Les deux profondeurs de la mortaise centrale sont peut‑être liées au besoin de refaire celle‑ci à l (...)

35Deux points cependant ne trouvent pas d’explication satisfaisante : le fait que ces cavités soient disposées en oblique par rapport à l’autel75 et la faible distance qui les sépare, qui implique que les animaux étaient proches les uns des autres.

• 76 Daté du iii^e siècle, cet autel se compose d’un socle monumental constitué de trois degrés de marbre (...)

36Les dimensions (3,40 × 2,30 m à l’euthynteria), le type de construction (autel appareillé placé sur des fondations puissantes) et le dispositif permettant peut‑être d’attacher au moins trois quadrupèdes, font de cet autel un monument relativement important de l’agora. Toutefois, il ne présente ni la forme ni les dimensions qui seront celles des autels érigés à partir de la basse époque hellénistique, comme l’autel situé à l’angle sud de l’agora, placé sur un imposant soubassement (11,3 × 7,55 m)76 ou l’autel des Césars (7,98 × 4,66 m à l’euthynteria). Au contraire, ses dimensions, les techniques de construction ainsi que sa forme supposées inscrivent plutôt l’autel de Zeus Agoraios dans la série des autels « à antes » de taille plutôt modeste, dont le type est bien illustré à Thasos à l’époque classique.

• 77 Picard 1962, p. 113‑133, et notamment les photographies de ces parois, fig. 55 et 56 (cette dernièr (...)
• 78 Ces blocs, comme l’ensemble des blocs de l’agora, font l’objet d’un inventaire et de relevés systém (...)

37Si les autels du Poséidonion et du Dionysion, qui sont les mieux conservés, permettent d’appuyer une proposition de restitution de l’autel de Zeus Agoraios, ils offrent également des éléments de comparaison d’ordre stylistique. Le parement de leurs blocs présente une surface rustique délimitée par un cadre lisse réalisé au ciseau droit, souvent bordé de triangles ou de stries parallèles, et témoigne d’une parenté avec le pilastre de Zeus Agoraios. Cette esthétique, où le relief du parement permet un jeu d’ombre et de lumière, se retrouve sur d’autres constructions de la cité classique, comme en témoigne l’appareil des parois du vestibule de la porte de la déesse au char (GTh 57)77, mais aussi sur de nombreux blocs errants de l’agora ou remployés dans les fondations de l’édifice à paraskènia (GTh 12)78.

• 79 Moretti, Fincker 2008, p. 142‑143, fig. 16. Voir également Ohnesorg 2005.
• 80 Des Courtils 2014.

38Les constructeurs thasiens semblent ainsi, pour les autels érigés notamment aux v^e et iv^e siècles, avoir apprécié le plan en pi, où la table d’autel est enceinte dans une construction qui s’achève par deux pilastres placés de part et d’autre de la prothysis. Ce modèle, qui trouve son origine dans la tradition architecturale ionienne, et tout particulièrement cycladique, est bien attesté à Délos79. Cette déclinaison de l’autel à table demeure de dimensions modestes dans la tradition insulaire et prend rarement la forme monumentale de l’autel à cour si fréquente dans les monuments d’Ionie. Dans cet emploi thasien du type de l’autel en pi se lit une fois de plus la part de l’héritage cycladique dans l’architecture religieuse thasienne, encore sensible à l’époque classique80.

• 81 Il s’agit des numéros GTh 25, 26, 28, 29. Il peut toutefois s’agir, pour certaines, de fondations p (...)

39Le choix de l’emplacement du téménos de Zeus Agoraios semble obéir à une volonté d’installer le dieu au cœur de la place publique, plus spécialement en un secteur – la frange nord‑est – qui fut l’objet de profondes restructurations au iv^e siècle. Cette implantation s’inscrit dans une trame que respecte un certain nombre de fondations de l’aulè, dont certaines ont pu appartenir à des autels81. Cette orientation est aussi celle qu’adoptèrent, à partir de l’époque hellénistique, l’autel sur podium situé à l’angle sud de l’agora (GTh 23) ou, dans les toutes premières années du i^er siècle apr. J.‑C., l’autel des Césars (GTh 30).

• 82 Longtemps appelé « édifice en tuf », l’édifice, daté du iii^e siècle, fut identifié comme le bouleut (...)
• 83 Ce portique en pi, daté de la première moitié du iv^e siècle et dont les murs étaient recouverts des (...)
• 84 Les techniques de construction, la forme des scellements, le traitement du parement des orthostates (...)
• 85 L’étude architecturale a permis de préciser la succession chronologique des différentes structures (...)

40Dans cette zone de l’agora, le sanctuaire de Zeus Agoraios, clairement délimité par son péribole, fait figure de point nodal. Cet emplacement tire son importance de la proximité de ce téménos avec les édifices civiques de la bordure nord‑est de l’agora que sont le bouleutèrion (GTh 11)82 et l’édifice à paraskènia (GTh 12)83. Cette relation topographique était plus étroite encore avant que ne fût construite l’enceinte circulaire, probablement au iii^e siècle84 : celle‑ci vint en effet couper un axe de circulation qui longeait la bordure nord‑est de l’agora, de l’entrée nord au passage des théores, ce qui laissa un passage large de moins d’un mètre entre l’enceinte et le bouleutèrion. Cette nouvelle configuration eut pour conséquence de contraindre le cheminement par le nord‑ouest et le sud‑ouest85. Cela peut expliquer la mise en place d’un péribole pour délimiter clairement le sanctuaire et, du même coup, pour empêcher qu’on ne le traverse. On aura ainsi souhaité clôturer le tout, en prenant soin de conserver un lien structurel entre les différents monuments, pour des besoins constructifs, auxquels ont pu toutefois s’ajouter des considérations d’ordre symbolique ou religieux, car il ne fait aucun doute que les deux espaces rituels sont liés.

• 86 Des modalités qui diffèrent de celles des autres divinités qui peuvent être également Agoraios/Agor (...)
• 87 Martin 1951, p. 176 ; Greco 2006 ; Antonetti 2009.
• 88 À Thasos, l’épiclèse toponymique qualifie aussi Héraclès, dans le règlement de son culte datant de  (...)

41L’épiclèse Agoraios renvoie évidemment à l’emplacement du culte, sur l’agora, mais elle ne se limite pas à cette seule valeur topographique : elle met en avant un champ d’action que Zeus investit selon des modalités qui lui sont propres86. Il est le dieu protecteur des institutions de la cité et, de manière générale, garant de la concorde civique87. Sous sa protection, les assemblées, les délibérations, l’exercice de la justice se déroulent conformément à la justice divine et aux patrioi nomoi. Dans la cité grecque, le rayonnement du culte de Zeus Agoraios est essentiellement local et cette caractéristique est encore accentuée à Thasos puisque Zeus Agoraios est en outre Thasios. L’emploi de l’épiclèse toponymique est ici tout sauf anodin car celle‑ci ancre le dieu dans le cœur politique de la cité tout en fonctionnant comme un marqueur de l’identité collective88. Au moyen de ce titre cultuel, les Thasiens font en effet du dieu protecteur des activités politiques le dieu de tous les Thasiens.

• 89 Pouilloux, Recherches I, p. 230‑231.
• 90 Hamon 2015-2016 ; Hamon 2017 ; Hamon 2022.
• 91 C’est à la faveur du premier épisode en 390, marqué par le retour à la démocratie, qu’un nouveau mo (...)
• 92 Cela se déduit du fait que les blocs furent tous retrouvés en remploi dans la basilique protobyzant (...)

42J. Pouilloux a insisté sur le rapport étroit entre le culte de Zeus Agoraios et les événements politiques vécus par la cité thasienne89 : à la suite des troubles des dernières années du v^e siècle et du premier tiers du iv^e siècle, l’instauration de ce culte – ou plutôt, selon nous, sa réaffirmation – s’inscrit selon lui dans le contexte du retour à la stabilité politique que marque le rétablissement définitif des institutions démocratiques en 375. C’est également à partir de cette date que les Thasiens mènent un ambitieux programme de construction sur l’agora, touchant notamment les édifices civiques de la frange nord‑est, et qu’ils gravent une première version des listes d’archontes et de théores90. Toutefois, la datation de l’inscription, entre la fin du v^e siècle et les toutes premières décennies du iv^e siècle, laisse envisager un aménagement du sanctuaire de Zeus Agoraios initié malgré cette période de troubles politiques : entre 390 et 375, les Thasiens durent en effet faire face à trois épisodes de staseis, accompagnées de trois changements de régime91. Dans ce premier tiers du iv^e siècle, le sanctuaire de Zeus Agoraios Thasios semble avoir été le premier ensemble de la place à faire l’objet d’une monumentalisation, qui se poursuivit avec les édifices civiques une fois la stabilité politique retrouvée en 375. Vers 370, l’une des deux listes monumentales, la « Petite Liste des archontes », fut inscrite sur un édifice de marbre blanc, érigé avant cette date, situé dans l’angle nord de l’agora92 et qui n’a pour l’instant pas été identifié.

• 93 Cette proposition de restitution architecturale, élaborée conjointement avec P. Hamon, est en cours (...)
• 94 Il s’agit à cette date de l’édifice situé sous le bouleutèrion (GTh 11) du iii^e siècle (« proto-bou (...)
• 95 Il s’agit de la « Grande Liste des archontes » (Hamon 2017).
• 96 Les décrets étaient souvent exposés au Pythion, gravés sur les murs du sanctuaire, et dans la ville (...)

43Les travaux menés dans le cadre du programme Archépolis nous permettent d’avoir une image plus précise de la topographie de la place publique au début du iv^e siècle et d’éliminer un certain nombre de candidats pour situer cette petite liste des archontes. L’édifice qui, en l’état actuel de nos travaux, retient notre attention est le temple de Zeus Agoraios Thasios. Notre étude nous porte en effet à envisager l’emplacement de cette liste sur le long côté nord‑est de l’édifice93 : la liste serait ainsi visible depuis un espace dégagé, d’où elle pouvait être vue, voire lue, faisant face à un bâtiment public94 avec lequel le temple entretenait sans nul doute un lien visuel étroit (fig. 1). Ces observations s’accordent avec l’existence, en ce secteur, de la clôture à claire‑voie du péribole de GTh 34 et de supports de bancs dont nous avons pu observer qu’ils étaient tournés non pas vers le bouleutèrion (GTh 11) mais vers le sanctuaire. Selon cette hypothèse qui demande à être étayée, après l’abandon de la liste vers 325 à la suite de sa regravure sur les murs d’un second édifice, vraisemblablement l’édifice à paraskènia95, le temple de Zeus Agoraios a pu demeurer un lieu d’affichage de premier plan puisque ses murs, à tout le moins son mur nord‑est, accueillirent des stèles de bronze portant les décrets de la cité96. Si cette localisation de la première liste des archontes est juste, il est indéniable que le sanctuaire du dieu de l’agora joua à Thasos un rôle de premier plan dans la vie civique de la cité.

• 97 Comme c’est le cas par exemple du pilier portant la mention d’Apollon Lykeios au génitif, découvert (...)

44La nouvelle interprétation que nous proposons de la pierre portant l’inscription de Zeus Agoraios Thasios comme pilastre d’un autel ajoute un exemple à la série déjà bien documentée à Thasos des autels ioniens dits « à antes » ou en pi. Elle jette par ailleurs une lumière nouvelle sur les « bornes » découvertes en nombre important à Thasos, qu’il convient, au vu de ces nouvelles observations, de reconsidérer. Si certaines sont assurément des marqueurs délimitant le sanctuaire de la divinité, il n’en va pas de même pour d’autres97. Enfin, l’inscription marquant l’appartenance de l’autel à Zeus Agoraios Thasios offre un ancrage chronologique dans la phase de monumentalisation qu’a connu ce sanctuaire et que l’étude architecturale va permettre encore de préciser.