1Les bilans alimentaires de la FAO donnent un bon aperçu par pays des activités de la pêche et de la consommation de poisson. Sur cette base, quelques données essentielles peuvent être cartographiées pour les pays d’Afrique. Ceci permet de situer des analyses régionales dans un contexte plus général. Dans un premier temps l’importance que le poisson a ou pourrait apporter à la situation nutritionnelle est analysée.
2La sous-alimentation est un grand problème en Afrique, surtout en ce qui concerne l’apport en protéines et certainement en protéines animales. Le poisson apporte environ 20 % des protéines animales, ce qui n’est pas énorme, mais vu la faible consommation totale, tout apport est important (tabl. 1). Les différences entre régions sont importantes. En Afrique du Nord et en Afrique australe, les chiffres sont nettement plus élevés, ces derniers étant influencés par ceux de l’Afrique du Sud. Pour le reste, la moyenne pour l’Afrique de l’Ouest est supérieure à celle de l’Afrique orientale et centrale. Dans toutes les entités, on observe une évolution positive des consommations moyennes énergétiques totales et de celle des protéines. Néanmoins, à l’exception de l’Afrique du Nord et australe, l’augmentation est faible pour ce qui concerne les protéines animales, voire en régression. Les nombreux conflits et la situation économique défavorable dans plusieurs pays ont une influence sur ces moyennes régionales. L’urbanisation importante au cours de cette période de 25 ans n’a pas entraîné une croissance parallèle de la consommation de protéines animales (tabl. 1), souvent associée à la croissance urbaine. L’organisation des marchés, la pauvreté et le prix élevé des produits animaux ont contrecarré ces augmentations.
Tableau 1. Indicateurs de base pour l’alimentation en Afrique.
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Total kcal/jour 1992-1994
|
Total kcal/jour 2017-2019
|
Total protéines gr/jour 1992-1994
|
Total protéines gr/jour 2017-2019
|
Protéines animales gr/jour 1992-1994
|
Protéines animales gr/jour 2017-2019
|
Protéines poisson gr/jour 1992-1994
|
Protéines poisson gr/jour 2017-2019
|
Afrique du Nord
|
2874
|
3217
|
79,3
|
92,4
|
16,9
|
25,0
|
1,9
|
4,3
|
Afrique de l’Ouest
|
2387
|
2664
|
54,1
|
63,4
|
9,6
|
10,4
|
2,9
|
3,4
|
Afrique de l’Est
|
1871
|
2254
|
47,8
|
59,1
|
9,0
|
10,0
|
1,5
|
1,7
|
Afrique centrale
|
1876
|
2196
|
45,8
|
45,4
|
12,7
|
10,6
|
3,5
|
3,2
|
Afrique australe
|
2743
|
2844
|
72,8
|
78,1
|
24,4
|
33,7
|
2,4
|
1,7
|
Afrique total
|
2339
|
2586
|
59,1
|
65,9
|
12,3
|
14,3
|
2,2
|
2,9
|
Source : Bilans alimentaires de la FAO
3Bien que le poisson ne représente que 22 % de la ration protéinique animale en Afrique subsaharienne, ce taux peut atteindre 50 % dans les pays les plus pauvres, en particulier quand les autres sources de protéines animales sont rares ou chères. Comme le souligne la FAO, « le poisson est un aliment riche pour les populations pauvres », et il peut contribuer beaucoup à l’amélioration de la sécurité alimentaire en Afrique et au statut nutritionnel de sa population. Le poisson fournit des protéines et des micronutriments, tels que le fer, l’iode, le zinc, le calcium, la vitamine A et la vitamine B, ainsi que des acides gras nécessaires au développement du cerveau et de l’organisme (tables alimentaires). De nombreux aliments de base de ces populations pauvres ne contiennent pas ces micronutriments indispensables (FAO, 2019 ; Centre WorldFish, 2005). Les vitamines et minéraux sont également importants (tabl. 2).
Tableau 2. Composition alimentaire (pour 100 gr comestibles).
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kcal
|
Protéines
|
Graisses
|
Ca
|
Fe
|
Mg
|
Vit. A
|
Vit. D
|
Vit. B12
|
|
|
gr
|
gr
|
mg
|
mg
|
mg
|
µg
|
µg
|
µg
|
Poisson-chat
|
141
|
23,6
|
5,1
|
55
|
1,2
|
39
|
29
|
9,9
|
3,0
|
Tilapia grillé
|
144
|
27,2
|
3,9
|
25
|
1,6
|
46
|
34
|
4,0
|
0,3
|
Carpe grillée
|
144
|
24,9
|
5,0
|
64
|
1,3
|
42
|
10
|
28,6
|
2,3
|
Maquereau grillé
|
151
|
28,5
|
4,1
|
40
|
1,0
|
43
|
45
|
45
|
3,1
|
Poulet blanc grillé
|
218
|
25,7
|
12,8
|
13
|
0,8
|
22
|
18
|
0,2
|
0,3
|
Chèvre viande grillée
|
226
|
25,4
|
12,2
|
16
|
3,3
|
33
|
-
|
-
|
1,3
|
Maïs grains bouillis
|
136
|
3,5
|
1,7
|
5
|
1,3
|
46
|
17
|
-
|
-
|
Riz blanc grillé
|
136
|
2,4
|
0,2
|
4
|
0,3
|
13
|
-
|
-
|
-
|
Manioc farine
|
335
|
1.9
|
0,5
|
-
|
1,5
|
45
|
-
|
-
|
-
|
Source : Table de composition des aliments de l’Afrique de l’Ouest, FAO 2012
4Les poissons issus de la pêche de subsistance sont importants pour les ménages qui n’ont pas les moyens d’acheter de la nourriture saine, en particulier de la viande. Dans la plupart des cas, les protéines du poisson sont moins chères sur le marché que celles des autres sources animales. En tant que facteur indirect de sécurité alimentaire, les revenus provenant des salaires du secteur des pêcheries ou des recettes du commerce du poisson sont encore plus importants (Centre WorldFish, 2005 ; AUDA-NEPAD, 2021). Le poisson présente également l’avantage d’être vendu sous forme de poisson séché ou fumé, ce qui permet une consommation dans les zones rurales éloignées, mais la commercialisation vers les zones rurales est susceptible de subir des pertes en raison de la faiblesse des infrastructures de marché.
5Le poisson consommé provient principalement de la production locale. Le solde import/export est d’environ 6 % (FAO, bilans alimentaires) pour le continent, mais certains flux entre pays atteignent près de 35 % de la production. En ce qui concerne la production, elle vient de la pêche maritime et de la pêche continentale. Elle est principalement artisanale et ses captures ont un impact important sur les disponibilités alimentaires locales (Weigel, 1998). Entre 2017 et 2019, 39 % de la production provenait des eaux douces (tabl. 3). En raison de cette situation, l’aquaculture, comme prolongation de la pêche artisanale, pourrait jouer un rôle important du point de vue nutritionnel. Au niveau mondial, l’aquaculture joue déjà un rôle important, mais sa part est encore faible en Afrique subsaharienne : son développement impose des investissements lourds. De plus, l’aquaculture offre des possibilités d’emploi, également au niveau local. La pêche occupe en Afrique 5,0 millions de travailleurs, l’aquaculture seulement 634 000 (FAO, 2022). Le développement dépend souvent d’initiatives nationales. C’est pourquoi la production n’est importante que dans quelques pays (Nigeria, Ouganda, Ghana).
Tableau 3. Production et consommation de poisson en Afrique ; total et poisson d’eau douce.
-
|
Production de poisson (x 1000 tonnes) 2017-2019
|
Dont pois-sons d’eau douce
|
Disponi-bilité intérieure (x 1000 tonnes)* 2017-2019
|
Dont poissons d’eau douce
|
Alimenta-tion (x 1000 tonnes) 2017-2019
|
Dont poissons d’eau douce
|
Consom-mation kg/hab./an 2017-2019
|
Dont poisson d’eau douce
|
Afrique du Nord
|
3510
|
1427
|
3457
|
1432
|
3429
|
1430
|
14,49
|
6,04
|
Afrique de l’Ouest
|
3706
|
1176
|
4507
|
1324
|
4403
|
1319
|
11,55
|
3,46
|
Afrique de l’Est
|
2213
|
1553
|
2309
|
1493
|
2206
|
1493
|
5,63
|
3,81
|
Afrique centrale
|
1257
|
475
|
1900
|
510
|
1818
|
510
|
10,83
|
3,04
|
Afrique australe
|
1032
|
7
|
443
|
19
|
412
|
19,1
|
6,26
|
0,29
|
Afrique total
|
11.716
|
4.639
|
12.615
|
4.779
|
12.268
|
4.772
|
9,87
|
3,84
|
*Production plus importations moins exportations
Source : bilans alimentaires de la FAO
6Le développement de l’aquaculture est une dimension clé de la sécurité alimentaire en Afrique pour augmenter la disponibilité en poisson ou même compenser les pertes subies par les pays africains, soit du fait de la concurrence étrangère dans le secteur de pêche marine, soit pour compenser l’utilisation récente du poisson dans la production de farine et d’huile, produits utilisés pour nourrir des animaux dans les pays développés au détriment de la consommation locale (FAO, 2022). L’Afrique est le seul continent où la disponibilité de poisson par habitant est en baisse, d’où cette nécessité de développer l’aquaculture. La disponibilité est en danger à cause de la surpêche et de la concurrence extra-africaine dans l’océan. La pêche à l’intérieur du continent est localement sujette à la surpêche, mais ce sont surtout les problèmes de pollution de l’eau, par exemple dans le lac Victoria, qui posent des problèmes (Jacquemot, 2021). Le développement d’une pisciculture locale requiert toutefois la maîtrise d’un système de production d’une haute technicité, mais certains pays ont obtenu des résultats positifs avec des petits producteurs ruraux.
7S’il apparaît déjà des différences au niveau des grandes entités régionales, celles-ci sont encore plus marquées au niveau des pays. Une analyse cartographique apportant plus de détails s’impose.
8Mais au préalable, une analyse de la production et de la consommation de poisson est utile (tabl. 1 et 3). Ici aussi les différences régionales sont importantes. Au niveau de l’Afrique, on note une quantité importée plus importante que les exportations, mais c’est surtout le cas pour l’Afrique de l’Ouest et centrale, tandis que l’Afrique australe est exportatrice nette. Les importations plus importantes en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale vont de pair avec une consommation moyenne plus élevée, tandis que la consommation est nettement moins importante en Afrique orientale et australe. La plus grande partie de la disponibilité (production et balance commerciale) est destinée à l’alimentation humaine.
9La figure 1 reprend la production de poisson marin ainsi que sa part en provenance de l’océan. Elle montre bien le contraste entre pays enclavés et pays avec accès à l’océan. Les pays enclavés ont nettement une production totale plus faible, avec l’Ouganda comme principale exception grâce à une pêche importante dans le lac Victoria. Pour les pays côtiers, la production marine est variable, mais globalement importante, ce qui n’empêche pas une production d’eau douce dans certains pays en relation avec les possibilités hydrographiques offertes, comme c’est le cas pour le Nil en Égypte, le Niger et ses affluents au Nigeria, le fleuve Congo en République démocratique du Congo, etc. Dans certains pays, comme le Kenya, la Tanzanie et les pays du Sahel, la production est nettement plus orientée vers l’intérieur que vers l’océan. C’est plutôt le contraire sur la côte Ouest, où par exemple au Sénégal, en Guinée et en Angola la production provient plus de l’océan. Mais ceci n’empêche que beaucoup de pays du golfe de Guinée pratiquent également la pêche en eau douce.
Figure 1. Production de poisson et part des pêches marines, moyenne 2017-2019.
Source : Bilans alimentaires FAO
10La figure 2 montre la consommation de poisson par habitant. Les différences sont importantes : en général les pays côtiers de la face Ouest ont une consommation par habitant plus importante que dans les pays enclavés et que dans certains pays de la face Est du continent, ce qui est logique vu les grandes différences de production présentées à la figure 1. Toutefois, il y a des différences ; celles-ci s’expliquent par l’importance des importations qui diffère par pays. Les deux sources de pêche apparaissent clairement sur la figure 2.
Figure 2. Consommation de poisson, de mer et d’eau douce, par habitant par an, moyenne 2017-2019.
Source : Bilans alimentaires FAO
11La figure 3 donne plus d’information à ce sujet. Elle reprend la part de la production du pays par rapport à la consommation de poisson. Ici apparaît la part non négligeable des importations, même pour de nombreux pays du golfe de Guinée. Ceci est lié à leur consommation importante de poisson, d’où une nécessité d’importations malgré une forte production en chiffres absolus. Par contre, dans beaucoup de pays de l’Afrique de l’Est, les importations sont peu importantes et vont de pair avec une faible consommation de poisson. Certains pays sont nettement exportateurs : en ordre décroissant, la Mauritanie, la Namibie, la Guinée-Bissau, le Maroc, le Sénégal exportent plus d’un tiers de leur production.
Figure 3. Production et consommation de poisson 2017-2019.
Source : Bilans alimentaires FAO
12La figure 4 montre l’importance de la consommation de protéines d’origine animale ainsi que de la part de celles-ci provenant de la consommation de poisson. Les valeurs pour les pays côtiers allant du Sénégal au Cameroun sont intéressantes : la consommation de protéines animales y est plutôt faible et la proportion de celles provenant du poisson relativement importante. La pêche maritime est donc cruciale pour l’apport en protéines animales dans ces pays. En effet, la consommation totale de protéines animales est, à quelques exceptions près, faible entre les Tropiques. De plus, dans de nombreux pays la consommation totale de protéines est insuffisante et mène à des situations de sous-alimentation, ce qui s’ajoute à un déficit énergétique pour un pourcentage important de la population.
Figure 4. Consommation de protéines animales et de poisson 2017-2019.
Source : Bilans alimentaires FAO