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I. Les temps de l'anticipation

Usages de la conjecture naturaliste chez Jules Verne et Rosny Aîné : origines, fin des temps et règnes parallèles.

Paule Faggianelli

Résumé

Cet article entend analyser les modalités de représentation du temps profond dans les œuvres de Jules Verne et Rosny Aîné. Il s’agit d’abord de comprendre comment s’élabore un patron narratif appuyé sur le discours de la vulgarisation, assise permettant au roman de projeter, tant vers le passé que vers le futur, une vision plausible de l’évolution du temps. En liant anticipation et rétrospection, nous entendons inscrire les visions du futur présentes chez Rosny Aîné et Jules Verne, particulièrement lorsqu’elles mettent en scène une catastrophe, une fin de l’histoire humaine, dans une représentation plus large du déroulement du temps, auquel le récit parvient ainsi à donner forme et sens.

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Texte intégral

1La diffusion des sciences naturelles connaît, dans la seconde partie du XIXe siècle, une accélération permise par une pluralité d’institutions et de supports écrits, au rang desquels la vulgarisation occupe une place de premier plan. Revues, collections dédiées, expositions élaborent, pour un public bourgeois, une science vernaculaire qui ne manque pas de nourrir des développements romanesques.

  • 1 La notion de « temps profond » (« deep time ») a été forgée par John McPhee pour définir le temps g (...)

2Dans ce contexte, le temps long, dont les traces et le récit sont abondamment débattues dans la première moitié du siècle, fait l’objet d’un traitement particulièrement riche, permettant non seulement une rétrospection narrative, amenant le lecteur dans les époques disparues, enfouies sous terre ou dans des contrées lointaines, mais aussi une projection dans un futur distant. La donnée temporelle, telle qu’elle est vulgarisée, mise en récit à partir de la géologie et de la paléontologie, alimente un roman du passé et du futur. S’élabore ainsi, entre discours scientifique, didactique et romanesque, une narrativité spécifique, celle d’un récit qui non seulement spectacularise le déroulement du temps, aux dimensions étendues jusqu’au vertige, mais lui offre aussi un sens, une direction et une interprétation singulière. L’avènement de ce temps profond1 modifie la projection sur les temps futurs, et le roman s’emparant des limites de cette donnée temporelle, il devient pertinent de s’intéresser au dialogue que peuvent entretenir les récits du temps profond et ceux qui se tournent vers de lointains futurs.

3Cette préoccupation temporelle s’observe notamment chez deux auteurs liés par un cadre générique commun, celui du roman d’aventures, et des préoccupations sur le devenir humain : Jules Verne et Rosny Aîné. En effet, les Voyages Extraordinaires mettent en scène, à plusieurs reprises, le temps : qu’il soit le thème d’un roman comme dans le Voyage au centre de la Terre ou L’Éternel Adam, où qu’il fasse l’objet de digressions au sein même de récits d’explorations et d’aventures géographiques, comme cela peut être le cas dans Cinq semaines en ballon, le temps profond alimente un questionnement sur le futur possible de l’humanité, et la sanction de ses excès par des cataclysmes dont le passé porte trace. Rosny Aîné alimente de cette conjecture temporelle plusieurs cycles romanesques, à commencer par ses romans préhistoriques. Mais c’est dans des textes comme La Mort de la Terre, paru en 1910, ou L’Étonnant voyage de Hareton Ironcastle, que s’observe le contact entre passé et futur, et que se dessine une fin du monde, terme pessimiste de l’histoire humaine.

4En exploitant une lecture commune du temps, leurs textes élaborent une fiction enracinée dans les hypothèses de l’histoire naturelle, envisagée comme cadre narratif, sujet spectaculaire, et point de départ d’une extrapolation temporelle. Chrono-fictions, ces récits font du temps un spectacle, et son déroulement devient prétexte à l’interprétation des gestes humains, des errances civilisationnelles, et à la peinture inquiétante des menaces qui pèsent sur un présent éphémère et trop confiant. Dès lors, nous souhaitons, à partir d’une lecture conjointe de ces récits, en croisant rétrospection et anticipation, analyser la plasticité de la mise en scène du temps chez ces deux auteurs, pour questionner ses usages. Il s’agira notamment d’établir la façon dont cette intellection du temps permet l’anticipation catastrophiste, et de lier les profondeurs passées aux inquiétudes futures par l’interprétation du temps déployée par le roman.

Mises en scène du temps : la conjecture naturaliste

  • 2 Jules Hetzel, « Avertissement de l’éditeur » in Jules Verne, Aventures du Capitaine Hatteras, Paris (...)

5A partir de la décennie 1850, les contacts entre vulgarisation scientifique destinée au jeune public et écriture romanesque se multiplient, au point de fonder des projets éditoriaux dédiés à la mise en scène des connaissances par le roman, tel que celui porté par le Magasin d’éducation et de récréation d’Hetzel, et par la série des Voyages Extraordinaires dans les mondes connus et inconnus de Jules Verne. En se donnant pour but de « résumer toutes les connaissances géographiques, géologiques, physiques, astronomiques, amassées par la science moderne, et de refaire, sous la forme attrayante et pittoresque qui lui est propre, l’histoire de l’univers2 », la série, augmentée jusqu’après la mort de l’auteur, assume une place singulière dans le paysage éditorial des périodiques de vulgarisation, touchant à la fois à la médiation scientifique et au roman. L’investissement du discours scientifique par la fiction permet la construction d’un texte oscillant entre dramatisation du savoir et extrapolation des hypothèses de la science.

6La mise en scène du temps et de l’espace dans les romans des deux auteurs cités plus haut est tributaire d’une vulgarisation des sciences naturelles par une large variété de publications et d’expositions, qui construisent une connaissance vernaculaire de la nature, mais aussi de son historicité. La connaissance du monde naturel et de son évolution devient, avant même la révolution darwinienne, un thème romanesque exploité dans une perspective de vulgarisation scientifique et de divertissement. Lorsqu’il paraît en 1864, le Voyage au centre de la Terre de Jules Verne s’inscrit dans une série de publications mettant en scène le monde antédiluvien, publications à l’inscription générique variable, hésitant entre le roman et l’ouvrage de vulgarisation : L’Univers avant les Hommes de Pierre Boitard, et au sein de cet ensemble, le livre Paris avant les Hommes, parus en 1861 ; la même année, les premières parutions de La Terre avant le déluge, ouvrage de vulgarisation publié par Louis Figuier, modèle scientifique de Verne dans sa description géologique du voyage d’Otto et d’Axel Lidenbrock ; Le Monde inconnu, roman préhistorique, d’Elie Berthet, paru en 1876. La lecture du temps offerte par l’histoire naturelle, la reconstitution des espèces disparues, offrent très tôt un motif d’aventure aux romanciers et vulgarisateurs, qui s’enthousiasment pour ces mondes inconnus paradoxalement nouveaux, inscrits dans une haute antiquité.

7L’exposition du temps, sa narrativité nouvelle permise par l’exploration d’époques passées, reconstituées par une série d’indices et de traces, offrent au récit le thème d’une rêverie, celle d’un voyage temporel, entre fantasme et entreprise scientifique. Le Voyage au centre de la Terre de Verne, paru en 1864, est exemplaire de cette plasticité du temps dans la littérature d’aventure, et communique directement avec l’imaginaire d’un futur lointain. En faisant de son récit un voyage géologique, Verne offre au lecteur un voyage dans le temps, ici entendu comme donnée physique, celle des couches stratigraphiques du sol. Une fois parvenu sous terre, le jeune Axel se prend à rêver, dans le chapitre XXXII, à partir des « merveilleuses hypothèses de la paléontologie ». Le temps devient l’objet d’une vision, et permet d’extrapoler encore la proposition initiale du roman : le défilement de la « série des différentes transformations terrestres ». Axel, à la limite du délire, est entraîné dans une course temporelle, rétrospection vertigineuse qui le porte au cœur de la matière :

Les siècles s’écoulent comme des jours ! Je remonte la série des transformations terrestres. Les plantes disparaissent ; les roches granitiques perdent leur dureté ; l’état liquide va remplacer l’état solide sous l’action d’une chaleur plus intense ; les eaux courent à la surface du globe ; elles bouillonnent, elles se volatilisent ; les vapeurs enveloppent la terre, qui peu à peu ne forme plus qu’une masse gazeuse, portée au rouge blanc, grosse comme le soleil et brillante comme lui !

  • 3 Jules Verne, Voyage au centre de la terre et autres romans, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque (...)

Au centre de cette nébuleuse, quatorze cent mille fois plus considérable que ce globe qu’elle va former un jour, je suis entraîné dans les espaces planétaires ! Mon corps se subtilise, se sublime à son tour et se mélange comme un atome impondérable à ces immenses vapeurs qui tracent dans l’infini leur orbite enflammée !3

8Pris à revers, le récit du monde permet de remonter jusqu’à la naissance des corps célestes, puis à la dissolution du rêveur dans cette hallucination. L’ensemble des données du temps sont à la portée du regard, ce qui offre, dans une séquence réduite, un parcours similaire à l’aventure relatée par le roman : celle d’un temps pris à rebours, dans la densité duquel il devient possible de voyager. Pénétrer dans le temps, à travers les couches de la terre, permet de faire roman à partir de connaissances géologiques récentes : il devient possible de suivre, raconter, dérouler son fil, jusqu’à l’épuiser, en atteignant son point initial.

9L’histoire naturelle offre ainsi au temps, dans les premières décennies du XIXe siècle, une narrativité évolutionniste. Le récit peut exploiter cette conjecture « naturaliste » tant dans le sens d’une rétrospection que dans celui de l’anticipation. La projection vers le futur semble ici s’attacher à une appréhension romanesque du temps long, permise notamment par le support de la vulgarisation. Source première pour le roman vernien, la vulgarisation des sciences naturelles est moins étroitement liée aux œuvres de Rosny, au sens où elle n’est pas érigée en but didactique. Le corpus rosnyen exploite un spectacle apparenté aux connaissances scientifiques, non tant pour les présenter que pour en spectaculariser les développements les plus extraordinaires. L’émerveillement du lecteur y est accentué par l’appareil de légitimation que constitue la référence aux connaissances, et c’est précisément cette perception vernaculaire de la profondeur du temps, bien établie dans les dernières décennies du XIXe siècle, qui nous intéresse dans ces textes.

  • 4 Rosny Aîné, « Les Xipéhuz » in Récits de science-fiction, Verviers, Marabout, 1975, p. 105.

10Le temps s’intègre à un dispositif de défamiliarisation qui permet la construction de mondes étranges. L’imaginaire de l’exotisme géographique devient alors un site littéraire privilégié pour articuler les fantasmes sur la distance, temporelle et spatiale. Loin sur la carte, c’est aussi loin dans le temps que se trouvent les personnages : sauriens antédiluviens et créatures anthropomorphes issues d’une branche parallèle de l’évolution participent d’un bestiaire croisant exotisme conventionnel et extrapolation fantastique. Ces déviations par rapport à la ligne du temps se rencontrent dans plusieurs récits de Rosny, et ce dès son premier recueil, composé avec son frère sous le pseudonyme commun de J. H. Rosny, en 1898 : L’immolation comprend « Les Xipéhuz », récit d’une lutte mortelle entre hommes antiques et cristaux vivants dont l’étrange nom titre le texte. Se déroulant « mille ans avant le massement civilisateur d’où surgirent plus tard Ninive, Babylone, Ecbatane4 », le récit exploite une lecture vernaculaire du temps profond, pour l’inscrire dans une interprétation pessimiste, rejouant l’écriture de l’histoire humaine. Le récit articule, pour nourrir le thème récurrent du déclin, le récit des temps anciens au futur inquiétant de la race humaine, à travers le personnage de Bakhoûn, scripteur aux idées nouvelles, défenseur de la sédentarité contre ses frères nomades, et auteur d’une des sources inventées par le récit, le livre qui porte son nom, présenté ainsi :

  • 5 Ibid., p. 111.

Il est impossible à l’Homme de ne pas frissonner en lisant cette monographie des êtres que Bakhoûn nomme les Xipéhuz, ces détails désintéressés, jamais poussés au merveilleux systématique, que l’antique scribe révèle sur leurs actes, leur mode de progression, de combat, de génération, et qui démontrent que la race humaine a été au bord du Néant, que la Terre a failli être le patrimoine d’un Règne dont nous avons perdu jusqu’à la conception.5

  • 6 Les récits situés dans le passé ne sont pas les seuls à démontrer cet usage de la conjecture natura (...)

11Le récit esquisse une histoire possible, une conjecture narrative appuyée sur une extrapolation du vocabulaire scientifique, sur une mise en récit du temps long, et notamment sur la notion d’évolution6. Ici, la narrativité du temps est elle-même thématisée, et sert d’assise à une projection pessimiste vers le futur, dont le point d’énonciation est ancré dans un temps profond. Ainsi, la clôture du récit projette l’inquiétude de son narrateur vers un futur dès lors teinté par le meurtre, la guerre et la destruction :

La Terre appartient aux Hommes. Deux jours de combat ont anéanti les Xipéhuz, et tout le domaine occupé par les deux cents derniers a été rasé, chaque arbre, chaque plante, chaque brin d’herbe a été abattu. Et j’ai achevé, pour la connaissance des peuples futurs, aidé par Loûm, Azah et Simhô, mes fils, d’inscrire leur histoire sur des tables de granit.

  • 7 Rosny Aîné, « Les Xipéhuz », ibid., p. 125.

Et me voici seul, au bord de Kzour, dans la nuit pâle. Une demi-lune de cuivre se tient sur le Couchant. Les lions rugissent aux étoiles. Le fleuve erre lentement parmi les saules, et sa voix éternelle raconte le temps qui passe, la mélancolie des choses périssables. Et j’ai enterré mon front dans mes mains, et une plainte est montée de mon cœur. Car, maintenant que les Xipéhuz ont succombé, mon âme les regrette, et je demande à l’Unique quelle Fatalité a voulu que la splendeur de la Vie soit souillée par les ténèbres du Meurtre ! 7

Le roman rosnyen exploite la narration du temps pour inscrire dans son déroulement une interprétation pessimiste, signalant ainsi un investissement spécifique par la fiction de la narration du temps. Dans la seconde partie du XIXe siècle, par le jeu de textes de vulgarisation et de romans, s’élabore une conjecture naturaliste, qui permet à la fois au récit de se doter d’une vraisemblance et d’une structure narrative. L’usage romanesque du temps auquel elle sert d’assise inscrit un sens dans le déroulement chronologique, et naturalise ainsi une projection futuriste particulièrement pessimiste.

Fins du monde : l’anticipation catastrophiste

  • 8 On pense notamment à l’ouvrage de Camille Flammarion La Fin du Monde, paru en 1894. Il faut noter q (...)

12On rencontre chez les deux auteurs évoqués un travail spécifique sur la narrativité du temps, qui s’observe notamment dans leur investissement des temps antédiluviens comme thème romanesque. Cet élément thématique s’appuie sur un usage du temps comme modèle de récit, permettant également une projection singulière dans le futur. Le corpus analysé déploie plusieurs projections futuristes, qu’elles soient enchâssées dans le roman d’aventures (Cinq semaines en ballon, L’Étonnant Voyage de Hareton Ironcastle…), ou qu’elles relèvent à proprement parler du genre de l’anticipation (L’Éternel Adam, La Mort de la terre). Ces fictions partagent ici une forme de pessimisme et s’inscrivent plus largement dans le récit catastrophiste dont la fin du XIXe siècle connaît le développement8. Ce sont tantôt les discours des explorateurs, tantôt la narration elle-même qui assument ces mises en scène du futur, prédisant l’effondrement ou la destruction par le feu et le fer d’une Terre appelée à mourir d’épuisement. Ces modalités d’énonciation, prédisant une catastrophe à venir, ou détaillant sa survenue et ses conséquences, permettent de souligner une peinture du futur commune aux deux auteurs. En dépit de son hétérogénéité, le futur construit par ces récits est teinté de pessimisme, et ses usages politiques sont variables.

13Cinq semaines en ballon, volume appelé à devenir le premier des Voyages extraordinaires dans les mondes connus et inconnus, paraît en 1863. Le roman suit le survol de l’Afrique par le Victoria, ballon piloté par le docteur Fergusson. Le déroulement cartographique de l’intrigue amène les personnages à détailler les paysages étranges déployés sous l’aérostat, dans une perspective didactique et romanesque. Au chapitre XVI, leur passage au-dessus du « Pays de la Lune » suscite des considérations sur « l’avenir du continent », développées à travers un dialogue entre les aventuriers, comme suit :

  • 9 Jules Verne, Cinq semaines en ballon, Paris, J. Hetzel, éditeur, 1863, p. 117.

Vois la marche des évènements ; considère les migrations successives des peuples, et tu arriveras à la même conclusion que moi. […] Aussi voyons-nous déjà les peuples se précipiter aux nourrissantes mamelles de l’Amérique, comme à une source non pas inépuisable, mais encore inépuisée. À son tour, ce nouveau continent se fera vieux ; ses forêts vierges tomberont sous la hache de l’industrie ; son sol s’affaiblira pour avoir trop produit ce qu’on lui aura trop demandé ; là où deux moissons s’épanouissaient chaque année, à peine une sortira-t-elle de ces terrains à bout de forces. Alors l’Afrique offrira aux races nouvelles les trésors accumulés depuis des siècles dans son sein. Ces climats fatals aux étrangers s’épureront par les assolements et les drainages ; ces eaux éparses se réuniront dans un lit commun pour former une artère navigable. Et le pays sur lequel nous planons, plus fertile, plus riche, plus vital que les autres, deviendra quelque grand royaume, où se produiront des découvertes plus étonnantes encore que la vapeur et l’électricité […]9.

14Complétée par Richard Kennedy, chasseur et ami du scientifique Fergusson, l’histoire naturelle à venir devient vision de destruction :

  • 10 Ibid.

Cela sera peut-être une fort ennuyeuse époque que celle où l’industrie absorbera tout à son profit ! À force d’inventer des machines, les hommes se feront dévorer par elles ! Je me suis toujours figuré que le dernier jour du monde sera celui où quelque immense chaudière chauffée à trois milliards d’atmosphères fera sauter notre globe10 !

  • 11 Jules Verne emprunte ainsi des passages entiers au texte de Figuier, copiés parfois à l’identique d (...)
  • 12 Pierre Macherey souligne dans sa récente lecture d’une sélection de Voyages extraordinaires la pare (...)

15Deux moments distincts construisent ici une vision du futur ambiguë. Le discours de Fergusson développe une histoire naturelle possible, à partir d’un corpus de textes de vulgarisation scientifique constituant l’assise scientifique d’un récit qui les anime11. Là où le Voyage au centre de la terre propose une relecture inverse du temps, à travers la remontée des personnages dans les strates géologiques de l’histoire, jusqu’au monde souterrain préservé, Cinq semaines en ballon emprunte une lecture inverse, projetant l’évolution vers l’avant, à partir d’un récit d’aventure géographique. Ces deux romans offrent ainsi des perspectives tendues vers le passé ou le futur, les profondeurs ou les hauteurs12. Ces développements romanesques sur la ligne du temps relèvent tous deux d’une intrication entre histoire naturelle, vulgarisation et fiction, et signalent, dans le roman, le déploiement d’un imaginaire temporel étendu. Dans l’œuvre de Verne, le regard est porté jusqu’aux confins du monde, mais aussi du temps : l’extrait cité plus haut souligne le passage d’une observation géographique, exercée depuis le ballon Victoria, à la lecture d’un futur bouleversant le monde connu. L’observateur vernien, s’incarnant ici dans les différents passagers de l’aérostat, devient apte à voir le temps, devenu intelligible. La donnée temporelle est ici discutée par les personnages, et son interprétation est divergente. Les postures, l’une optimiste, l’autre pessimiste, des deux personnages qui se font les commentateurs de ce futur possible, permettent au récit d’insister sur les variables d’interprétation de cette conjecture, et sur ses usages contradictoires.

16La seconde occurrence choisie dans le corpus est tirée d’un récit plus tardif, et lui-même tout à fait singulier dans l’œuvre de son auteur. En 1922, Rosny Aîné fait paraitre L’Étonnant Voyage de Hareton Ironcastle, récit d’une expédition dans une contrée mystérieuse à la recherche du botaniste Samuel Darnley. Au cours de cette équipée, les personnages sont confrontés à des formes de vie préhistorique, des créatures anthropomorphes contre lesquelles une guerre s’engage, et à une vie végétale supérieure, clé de l’aventure. Empruntant aux romans préhistoriques de l’auteur (on pense notamment aux étranges apparitions des Xipéhuz, paru en 1887), mais aussi à ses aventures exotiques antérieures (Les Profondeurs de Kyamo, 1896), L’Étonnant Voyage de Hareton Ironcastle condense les thèmes du sous-genre du monde perdu, largement illustré dans la seconde partie du XIXe siècle par les romans de Verne (Voyage au centre de la Terre, cité plus haut, Le Village aérien, 1901) ou de Conan Doyle (The Lost World, 1912). Dans le chapitre V, le personnage de Sidney Guthrie, colosse belliqueux fournissant ses armes à l’expédition, répond à sir Georges Farnham, qui prédit la destruction du monde qui se déploie sous les yeux des aventuriers, mêlant enthousiasme morbide suscité par la violence et pessimisme :

— Une solitude admirable… créée pour toutes les bêtes de l’Arche, dit Guthrie. Depuis combien de fois mille ans ce lac a-t-il vu passer l’immense vie que les hommes auront détruite ou soumise avant la fin du vingtième siècle ?

— Croyez-vous qu’ils la détruiront ? répondit Farnham… Si Dieu le veut. Moi, je pense qu’il ne voudra point !

— Pourquoi ? Depuis trois cents ans, ne protège-t-il pas visiblement la civilisation ? Et surtout la civilisation anglo-saxonne ? n’est-il pas écrit : « Remplissez la terre, et l’assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux des cieux, et sur toute bête qui se meut sur la terre ! »

— Mais il n’est pas écrit : « Détruisez ! » Or, nous avons effroyablement détruit, Sidney, sans miséricorde et sans discernement. L’œuvre de Dieu semble être entre les mains fragiles de l’homme… Nous n’avons plus, croit-on, qu’un geste à faire. Nous ferons ce geste. Il nous conduira à notre perte… tandis que la création libre refleurira. Voyez-vous, je ne peux pas croire que tout a pu être préservé si longtemps, jusqu’à l’Australie des marsupiaux et des ornithorynques, pour périr sous des armes humaines. Je vois distinctement l’abîme qui va s’ouvrir, je vois les nations se redissoudre en peuplades, les peuplades en tribus, les tribus en clans… En vérité, Sidney la civilisation va mourir, la vie sauvage va renaître !...

Guthrie poussa un vaste éclat de rire :

  • 13 J.-. Rosny Aîné, L’Étonnant Voyage de Hareton Ironcastle, Paris, Nouvelles Éditions Oswald, 1982, p (...)

« Je prédis, fit-il, que les usines de l’Europe et de l’Amérique fumeront sur toutes les savanes et consumeront toutes les forêts ! Toutefois, s’il en était autrement, je ne suis pas de ceux qui se répandraient en pleurs. J’accepterais la revanche des Bêtes13 ! »

17L’échange entre ces deux personnages, au même titre que celui cité plus haut, ne saurait être assimilé à un discours sur l’avenir privé de fonctionnalité romanesque : on peut l’analyser comme la marque d’une excentricité prêtée aux personnages, avatars d’explorateurs dont la figure vieillie cherche, tout au long du second XIXe siècle, à se renouveler. Pour autant, il semble essentiel de souligner que le cadre dialogique qui permet l’élaboration de ces projections permet de questionner l’usage du temps au sein même d’un récit qui thématise ses évolutions. L’enchâssement de cette interprétation dans une observation du monde contribue à asseoir la validité de cette lecture du temps, et le glissement de l’observation à la projection permet de naturaliser cette construction d’un futur menaçant.

18La récurrence du motif de la fin du monde par épuisement, et plus précisément comme conséquence de l’action humaine, sanction d’une hybris industrielle triomphante, permet de souligner l’imbrication de l’exotisme, des outils de défamiliarisation exploités par la fiction, et d’un discours sur le futur. Ces deux extraits possèdent donc une thématique commune, et ils la convoquent dans une structure romanesque similaire : le roman d’aventure, et plus précisément la description d’un paysage fictif auquel est prêté une série de propriétés paradigmatiques d’un exotisme « naturaliste », attaché aux formes et aux spectacles de l’histoire naturelle où à leurs extrapolations merveilleuses.

Anticipation et rétrospection dans L’Éternel Adam et La Mort de la Terre

19Cette plasticité du temps et la variété de ses usages narratifs et symboliques permettent de lier les textes précédemment analysés à deux récits d’anticipation publiés en 1910 : La Mort de la Terre, de Rosny Aîné, et L’Éternel Adam, nouvelle publiée par Michel Verne sous le nom de son père, dans le recueil Hier et demain. L’énonciation, l’intrigue romanesque et la construction du récit sont radicalement différentes des récits d’aventure évoqués plus haut. Pourtant, c’est une perspective similaire d’effondrement qui se déploie dans les deux textes.

  • 14 La lutte entre espèces nouvelles et la race humaine constitue un thème récurrent dans l’œuvre de Ro (...)

20La Mort de la Terre se déroule dans un futur lointain, où l’eau sur la planète a quasiment disparu. Les groupes humains survivent autour de rares points d’eau, menacés de disparition par des tremblements de terre, et par la forte croissante d’une nouvelle race, celle des ferro-magnétaux, créatures à la fois organiques et minérales, dont la suprématie se dessinera à la fin du récit14. Le voyage de Targ vers des contrées moins désertiques permet au récit de raconter le déroulement de cette « mort de la Terre » dont les scènes finales sont narrées à travers le parcours du personnage. Le chapitre 2 revient ainsi sur les premiers signes de cet épuisement, dans un récit rétrospectif qui réitère les thèmes de l’hybris industrielle et scientifique prêtée aux contemporains de la publication du texte :

  • 15 J.-H. Rosny Aîné, La Mort de la terre et autres contes, Paris, BNF Éditions, coll. « Les Orpailleur (...)

Depuis cinq cents siècles, les hommes n’occupaient plus, sur la planète, que des îlots dérisoires. L’ombre de la déchéance avait de loin précédé les catastrophes. À des époques fort anciennes, aux premiers siècles de l’ère radioactive, on signale déjà la décroissance des eaux : maints savants prédisent que l’humanité périra par la sécheresse. Mais quel effet ces prédictions pouvaient-elles produire sur des peuples qui voyaient des glaciers couvrir leurs montagnes, des rivières sans nombre arroser leurs sites, d’immenses mers battre leur continent ? Pourtant, l’eau décroissait lentement, sûrement, absorbée par la terre et volatilisée dans le firmament. Puis, vinrent les catastrophes15.

21S’ouvre avec cet extrait une séquence retraçant l’histoire du globe après notre ère, décrivant les cataclysmes remaniant la surface, les extinctions massives et l’adaptation maladroite de l’homme à cette « revanche » des éléments minéraux. Dans le dispositif énonciatif du roman, le désastre se raconte au passé, sa survenue est actée et ses conséquences donnent forme au présent de l’énonciation. Là encore, l’énonciation fait signe vers un avertissement : les contemporains de la publication du texte sont représentés à travers ces peuples confiants dans le futur, et deviennent, par le jeu de la rétrospection, ignorants du désastre à venir. Cette mise en scène d’un récit du temps long rejoue une évolution dont l’orientation est ici résolument pessimiste. On retrouve, dans le chapitre XVI, une rêverie similaire à celle d’Axel dans le Voyage au centre de la Terre, au point qu’on peut la lire comme une réécriture de la séquence évoquée dans la première partie de cette étude. Le personnage principal du récit y est assis sur une roche, et médite sur le déroulement long du temps, devenant spectateur des bouleversements inscrits dans l’histoire de la Terre, puis des catastrophes annoncées par le règne des hommes :

Et il n’y avait plus qu’un seul homme sur la Terre.

Assis sur un bloc de porphyre, il demeura enseveli dans sa tristesse et dans son rêve. Il refaisait, une fois encore, le grand voyage vers l’amont des temps, qui avait si ardemment exalté son âme… Et d’abord, il revit la mer primitive, tiède encore, où la vie foisonnait, inconsciente et insensible. Puis vinrent les créatures aveugles et sourdes, extraordinaires d’énergie et d’une fécondité sans bornes […].

Puis, la planète laissa prospérer l’homme : son règne fut le plus féroce, le plus puissant – et le dernier. Il fut le destructeur prodigieux de la vie. Les forêts moururent et leurs hôtes sans nombre, toute bête fut exterminée ou avilie. Et il y eut un temps où les énergies subtiles et les minéraux obscurs semblèrent eux-mêmes esclaves ; le vainqueur capta jusqu’à la force mystérieuse qui a assemblé les atomes.

  • 16 Ibid., p. 106-107.

— Cette frénésie même annonçait la mort de la Terre… la mort de la Terre pour notre règne ! murmura doucement Targ16.

22La continuité établie par le récit entre les profondeurs du temps et la survenue des catastrophes inscrit cette conjecture pessimiste dans le domaine du plausible, à travers la narrativité du temps elle-même. En faisant le récit de l’histoire du monde, la fiction établit la vraisemblance de l’anticipation par la rétrospection temporelle. L’anticipation catastrophiste emprunte ici ses outils narratifs au récit du temps long, dont on a analysé précédemment les usages dans la fiction romanesque. L’énonciation spécifique de ce récit joue pleinement de cette plasticité du temps.

23L’anticipation s’illustre également dans une œuvre tardive de Jules Verne, reprise et complétée par son fils, et publiée dans le recueil Hier et demain, en 1910. L’Éternel Adam met en scène les recherches du « zartog Sofr-Aï-Sr », déchiffrant les documents ayant survécu à la disparition de la civilisation, retraçant la vie des hommes près de 20 000 ans avant le temps de l’énonciation du récit. Doutant de la haute antiquité des représentants de son espèce, le zartog découvre ainsi le récit de la survie d’un petit groupe d’hommes, relatant le cataclysme ayant mis fin à la suprématie de ces « premiers » hommes.

24Le récit dresse un parallèle édifiant entre la confiance dans la civilisation dont fait preuve le zartog, et celle qui s’illustre dans la conversation entre les différents convives de la villa de Rosario, images des contemporains de la publication du texte, quelques instants avant la catastrophe. On suit ainsi les doutes du zartog sur le passé :

Admettre que d’autres hommes, séparés de leurs successeurs par un abîme de vingt mille ans, eussent une première fois peuplé la terre, c’était, à son estime, pure folie. D’où seraient venus, dans ce cas, ces descendants d’ancêtres depuis si longtemps disparus et auxquels nul lien ne les rattachait ? […]

  • 17 Jules Verne, « L’Éternel Adam » in Hier et demain, Paris, Librairie Générale Française, Livre de Po (...)

La vie planétaire se divise en deux phases : avant l’homme, depuis l’homme. […] L’homme, à peine apparu sur terre, commence aussitôt et poursuit sans arrêt son ascension. D’une marche lente mais sûre, il s’achemine vers sa fin, qui est la connaissance parfaite et la domination absolue de l’univers17.

25Le caractère précaire de la civilisation et du progrès, objet d’une inquiétude lancinante dans le récit, contraste avec le « dithyrambe » orgueilleux dessiné tantôt par les convictions du zartog, tantôt par les éloges de la technique formulés par les convives de la villa de Rosario, que le texte retranscrit ainsi :

Bref, ce fut un vrai dithyrambe, dans lequel je fis ma partie, je l’avoue. On s’accorda sur ce point que l’humanité avait atteint un niveau intellectuel inconnu avant notre époque, et qui autorisait à croire à sa victoire définitive sur la nature.

  • 18 Ibid., p. 234.

« Cependant, fit de sa petite voix futée le président Mendoza, profitant de l’instant de silence qui suivit cette conclusion finale, je me suis laissé dire que des peuples, aujourd’hui disparus sans laisser la moindre trace, étaient déjà parvenus à une civilisation égale ou analogue à la nôtre18. […] »

  • 19 Avant de pouvoir désigner une série de projections sur le futur, la théorie du catastrophisme relèv (...)

26Ironie du sort, c’est un cataclysme global qui engloutit la villa, interrompant ce dialogue sur le triomphe de l’homme sur la nature. L’Éternel Adam construit une appréhension cyclique du temps, qui n’est pas sans rappeler la théorie du catastrophisme, dont les positions s’opposent aux premiers transformismes, dans les premières décennies du XIXe siècle19 : la civilisation atteint ici périodiquement un sommet avant de s’écrouler, perpétuant un cycle de recommencement.

27À travers une variété de points d’énonciation, les textes analysés ici exploitent le récit d’anticipation pour mettre en scène, et en doute, la domination des hommes sur la terre. Le temps est ici représenté comme une donnée matérielle : déployé à partir d’un paysage étrange, inscrit à l’état de traces dans le sol, déchiffré dans un document archéologique surnageant d’une époque disparue. En dépit de son caractère pluriel, on peut dégager de ce corpus une vision volontiers décrite comme pessimiste, déroulant la possibilité d’une catastrophe, qui apparaît tantôt comme le cataclysme frappant de manière cyclique la civilisation, tantôt comme la conséquence d’une activité humaine dévorante. Dans les deux cas, c’est bien une sanction qui frappe l’homme qui, dans sa foi dans le progrès, se projette avec orgueil dans l’espace et le temps. La persistance de ce thème chez les deux auteurs s’observe des années 1860 à la décennie 1920, signalant la richesse narrative de cet usage du temps et la fascination entretenue à l’égard de la possibilité du cataclysme.

28À terme, c’est la plasticité du temps comme outil narratif qui se dégage de ce rapprochement entre récits rétrospectifs et futuristes. Le temps, dans son extension immense, nouvellement investie par la fiction à partir des années 1860, permet de construire de nouveaux chronotopes, et d’établir, en jouant de l’énonciation des récits, une variété de discours sur son déroulement, d’interprétations de son sens. Le catastrophisme qui se dégage du corpus se construit dans un contact étroit entre rétrospection et anticipation, projetant ainsi les traces de ruptures observables dans une histoire géologique vers un futur lointain, soulignant à la fois la fragilité de l’entreprise humaine et l’extension de sa capacité d’observation, joignant, d’un regard inquiet, les débuts et la fin du temps.

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Notes

1 La notion de « temps profond » (« deep time ») a été forgée par John McPhee pour définir le temps géologique – celui de la terre ou d’une planète en général.

2 Jules Hetzel, « Avertissement de l’éditeur » in Jules Verne, Aventures du Capitaine Hatteras, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 2005, p. 27.

3 Jules Verne, Voyage au centre de la terre et autres romans, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2016, pp. 182-183.

4 Rosny Aîné, « Les Xipéhuz » in Récits de science-fiction, Verviers, Marabout, 1975, p. 105.

5 Ibid., p. 111.

6 Les récits situés dans le passé ne sont pas les seuls à démontrer cet usage de la conjecture naturaliste. Le thème de l’évolution parallèle est prégnant dans plusieurs textes de Rosny, relevant notamment du genre du monde perdu. L’Étonnant voyage de Hareton Ironcastle donne ainsi pour cadre à son intrigue une « terre fantastique » dont l’évolution est parallèle : « L’Australie n’est, après tout, qu’un vestige des anciens âges. La contrée de Samuel semble aussi avancée que l’Europe ou l’Asie, peut-être davantage, dans l’évolution générale… Elle a pris une autre voie. »  Le voyage, et les topoï de l’exotisme, apparaissent comme des occasions de mettre en scène la plasticité du récit de l’évolution, et inscrivent les projections catastrophistes citées plus haut dans la conjecture de l’histoire naturelle. Voir Rosny Aîné, L’Étonnant voyage de Hareton Ironcastle, Paris, Nouvelles Editions Oswald, 1982, p. 10.

7 Rosny Aîné, « Les Xipéhuz », ibid., p. 125.

8 On pense notamment à l’ouvrage de Camille Flammarion La Fin du Monde, paru en 1894. Il faut noter que l’on trouve dans le travail de l’astronome une proximité entre fiction et vulgarisation, dans un récit orienté vers un public non savant. Cette combinaison se lit également chez les auteurs étudiés ici, dénotant un travail d’élaboration d’une fin du monde plausible, oscillant entre le spectacle romanesque et la vulgarisation.

9 Jules Verne, Cinq semaines en ballon, Paris, J. Hetzel, éditeur, 1863, p. 117.

10 Ibid.

11 Jules Verne emprunte ainsi des passages entiers au texte de Figuier, copiés parfois à l’identique depuis le volume du vulgarisateur (Jules Verne, Voyage au centre de la Terre et autres romans, édition de Jean-Luc Steinmetz, Jacques-Remi Dahan, Marie-Hélène Huet et Henri Scepi, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2016, p. 1134 et 1164). La parenté entre le texte de Figuier et celui de Verne s’accentue encore avec la comparaison de leurs illustrations, confiées à Édouard Riou, qui fait passer les motifs de ses gravures d’un texte à l’autre.

12 Pierre Macherey souligne dans sa récente lecture d’une sélection de Voyages extraordinaires la parenté spatiale qui unit les deux volumes, l’un aérien, l’autre souterrain, qui ouvrent la série. Voir les chapitres 2 et 4 de En lisant Jules Verne, Caen, De l’incidence éditeur, 2018.

13 J.-. Rosny Aîné, L’Étonnant Voyage de Hareton Ironcastle, Paris, Nouvelles Éditions Oswald, 1982, p. 72.

14 La lutte entre espèces nouvelles et la race humaine constitue un thème récurrent dans l’œuvre de Rosny Aîné : cette guerre raciale à l’issue incertaine rejoue la violence de l’évolution, opposant les hommes aux Goura Zanka dans L’Étonnant Voyage de Hareton Ironcastle, aux Xipéhuz dans le roman éponyme, et, dans une mise en forme bien plus pessimiste, aux ferro-magnétaux dans La Mort de la Terre.

15 J.-H. Rosny Aîné, La Mort de la terre et autres contes, Paris, BNF Éditions, coll. « Les Orpailleurs », 2018, p. 30.

16 Ibid., p. 106-107.

17 Jules Verne, « L’Éternel Adam » in Hier et demain, Paris, Librairie Générale Française, Livre de Poche, 1967, pp. 224-225.

18 Ibid., p. 234.

19 Avant de pouvoir désigner une série de projections sur le futur, la théorie du catastrophisme relève de l’histoire naturelle, et oppose aux premiers évolutionnismes, défendus notamment à travers le transformisme chez Lamarck, une lecture de l’histoire du globe ponctuée par des cataclysmes, dont l’archive fossile garde trace, et qui explique la disparition des espèces. Cuvier est un des tenants les plus célèbres de cette lecture.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Paule Faggianelli, « Usages de la conjecture naturaliste chez Jules Verne et Rosny Aîné : origines, fin des temps et règnes parallèles. »Belphégor [En ligne], 21-1 | 2023, mis en ligne le 02 mai 2023, consulté le 19 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/belphegor/5221 ; DOI : https://doi.org/10.4000/belphegor.5221

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Auteur

Paule Faggianelli

Paule Faggianelli est docteure en littérature comparée, et s’intéresse aux liens entre les formes littéraires du second XIXe siècle et du début du XXe siècle et l’histoire des empire coloniaux. Elle a soutenu en 2022, à l’Université Paris Nanterre, une thèse portant sur les usages de l’exotisme dans les littératures métropolitaines françaises, belges et britanniques, dirigée par Jean-Marc Moura. Ses recherches actuelles portent sur la circulation des objets issus des colonies dans les métropoles impériales, et leur représentation dans le roman.

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