Les abords sud de l’îlot de la Maison des masques

4Mais, si le tissu urbain correspondant à cette zone devait présenter certains traits communs avec ceux rencontrés dans le Quartier du théâtre, il convient néanmoins de souligner une singularité qui caractérise sa forme urbaine.

5En plusieurs endroits, on observe en effet dans les irrégularités de la topographie la présence de cavités creusées à la surface du granit qui pour l’essentiel constitue le substrat de cette région. Ces dépressions, semblables à celle qui se trouve dans l’îlot de la Maison des masques, sont en général assez peu profondes et résultent de l’extraction des matériaux qui ont sans doute servi à la construction des maisons érigées dans ce secteur.

6Si dans un premier temps il s’agit de petites carrières à ciel ouvert, ces dépressions ont rempli par la suite une autre fonction tout aussi importante pour la vie quotidienne des habitants de ce quartier. Les traces laissées sur leurs parois par les niveaux de l’eau, conduisent à penser qu’à certaines périodes de l’année, elles devaient se remplir, constituant autant de retenues d’eau susceptibles de fournir les réserves nécessaires aux occupants des maisons qui leur étaient contiguës.

7À y regarder de plus près, la position respective de chacun de ces réservoirs dans la topographie ne semble pas due au hasard. Au nombre de six, si l’on compte celui de l’îlot de la Maison des masques, ils se succèdent dans la pente générale imposée par le relief, dans une logique qui les place en aval les uns des autres, de part et d’autre d’un axe nord‑sud.

10Ces cavités résultant de l’ouverture des carrières de granit ont certainement entraîné la construction à leur contact d’un certain nombre de maisons, dont les habitants pouvaient jouir des avantages que celles‑ci leur apportaient en termes d’approvisionnement en eau. Si bien que, contrairement à ce qui a pu se passer ailleurs, où la structure urbaine était déterminée par certains paramètres comme le relief, le parcellaire et le réseau viaire, ici, la présence des éléments que constituaient ces cavités, dont la situation ne devait semble‑t‑il rien au hasard, ont sans doute largement contribué à façonner la forme urbaine du quartier.

11Ces bassins de rétention d’eau insérés dans la topographie devaient probablement être considérés par les promoteurs de cette nouvelle extension urbaine comme autant d’atouts pour la vie de ses futurs habitants. La topographie pourrait même avoir été en quelque sorte le moteur de cette urbanisation, les cavités des carrières constituant des points fixes autour desquels se serait peu à peu organisée la trame urbaine, aussi bien dans ses parties bâties que dans les vides nécessaires à son réseau viaire.

12On pourrait aller jusqu’à avancer l’hypothèse suivante : une fois prise la décision d’urbaniser cette zone, en périphérie de la ville, le parcellaire a peut‑être été pensé de manière à exploiter au mieux certaines diaclases du rocher, afin de réaliser le système des retenues d’eau voulues, mais aussi de fournir les ressources en matériaux de construction, à l’endroit même de leur mise en œuvre. Ainsi, les lieux d’ouverture de ces carrières auraient été choisis à la fois en fonction de facteurs naturels préexistants, mais aussi dans le cadre d’une stratégie globale d’aménagement du quartier qui, dès l’origine, prévoyait peut‑être le captage des eaux du cours secondaire de l’Inopos.

14Malgré l’impossibilité dans laquelle on se trouve d’identifier le périmètre exact de chacun des îlots qui constituent ce quartier, on serait tenté de reconnaître, notamment grâce à la présence de plusieurs cratères d’effondrements, au moins une dizaine de maisons, dont la moitié se trouve en relation directe avec ces retenues d’eau.

15Si la typologie de ces maisons, de tailles variables, mais toujours organisées autour d’une cour à péristyle, est conforme à ce qu’on rencontre dans les différents quartiers de la ville, il convient néanmoins de souligner leur singularité. Comme c’est le cas à l’îlot de la Maison des masques, où une sorte de cour fermée, directement accessible depuis au moins deux maisons, accueillait le bassin à ciel ouvert, on a cru parfois reconnaître dans les vestiges observés des espaces extérieurs plus ou moins vastes, enclos de murs, attenant au bâti de certaines habitations, et dans lesquels se trouvaient ces réservoirs. Ceux‑ci pouvaient donc être partagés par les habitants de plusieurs demeures, à l’instar de ce qu’on observe dans l’exemple qui nous sert de référence.

16Dès lors se pose la question du statut de ces retenues d’eau. Les murs de clôtures qui les entourent laissent penser qu’elles n’appartenaient pas au domaine public et qu’elles répondaient plutôt à un usage privatif, même si celui‑ci pouvait éventuellement être partagé par les occupants de plusieurs maisons voisines. Mais là encore on est condamné à rester dans le domaine des hypothèses.

17Quelle était la hauteur des murs qui délimitaient les espaces à caractère privatif dans lesquels se trouvaient ces bassins de rétention ? Étaient‑ils assez hauts pour empêcher les vues depuis la rue ? Ou au contraire étaient‑ils suffisamment bas pour laisser passer le regard, permettant parfois des ouvertures entre les différentes maisons ? La conception de l’habitat délien, refermé sur sa cour intérieure, nous ferait plutôt pencher pour la première hypothèse, sans pour autant qu’on puisse en apporter la moindre preuve.

18Quant au réseau viaire, vu les difficultés que nous avons rencontrées dans l’exploration de cette zone, il ne peut être l’objet d’aucune restitution sérieuse ; il répondait sans doute à un tracé déterminé avant tout par l’obligation de desservir l’espace privé et les maisons, notamment celles implantées dans la pente au contact des cavités qui servaient de réservoirs d’eau. Le système de voirie devait présenter lui aussi une densité moins forte et un tracé beaucoup plus irrégulier, répondant à une géométrie moins rationnelle que celle qu’on observe dans le Quartier du théâtre.

20Il nous a néanmoins semblé utile de présenter un certain nombre d’éléments de la forme urbaine qu’il est possible de reconnaître, et d’en fournir une illustration. Le plan réalisé à cet effet doit être considéré exclusivement comme un plan de repérage de ces éléments caractéristiques et non pas comme l’aboutissement d’une démarche restitutoire (fig. 5).

21A. À une quarantaine de mètres au sud de l’angle sud‑ouest de l’îlot de la Maison des masques, la cavité 1 creusée dans le substrat granitique, a certainement constitué le plus vaste des bassins à ciel ouvert du quartier (fig. 6). Il occupe une surface de plus de 3 ares et se présente sous la forme d’une vaste dépression de plus de 1,80 m de profondeur, dont les contours sont entièrement constitués par le rocher. Ses parois sont hétérogènes ; si, au nord et au sud, elles suivent un tracé aléatoire dicté par la forme du rocher, son flanc est, constitué d’un front de taille régulier en relation avec la partie la plus profonde du réservoir, résulte de l’activité des carriers.

23Légèrement plus au sud, en amont de cette dépression, et implanté perpendiculairement à la pente, le mur 314 de direction est‑ouest, fait d’un appareil régulier de blocs en granit, sur une longueur de plus de 22 m, est peut‑être à mettre en relation avec cette installation. Il pourrait s’agir des restes d’un mur de soutènement de l’enclos qui entourait le bassin, le protégeant, compte tenu de la déclivité du terrain, d’éventuels éboulements.

25Les deux cavités numérotées 2 et 3 (fig. 5), dont les surfaces sont moins importantes que celle du bassin 1, appartiennent à ce même îlot. Voisines l’une de l’autre, elles sont séparées par un mur de direction nord‑sud. Elles résultent toutes les deux de l’exploitation de carrières de petites dimensions. De part et d’autre de ce mur, qui constituait certainement un mur mitoyen, chacun de ces bassins était peut‑être en relation avec une maison. De toute évidence, c’est le cas pour la cavité orientale.

26Au sud de ces cavités, en effet, la géométrie qui organise le tracé des murs en gneiss que nous avons pu relever ainsi que la présence d’un cratère d’effondrement D permettent d’apprécier la structure d’une maison et son emprise au sol. Comme dans le cas de la Maison des masques, il s’agit peut‑être d’une maison répondant à un dispositif typologique caractérisé par la présence d’un réservoir d’eau à l’intérieur même du périmètre occupé par l’habitation.

27Le bassin 2, qui paraît inclus dans le périmètre de la maison, résulte en grande partie de la taille du rocher à des fins d’extraction du granit (fig. 9). Sur son côté est, et à son niveau supérieur, le rocher garde encore les traces laissées par le travail des carriers sous la forme de cavités de coins qui paraissent avoir été abandonnées au moment de l’extraction (fig. 10). Elles apportent une preuve irréfutable que ces dépressions n’étaient pas naturelles et que, avant d’être utilisées comme réservoirs d’eau, elles correspondaient à des sites d’extraction du granit à ciel ouvert.

28Ce réservoir occupait une surface de près de 60 m². Sa face sud‑est, verticale, s’élève sur une hauteur de plus de 4 m ; elle est en partie constituée d’une robuste maçonnerie en granit qui avait pour fonction de retenir les terres qui, sur son côté sud, surplombaient le bassin. Ses parois est et ouest, plus hétérogènes, présentent également certaines parties maçonnées en blocs de granit qui viennent compléter le rocher. Sur son côté nord, on relève la présence d’un large emmarchement taillé dans le rocher, qui permettait d’atteindre le niveau de l’eau lorsque celui‑ci était plus bas (fig. 11). On peut déduire des traces visibles sur les parois que, à certaines périodes de l’année, le réservoir offrait d’abondantes réserves en eau aux habitants de la demeure à laquelle il peut être associé. Sous le climat cycladique de Délos, caractérisé par de longs étés sans précipitation, cette retenue d’eau constituait un élément fonctionnel précieux pour les habitants de l’habitation contigüe, leur offrant un supplément de confort tout à fait appréciable.

29À l’ouest, les choses ne se présentent pas de façon aussi claire, et on peut s’interroger sur la fonction du bassin correspondant à la cavité 3. Peut‑être s’agissait‑il d’un réservoir d’eau accessible depuis le domaine public ?

30Cette dépression artificielle a elle aussi été creusée dans le terrain naturel. Relativement profonde, elle occupe une surface de près de 80 m² et présente une forme rectangulaire de 13 × 6 m. Alors que son côté occidental est en totalité constitué d’une impressionnante maçonnerie faite de plusieurs blocs de granit de tailles imposantes, sa paroi orientale, quasi rectiligne sur plus d’une quinzaine de mètres, est la résultante d’un front de taille dressé sur une hauteur de plus de 4 m (fig. 12). Ses dimensions remarquables témoignent d’une extraction systématique du rocher, peut‑être au service de chantiers de construction situés non loin de là.

31À une vingtaine de mètres plus à l’ouest, nous avons pu observer les restes de la citerne de la maison E, qui pourrait éventuellement être associée au bassin 3 (fig. 13). Mais ceci n’est qu’une supposition, et seules les similitudes entre le gisement d’orientations des murs relevés autour de la citerne de la maison et la direction du mur situé immédiatement à l’ouest du réservoir 3 pourraient faire pencher pour cette hypothèse. Cependant, la configuration actuelle du terrain naturel et l’impossibilité de reconnaître les limites de la maison invitent à la prudence. À une centaine de mètres plus à l’ouest, un autre cratère d’effondrement F témoigne de la présence d’une maison qui se trouvait peut‑être en limite est de ce quartier, car, au pied du relief que constitue la colline de Ghlastropi, on ne note plus aucune trace d’urbanisation.

32B. Le bassin 4 nous semble pouvoir être associé à un ensemble de structures architecturales en gneiss qui se trouvent à proximité de sa paroi occidentale, et qui sont facilement identifiables. Le mur qui constitue sa paroi ouest, fait de solides blocs en granit, suit la même orientation que les murs et les colonnes qui appartiennent au péristyle en marbre de la maison H, contiguë à l’ouest. La surface de ce mur est couverte de concrétions calcaires qui témoignent de la présence sur le long terme d’une grande quantité d’eau (fig. 14).

33De nombreux tambours de colonnes qui proviennent d’un péristyle dorique sont visibles en surface (372). Certains d’entre eux semblent en place (fig. 15) et autorisent la restitution en plan d’une maison construite autour d’une grande cour couvrant une citerne, dont la géométrie s’inscrivait parfaitement dans la logique des directions dominantes organisant les îlots explorés au sud de la Maison des masques. Au vu des nombreux membres d’architecture qui gisent en surface, ou qui semblent en place, on peut inférer que l’édifice présentait une certaine richesse sur le plan architectural. On peut également associer à cet ensemble un chapiteau de pilier dont le lit d’attente mesure 0,58 m de côté (fig. 16) et, surtout, un chapiteau de colonne dorique, conservé sous plusieurs fûts, dont l’étude confirme les dimensions imposantes que devait avoir ce péristyle (fig. 17). Sa position actuelle sous un fût renversé ne rend pas la prise de mesures aisée. On peut néanmoins relever une hauteur de 0,26 m, tandis que son lit d’attente devait présenter un diamètre de ca 0,49 m. Cette dimension est à mettre en relation avec les diamètres des lits d’attente des fûts inférieurs sans cannelures, apparemment en place, qui varient entre 0,54 et 0,55 m. Son abaque correspond à un carré de près de 0,63 m de côté. Compte tenu de ses dimensions et de son profil, on peut déduire que cet élément provient d’un péristyle de type hellénistique construit probablement à la fin du ii^e siècle ou au cours du i^er siècle av. J.‑C. (fig. 18).

34À l’est de cet ensemble, on distingue, en surface du terrain, une dépression G correspondant à la cour d’une maison en ruine. Quelques éléments architectoniques émergent de ce vaste cratère d’effondrement. Il s’agit de fragments de fûts de colonnes en poros qui devaient constituer le péristyle de cette habitation (fig. 19). La maison G suit la logique géométrique des maisons identifiées précédemment, ce qui conduit à penser que l’ensemble du quartier présentait, sur une surface relativement importante, une trame urbaine assez homogène, organisée sur un gisement d’orientations nord‑sud – est‑ouest, plutôt régulier, malgré quelques légères variations.

35C. Plus au sud encore, à une trentaine de mètres de la dépression G, au‑delà de ce qui semble être un mur de soutènement (340) de direction est‑ouest (épaisseur 0,70 m), dont la construction a sans doute été rendue nécessaire par la présence d’un dénivelé important, on rencontre une citerne aux dimensions imposantes (352). Elle devait se trouver au centre d’un péristyle I presque carré de 8 × 9 m, se développant sur quatre côtés, comme en attestent les vestiges du stylobate en marbre qui bordait la cour à ciel ouvert au‑dessus de cette citerne, et dont certains éléments sont restés en place sur le côté ouest (fig. 20). À en croire la surface qu’elle couvrait, ainsi que les quelques murs qu’il est possible de lui associer, on est fondé à penser que cet édifice I présentait les caractères d’une construction de taille imposante. Le portique ouest de ce péristyle était profond de 5 m, dimension qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher des 4,50 m de la profondeur des portiques de la cour de l’Hôtellerie voisine.

36Le parallèle peut être poussé plus loin encore. Alors qu’à l’Hôtellerie, chacune des ailes du portique mesure près de 17 m de long, d’une extrémité à l’autre, pour l’édifice I, c’est une distance de 18 m que l’on peut restituer pour chaque aile du portique. Ces dimensions sont particulièrement importantes et témoignent de la taille remarquable de ces deux édifices. Pour mémoire, l’Hôtellerie couvre une surface au sol de 1  375 m², correspondant à cinq ou six fois celle occupée en moyenne par les maisons déliennes. Dès lors, on peut s’interroger sur la destination de ce bâtiment I aux dimensions aussi importantes. S’agissait‑il d’une demeure privée particulièrement vaste, ou plutôt d’un établissement semblable à l’Hôtellerie ? Et dans cette hypothèse, comment interpréter la présence dans un même quartier de deux édifices si proches et de tailles aussi inhabituelles ? Pour l’heure, ces questions resteront malheureusement sans réponse.

37Pour avancer sur la question de la datation des vestiges relevés dans ce secteur, rares sont les éléments déterminants. Seule la fouille de l’une ou l’autre des maisons de ce quartier, entre l’îlot de la Maison des masques et cet édifice I, pourra apporter des indices de datation absolue permettant de préciser l’époque de cette urbanisation. Néanmoins, l’interprétation que l’on peut faire de certains dispositifs architecturaux et des quelques blocs erratiques visibles en surface plaide pour la seconde moitié du ii^e siècle, voire pour le début du i^er siècle. Les caractéristiques des maçonneries observées, aussi bien en ce qui concerne leurs dimensions, leurs techniques de constructions ou leurs orientations, comparées à celles des murs des maisons de l’îlot de la Maison des masques, accréditent largement cette thèse.

 

38D. Au sud‑est des vestiges de l’édifice I, on remarque la présence de quelques tronçons de murs constitués de blocs en granit dont les directions nord‑sud et est‑ouest sont en cohérence avec celles des vestiges de l’édifice que nous venons de décrire. Plusieurs d’entre eux présentent une épaisseur de près de 0,80 m. Il ne s’agit pas de murs de maisons tels qu’on les observe dans cette région ; ils semblent plutôt appartenir à un système de soutènements. Les vestiges du mur 365 ont été réemployés pour servir de base à un mur d’enclos moderne (fig. 5).

40Une impression de massivité et de solidité se dégage de cet ensemble J, et sans doute a‑t‑on affaire aux vestiges d’une construction très différente de celle des maisons déliennes traditionnelles, comme on peut les observer dans le reste de ce secteur. Il est intéressant de noter que le rocher, qui préexistait à la construction du mur occidental (377), a été taillé et présente en certains endroits des cavités de coins témoignant du travail d’extraction du granit (fig. 22). Peut‑être s’agit‑il d’une carrière ouverte sur le lieu même de l’utilisation du matériau extrait, et les blocs mis en œuvre dans cette construction proviennent‑ils de ce site ? Ce mur, dont il subsiste les deux extrémités nord et sud, mesure près de 24 m de long, et semble avoir joué le rôle d’un soutènement au regard de la pente générale du terrain qui verse vers l’ouest.

41Tous ces murs semblent appartenir à un même édifice, formant un quadrilatère d’une vingtaine de mètres de côté et présentant un certain nombre de divisions internes. Une colonne en granit, d’un diamètre de 0,40 m, peut‑être en place, pourrait éventuellement être associée à cet ensemble.

42Sur le côté sud de ce quadrilatère, une autre construction, dont les murs ne suivent pas les mêmes directions mais sont constitués d’un appareil identique, semble avoir été greffée à celui‑ci. Peut‑être s’agit‑il d’une extension ou d’une transformation du plan originel ? Sur le flanc sud de cet édifice, on reconnaît un emmarchement de 5 degrés, vestiges d’un cheminement qui permettait de gravir la pente en direction de l’est.

43Si de toute évidence ce bâtiment présente des caractères originaux qui laissent penser qu’il ne s’agissait pas d’une maison, pour autant, et en l’état actuel de nos investigations, il nous est impossible de reconnaître ni sa fonction ni sa datation, même si l’appareil de ces murs pourrait plutôt faire penser à une construction antérieure au ii^e siècle av. J.‑C.

44Quant au rôle qu’a pu jouer cet édifice dans cet environnement plus rural, peut‑être faut‑il chercher la solution du côté du grand réservoir d’eau qui, à une distance de moins de 30 m, se trouve plus à l’ouest, en léger contrebas (fig. 23). Outre le critère de proximité, la similitude entre l’appareil en blocs de granit des murs de l’angle sud‑ouest qui entourent le réservoir K et celui du mur ouest 377 du bâtiment voisin plaide pour ce rapprochement. Il pourrait s’agir d’un bassin de rétention d’eau alimenté par une résurgence de la nappe phréatique, puisque de nos jours encore, en certaines périodes de l’année, celui‑ci se remplit régulièrement et sert à abreuver les troupeaux de moutons qui paissent dans cette région. Sur la paroi occidentale, on note la présence de blocs en granit constituant un escalier à quatre degrés. Ce dispositif permettait, quelle que soit la profondeur de la réserve, d’atteindre le niveau de l’eau. La taille de ce bassin – 11 × 6,50 m – et son architecture sont particulièrement remarquables au regard des installations de ce type qu’on trouve dans la campagne délienne. Mais peut‑être sont‑elles à mettre en relation avec les dimensions imposantes de l’édifice décrit précédemment.

45Plus au sud, nos investigations n’ont pas permis de repérer d’autres vestiges de constructions que ceux déjà connus, et il semble bien que ce bâtiment, en limite de l’agglomération, soit le dernier appartenant à ce secteur, avant la campagne qui s’étend jusqu’à Keronisso. Si bien qu’il n’est pas interdit de penser que ces vestiges pourraient éventuellement être ceux d’une ferme, entourée de murs délimitant sa cour. On peut également imaginer que l’urbanisation qui s’est développée dans cette région, sans doute dans le courant de la seconde moitié du ii^e siècle ou au début du i^er, a peut‑être été stoppée par la présence de ce bâtiment agricole plus ancien et les terres qui l’entouraient. En l’absence d’éléments permettant d’établir datation et chronologie, ceci n’est bien sûr que pure spéculation.

La colline de Ghlastropi

Le sommet de la colline

46Au sud‑ouest du Théâtre, le relief s’élève progressivement pour constituer la colline de Ghlastropi. Son sommet se présente sous la forme d’un plateau allongé de direction est‑ouest, long d’une centaine de mètres et large de près de 40 m (fig. 1, II). Cette plate-forme n’est peut‑être pas totalement naturelle. Il semble qu’elle corresponde, en partie tout au moins, à un aménagement résultant de la volonté de constituer une sorte d’acropole bien visible dans le paysage délien. Ce point haut offrait également une vue à 360°, embrassant aussi bien le Quartier du théâtre situé plus au nord que la campagne qui s’étend vers le sud.

47Le sommet de cette acropole (fig. 24 et fig. 25) est occupé par un édifice singulier que nous décrirons ici de façon succincte. Il mesurait 75 m de long d’une extrémité à l’autre, alors que sa largeur la plus grande atteignait 20 m. Il devait couvrir une surface de près de 1 500 m². On n’en connaît pas d’équivalent à Délos. Ces caractéristiques dimensionnelles exceptionnelles s’accordent parfaitement avec celles de la plate‑forme sur laquelle il avait été érigé, si bien qu’on peut penser que la surface initialement disponible, aménagée peut‑être pour accueillir cet édifice remarquable, a certainement déterminé sa taille et sa forme.

48Contrairement aux constructions qui se trouvent dans cette région, faites en granit ou en gneiss, ce bâtiment présente la particularité d’avoir été réalisé en marbre. Certaines portions mieux conservées des vestiges, comme c’est le cas sur sa façade nord, permettent de comprendre les modalités de mise en œuvre, et notamment le système à double parement adopté pour les maçonneries (fig. 26). L’épaisseur moyenne des gros murs est de 0,58 à 0,60 m, tandis que ceux qui constituent des cloisons séparatives internes mesurent 0,50 à 0,52 m. Ils ont pour la plupart été réalisés à l’aide de parpaings en marbre polygonaux à joints irréguliers, de dimensions variables, extraits sans doute de la carrière voisine dont les vestiges sont visibles sur le flanc sud de la colline (fig. 27).

49Les vestiges visibles sont particulièrement lacunaires, et aucune élévation n’a été conservée. Cependant, bien que l’état de la ruine n’en autorise qu’une interprétation partielle, l’originalité de son plan retient l’attention. La restitution que nous en proposons permet de mettre en évidence certaines de ses particularités.

50Derrière l’apparente complexité de son plan se cache peut‑être un semblant de régularité (fig. 28). En effet, un espace traversant étroit, d’une largeur de ca 2,10 m, joignant les façades nord et sud, séparait peut‑être en deux parties équivalentes le volume d’origine, qui mesurait un peu plus de 65 m de longueur. Ce « passage » central, long de 17 m, devait être situé sur l’axe de symétrie du bâtiment, et pourrait avoir servi à la circulation des hommes et des matériaux, d’un côté à l’autre du bâtiment. L’état de conservation de la ruine, et notamment la très faible hauteur des murs conservés, ne laissent malheureusement pas la possibilité de reconnaître la présence de seuils à ses extrémités.

51De part et d’autre de cet axe, on identifie quatre espaces fonctionnels, dont la largeur est‑ouest est pratiquement la même. Ceux qui sont directement au contact du passage mesurent un peu plus de 15 m de large, tandis que ceux qui sont aux extrémités présentent une largeur d’un peu plus de 16 m. Leurs murs séparatifs, tout comme ceux du « couloir » central, sont perpendiculaires au mur sud de l’édifice. Les murs de refends qui déterminent les partitions internes de chacun de ces espaces sont également dans la même logique orthogonale. Quant au mur ouest de la pièce la plus occidentale, il est parfaitement parallèle au mur est qui se trouve à l’autre extrémité du bâtiment, ce qui accrédite l’hypothèse qu’on pourrait avoir affaire à une construction répondant à un plan régulier. Cette interprétation est confirmée par l’idée qu’on peut se faire de la conception du bâtiment à partir de l’analyse de son plan.

52Le projet originel a sans doute été pensé dans une logique orthogonale commandée par l’orientation de la façade sud. Ce choix a déterminé la géométrie des murs de refends nord‑sud, tous perpendiculaires à cette façade, ainsi que celles des partitions internes des pièces qu’ils délimitaient. Seule la façade nord déroge à ce système, et son orientation, légèrement oblique par rapport à ce système orthogonal, résulte sans doute d’une autre contrainte. La limite nord de l’acropole sur laquelle elle est implantée, correspondant à la courbe de niveau 34 m, et l’effet de dénivelé qui l’accompagnait imposaient peut‑être de déroger à un système régulier qui avait été pensé depuis le sud.

53Parfaitement rectiligne sur une longueur d’au moins 67 m, cette façade nord semble être plutôt la façade arrière d’un bâtiment qui devait vraisemblablement être orienté vers le sud, et ouvert dans cette direction. Deux arguments plaident en faveur de cette hypothèse : d’abord, il faut rappeler qu’à Délos les vents dominants soufflent depuis le nord, et il était sans doute plus logique de créer les baies d’accès aux pièces sur la façade sud, ce qui permettait de s’affranchir d’une contrainte susceptible d’entraver certaines activités humaines. D’autre part, alors qu’au contact de la façade nord le dénivelé était sans doute assez fort, devant la façade sud, la topographie devait être plus hospitalière, permettant certainement d’accéder au bâtiment de façon directe et facile, et offrant peut‑être des espaces extérieurs abrités des vents dominants, nécessaires à son fonctionnement, et qu’il eût été impossible de trouver du côté nord (fig. 24).

54À l’ouest, une cinquième pièce plus étroite, large de 8 m, complète le plan. Sa géométrie est quelque peu singulière et mérite d’être analysée : son mur oriental est constitué par le mur ouest de l’édifice que nous venons de décrire. Son mur nord est perpendiculaire à celui‑ci, tandis que son mur ouest lui est parallèle. Il faut noter que son mur nord ne suit pas la même direction que le mur nord des quatre espaces décrits ci‑dessus, alors que sa façade sud paraît s’inscrire dans l’alignement de la façade sud de ces derniers. Ces particularités nous conduisent à penser que nous sommes peut‑être en présence d’une extension de l’édifice originel.

55Encore plus à l’ouest, un mur, long de près de 18 m et constitué d’un appareil en marbre identique, limite la construction. Il pourrait s’agir du vestige de la façade occidentale du bâtiment. Elle est implantée obliquement par rapport à la géométrie quasi orthogonale jusque‑là observée, et suit une direction sud‑ouest – nord‑est. À son extrémité sud, ce mur fait retour sur une très faible longueur en direction de l’est. Peut‑être faut‑il voir dans ces particularités géométriques le souhait d’adapter le bâtiment à la configuration initiale du plateau sur lequel il a été établi.

56Mais, au‑delà de ces constatations concernant le plan de l’édifice et des hypothèses qui en découlent, il nous semble difficile d’aller plus loin dans l’interprétation de ces vestiges singuliers.

58Au‑delà de la difficulté à restituer sa volumétrie, on peut néanmoins s’interroger sur la position qu’occupait ce bâtiment singulier dans le paysage délien. Isolé sur ce promontoire, particulièrement exposé aux vents du nord, vu de loin et sans doute de toutes parts, dominant la campagne environnante et tournant vraisemblablement le dos à la ville dont il est pourtant très proche, il ne laisse d’étonner et ne manque pas de susciter de nombreuses interrogations ; peut‑être sa fonction, qui pour l’heure reste inconnue, a‑t‑elle justifié son édification en ce lieu éminemment stratégique.

59On pourrait avancer une fonction d’ordre défensif ou militaire, ou liée à l’exploitation de terres agricoles proches, mais il convient de rester prudent. Là encore, seule une fouille systématique de ce secteur pourra lever les nombreuses apories attachées à ces vestiges énigmatiques.

61Compte tenu des caractères particuliers de cet édifice, qui constitue une sorte d’unicum dans l’architecture délienne, et du choix de son implantation sur le sommet de la colline, il nous semble qu’une étude approfondie de ces structures s’avère urgente et indispensable. Outre l’éclairage nouveau qu’elle apporterait sur ces vestiges, elle pourrait être le point de départ d’une étude architecturale fort intéressante, aboutissant éventuellement à la restitution d’un édifice remarquable, qui nous paraît à maints égards avoir joué un rôle éminent.

62À l’est de ces vestiges, on observe deux murs, qui, compte tenu de l’espace qu’ils délimitent, semblent avoir appartenu à un ensemble que nous interprétons comme une cour fermée contiguë au bâtiment. Il est à noter que la surface qu’ils délimitent est restée libre, et ne présente pas l’accumulation des parpaings en marbre qui couvre la surface occupée par le bâtiment. L’un d’eux, de direction est‑ouest, prolonge sur environ 30 m la façade nord de l’édifice que nous venons de décrire (fig. 30). Il est épais de 0,62 m. S’il est fait également d’un appareil en marbre, il est à souligner que celui‑ci est beaucoup moins régulier. À son extrémité est, un autre mur formant un angle de 80° avec le premier, pratiquement parallèle à la façade est de l’édifice, se prolonge en direction du sud sur une vingtaine de mètres. Si leur fonction reste difficile à déterminer – peut‑être ont‑ils servi de soutènements –, il est incontestable qu’ils appartiennent bien à l’ensemble construit en marbre au sommet de la colline de Ghlastropi.

63Plus au sud, au‑delà de la carrière qui a sans doute fourni son matériau de construction au chantier tout proche, on a pu relever plusieurs murs en marbre à double parement, d’une épaisseur de 0,60 m (fig. 31), dont l’aspect est semblable à ceux que nous venons de mentionner. Mais, malheureusement, ni leur tracé ni leur état de conservation ne permettent d’avancer la moindre hypothèse quant à leur fonction en relation peut‑être avec la carrière.

Le versant ouest de la colline

65Un autre facteur ne laisse d’étonner. Les moellons en gneiss et en granit qui jonchent partout le terrain naturel – qui, il faut souligner, n’est visible qu’en de très rares endroits – présentent un aspect uniforme, caractérisé par la couleur grise que le séjour prolongé à ciel ouvert et les lichens qui les recouvrent leur ont conférée. L’impression générale qui se dégage de ce secteur est celle d’un chaos impressionnant et d’un paysage désolé (fig. 33). Son exploration n’en est pas facile, et les indices qui pourraient aider à progresser dans un travail d’interprétation de la forme urbaine antique y sont rares. Même les photos aériennes ne permettent pas d’avancer dans l’identification d’indices susceptibles de valider l’hypothèse probable d’une urbanisation continue (fig. 34).

66Çà et là sont visibles des éléments d’architecture en marbre, notamment des fragments de colonnes ou des blocs d’entablement, semblables à ceux qu’on connaît par ailleurs dans les maisons déliennes. Ceci ne laisse aucun doute sur l’identification de ces vestiges qui proviennent de la destruction d’un quartier d’habitation. D’ailleurs, en quelques endroits, on peut observer à la surface du terrain naturel, les vestiges des murs des maisons qui avaient été construites dans la pente. À en croire les orientations dominantes des rares murs que nous avons pu relever – est‑ouest et nord‑sud –, ces maisons étaient probablement implantées parallèlement aux courbes de niveaux, et peut‑être orientées en direction de la mer. Il est cependant difficile d’en dire plus sur la structure urbaine qui les organisait.

71Quant à la datation de ce quartier, force est de reconnaître que nous en sommes, là encore, réduit aux hypothèses ; il serait bien sûr illusoire, dans les conditions actuelles de notre recherche, de tenter de dater de façon absolue cette urbanisation. Tout au moins peut‑on essayer d’avancer dans cette problématique en raisonnant à partir de considérations topographiques, et en s’appuyant sur les enseignements que nous apportent certains édifices voisins mieux datés.

73La datation de la Maison des masques, seconde moitié du ii^e siècle av. J.‑C., constitue également une référence chronologique précieuse. Compte tenu des liens qu’on a pu établir entre l’îlot dans lequel elle est insérée et les habitations voisines situées plus au sud, on peut inférer que ce développement urbain, qui apparaît homogène dans sa forme, correspond à cette même période.

La côte ouest au‑delà du Dioskourion

• 21 Bruneau 1968, p. 661.

Vers le Sud enfin, la ville s’étendait loin, peut‑être jusqu’à une grande terrasse en gamma encore bien visible au niveau de Katô Vardhia ; j’ai eu l’occasion d’explorer récemment, en un point, cette partie méridionale de la ville : en 1966, j’ai partiellement fouillé une terrasse située immédiatement au Sud de la plage du Dioskourion (fig. 1, point SD) ; on s’était demandé naguère si elle portait un sanctuaire et j’avais eu moi‑même l’idée que le Thesmophorion de Délos pouvait s’y trouver ; il ne s’agissait en réalité que de pauvres demeures ou, plus probablement, de magasins ; la céramique et les monnaies permettent de leur assigner la même date qu’à la plupart des habitations déliennes : fin du ii^e et début du i^er siècle av. J.‑C.21.

74Nous avons tenté de retrouver les traces de l’urbanisation évoquées par Ph. Bruneau, mais nos recherches sont restées vaines. Contrairement à ce qu’il supposait, celle‑ci ne devait pas s’étendre jusqu’à cette terrasse en gamma, puisque nous n’avons relevé aucun vestige de murs, pouvant attester, aussi loin vers le sud, une urbanisation similaire à celle que l’on observe au sud du Théâtre. Les rares constructions qui se trouvent au‑delà du Dioskourion, le long de la façade maritime qui borde à l’ouest cette région méridionale, nous semblent marquer les confins de la ville (fig. 1, IV, et fig. 36).

75En revanche, les murs que nous avons consignés dans le plan topographique de ce secteur (fig. 37), correspondent parfaitement à la zone hachurée la plus méridionale de la figure 1 qui illustre l’article de Ph. Bruneau. Deux types de constructions peuvent être restituées :

• le long du rivage, à une trentaine de mètres au sud de la fouille réalisée par Ph. Bruneau, et sur une distance de 150 m, on relève la présence de nombreux murs de maisons principalement construits en granit, et d’une épaisseur de 0,60 m. Ils sont les témoins d’une urbanisation continue, mais limitée à la frange côtière, sur une vingtaine de mètres de profondeur. Leur géométrie épouse les lignes du rivage, puisqu’ils sont systématiquement orientés soit perpendiculairement, soit parallèlement à celui‑ci. Mais, ces vestiges sont très lacunaires. Ceci tient à la fois aux phénomènes d’érosion qu’ils ont subis au cours du temps, mais aussi à la situation particulière qu’occupaient ces maisons construites au bord de la falaise. En de nombreux endroits, celle‑ci a été sapée à sa base par l’érosion maritime, ce qui a eu pour conséquence son effondrement, et la chute en contrebas d’une grande partie des vestiges des maisons érigées sur le littoral.

• à environ 80 m à l’est des vestiges de ces maisons, le relief dominant la plaine qui s’étend jusqu’à la plage de Fourni s’élève à une altitude de 24 m. Plusieurs structures (519 à 528), constituées de maçonneries en granit, occupent le sommet de cette colline (fig. 39).

78Sur son flanc ouest, la topographie a été remodelée dès l’Antiquité afin de ménager, grâce à un épierrement généralisé des surfaces, un système de rampes reliant entre elles les terrasses agricoles établies sur ce versant. Il permettait de s’affranchir plus aisément de la topographie et facilitait l’accès aux installations construites sur le point le plus élevé du relief.

81Faut‑il imaginer un lien entre l’implantation d’un édifice d’une taille aussi imposante au sommet de ce relief et la fonction qui lui était assigné ? La question restera sans réponse, mais il faut rappeler que ce genre de situation, dans laquelle un édifice occupe le sommet d’un relief, n’est pas rare à Délos.

Conclusions

82Les observations que nous avons pu faire dans cette région de Ghlastropi et les hypothèses qu’elles autorisent conduisent à restituer une ville qui s’étend vers le sud de façon assez continue, d’une part le long du littoral occidental à partir de l’Agora des Compétaliastes, mais aussi dans la région située au sud de l’îlot de la Maison des masques. Si bien que l’idée qu’on peut se faire aujourd’hui de la ville de Délos correspond à celle d’une agglomération beaucoup plus étendue vers le sud que ce que suggèrent les seules parties fouillées.

83De part et d’autre du relief que constitue la colline de Ghlastropi, la ville s’est développée sous la forme de ces deux quartiers d’habitation, sans pour autant couvrir la totalité du relief.

84Sur son versant occidental, les extensions urbaines que nous avons observées au‑dessus des magasins du port ont été réalisées de façon continue sur des terrains de faible pente, dans des secteurs où la topographie n’engendrait pas de difficultés particulières, et apparemment sans investir les terrains situés au‑dessus de la courbe de niveau 30 m.

85À l’est, c’est une légère dépression qui sépare les maisons les plus occidentales du quartier auquel appartenait l’îlot de la Maison des masques de l’éminence de Ghlastropi. Mais, ce secteur semble avoir été très peu bâti. Si bien que le sommet de la colline restait‑il dégagé sur ses quatre côtés, faisant de ce relief une sorte d’acropole sur laquelle la présence du bâtiment qui y avait été érigé correspondait sans doute à une volonté de mise en scène urbaine particulièrement spectaculaire.

86Si les nombreux vestiges que nous avons relevés dans la région située au sud de l’îlot de la Maison des masques nous laissent penser que cette urbanisation est en quelque sorte le prolongement du Quartier du théâtre, pour autant, il convient d’apporter quelques nuances à ce constat. Au fur et à mesure qu’on s’éloigne du Théâtre, les caractéristiques urbaines se modifient. On passe progressivement d’un tissu urbain dense organisé en îlots, dans lequel les cours des maisons sont les seuls vides identifiables, à un système bâti plus diffus, où les espaces à ciel ouvert dans lesquels se trouvent les réservoirs d’eau créés dans le rocher couvrent des surfaces beaucoup plus importantes. Ainsi, plus on va vers le sud, plus il semble que le système des îlots réguliers desservi par un réseau viaire bien maîtrisé, soit progressivement abandonné au profit d’une organisation urbaine davantage déterminée par des éléments naturels que par un système règlementaire, et dans laquelle la voirie paraît suivre un tracé et une logique moins rationnels.

87Quant à la datation de ces quartiers sud de la ville, les difficultés rencontrées pour recueillir des éléments susceptibles de fournir une chronologie absolue, identiques à celles que nous avons connues dans l’exploration du quartier nord, ne doivent pas nous faire renoncer à toute hypothèse. Les caractères typologiques des maisons, lorsqu’ils ont pu être identifiés, ainsi que certains membres d’architecture erratiques, comme le chapiteau de la maison F, constituent des indices intéressants pour avancer l’idée que ces habitations, à l’instar de celles de l’îlot de la Maison des masques, sont construites à l’époque de la seconde domination athénienne, dans le dernier quart du ii^e siècle, ou au début du i^er siècle av. J.‑C., après l’arrivée d’une population étrangère nombreuse, attirée par l’essor économique que connaît l’île.