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Quêtes odysséennes, ou comment photographier Homère ? Victor Bérard et Fred Boissonnas sur les traces d'Ulysse

Une École buissonnière. Victor Bérard et la Géographie (1884-1914)

A truant School. Victor Bérard and Geography (1884-1914)
Ségolène Débarre
p. 35-62

Résumés

Cet article interroge la façon dont Victor Bérard a été positionné et s’est lui‑même positionné dans l’espace académique français depuis son entrée à l’École normale supérieure (ENS), en 1884, jusqu’à la Première Guerre mondiale en 1914. Il confronte la définition que Bérard donne de la Géographie au fil de ses publications à celles de ses contemporains dans un contexte de disciplinarisation des savoirs au sein de l’université française. Il analyse son inscription dans une communauté épistémique à partir de sa correspondance conservée aux Archives diplomatiques de la Courneuve et des publications de l’époque. En creux, ce positionnement réciproque permet d’observer les lignes de démarcation disciplinaire émergeant à l’époque, qui constituent le fondement de ce qui sera a posteriori défini comme l’« École française de Géographie ». La carrière polyvalente de Bérard, dans et hors des murs de l’Université, emprunte un chemin buissonnier au sein d’une École de Géographie qui, en se structurant au tournant du siècle, le marginalise progressivement.

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Notes de l’auteur

Ce texte n’aurait pas vu le jour sans les échanges généreux et les critiques érudites de Marie-Claire Robic, qui consacra une partie de son confinement, au printemps 2020, à discuter de cette publication. Elle doit son titre à Jean-Louis Tissier qui a enrichi le propos par ses relectures amicales. L’autrice remercie également Estelle Sohier, Étienne Bérard et Denis Wolff de lui avoir donné accès à des documents inédits et ses proches pour leurs encouragements constants.

Texte intégral

1La carrière polyvalente de Victor Bérard dans et en‑dehors de l’Université rend les assignations délicates : selon les auteurs, les publications et les circonstances, Bérard est désigné tantôt comme helléniste, historien ou encore géographe. Son parcours, depuis son entrée à l’École normale Supérieure (ENS) en 1884 jusqu’à la Première Guerre mondiale, est contemporain d’un processus de disciplinarisation des savoirs au sein de l’université française. La difficulté à étiqueter son œuvre repose sur l’anachronisme partiel de la démarche classificatoire1. S’interroger sur l’identité de géographe de Bérard, c’est questionner sa position dans un espace intellectuel et un terrain socio-professionnel et institutionnel en mouvement, dont la « conjonction » et la « stabilisation », à un moment donné, constitue la « discipline »2. Que signifie être géographe pour un normalien entré à l’ENS en 1884 ? Quels sont les indices d’une spécialisation dans ce champ de savoir alors même que la géographie, matière scolaire, ne sera établie comme discipline universitaire3 qu’au début du siècle suivant ? Comment ces signes et ces référents identitaires – intellectuels et professionnels – ont‑ils évolué jusqu’en 1914 ?

  • 4 Berdoulay 2008.

2Cet article interroge la façon dont Bérard a été positionné et s’est lui‑même positionné dans cet espace académique entre 1884 et 1914. Il confronte la définition que Bérard donne de la géographie au fil de ses publications à celles de ses contemporains et analyse son inscription dans une « communauté épistémique », à partir de sa correspondance et des avis portés sur ses travaux par ses collègues. En creux, ce positionnement réciproque permet d’observer les lignes de démarcation disciplinaire émergeant à l’époque, qui constituent le fondement de ce qui sera a posteriori défini comme l’« École française de Géographie »4.

3L’analyse repose sur les correspondances de Victor Bérard conservées aux archives diplomatiques de la Courneuve (A.D.), sur ses plans de cours de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) et de l’École navale, ainsi que sur les registres des lecteurs conservés à l’ENS‑Ulm. À ce corpus manuscrit s’ajoutent les sources imprimées : ouvrages et articles de Victor Bérard parus avant 1914, comptes-rendus publiés dans les revues de l’époque, en particulier dans les Annales de Géographie, organe pivot de la structuration de l’École française de Géographie. La première partie est centrée sur les années de formation de Victor Bérard, dressant un portrait de son rapport à la géographie depuis son entrée à l’École normale supérieure jusqu’à son retour de l’École française d’Athènes (1884-1891). La seconde partie est consacrée à ses années de proximité intellectuelle avec Paul Vidal de La Blache, entre 1891 et 1904, de la création de la revue les Annales de Géographie (1891) au recrutement de Bérard comme secrétaire général à la Revue de Paris (1904). La troisième partie, enfin, analyse l’éloignement relatif de Bérard d’une une géographie universitaire qui se structure dans la première décennie du vingtième siècle autour du paradigme de « géographie humaine » (1904-1914).

Se former à la géographie académique dans les années 1880

  • 5 Orain, Robic 2017, p. 435‑480.

4Lorsque Victor Bérard débute sa scolarité à l’ENS, en 1884, l’enseignement universitaire de la géographie se fond dans une approche historique. La chaire de géographie historique, créée en Sorbonne en 1812, est occupée par Auguste Himly (1823-1906) qui contribue à ancrer la géographie historique au cœur des enseignements. Cette approche cède du terrain avec la nomination de Marcel Dubois comme maître de conférences (1888) puis professeur de géographie coloniale (1893) et celle de Paul Vidal de La Blache qui, en 1898, opte pour un intitulé simple : « Chaire de Géographie ». Au Collège de France, depuis 1871, la chaire « Histoire des doctrines économiques » puis « Géographie, histoire et statistique économiques », est occupée par Émile Levasseur5. À l’École pratique des Hautes Études, un enseignement de géographie historique est dispensé depuis 1879 par Auguste Longnon (1844-1911).

  • 6 Marchand 2000, p. 76.
  • 7 Deslondes 1996, p. 451‑463. Georges Perrot, directeur de l’ENS à partir de 1883, sera un mentor de (...)
  • 8 Bérard lit l’allemand sans être aussi à l’aise que d’autres élèves. Il cherchera à améliorer sa pr (...)

5À partir du décret du 25 décembre 1880, la licence ès lettres associe des épreuves communes et des épreuves spécialisées relevant des lettres classiques, philosophie et histoire6. La géographie est enseignée en troisième année, dans le cadre de la préparation à l’agrégation d’histoire et de géographie – un cours assuré à l’ENS par Paul Vidal de La Blache depuis 1877. Le registre d’emprunt de Victor Bérard à la bibliothèque de l’École normale suit la progression de ce cursus. La première année, les ouvrages relatifs à la Grèce antique dominent. La géographie apparaît sous forme d’atlas principalement historiques, dont les incontournables publications allemandes de Karl Spruner et d’Heinrich Kiepert. Ces emprunts sont complétés au cours de la seconde année par des atlas contemporains (Atlas de Turquie, Adriatique et Balkans d’Albert Dumont, Atlas d’Alexander Keith Johnston) et des récits de voyage (comme celui de Georges Perrot qui parcourt l’île de Crète et qui, comme Albert Dumont, incarne l’élargissement des préoccupations des pensionnaires de l’École française d’Athènes de la Grèce à l’héllenisme7). Durant l’année de préparation de l’agrégation, les emprunts de Bérard se diversifient (fig. 1) : à côté de l’histoire de la géographie représentée par Vivien de Saint-Martin et de la géographie historique d’Auguste Longnon, apparaissent La Terre (1883) de Vidal de La Blache et Nord-Amerika (1878-1880) de Friedrich Ratzel8.

Fig. 1. Extrait de la liste des ouvrages empruntés par Victor Bérard à la bibliothèque de l’École normale supérieure au cours de l’année 1886.

Fig. 1. Extrait de la liste des ouvrages empruntés par Victor Bérard à la bibliothèque de l’École normale supérieure au cours de l’année 1886.

Registre des élèves, 1885-1886, Bibliothèque des lettres de l’École normale supérieure – Ulm, AB/34.

6L’originalité de la géographie dans ce cursus littéraire tient à l’intérêt accordé aux sciences naturelles et principalement à la géologie, enseignée en partie sur le terrain : selon Lucien Gallois (1857-1941), « [t]ous ceux qui pendant ces vingt ans ont suivi cet enseignement, en ont gardé l’empreinte : le souci d’apporter dans toutes leurs recherches la préoccupation du milieu, c’est‑à‑dire, ce qu[e Vidal] a défini lui‑même, l’“ esprit géographique ” »9 (fig. 2).

Fig. 2. Programme de géographie pour le concours de l’agrégation d’histoire et de géographie de l’année 1887.

Fig. 2. Programme de géographie pour le concours de l’agrégation d’histoire et de géographie de l’année 1887.

Drapeyron 1886, p. 386‑387.

  • 10 Chervel 2015.
  • 11 Sur les recherches de Victor Bérard à l’École française d’Athènes, nous renvoyons le lecteur à l’a (...)
  • 12 Outram 1996, p. 249‑265.
  • 13 Friedrich Ratzel, Anthropogéographie, 1892, p. 57, cité par Vidal de La Blache 1898, p. 111.
  • 14 Auerbach 1908, p. 312.
  • 15 Guérin 1856 in Robic, Tissier, Pinchemel 2011, p. 42.
  • 16 Voir aussi Pinchemel 1984, p. 255‑262.

7Agrégé d’histoire et de géographie en 1887, quatrième de sa promotion10, Victor Bérard part, comme Paul Vidal de La Blache en 1866, à l’École française d’Athènes où il se consacre aux fouilles de Tégée au centre‑est du Péloponnèse11. L’approche géographique prend de l’ampleur au sein des études historiques : on se détache du texte pour l’étude du lieu, comme espace de pratiques. La spatialisation des faits se substitue à la démarche classificatoire linnéenne12 : « Toute la pensée de l’homme moderne, dit M. Ratzel, a déjà pris une empreinte plus géographique, dans le sens d’une localisation plus précise des idées, d’une tendance plus fréquente à établir une connexion entre elles et les lieux et les espaces de la terre »13. Ce que Bertrand Auerbach (1856-1942) résumera sous le néologisme d’une pensée qui se « géographise »14. De même, à l’École française d’Athènes, l’accent est désormais mis sur les descriptions géographiques. Il s’agit de « donner une description exacte du théâtre où ces faits (historiques) se sont accomplis »15, de dresser le tableau d’une « physionomie véritable des lieux »16.

8Les recherches que Bérard mène à Tégée sont bien reçues par la commission d’évaluation qui loue ses qualités d’« explorateur » et lui reconnaît des talents d’observation et d’écriture17. Son travail ne repose pas encore sur une conception de la géographie comme « science » à part entière au sens de savoir « organisé par des lois », pour reprendre la caractérisation de Langlois et Seignobos. Mais en rédigeant sa thèse, Bérard va progressivement centrer son analyse sur la question des « régularités » régissant l’organisation de l’espace. Il le fait de façon ambivalente, tantôt défendant l’idée d’une « science géographique » à part entière, tantôt privilégiant la reconnaissance d’une « science nouvelle » qu’il nomme topologie.

Les années vidaliennes (1891-1904)

9L’année 1891, celle du retour de Victor Bérard à Paris, est marquée par la création des Annales de Géographie18, revue dirigée par Paul Vidal de La Blache et Marcel Dubois. Elle est chargée de diffuser « ce que sont, ce que font les géographes français »19 et de « satisfaire [aux] obligations du métier de géographe ». Les Annales contribuent à discipliner la géographie même si l’objectif est plus latent qu’explicite. Les directeurs de la revue exigent en effet de cette « science » une – le terme n’est pas anodin – « discipline sévère ». Si sa faiblesse repose sur le caractère hétérogène des matériaux qu’elle mobilise, le défi consiste selon eux à les « acclimater » à la géographie.

  • 20 Vidal de La Blache 1894. Voir aussi 2004.
  • 21 Auerbach 1895, p. 610.

10Pendant la scolarité de Bérard à l’ENS, Vidal ne pratiquait pas encore une géographie « moderne » – terme consacré par la suite pour désigner le changement de paradigme autour de 1900. Il était alors connu pour sa thèse sur Hérode Atticus (1872) et son Marco Polo (1880). Il ne se distingue en chef d’École potentiel qu’avec la publication de son atlas, en 1894, dont la préface contribue à formuler une doctrine nouvelle : l’objectif de la géographie est de saisir les « caractéristiques d’une contrée » par la mise en lumière de leur « connexité »20. Dans le compte-rendu qu’il consacre à l’atlas, Bertrand Auerbach applaudit sa nouveauté graphique qui apporte des indications liées à la vie matérielle. Là où « le géographe dépasse l’historien », selon Auerbach, c’est dans sa prise en compte des peuples « exclus des programmes d’études officiels » : « voyez la carte de l’état économique du monde ancien ; la vie de l’Extrême-Orient s’y révèle, avec les marchés indous, chinois, les échelles du littoral africain, zones insoupçonnées des programmes qui ne s’aventurent pas au‑delà des Mèdes et des Perses. Non seulement la géographie élargit l’horizon de l’histoire, mais elle précise les contours de son domaine » 21. Le geste d’émancipation de l’Atlas de Vidal repose donc d’une part sur son souci de rendre compte des réalités matérielles et, d’autre part, sur son ouverture à des civilisations non occidentales négligées, selon lui, par l’histoire (fig. 3 et 4).

Fig. 3. Paul Vidal de La Blache, « État économique du monde ancien au iie siècle de l’ère chrétienne ».

Fig. 3. Paul Vidal de La Blache, « État économique du monde ancien au iie siècle de l’ère chrétienne ».

L’atlas fut envoyé aux acheteurs ou souscripteurs par fascicules de 1891 à 1894. L’édition reproduite ici est celle de 1912.

Atlas Vidal-Lablache 1912, planches 18b et 18c.

Fig. 4. Paul Vidal de La Blache, « Géographie d’Homère », carton inclus dans la planche « Méditerranée du viie siècle au ve siècle avant Jésus‑Christ » de l’Atlas Vidal-Lablache 1912.

Fig. 4. Paul Vidal de La Blache, « Géographie d’Homère », carton inclus dans la planche « Méditerranée du viie siècle au ve siècle avant Jésus‑Christ » de l’Atlas Vidal-Lablache 1912.

D’autres encarts, publiés comme celui‑ci dès les premiers fascicules de 1891-1894, illustrent les explorations et les savoirs géographiques de l’Antiquité : « le périple de Hannon », « le monde habité d’après Hérodote », « la carte d’Ératosthène » et « la carte de Ptolémée ». C’est à partir de l’Atlas général de Vidal que Bérard publie l’ « itinéraire d’Ulysse » qui illustre le volume Les Phéniciens et l’Odyssée en 1903 (Sohier 2016).

Atlas Vidal-Lablache 1912.

  • 22 Lettre de Victor Bérard à ses parents, 30 janvier 1892. Source : A.D., Fonds Victor Bérard, Carton (...)
  • 23 Pour compléter son salaire et s’ouvrir des portes, il entre au jury de l’École de Marine à la suit (...)
  • 24 Bérard 1894. Sa thèse latine est consacrée à l’arbitrage entre les cités grecques.

11Les lettres que Victor Bérard, alors maître-répétiteur à l’ENS, écrit à ses parents racontent avec détail la finalisation de sa thèse. S’il est confiant dans la réception de son travail qui sera, selon lui, un « gros succès »22, l’incertitude est forte, en revanche, en ce qui concerne les possibilités d’obtenir un poste académique23. Est‑ce son travail de thèse qui écarte Bérard de l’aventure intellectuelle que constitue la réalisation de l’Atlas de Vidal ? Ses cadets d’un an, Louis Raveneau (1865-1937) – ami de Bérard – et Pierre Camena d’Almeida (1865-1943) ainsi que plusieurs de ses aînés – tel Lucien Gallois – en font partie. Bérard n’est pas aussi proche de Vidal qu’il ne l’est de Perrot, mais il lui dédie pourtant (aux côtés de Salomon Reinach et de Lucien Herr) sa thèse principale, l’Origine des Cultes Arcadiens. Essai de méthode en mythologie grecque24. Qu’a de géographique ce morceau d’histoire et d’épigraphie ? Une « méthode » peut‑être, mais non un objet. En Sorbonne, Auguste Himly veille à ce que le doctorat ne déroge pas au genre historique.

12Bérard cherche à faire connaître son travail en le publiant dans plusieurs revues :

  • 25 Lettre de Victor Bérard à ses parents, sans date (fin 1893). Source : A.D., Fonds Victor Bérard, C (...)

(…) j’ai pris autant d’engagements que j’en puis tenir. J’ai un article à la Revue Critique, un autre aux Annales de Géographie, un troisième à la Gazette des Beaux Arts et pour compléter, je vais sans doute avoir quelque chose à la Revue de Paris. (…) Lavisse m’a fait proposer deux articles auxquels je vais me mettre à travailler. En somme de six heures du matin à dix heures du soir, mes journées sont pleines jusqu’à la moindre minute25.

13En 1895-1896, il expose sa thèse dans les Annales de Géographie26 : la revue en passe de devenir « le périodique emblématique de [l’]école [française de géographie], le centre du cercle d’affinités vidalien »27 conserve encore, dans les années 1890 une ligne éditoriale éclectique. La reconnaissance de la qualité des recherches de Bérard se traduit par des publications et par des prix, mais elle est également institutionnelle puisqu’il est nommé, en 1896, à 32 ans, maître de conférences en géographie ancienne à l’EPHE, sous la supervision d’Auguste Longnon. La même année, il obtient un cours de géographie à l’École supérieure de Marine.

14Cette année‑là, Vidal présente son travail sur « Les voies de commerce dans la Géographie de Ptolémée »28 qui fait écho aux travaux de Bérard. Il montre que les travaux de Ptolémée sont en grande partie fondés sur des documents d’origine commerciale et que les instructions nautiques de commerçants ont constitué une base essentielle du savoir géographique de la Grèce antique. Il ajoute, en écho à la thèse de Bérard sur les savoirs maritimes phéniciens : « nous pouvons reconnaître aujourd’hui, grâce aux observations modernes qui ont soigneusement relevé le régime spécial des vents et des courants sur la côte orientale d’Afrique, que c’étaient les théoriciens qui avaient tort contre les gens de mer. – II faut donc regarder ce recueil d’instructions, sorte de “Pilote de l’océan Indien”, comme un précieux répertoire, sans lequel la géographie scientifique des Grecs n’aurait jamais atteint le degré auquel elle put s’élever »29. Les recherches de Vidal, qui l’occuperont jusqu’à sa nomination à la Sorbonne en 1898, sont concomittantes de la préparation de ses articles sur la « géographie générale » et la « géographie humaine », fondateurs de la discipline « moderne » : elles reflètent la pluralité d’approches géographiques qui coexistent dans la dernière décennie du siècle30 (fig. 5).

Fig. 5. Carte adressée à Victor Bérard par ses camarades de promotion de l’ENS le 31 mai et 1er juin 1896.

Fig. 5. Carte adressée à Victor Bérard par ses camarades de promotion de l’ENS le 31 mai et 1er juin 1896.

À la fin de l’année universitaire 1895-1896, alors que Bérard quitte l’ENS, une carte collective adressée à l’« archicube Bérard » est signée par la promotion 1892 de l’École, dont font partie les géographes Albert Demangeon (1872-1940) et Emmanuel de Martonne (1873-1955), futurs piliers de l’École française de géographie.

A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 4F, Chemise 5 (42).

  • 31 Lettre d’Édouard Ardaillon à Victor Bérard, 9 décembre 1903. Source : A.D., Fonds Victor Bérard, C (...)
  • 32 Lettre d’Édouard Ardaillon à Victor Bérard, 9 décembre 1903. Source : A.D., Fonds Victor Bérard, C (...)
  • 33 Brunhes 1900 et Brunhes 1902.

15Victor Bérard se marie avec Alice, fille d’Armand Colin, en juillet 1899. Si sa femme n’hérite d’aucune part de la maison d’édition après le décès de son père en 1900, le couple reste proche de Max Leclerc, leur beau‑frère, qui en a la responsabilité. Cette proximité contribue à placer Bérard dans une position sociale supérieure à celle de la plupart des disciples de Vidal – à l’exception d’Albert Demangeon et de Jean Brunhes (1869-1930) qui réalisent de beaux mariages. En 1901, Bérard part en voyage de noce sur les traces d’Ulysse. L’ouvrage qu’il publie à son retour en 1902, Les Phéniciens et l’Odyssée, est bien reçu par la critique. Édouard Ardaillon (1867-1926), qui occupe la chaire de géographie à la faculté de Lille à partir de 1896, lui adresse ses félicitations dans une lettre datée de 1903 (fig. 6) : « je persiste à croire que tu traces un sillon qui sera fécond »31. C’est la « seule manière de comprendre sainement la géographie historique et de lui faire produire quelque chose de scientifiquement exact »32. Ardaillon loue la richesse des photographies prises par Alice Bérard, compliment sérieux de la part d’un géographe qui vante, comme Jean Brunhes à la même époque33, les mérites de la photographie pour représenter au mieux le terrain – à condition, précise‑t‑il, que les clichés soient « bien faits ». Les clichés photographiques, simples ou stéréoscopiques, doivent étayer la démonstration – Vidal en parlera comme des « preuves » lorsqu’il publiera la version illustrée de son Tableau de la Géographie de la France et de l’Atlas général en 1908. Leur usage va de paire avec la création de laboratoires de géographie comme celui d’Édouard Ardaillon à Lille, de Marcel Dubois en Sorbonne, d’Emmanuel de Martonne à Rennes et de Bertrand Auerbach à Nancy. Outre des collections de cartes et de reliefs en plâtre, ces laboratoires rassemblent en effet des collections de photographies et s’équipent d’appareils de prise de vue et de projection.

Fig. 6. Lettre de félicitations adressées à Victor Bérard par Édouard Ardaillon pour la parution de son ouvrage, Les Phéniciens et l’Odyssée (9 décembre 1903).

Fig. 6. Lettre de félicitations adressées à Victor Bérard par Édouard Ardaillon pour la parution de son ouvrage, Les Phéniciens et l’Odyssée (9 décembre 1903).

Ardaillon profite de l’échange pour demander à Bérard s’il a rapporté des clichés de « Marmites de Géants ». Ces cavités, créées par l’érosion fluviale, marine, ou glaciaire, attisent la curiosité des géographes à l’époque. Jean Brunhes y consacre sa thèse secondaire en 1902, en comparant deux cas, l’un situé à Assouan, en Haute-Égypte, l’autre en Suisse.

A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 21F, Chemise 2 (49).

16Victor Bérard défend l’idée que la géographie apporte une méthode, une façon de poser et d’analyser les problèmes historiques, qui fait défaut aux historiens et aux philologues : « Fort habile à poser le nouveau problème, il ne semble pas que l’archéologie fût capable, par elle‑seule, de le résoudre »34. La « géographie », grâce à une méthode d’analyse singulière, apporterait, selon lui, « un contrôle » aux études philologiques : « Nous resterons dans le domaine du possible tant que nous n’aurons pas transporté ces résultats dans la réalité et cherché dans la géographie un contrôle à nos études philologiques : il faut vérifier l’étude des noms par l’étude des lieux et voir si les données de celle‑ci confirment les hypothèses de celle‑là »35. À l’analyse des textes doit ainsi s’ajouter « Une étude patiente réelle et non verbale de la géographie primitive » afin d’obtenir « de plus sûrs résultats »36. Bérard établit à plusieurs reprises des comparaisons avec la géographie physique : l’onomastique méditerranéenne est, selon lui, « comparable à un terrain sédimentaire composé de couches successives et assez différentes de couleur et d’aspect ». La comparaison avec la géologie n’est pas une simple métaphore : elle doit permettre d’interroger et de préciser une méthode. « De quels instruments pouvons‑nous disposer pour atteindre cette couche primitive ? », s’interroge‑t‑il ainsi.

  • 37 Kiepert 1878.
  • 38 Bérard 1903, p. 578.
  • 39 Bérard 1898 ; Bérard 1899 ; Bérard 1900.
  • 40 Bérard 1902, p. 8.

17Le travail de Bérard atteste d’une forte influence de la géographie historique allemande. À l’ENS, il a lu Ernst Curtius et Heinrich Kiepert, connu pour ses atlas historiques et son Manuel de géographie ancienne37. Fréquemment cité par Bérard, Kiepert est convaincu de l’utilité d’une observation méthodique du terrain pour analyser les sites. Bérard revient à plusieurs reprises sur la valeur heuristique de la géographie : « Ma plus forte raison est, comme toujours, un calcul géographique »38. Son ambition est de dégager des régularités : « Tout ce travail est arbitraire s’il ne repose pas sur un ensemble de faits généraux, de lois, pourrait‑on dire ou mieux, d’habitudes, qu’il faudrait étudier et rendre évidentes ». Il faut étudier un ensemble de faits et non un fait isolé : c’est la « règle des systèmes ». Cette approche concerne autant les noms de lieux que l’emplacement des sites, des routes de commerce ou les systèmes politiques. Mais, l’idée d’une « science géographique » est également concurrencée par la proposition d’une nouvelle « science des lieux »39, inspirée des travaux de l’archéologue allemand Gustave Hirschfeld, qui relègue la « géographie » à la seule « description de la surface terrestre ». Bérard assume cette position dans Les Phéniciens et l’Odyssée : « La topologie, science des lieux, serait à la topographie, simple description des lieux, exactement ce qu’est la géologie à la géographie »40.

  • 41 Bérard 1902, p. 8‑9.

Le topographe (…) usant de notre expérience actuelle ou passée, décrit l’état des lieux, la surface des sites, tels que l’œil des hommes les a vus ou les a pu voir. De même, le géographe décrit les aspects de la surface terrestre dans toutes les régions et à toutes les époques où l’expérience humaine peut nous faire pénétrer. Mais il faut recourir au géologue si l’on veut connaître la nature intime de nos continents, la raison de leurs dépressions et de leurs reliefs, les lois et les modes de leurs formations et déformations, bref, l’histoire antérieure ou supérieure à l’expérience humaine, l’explication et non plus seulement la description de notre planète. Semblable à la géologie, la topologie nous expliquera les descriptions que lui fournit le topographe. (…) dans le présent et dans le passé, la topologie déduira les raisons des habitats humains, et réciproquement, en face d’un habitat humain, elle induira les conditions qui l’ont fait naître, le genre et la période de civilisation auxquels il faut se rapporter41.

18La proposition de Bérard est mise en oeuvre à travers plusieurs analyses et notamment dans le cadre de sa « loi des isthmes »42. Vidal, qui vient de publier son Tableau de la géographie de la France (1903), consacre aux Phéniciens et l’Odyssée un compte-rendu élogieux. Il reconnaît l’importance du travail exposé dans ce « bel ouvrage » qui « cherche à reconstituer les conditions générales qui présidaient aux voies de commerce, aux étapes de navigation, aux sites d’établissement » 43 et qui étudie la façon dont « Les nouvelles directions imprimées au commerce affectent la destinée des rivages et des villes »44. Si Vidal émet des réserves quant à la puissance de la thalassocratie phénicienne défendue par Bérard, il accorde de la pertinence à la thèse de l’Odyssée comme document géographique (« N’y a‑t‑il pas un fond réel même dans les paysages du poète ? ») et défend l’intérêt de ce travail pour la géographie :

À ceux qui penseraient peut‑être qu’une controverse sur la véracité des descriptions homériques intéresse que médiocrement la géographie, je ferai observer que nulle part mieux qu’autour de la Méditerranée on ne peut embrasser un long développement de géographie humaine. Peuples et dominations se sont succédés et chaque époque, suivant l’expression de Mr Bérard, a déposé ses fossiles45.

19La métaphore géologique est dans l’air du temps ; elle est notamment reprise de l’Anthropogeographie de Friedrich Ratzel, présentée en 1892 par Louis Raveneau : « L’homme laisse comme signe de son passage dans un pays les noms qu’il a donnés aux accidents de ce pays. Nous ne devons pas négliger l’étude des noms de lieux. Ils sont les fossiles des langues ». Ratzel inclut dans le champ de l’Anthropogeographie, les traces que l’homme laisse sur la terre, affirmant : « Les ruines aussi ont leur géographie »46.

  • 47 Vidal de La Blache 1904, p. 21.
  • 48 Bérard emploie lui‑même le terme : « toutes les descriptions, sont conformes à la réalité tangible (...)

20Bérard est, selon Vidal, « [u]n géographe et un voyageur qui mérite considération et confiance »47. Il est sensible à l’expérience de terrain, voire à la démarche expérimentale48 de Victor Bérard qui lui permet d’« être éclairé par des réalités vivantes », « essentielles à l’interprétation du passé » :

Les choses grecques ne doivent pas être jugées un point de vue abstrait et idéaliste. Mr Bérard déclare en plusieurs endroits qu’il se range parmi les « plus homériques » ; il entend par là que les expressions, les épithètes, les images de l’Odyssée s’appliquent à des choses effectivement vues et pratiquées. (…) La critique de scholar que nous appliquons à ces vieux textes a probablement tort dans le dédain qu’elle montre pour ce mode en apparence terre à terre d’interprétation. Le cadre où se dessine le poème ne perd rien à être éclairé par des réalités vivantes. Il prend ainsi quelque chose de la précision et des lignes arrêtées que le génie grec mettait en tout ; Athéna sans doute s’y reconnaîtrait mieux49.

21L’importance accordée au terrain est programmatique de la géographie défendue par Vidal en Sorbonne où les excursions géographiques feront partie de la formation des étudiants à partir de la création de la licence d’histoire et de géographie en 1907. Le compte‑rendu est d’ailleurs publié l’année de son grand voyage en Amérique du Nord en 190450. Il en est convaincu : le géographe moderne ne doit pas s’enfermer dans l’érudition de cabinet et l’exégèse textuelle. Pour Vidal, la géographie ne s’oppose pas à l’histoire mais s’y applique, avec pour spécificité de s’intéresser aux « réalités vivantes », quand les historiens seraient, eux, restés « idéalistes ».

  • 51 « Mon cher maître, M. Paul Vidal de La Blache », Bérard 1902, p. III.

22Les années 1891-1904 reflètent une proximité intellectuelle entre Victor Bérard et Paul Vidal de La Blache dont l’œuvre est en train de trouver sa puissance dans le paradigme de « géographie humaine ». Mais, par endroits, le propos de Bérard « ne réussit pas entièrement à convaincre » son « maître »51. Vidal rejette ainsi le néologisme de « topologie » défendu par Bérard :

Topologie, nom nouveau. Le vieux nom de géographie suffirait, je crois. C’est bien une géographie du monde méditerranéen d’époque homérique qu’on peut, suivant l’auteur, tirer de l’Odyssée52.

23Le décalage est encore anodin, relevé au détour d’une phrase, mais il est symptomatique d’une certaine divergence de Bérard avec une géographie universitaire dont le combat est d’exister dans le paysage académique. Investi dans d’autres causes, les préoccupations de Bérard sont ailleurs.

Des chemins qui divergent (1904-1914)

  • 53 Auerbach a obtenu que la chaire d’« histoire et de géographie » soit transformée, le 1er janvier 1 (...)

24À la fin du xixe siècle, il fallait « s’improviser géographe », selon l’expression de Marcel Dubois (1888). À Nancy, en 1894, le doyen Émile Krantz avise ainsi le recteur : « Monsieur Auerbach, qui était historien, est en train de devenir géographe. Il est juste de lui faire crédit de quelques années pour juger de sa compétence acquise »53. D’un point de vue institutionnel, au tournant du siècle, Victor Bérard est devenu géographe : il enseigne la « géographie historique » à l’EPHE et la « géographie politique » à l’École supérieure de Marine. Pourtant, un écart se creuse avec les élèves de Vidal entrés à l’ENS après son départ – tels Raoul Blanchard, Jules Sion, ou Maximilien Sorre.

  • 54 Vidal de La Blache 1905a.
  • 55 Lettre de Max Leclerc à Albert Demangeon (31 janvier 1905, L18) et lettre de Bérard à Albert Deman (...)

25Avec l’arrivée de Vidal à la Sorbonne en 1898, l’obligation de rédiger une thèse historique disparaît. Deux thèses originales de géographie ouvrent le bal en 1902 : celles de Jean Brunhes et d’Emmanuel de Martonne. De grandes thèses de géographie régionale suivent entre 1905 et 1908. Victor Bérard ne s’engage pas dans la voie de la géographie « moderne ». Sa présence se fait rare dans les Annales de Géographie après 1904, année où il est devenu secrétaire général de la Revue de Paris. Cette prise de fonction n’est cependant pas une rupture avec la géographie ; pour preuve, en décembre 1904, Vidal, rentré depuis quelques mois en France, demande à Bérard s’il est possible d’y publier ses « impressions américaines »54 (fig. 7). L’année suivante, Bérard demande à Albert Demangeon un article tiré de sa thèse sur la Picardie55.

Fig. 7. Lettre de Paul Vidal de La Blache à Victor Bérard rédigée au retour de son voyage aux États‑Unis en décembre 1904.

Fig. 7. Lettre de Paul Vidal de La Blache à Victor Bérard rédigée au retour de son voyage aux États‑Unis en décembre 1904.

Vidal propose à Bérard de publier ses « impressions américaines » dans la Revue de Paris.

A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 21F, Chemise 2 (36).

  • 56 Vidal de La Blache 1905b.
  • 57 Lucien Gallois (1908) cité par Tourneur-Aumont 1942, p. 21.
  • 58 Auerbach 2011, p. 89.

26À l’EPHE, Bérard poursuit son cours de géographie historique centré sur la Méditerranée et les problèmes homériques. Mais quelle place reste‑t‑il à la géographie historique dans la discipline qui se structure au début du xxe siècle ? La géographie « moderne » s’autonomise en s’émancipant de la tutelle de l’histoire par un jeu subtil d’allégeance et de distanciation56. Les disciples de Vidal n’ont pas pour autant rejeté l’approche historique de la géographie ; Lucien Gallois, en particulier, promeut le rapprochement de la géographie historique et de la géographie humaine au motif que « la géographie humaine ne saurait s’en tenir au moment présent »57. Mais cette approche historique doit être au service des problématiques de la géographie. Or, les recherches de Bérard ne dialoguent pas avec les préoccupations du moment : elles ne recourent pas à la notion de « région » ni au point de vue « chorographique »58. Si les genres de vie et les conditions matérielles font partie de son enquête, ils ne s’intègrent pas à la mouvance ruraliste qui domine alors. Bérard, en outre, défend toujours le néologisme de « topologie », recusé par Vidal, pour qualifier son questionnement spatial. Il utilise le terme à plusieurs reprises dans ses cours : 1909 « un sujet de topologie urbaine » ; 1912 : « Topologie théorique et pratique » (voir tableau récapitulatif en annexe).

  • 59 Robic 2010.
  • 60 La première esquisse de la distribution des volumes de la Géographie universelle apparait dans le (...)
  • 61 Perlès 2019.
  • 62 Sohier 2016.

27Bérard voyage beaucoup mais il ne participe pas aux excursions géographiques ni aux congrès de géographie qui structurent la « communauté épistémique » des géographes en ce début de vingtième siècle59. Signe de cette position liminale, le nom de Bérard n’apparait pas sous la plume de Vidal lors de la première distribution des volumes de la Géographie universelle, fin 1907 début 1908, en dépit de son expertise sur le bassin méditerranéen60. Vidal a proposé à Jean Brunhes la rédaction du volume « Europe méridionale », initialement prévu pour les années 1913-1914. Malgré des centres d’intérêt communs (un tropisme pour les Balkans, le Proche-Orient et l’Afrique du Nord et une pratique de la photographie), Brunhes et Bérard s’ignorent – les archives ne conservent a priori aucune trace de correspondance – une distance accentuée par des orientations politiques divergentes. En dépit de leur inclinaison commune pour la photographie, leurs missions se succèdent sans se rencontrer. Jean Brunhes, qui occupe la chaire de Géographie humaine au Collège de France, créée en 1912 par le mécène Albert Kahn, dirige les Archives de la planète dont les opérateurs sillonnent les continents depuis 1909 pour en rapporter des clichés photographiques61. Le voyage de Bérard avec Fred Boissonnas en 1912 est ainsi suivi de peu par celui de Jean Brunhes et d’Auguste Léon, chef du laboratoire photographique des Archives de la Planète qui produit en 1913 un ensemble de photographies en couleur de Grèce. Non concertées, ces prises de vue révèlent néanmoins des formations et des centres d’intérêts communs. Jean Brunhes et Auguste Léon rapportent par exemple de Corfou un cliché quasiment identique à celui pris par le duo Bérard-Boissonnas dix ans plus tôt (fig. 8). Et ils voient, eux‑aussi, une référence à Ulysse dans l’un des îlots de cette mer Méditerranée, « miroir » de celle d’Homère62.

Fig. 8. L’ « îlot d’Ulysse » vu par August Léon et Jean Brunhes en 1912.

Fig. 8. L’ « îlot d’Ulysse » vu par August Léon et Jean Brunhes en 1912.

Le cliché est identique à celui des « îles des Rats et d’Ulysse vues de Canone » réalisé le 18 avril 1903 par Fred Boissonnas, non publié mais conservé dans son Album de voyage en Grèce à la bibliothèque de Genève (https://bge-geneve.ch/​iconographie/​oeuvre/​bge-y630-01-07). Jean Brunhes commente la photographie, qui sera utilisée dans des manuels scolaires, de la manière suivante : « La grande ile de Corfou (dont la ville principale porte aussi le nom de Corfou) est la plus septentrionale des îles Ioniennes : c’est l’ancienne Corcyre ; les reliefs de montagnes qu’on aperçoit au loin sont précisément ceux de l’île de Corfou. Des deux petites îles qui sont en avant, celle qui est à gauche, avec son bouquet de cyprès, est appelée Pondiko-Nisi, ce qui veut dire l’Ile aux Rats ; on la dénomme quelquefois l’îlot d’Ulysse. Les deux îlots sont occupés aujourd’hui par des monastères. Tout cela constitue un paysage très typique des rivages maritimes de la Grèce » (Jean Brunhes 1993, p. 279).

Auguste Léon, « Grèce, Corfou, Canoni : les 2 Iles » (La presqu’île de Kanoni), autochrome, 3 octobre 1913. Mission Jean Brunhes et Auguste Léon dans les Balkans en septembre-octobre 1913. Collection Archives de la Planète – Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine, n° d’inventaire A 2 699 ; URL : collections.albert-kahn.hauts-de-seine.fr.

28L’autre versant du travail de Bérard, tourné vers une analyse politique du contemporain, est l’occasion d’une rencontre inaboutie avec la géographie politique. À l’École supérieure de Marine, où Bérard enseigne la géographie de 1896 à 1914, son cours doit respecter le cadre fixé par le ministère de la Marine. Celui‑ci dessine une géographie politique dans un sens ratzélien, c’est‑à‑dire une « géographie des États, du commerce et de la guerre ». Ce cours est pour Bérard l’occasion d’établir un lien entre géographie historique et géographie du contemporain, notamment autour de la notion de « thalassocratie ». Les notes conservées montrent qu’il est soucieux d’une analyse scalaire telle que préconisée par Vidal : « Au‑dessus des États, il y a, les dominants, ce que l’on pourrait appeler des régions politiques. (…) La France (…) est géographiquement liée à la région politique de l’Europe occidentale »63. Mais à aucun moment, il ne cherche à théoriser ni à discuter du cadre épistémologique d’une « géographie politique », alors pourtant dans l’ombre de la « géographie humaine » en France (fig. 9).

Fig. 9. Bérard, Projet de cours de Géographie à l’École supérieure de Marine.

Fig. 9. Bérard, Projet de cours de Géographie à l’École supérieure de Marine.

A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 4F, Chemise 1 (5).

  • 64 Antoine Vacher (1873-1920, promotion ENS 1895) connu pour ses positions socialistes fait figure d’ (...)

29Contrairement à Camille Vallaux, son cadet de six ans, qui publie, en 1911, Le Sol et l’État – un ouvrage d’inspiration ratzélienne – Bérard ne produit aucune somme de géographie politique. Les deux hommes ne sont pas proches alors qu’ils ont pourtant bien des proximités. Vallaux était élève à l’ENS lorsque Bérard y était maître répétiteur, il enseigne à l’École navale à partir de 1901 où il suit les indications de programmes communiquées par Bérard et il a, enfin, un engagement politique à gauche contrairement à la plupart des disciples de Vidal64. Mais leurs engagements ne sont pas tournés vers les mêmes horizons : Vallaux n’a pas séjourné à l’École française d’Athènes et n’a pas de réseaux internationaux alors que Bérard s’oriente, lui, vers la politique étrangère et l’action diplomatique.

  • 65 Il s’engage alors durablement en faveur des Arméniens (La politique du Sultan, 1897) et de la Grèc (...)
  • 66 Louis Aubert, « Victor Bérard », Revue de Paris, 1931, cité par Gallois 1932, p. 102‑103 ; Gallois(...)
  • 67 Dubois 1893, p. 512.
  • 68 Dubois 1893, p. 512.

30La première excursion de Bérard sur la voie de l’essai politique se manifeste à son retour de l’École français d’Athènes ; il fréquente alors la revue Les Débats et le directeur de la Revue des Deux Mondes. Il publie ses premiers articles politiques et un premier essai, La Turquie et l’hellénisme contemporain, publié en juin 1892 dans lequel il critique la politique ottomane65. Plusieurs de ses chroniques à la Revue de Paris sont ensuite publiées dans des volumes à part. Ces textes de « politique étrangère » étaient‑ils des travaux de géographie ? Les appréciations varient. Son ami, le journaliste Louis Aubert, insiste sur leur caractère géographique : « [Bérard] ne comprenait vraiment une question diplomatique que quand il l’avait située dans un cadre géographique… Ce besoin de voir tous les problèmes en géographe fait l’unité de son œuvre »66. Les élèves de Vidal sont, en revanche, plus circonspects. Si les travaux de Bérard sont bien reçus, ils ne sont pas considérés comme « d’allure vraiment géographique »67. La recension que Marcel Dubois rédige en 1892 à propos de La Turquie et hellénisme contemporain dans les Annales est éloquente ; il considère l’ouvrage comme un texte « d’histoire et d’ethnographie contemporaines » et si, la « géographie n’est pas oubliée », c’est sous forme de descriptions paysagères ponctuelles, non de « descriptions régulièrement ordonnées »68. La recension de Marcel Dubois en annonce d’autres, qui manifestent un besoin de démarcation, révélateur de la constitution d’une « communauté épistémique ». Lorsqu’en 1911, Raoul Blanchard publie la critique des Révolutions de la Perse, il refuse de ranger l’ouvrage dans le champ de la géographie (« ce n’est pas de la géographie »). Pour autant, selon lui, la géographie est « partout », signe que la discipline a pris sa place dans le champ intellectuel de l’époque. Quant à la recension que Jean Brunhes consacre en 1914 à La mort de Stamboul, elle est assez laconique :

La Révolution de 1908 a entraîné la ruine de la Turquie d’Europe. Pourquoi et comment ? Victor Bérard l’indique avec sa véhémente et coutumière sagacité (…). Dans le présent volume, il « localise » la crise dans ces deux territoires où elle fut décisive : la Crête (…) et la Macédoine (…)69.

  • 70 Simon-Nahum 2015, p. 263‑273.
  • 71 Clerc, Robic 2015, p. 363.

31Le compliment est en demi‑teinte : la finesse d’analyse de Bérard (sa « sagacité ») est entachée d’un registre militant (« véhémente ») qui n’est pas du goût de Brunhes. Le registre d’écriture place Bérard à la marge du noyau dur de la géographie française dont la recherche de scientificité écarte les discours militants. Si les jeunes géographes proches alors de l’ENS (Emmanuel De Martonne, Antoine Vacher, Lucien Gallois) apportèrent comme Bérard leur soutien au capitaine Dreyfus70, Vidal, lui, resta silencieux et Marcel Dubois, comme Jean Brunhes ou August Longnon affichèrent des positions antidreyfusardes. À la veille de la Première Guerre mondiale, Bérard n’est pas en rupture avec la communauté des géographes qui s’est installée dans le paysage académique français, mais il chemine à côté des sillons vidaliens avec une « indépendance » d’écriture et une « liberté d’action »71 qui ne plaisent pas à tous.

Conclusion

  • 72 Clerc, Robic 2015.
  • 73 Lettre d’Albert Demangeon adressée à sa femme, 30 juillet 1926 (Bibliothèque Mazarine, Fonds Deman (...)
  • 74 Tourneur-Aumont 1942, p. 214‑222.
  • 75 Robic 1999, p. 14.
  • 76 Bérard 1929, p. 193‑205.
  • 77 Gottmann 1952, p. 82.

32La position liminale de Victor Bérard dans un champ de savoir en pleine effervescence s’explique en partie par des engagements politiques qui l’ancrent dans d’autres réseaux. Sa sociabilité normalienne est pour beaucoup dans son « pas de côté », son ouverture « hors‑les-murs »72. L’écart avec les géographes est confirmé pendant la Première Guerre mondiale : Bérard ne participe pas à la commission géographique crée en 1915 et qui regroupe Albert Demangeon, Lucien Gallois, Emmanuel de Martonne, Emmanuel de Margerie, Louis Raveneau et Paul Vidal de La Blache. « Hors les murs », Bérard le devient vraiment en 1920, année de son élection comme sénateur du Jura : il quitte alors la carrière universitaire pour embrasser pleinement la vie politique. Mais Bérard conserve avec les anciens élèves de Vidal des rapports amicaux73. Plusieurs d’entre‑eux sont d’ailleurs tiraillés entre plusieurs carrières tels Lucien Gallois74 ou encore Bertrand Auerbach qui, à la fin de sa vie, se tourne « vers une forme de journalisme politique »75. Preuve que les liens ne sont pas rompus, Bérard publie de nouveau, en 1929, un article dans les Annales de Géographie76. Mais il fait les frais du déclassement relatif de la géographie historique. Les questionnements homériques perdent de leur actualité dans la géographie universitaire du premier vingtième siècle et les travaux de Bérard sont progressivement oubliés des publications de géographes – à quelques exceptions près toutefois : Jean Gottmann, dans la Politique des États et leur géographie (1952), se réfère encore à sa « loi des isthmes »77 et Roger Dion, titulaire de la chaire de Géographie historique du Collège de France de 1948 à 1968, perpétue ce qu’il nomme une « géographie odysséenne » (Dion 1972) et des recherches sur les Aspects politiques de la géographie antique (Dion 1977).

  • 78 Jacques Ancel, spécialiste des Balkans et héraut de la géographie politique, rend cependant hommag (...)

33En appartenant simultanément à plusieurs mondes (académique, politique), en ayant un pied dans une géographie historique progressivement déclassée et un pied dans une géographie politique conceptuellement inachevée78, Bérard s’est en somme frayé un chemin buissonnier au sein d’une École de Géographie qui, en se structurant dans les années 1900, le marginalise progressivement.

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Louis Raveneau, « L’élément humain dans la géographie. L’anthropogéographie de M. Ratzel », Annales de Géographie, t. 1, n° 3, 1892, p. 331‑347.

Robert 2012
Sandrine Robert, « Les dynamiques spatiales à la croisée de l’archéologie et de la géographie », L’Espace géographique, t. 41, n° 4, 2012, p. 289‑294.

Robic 1999
Marie‑Claire Robic, « Bertrand Auerbach (1856-1942), Éclaireur et « sans grade » de l’École française de géographie », Revue géographique de l’Est 39.1, 1999, p. 37‑48.

Robic 2004
Marie-Claire Robic, « Un système multi-scalaire, ses espaces de référence et ses mondes. L’Atlas Vidal-Lablache », Cybergeo 265, mars 2004, en ligne, http://journals.openedition.org/cybergeo/3670.

Robic 2010
Marie-Claire Robic, « À propos de transferts culturels. Les congrès internationaux de géographie et leurs spatialités », Revue germanique internationale 12, 2010, p. 33‑45, en ligne, http://journals.openedition.org/rgi/257.

Robic 2018a
Marie-Claire Robic, « Légitimer la géographie face à l’histoire et à la sociologie. Échanges et débats entre disciplines », in Nicolas Ginsburger et al., Un géographe de plein vent. Albert Demangeon (1872-1940), Paris, Bibliothèque Mazarine, Éditions des Cendres, 2018, p. 95‑108.

Robic 2018b
Marie-Claire Robic, « Les chemins de l’école (1860-1914). Usages du label d’école à propos de la géographie française », Revue d’histoire des sciences humaines 32, 2018, p. 39‑72.

Robic 2019
Marie-Claire Robic, « Regard géographique et intelligence du monde. Jean Brunhes, la géographie humaine et les Archives de la Planète », Les Archives de la Planète, Paris, Liénart, 2019, p. 84‑101.

Robic, Tissier, Pinchemel 2011
Marie-Claire Robic, Jean-Louis Tissier, Philippe Pinchemel, Deux siècles de géographie française. Une anthologie, Paris, CTHS, 2011.

Schlanger 1992
Judith Schlanger, « Fondation, nouveauté, limites, mémoire », Communications 54, 1992, p. 289‑298.

Simon-Nahum 2015
Perrine Simon-Nahum, « Ulysse chez les dreyfusards. Victor Bérard et l’affaire Dreyfus », in Sophie Basch (éd.), Portraits de Victor Bérard, Athènes, EFA, 2015, p. 263‑273.

Sion 1932
Jules Sion, « La Macédoine d’après le livre de M. Jacques Ancel », Annales de Géographie, t. 41, n° 231, 1932, p. 305‑309.

Sohier 2016
Estelle Sohier, « Ré‑imaginer la Méditerranée avec l’Odyssée, la carte et la photographie. Victor Bérard, un géographe sur les traces d’Ulysse », Annales de géographie, vol. 709‑710, n° 3, 2016, p. 333‑359.

Tissier 1991
Jean-Louis Tissier, « 1891 : Rappels », Annales de Géographie, t. 100, n° 561‑562, 1991, p. 513‑520.

Tourneur-Aumont 1942
Jean Tourneur-Aumont, « Lucien Gallois et l’évolution contemporaine de la Géographie historique en France », Annales de l’Université de Paris, xvie année, 1942, p. 214‑222.

Vidal de La Blache 1880
Paul Vidal de La Blache, Marco Polo, son temps et ses voyages, Paris, Hachette, 1880.

Vidal de La Blache 1894
Paul Vidal de La Blache, Atlas général Vidal-Lablache. Histoire et géographie, Paris, Armand Colin, 1894.

Vidal de La Blache 1896a
Paul Vidal de La Blache, « Les voies de commerce dans la Géographie de Ptolémée (partie 1) », Comptes rendus des séances de l’AIBL, 40e année, n° 5, 1896, p. 421‑422.

Vidal de La Blache 1896b
Paul Vidal de La Blache, « Les voies de commerce dans la Géographie de Ptolémée (partie 2) », Comptes rendus des séances de l’AIBL, 40e année, n° 6, 1896, p. 456‑483.

Vidal de La Blache 1896c
Paul Vidal de La Blache, « Le principe de la géographie générale », Annales de géographie, t. 5, n° 20, 1896, p. 129‑142.

Vidal de La Blache 1898
Paul Vidal de La Blache, « La géographie politique, à propos des écrits de M. Frédéric Ratzel », Annales de géographie, t. 7, n° 32, 1898, p. 97‑111.

Vidal de La Blache 1903
Paul Vidal de La Blache, « La géographie humaine, ses rapports avec la géographie de la vie », Revue de synthèse historique 7, 1903, p. 219‑240.

Vidal de La Blache 1904
Paul Vidal de La Blache, « La géographie de l’Odyssée », Annales de Géographie, t. 13, n° 67, 1904, p. 21‑28.

Vidal de La Blache 1905a
Paul Vidal de La Blache, « À travers l’Amérique du Nord », Revue de Paris 190a, p. 513‑532.

Vidal de La Blache 1905b
Paul Vidal de La Blache, « La conception actuelle de l’enseignement de la géographie », Annales de Géographie, 1905, p. 193‑207.

Vidal de La Blache 1913
Paul Vidal de La Blache, « Des caractères distinctifs de la géographie », Annales de Géographie, t. 22, n° 124, 1913, p. 289‑299.

Atlas Vidal-Lablache 1912
Paul Vidal La Blache, Atlas général Vidal-Lablache. Histoire et géographie, Paris, Librairie Armand Colin, 1912 [1894].

Wolff 2005
Denis Wolff, Albert Demangeon (1872-1940) : de l’école communale à la chaire en Sorbonne, l’itinéraire d’un géographe moderne, thèse de doctorat en Géographie, Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2005.

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Annexe

Programme des cours de Victor Bérard à l’EPHE

(Synthèse réalisée à partir des Annuaires de l’EPHE par Étienne Bérard)

1er cours

2e cours

1896

Étude de l’Archipel et des navigations antiques tels que nous les font connaître l’Odyssée.

1897

L’Asie Mineure : étude de la côte sud.

L’Attique, d’après Pausanias, étudiée surtout au point de vue des ports, routes et communication.

1899

La colonisation grecque en Sicile.

La Laconie maritime.

1900

L’Odyssée : le doublet gréco-sémitique.

La colonisation grecque en Sicile.

1901

Les premières colonisations maritimes dans la Méditerranée occidentale.

Suite de l’Odyssée : Exactitude minutieuse de tous les détails dans la description homérique.

Congés Avril Mai Juin.

1902

Géographie de l’Italie primitive.

Suite des études homériques : Le problème d’Ithaque.

1903

Géographie de la Crète antique.

Explication des chants X‑XII de l’Odyssée.

Congé maladie ; séjour en Crète et en Grèce.

1904

La géographie de la Grèce Mycénienne ; routes et sites.

La Crète et les légendes grecques, en particulier athéniennes.

1905

Étude de la Carie et de la Lycie : littoral et hinterland de l’Asie Mineure, entre le détroit de Samos et le golfe d’Adalia.

1906

Documents géographiques de l’antiquité sur l’Éthiopie et les Éthiopiens occidentaux. Géographie économique, routes et échanges entre l’Afrique orientale et la Méditerranée.

Second semestre : étude de la mer Ionienne et en particulier d’îles de la côte d’Épire : le problème d’Ithaque.

1907

La Libye selon les Hellènes puis les Romains ; les trois zones maritimes, sédentaires et nomades de la Libye entre la Méditerranée et le Pays des Nègres.

À la demande des auditeurs, cette conférence a porté sur les différents textes qui permettent d’étudier les sources des géographes anciens.

1908

Étude d’une île grecque en prenant pour exemple la Crète.

Étude d’un golfe levantin en prenant pour type le golfe Saronique. Ce qu’est un périple à travers les âges. Ce qu’est pour un commerçant et le géographe ancien un cap, une rade, un port, un abri, un détroit, une frontière d’État.

S’absente en avril à l’île de Perejil pour étudier le site de Kalypso.

1909

À la demande des auditeurs, deux sujets ont été traités : un sujet de topologie urbaine, Corinthe. L’isthme, région spéciale.

Une étude géographique de la Cilicie. Les descentes des peuples et de caravanes du plateau anatolien. Portes Ciliciennes ; le couloir Arménien ; rôle de la Cilicie entre Sémites du Levant et nomades anatoliens.

1910

Chypre. Étude physique et historique de l’île.

Les origines romaines : la double période légendaire et étrusque jusqu’à la république.

1911

La géographie comparée de l’Achaïe franque et homérique d’après le Catalogue des vaisseaux et le Livre de la conquête.

La géographie du Pont Euxin et en particulier les relations extrêmes du monde grec avec le monde asiatique par le fond de la Mer Noire.

1912

Histoire de la découverte par les Grecs de la Méditerranée occidentale et en particulier la colonisation phocéenne en Espagne.

Topologie théorique et pratique : du rôle, de l’importance et des variations des détroits dans l’histoire de la navigation, de la colonisation et du commerce antique.

1913

Empêché par un voyage en Orient de faire sa conférence, M. Bérard l’a confiée à M. Adolphe Reinach.

1914

Les textes de l’Odyssée : corrections et interpolations. Les étapes du texte odysséen.

Essais d’une traduction de l’Odyssée et d’un commentaire géographique.

1915

Sur la demande des auditeurs, les deux conférences ont été consacrées à la géographie de la Germanie ancienne en partant de la Germania de Tacite.

1916

Les conférences de l’année ont été consacrées : 1) à l’établissement du texte ; 2) à un essai de traduction ; 3) à un commentaire philologique et géographique des 5 premiers chants de l’Odyssée.

1917

À la demande des auditeurs, les deux conférences ont été consacrées à l’établissement du texte odysséen (chants IX‑XV).

1918

La découverte de la Méditerranée occidentale et de l’Espagne.

L’exploration libyenne et les périples de l’Afrique.

Conférences en Suisse (Genève, Lausanne, Berne, Zurich) et en Espagne (Madrid et Barcelone).

1919

L’Afrique des anciens ; La Libye d’Hérodote et les expéditions perses.

Périples et manuels antiques sur le monde occidental.

1920

Suppléé par Victor Chapot.

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Notes

1 Boutier, Passeron, Revel 2006.

2 Schlanger 1992, également in Fabiani 2006, paragraphe 20.

3 Robic 2018a, Robic 2018b.

4 Berdoulay 2008.

5 Orain, Robic 2017, p. 435‑480.

6 Marchand 2000, p. 76.

7 Deslondes 1996, p. 451‑463. Georges Perrot, directeur de l’ENS à partir de 1883, sera un mentor de Bérard.

8 Bérard lit l’allemand sans être aussi à l’aise que d’autres élèves. Il cherchera à améliorer sa pratique de la langue lors un séjour à Heidelberg, en 1895, incité en cela par Paul Vidal de La Blache. Sur les rapports de Bérard aux savoirs académiques allemands, cf. Espagne 2015.

9 Gallois 1918, p. 166.

10 Chervel 2015.

11 Sur les recherches de Victor Bérard à l’École française d’Athènes, nous renvoyons le lecteur à l’article d’Alexandre Farnoux, « Victor Bérard, Homère, et l’École française d’Athènes », dans ce numéro.

12 Outram 1996, p. 249‑265.

13 Friedrich Ratzel, Anthropogéographie, 1892, p. 57, cité par Vidal de La Blache 1898, p. 111.

14 Auerbach 1908, p. 312.

15 Guérin 1856 in Robic, Tissier, Pinchemel 2011, p. 42.

16 Voir aussi Pinchemel 1984, p. 255‑262.

17 Croiset 1891, p. 69‑70.

18 Tissier 1991, p. 513‑520.

19 Dubois, Vidal de La Blache 1891.

20 Vidal de La Blache 1894. Voir aussi Robic 2004.

21 Auerbach 1895, p. 610.

22 Lettre de Victor Bérard à ses parents, 30 janvier 1892. Source : A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 1F, Chemise 7‑2 (4).

23 Pour compléter son salaire et s’ouvrir des portes, il entre au jury de l’École de Marine à la suite de Théophile Homolle. Cette fonction suscite plusieurs échanges avec le géographe Marcel Dubois, qui lui recommande des étudiants en 1893 et 1894. Source : A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 4F, Chemise 6.

24 Bérard 1894. Sa thèse latine est consacrée à l’arbitrage entre les cités grecques.

25 Lettre de Victor Bérard à ses parents, sans date (fin 1893). Source : A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 1F, Chemise 7‑3 (43).

26 Bérard 1895a, p. 222‑224 ; Bérard 1895b, p. 271‑286 ; Bérard 1895c, p. 414‑431 ; Bérard 1896, p. 257‑276.

27 Tissier 1991, p. 513‑520.

28 Vidal de La Blache 1896a ; Vidal de La Blache 1896b.

29 Vidal de La Blache 1896b, p. 464.

30 Vidal de La Blache 1896c ; Vidal de La Blache 1898. L’expression de « géographie humaine » est utilisée à partir des années 1890 mais c’est en 1903 qu’elle est vraiment formalisée par Paul Vidal de La Blache (Vidal de La Blache 1903).

31 Lettre d’Édouard Ardaillon à Victor Bérard, 9 décembre 1903. Source : A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 21F, Chemise 2 (49).

32 Lettre d’Édouard Ardaillon à Victor Bérard, 9 décembre 1903. Source : A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 21F, Chemise 2 (49).

33 Brunhes 1900 et Brunhes 1902.

34 Bérard 1895b, p. 276.

35 Bérard 1895c, p. 430.

36 Bérard 1895b, p. 277.

37 Kiepert 1878.

38 Bérard 1903, p. 578.

39 Bérard 1898 ; Bérard 1899 ; Bérard 1900.

40 Bérard 1902, p. 8.

41 Bérard 1902, p. 8‑9.

42 Bérard 1896, p. 276.

43 Vidal de La Blache 1904, p. 21.

44 Vidal de La Blache 1904, p. 22.

45 Vidal de La Blache 1904, p. 22.

46 Raveneau 1892, p. 341.

47 Vidal de La Blache 1904, p. 21.

48 Bérard emploie lui‑même le terme : « toutes les descriptions, sont conformes à la réalité tangible, à la vérité scientifique et expérimentale » (Bérard 1902, p. 582).

49 Vidal de La Blache 1904, p. 28.

50 Broc 1991.

51 « Mon cher maître, M. Paul Vidal de La Blache », Bérard 1902, p. III.

52 Vidal de La Blache 1904, p. 21.

53 Auerbach a obtenu que la chaire d’« histoire et de géographie » soit transformée, le 1er janvier 1893, en chaire spécialisée de « géographie » (Robic 1999).

54 Vidal de La Blache 1905a.

55 Lettre de Max Leclerc à Albert Demangeon (31 janvier 1905, L18) et lettre de Bérard à Albert Demangeon (25 août 1906, B10). Bibliothèque Mazarine, Fonds Demangeon-Perpillou.

56 Vidal de La Blache 1905b.

57 Lucien Gallois (1908) cité par Tourneur-Aumont 1942, p. 21.

58 Auerbach 2011, p. 89.

59 Robic 2010.

60 La première esquisse de la distribution des volumes de la Géographie universelle apparait dans le carnet 28 de Paul Vidal de La Blache.

61 Perlès 2019.

62 Sohier 2016.

63 Vidal de La Blache 1898, p. 109.

64 Antoine Vacher (1873-1920, promotion ENS 1895) connu pour ses positions socialistes fait figure d’exception.

65 Il s’engage alors durablement en faveur des Arméniens (La politique du Sultan, 1897) et de la Grèce (Les Affaires de Crète, 1898). Pécout 2015, p. 189‑208 ; Laurens 2015, p. 169‑187.

66 Louis Aubert, « Victor Bérard », Revue de Paris, 1931, cité par Gallois 1932, p. 102‑103 ; Gallois 1931, p. 117‑118.

67 Dubois 1893, p. 512.

68 Dubois 1893, p. 512.

69 Brunhes 1914. p. 268.

70 Simon-Nahum 2015, p. 263‑273.

71 Clerc, Robic 2015, p. 363.

72 Clerc, Robic 2015.

73 Lettre d’Albert Demangeon adressée à sa femme, 30 juillet 1926 (Bibliothèque Mazarine, Fonds Demangeon-Perpillou).

74 Tourneur-Aumont 1942, p. 214‑222.

75 Robic 1999, p. 14.

76 Bérard 1929, p. 193‑205.

77 Gottmann 1952, p. 82.

78 Jacques Ancel, spécialiste des Balkans et héraut de la géographie politique, rend cependant hommage au travail Bérard, dans sa Géographie des frontières en 1938 : « Victor Bérard qui, le premier, il y a un demi‑siècle, tenta de discerner les facteurs géographiques des phénomènes politiques » (Ancel 1938, p. 27).

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Table des illustrations

Titre Fig. 1. Extrait de la liste des ouvrages empruntés par Victor Bérard à la bibliothèque de l’École normale supérieure au cours de l’année 1886.
Crédits Registre des élèves, 1885-1886, Bibliothèque des lettres de l’École normale supérieure – Ulm, AB/34.
URL http://journals.openedition.org/bchmc/docannexe/image/1007/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 649k
Titre Fig. 2. Programme de géographie pour le concours de l’agrégation d’histoire et de géographie de l’année 1887.
Crédits Drapeyron 1886, p. 386‑387.
URL http://journals.openedition.org/bchmc/docannexe/image/1007/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 554k
Titre Fig. 3. Paul Vidal de La Blache, « État économique du monde ancien au iie siècle de l’ère chrétienne ».
Légende L’atlas fut envoyé aux acheteurs ou souscripteurs par fascicules de 1891 à 1894. L’édition reproduite ici est celle de 1912.
Crédits Atlas Vidal-Lablache 1912, planches 18b et 18c.
URL http://journals.openedition.org/bchmc/docannexe/image/1007/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 741k
Titre Fig. 4. Paul Vidal de La Blache, « Géographie d’Homère », carton inclus dans la planche « Méditerranée du viie siècle au ve siècle avant Jésus‑Christ » de l’Atlas Vidal-Lablache 1912.
Légende D’autres encarts, publiés comme celui‑ci dès les premiers fascicules de 1891-1894, illustrent les explorations et les savoirs géographiques de l’Antiquité : « le périple de Hannon », « le monde habité d’après Hérodote », « la carte d’Ératosthène » et « la carte de Ptolémée ». C’est à partir de l’Atlas général de Vidal que Bérard publie l’ « itinéraire d’Ulysse » qui illustre le volume Les Phéniciens et l’Odyssée en 1903 (Sohier 2016).
Crédits Atlas Vidal-Lablache 1912.
URL http://journals.openedition.org/bchmc/docannexe/image/1007/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 467k
Titre Fig. 5. Carte adressée à Victor Bérard par ses camarades de promotion de l’ENS le 31 mai et 1er juin 1896.
Légende À la fin de l’année universitaire 1895-1896, alors que Bérard quitte l’ENS, une carte collective adressée à l’« archicube Bérard » est signée par la promotion 1892 de l’École, dont font partie les géographes Albert Demangeon (1872-1940) et Emmanuel de Martonne (1873-1955), futurs piliers de l’École française de géographie.
Crédits A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 4F, Chemise 5 (42).
URL http://journals.openedition.org/bchmc/docannexe/image/1007/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 374k
Titre Fig. 6. Lettre de félicitations adressées à Victor Bérard par Édouard Ardaillon pour la parution de son ouvrage, Les Phéniciens et l’Odyssée (9 décembre 1903).
Légende Ardaillon profite de l’échange pour demander à Bérard s’il a rapporté des clichés de « Marmites de Géants ». Ces cavités, créées par l’érosion fluviale, marine, ou glaciaire, attisent la curiosité des géographes à l’époque. Jean Brunhes y consacre sa thèse secondaire en 1902, en comparant deux cas, l’un situé à Assouan, en Haute-Égypte, l’autre en Suisse.
Crédits A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 21F, Chemise 2 (49).
URL http://journals.openedition.org/bchmc/docannexe/image/1007/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 663k
Titre Fig. 7. Lettre de Paul Vidal de La Blache à Victor Bérard rédigée au retour de son voyage aux États‑Unis en décembre 1904.
Légende Vidal propose à Bérard de publier ses « impressions américaines » dans la Revue de Paris.
Crédits A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 21F, Chemise 2 (36).
URL http://journals.openedition.org/bchmc/docannexe/image/1007/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 501k
Titre Fig. 8. L’ « îlot d’Ulysse » vu par August Léon et Jean Brunhes en 1912.
Légende Le cliché est identique à celui des « îles des Rats et d’Ulysse vues de Canone » réalisé le 18 avril 1903 par Fred Boissonnas, non publié mais conservé dans son Album de voyage en Grèce à la bibliothèque de Genève (https://bge-geneve.ch/​iconographie/​oeuvre/​bge-y630-01-07). Jean Brunhes commente la photographie, qui sera utilisée dans des manuels scolaires, de la manière suivante : « La grande ile de Corfou (dont la ville principale porte aussi le nom de Corfou) est la plus septentrionale des îles Ioniennes : c’est l’ancienne Corcyre ; les reliefs de montagnes qu’on aperçoit au loin sont précisément ceux de l’île de Corfou. Des deux petites îles qui sont en avant, celle qui est à gauche, avec son bouquet de cyprès, est appelée Pondiko-Nisi, ce qui veut dire l’Ile aux Rats ; on la dénomme quelquefois l’îlot d’Ulysse. Les deux îlots sont occupés aujourd’hui par des monastères. Tout cela constitue un paysage très typique des rivages maritimes de la Grèce » (Jean Brunhes 1993, p. 279).
URL http://journals.openedition.org/bchmc/docannexe/image/1007/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 421k
Titre Fig. 9. Bérard, Projet de cours de Géographie à l’École supérieure de Marine.
Crédits A.D., Fonds Victor Bérard, Carton 4F, Chemise 1 (5).
URL http://journals.openedition.org/bchmc/docannexe/image/1007/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 412k
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Pour citer cet article

Référence papier

Ségolène Débarre, « Une École buissonnière. Victor Bérard et la Géographie (1884-1914) »Bulletin de correspondance hellénique moderne et contemporain, 6 | -1, 35-62.

Référence électronique

Ségolène Débarre, « Une École buissonnière. Victor Bérard et la Géographie (1884-1914) »Bulletin de correspondance hellénique moderne et contemporain [En ligne], 6 | 2022, mis en ligne le 15 avril 2022, consulté le 15 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/bchmc/1007

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Auteur

Ségolène Débarre

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8504 Géographie-Cités

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CC-BY-NC-ND-4.0

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