• 1 Tillier et Zouache 2014, « In memoriam : Thierry Bianquis (1935‑2014) », BEO 63, p. 7‑11 (nécrologi (...)
• 2 Mahfoudh et Chapoutot Remadi 2015, « In memoriam : Thierry Bianquis (1935‑2014), Al‑Qanṭara 36‑1, p (...)
• 3 Bearman 2015, « In memoriam : Thierry Bianquis (1935‑2014) », Al‑ʿUsur al‑wusta 23, p. 160‑163.

1Thierry Bianquis est décédé en septembre 2014 à Lyon. Il avait enseigné l’histoire du Moyen Âge musulman à l’Université Lyon 2 à partir de 1984, comme assistant et maître de conférences puis, après 1991, comme professeur d’histoire et de civilisation du monde arabe, jusqu’à sa retraite en 2000. Plusieurs nécrologies lui ont été consacrées. En particulier, celle de deux chercheurs parmi ses anciens doctorants, Mathieu Tillier et Abbès Zouache, qui rappelèrent, dans le Bulletin d’Études Orientales, à quel point son enseignement et sa personnalité les avaient marqués ; ils y ont également établi sa bibliographie 1. Deux collègues tunisiens, Faouzi Mahfoudh et Mounira Chapoutot Remadi ont, quant à eux, témoigné, dans la revue espagnole Al‑Qanṭara, de son rayonnement auprès des chercheurs des deux rives de la Méditerranée 2. Enfin, Peri Bearman est revenue, dans la revue américaine Al‑ʿUsur al‑wusta, sur sa rigueur intellectuelle et ses qualités humaines 3.

• 4 Voir par exemple Kouraïchi Salma 1999, « Analyse du décor d’une collection de pierres tombales cons (...)

3Les responsabilités administratives qu’il assume en tant que directeur de l’IFEAD ne l’empêchent pas de poursuivre la rédaction de sa thèse de doctorat d’État sur Damas et la Syrie à l’époque fatimide (359‑468/969‑1076). Dirigée par Claude Cahen, elle est soutenue en 1984 et éditée à l’IFEAD en 1986‑1989. C’est sur cette expérience à la fois solide et étendue que s’appuiera la suite de sa carrière à l’université, où il s’attache à donner à ses étudiants le goût de l’histoire d’un monde musulman qu’il est loin de limiter au domaine arabe. Un aspect moins connu de son activité touche à l’appréhension des données matérielles dans leur dimension artistique. En témoignent par exemple des cours d’histoire de l’art donnés pendant plusieurs années à l’université Lyon 2, ainsi que les maîtrises et thèses qu’il dirige, par exemple sur les fonds d’objets céramiques du musée des Beaux‑Arts de Lyon ou sur les stèles ottomanes de Tunisie 4.

• 5 Bianquis 1985‑1986, BEO 37‑38, p. 7‑21.
• 6 Bearman 2015.

4C’est cependant en priorité son intense fréquentation et sa connaissance approfondie des textes du Moyen Âge syro-égyptien qui font de lui un grand chercheur. On pense évidemment à ses travaux sur les Fatimides, mais aussi à ceux qui s’attachent, plus largement, à comprendre les dynamiques politiques, sociales et culturelles qui avaient présidé à l’évolution du monde arabe et musulman médiéval. Entre bien d’autres, retenons son « Derrière qui prieras‑tu vendredi ? Réflexions sur les espaces publics et privés dans la ville médiévale » 5, fondamental pour la compréhension des relations entre la population et le pouvoir et la question de la légitimité de ceux qui le détiennent. Soulignons, aussi, qu’il participe pleinement aux recherches sur les changements profonds qu’apporte aux relations entre le pouvoir et les sociétés arabes du Proche‑Orient médiéval l’irruption de l’élément militaire turc. Rappelons, enfin, qu’il œuvre sans relâche à une tâche d’une très grande utilité scientifique et pédagogique, mais relativement peu gratifiante dans son université : entre 1997 et 2005, une grande partie de ses préoccupations et de son temps est occupée par la direction de la seconde édition française de l’Encyclopédie de l’Islam. Le lourd investissement personnel que cela représentait, compte tenu aussi de problèmes de santé anciens qui s’aggravaient, ne lui permit pas de mener à bien des projets antérieurs qui lui tenaient à cœur. Coûte que coûte, il considérait comme une mission d’assurer une présence française et francophone dans l’achèvement de cette seconde édition, sachant que la troisième annoncée n’aurait plus qu’une version anglaise. Peri Bearman, qui participait au comité éditorial, souligne avec beaucoup d’émotion la générosité avec laquelle, avec son épouse Anne‑Marie, qui partageait pleinement sa passion pour la Syrie, ils tinrent à en inviter plusieurs fois les membres dans leur maison familiale de Tournus 6.

• 7 Bianquis Thierry, Guichard Pierre et Tillier Mathieu (dir.) 2012, Les débuts du monde musulman (vii(...)
• 8 Mantran Robert 2001, L’expansion musulmane. vii^e‑xi^e siècle. Presses Universitaires de France. Manu (...)
• 9 Garcin Jean‑Claude (dir.) 1995‑2000, États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval, x^e‑xv^e(...)

5Après 2005, il met la même détermination dans la réalisation du volume de la Nouvelle Clio consacré aux Débuts de l’islam, paru en 2012 aux PUF 7, qu’il a véritablement conçu et voulu, pour remplacer l’ouvrage de Robert Mantran quelque peu vieilli 8 et compléter la série des volumes dirigés par Jean‑Claude Garcin consacrés aux siècles suivants, auxquels il avait contribué 9. Il avait tous les contacts et l’autorité pour le faire et en fut le principal architecte et maître d’œuvre, s’épuisant en particulier à la mise au point d’un index que l’éditeur ne parvenait pas à réaliser de façon satisfaisante en raison des problèmes de transcriptions. Cette dernière œuvre, à laquelle il a consacré toutes ses forces, est vraiment significative de la volonté déjà indiquée, et qu’il a toujours eue, d’associer le souci pédagogique à la recherche. Il voulait mettre au service des étudiants et des enseignants, dans un format maniable, les progrès récents d’une science que l’on n’aime plus trop appeler « orientaliste ». Parler d’histoire arabisante serait cependant réducteur, car il a toujours eu l’ambition de ne pas se limiter à la connaissance du domaine linguistique arabe. D’ailleurs, il rêva un temps de faire créer à Lyon des enseignements portant sur les islams de l’Extrême-Orient musulman. Ce dernier ouvrage porte très fortement sa marque. Il aurait souhaité deux volumes ; l’éditeur ne lui en ayant accordé qu’un, il tint, en assumant le sacrifice que cela représentait du point de vue de l’histoire factuelle des premiers siècles de l’islam, à consacrer plus de place que l’on aurait peut‑être pu attendre à un tableau détaillé des croyances religieuses de l’Orient préislamique, dans l’espoir de mieux contextualiser la nouvelle foi dans ses origines. Son ambition était aussi d’associer au manuel papier un site internet, annoncé en début de livre, mais que, lui disparu, personne n’aurait le courage de gérer.