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Thématisme et axiologie : Bergson, Ruyer

Thiago Ribeiro de Magalhães Leite

Résumés

Il s’agit de présenter un important article de Raymond Ruyer, publié en 1959, dans lequel l’auteur traite de l’instinct et de la théorie du thématisme chez Bergson, en considérant le cas du « Sphex », une espèce de guêpe qui paralyse les chenilles pour pondre leurs œufs en elles. Le thématisme, pour Bergson, vient définir une notion profonde du fonctionnement de l’instinct et se présente comme un point réel et non mécanique devant lequel s’exécutent les différentes variations du comportement. Avec la théorie du thème et de la variation, Bergson propose, on le sait, une interprétation par sympathie, prenant « guêpe et chenille » comme deux activités. En reprenant la thèse de Bergson, Ruyer considère que le comportement animal n’est donc pas simplement un mécanisme précisément et aveuglément enchaîné ; l’instinct est création et guidage par rapport à des thèmes qui « survolent » les activités. L’article de Ruyer a le mérite d’examiner la notion d’instinct comme savoir-faire et de discuter des références utilisées par Bergson. En le défendant contre les accusations d’utilisation du cas Sphex, Ruyer développe des considérations importantes sur la théorie de l’instinct et du thématisme et, considérant les problèmes chers au bergsonisme, il rend surtout hommage au philosophe de l’évolution créatrice.

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Texte intégral

La théorie des thèmes

1La théorie du thématisme exposée par Bergson dans le troisième chapitre de L’Évolution créatrice, a le mérite d’avoir proposé une explication philosophique à un phénomène intrigant pour la connaissance : l’activité instinctive telle que la prédation chez les insectes. Mais surtout pour en déduire un élément d’orientation, de guide, de direction, dans les domaines de l’activité instinctive (l’insecte se guide par un thème instinctif, il n’est pas guidé par le thème), cette théorie inaugure les moyens par lesquels l’unité spirituelle, qu’elle soit de l’élan vital ou de la conscience, se manifeste dans ses articulations avec la matière, le corps, et l’action.

2L’étude comparative chez les insectes montre, dit Bergson, que la complexité de l’instinct ne s’attache pas à un plus ou moins grand nombre d’éléments ajoutés. L’insecte n’apprend pas par erreurs, il ne garde pas avec lui la formule du succès, ajoutant de nouvelles découvertes réussies grâce à l’utilisation de ses instruments organiques. Le comportement ne se transmet pas par hérédité et ne s’enseigne pas à ses descendants. Nous nous trouvons, dit Bergson, « devant un certain thème musical qui se serait d’abord transposé lui-même, tout entier, dans un certain nombre de tons, et sur lequel, tout entier aussi, se seraient exécutées ensuite des variations diverses, les unes très simples, les autres infiniment savantes » (Bergson 2021, 173). Bergson introduit ainsi le thématisme, en considérant l’action avant l’organisation du corps et l’hérédité des éléments constitutifs.

3Ce que l’on suppose toujours, c’est que l’évolution se fait par une complexité croissante, et que l’évolution signifie toujours passer du moins différencié au plus différencié, en établissant un ordre de filiation. À l’idée d’une échelle filiative, où les dispositifs instinctifs seraient organisés dans un ordre ascendant, Bergson oppose l’image d’une circonférence

des divers points de laquelle ces différentes variétés seraient parties, toutes regardant le même centre, toutes faisant effort dans cette direction, mais chacune d’elles ne s’en rapprochant que dans la mesure de ses moyens, dans la mesure aussi où s’éclairait pour elle le point central (Bergson 2021, 172).

4Or, nous devons comprendre que l’instinct n’est pas une force dont la direction est constante et uniforme. Il varie et se présente à différents degrés de complication : « il y a bien des degrés de perfection dans le même instinct » (Bergson 2021, 167). Si l’instinct n’est pas constant, c’est le thème qui surgit parmi les variations, ce qui est pour Bergson quelque chose dont la constance n’en est pas moins manifeste. L’insecte, la cellule et ce qu’il connaît sont ensemble un thème.

5Raymond Ruyer, en étudiant spécifiquement le problème de l’instinct, affirme qu’il y a d’innombrables exemples en faveur de la thèse de Bergson : « utilisation diverses de fils par les diverses espèces d’araignées ; types de parade chez les oiseaux ; types de camouflage ou de parasitisme chez les crabes ; thème du « brandissement des pinces » chez les vingt-sept espèces de crabes Uca de Panama ; thème « danse de courtisation » chez les diverses Épinoches » (Ruyer 1959, 164). Le thématisme, couvre ainsi une diversité de situations, de comportements, de phénomènes, et montre une « racine », comme en linguistique.

6Avec le thématisme, Bergson cherche avant tout à donner plus de consistance à l’hypothèse de l’élan vital, mais il indique aussi de nouvelles voies de recherche. Ruyer, en ce sens, a su attraper la flèche de Bergson et a vu dans le thématisme bergsonien la possibilité d’un approfondissement qui, comme il le démontre bien, met précisément en évidence le rôle d’orientation attribué aux thèmes : « effort dans cette direction » (Bergson 1911, 186). La direction exprime un sens, un sens au-delà de la chaîne mécanique, sens qui est conscience et activité métaphysique. On verra ensuite comment le sens indique une notion de l’axiologie, liée au processus vital de formation et de l’action.

Ruyer et Bergson

7Observons les dates : après Esquisse d’une philosophie de la structure (1930) et La Conscience et le corps (1937), Ruyer élabore Éléments de psycho-biologie (1946) et en 1948, il publie Le Monde des valeurs. Il présente déjà le concept de thème en relation avec l’activité biologique dans L’Action à distance d’après la science contemporaine, paru en 1951, où le thématisme contribue à expliquer la « télépathie ». En 1952, Ruyer publie son Néo-finalisme, en présentant son concept de « cogito axiologique »; en 1952 il publie également Philosophie de la valeur. En 1958, est paru La Genèse des formes vivantes. Et, finalement, en 1959, est publié son article sur le Sphex, où il reprend le concept de thématisme dans le cadre de L’Évolution créatrice de Bergson.

  • 1 Il est curieux de mentionner un tel « Sphex ammophile », nom qui sera utilisé dans le titre de l’ar (...)

8On peut noter le double intérêt de Ruyer pour la biologie et l’axiologie. S’il est vrai que Ruyer, dans son œuvre philosophique, se dévoue « à réfuter la théorie bergsonienne de la perception et à dépasser la résolution proposée au problème corps/esprit sur sa base dans Matière et mémoire » (Posteraro & Roffe 2019, 126), l’article « Bergson et le Sphex ammophile » est donc vraiment singulier.1 Cet article « révèle une affinité entre Bergson et Ruyer sur la question de la vie, et situe leur désaccord sur la théorie de la perception dans ce contexte » (Posteraro & Roffe 2019, 126). D’autre part, Philippe Gagnon souligne que « l’optimisme ontologique de Bergson, son sens d’une cosmologie en marche jusqu’à Dieu sera ici aussi présent, et il fera de Ruyer le seul à entonner cet hymne après la Seconde Guerre, à un moment où Bergson connaît une éclipse » (Gagnon 2016, 468). Nous affirmons que cette affinité et cette chanson mènent Ruyer à l’élaboration d’une nouvelle notion de l’axiologie, qui doit à la philosophie bergsonienne ses sources profondes.

  • 2 Le premier chapitre du Néofinalisme présente le « cogito axiologique », c’est-à-dire la substitutio (...)

9Or, la façon dont l’étude de la valeur s’articule avec le thématisme et la biologie en général, ne peut être qu’indiquée dans le cadre de cet article. Il s’agit en vérité de suggérer que cette connexion axiologique est présente chez Bergson. En tout cas, il reste que Bergson, avec le thématisme, peut ouvrir un champ d’étude qui — selon Ruyer — est axiologique.2 Bergson ouvre la voie à l’étude de l’existence du vivant comme activité orientée.

  • 3 Nous ne savons pas à quelles critiques Ruyer fait référence ; nous ne savons pas où ni qui a formul (...)

10Publié en 1959 dans la Revue de métaphysique et de morale, l’article de Raymond Ruyer intitulé Bergson et le Sphex ammophile présente une défense de Bergson contre des accusations très injustes : « Bergson a été victime, sur la question de l’instinct, d’un véritable mauvais tour » (Ruyer 1959, 163). Le point de désaccord est précisément le cas du Sphex, une guêpe « qui donne neuf coups d’aiguillon successifs à neuf centres nerveux de sa chenille, et enfin, lui happe la tête, et la mâchonne, juste assez pour déterminer la paralysie sans la mort ». Ce fait surprenant de la relation entre insectes, Bergson l’utilise parmi d’autres, pour soutenir sa théorie de l’instinct. Il cite le naturaliste Jean-Henri Casimir Fabre qui a donné une interprétation perfectionniste à l’instinct, en embellissant les données pour renforcer son hypothèse. Mais, à l’époque, le couple Peckham a cherché à relativiser la thèse de Fabre sur la perfection de l’instinct, changement que beaucoup ont considéré comme une preuve contre la théorie de Bergson. Ruyer nous dit que, pour les critiques, puisque Fabre s’est trompé sur les guêpes, Bergson a dû se tromper sur l’instinct à son tour.3

11Fabre, en mettant l’accent sur l’apparence de précision, de sophistication et de connaissance, rend difficile la recherche d’une explication qui rendrait compte de l’aspect principal de l’activité instinctive, à savoir la variation d’exécution chez un même individu et la variation d’un même instinct. Les Peckham, au contraire, vérifient que les instincts des guêpes semblent adaptés et affirment que la variabilité est un élément indispensable à toute explication évolutive. L’inflexibilité mécanique présupposée dans l’activité instinctive, affirmée avec force par Fabre, est remise en cause dans la mesure où des expériences attestent de la possibilité d’échec et d’improvisation dans l’activité instinctive de la guêpe.

12Après avoir pris connaissance de la revue des Peckham, Fabre a insisté sur la cohérence sophistiquée de l’instinct, en soulignant, pourtant, l’exécution parfois défectueuse et erronée. Les Peckham s’accrochent au problème de la variabilité et soutiennent que cette sophistication s’est construite au cours de l’évolution. Cependant, Bergson accepte les données et les faits recueillis par leurs expériences. Il fait appel aux corrections apportées par les Peckham à l’histoire de Fabre. L’extrait suivant, par exemple, fait référence aux travaux de Peckham, Wasps, Solidary and Social : « Sans doute, il s’en faut que l’opération soit toujours exécutée parfaitement. On a montré, dans ces derniers temps, qu’il arrive au Sphex ammophile de tuer la Chenille au lieu de la paralyser, que parfois aussi il ne la paralyse qu’ à moitié » (Bergson 2021, 174). Et il déclare cependant que « parce que l’instinct est faillible comme l’intelligence, parce qu’il est susceptible, lui aussi, de présenter des écarts individuels, il ne s’ensuit pas du tout que l’instinct du Sphex ait été acquis, comme on l’a prétendu, par des tâtonnements intelligents » (Bergson 2021, 174). L’article de Ruyer commence ainsi par affirmer que même si Bergson est clair en disant que l’opération de la guêpe n’est pas toujours parfaitement exécutée, et considérant aussi que le cas du Sphex ne soit pas l’unique fait, l’impression selon laquelle les observations de Peckham démolissaient les fondements de la théorie de Bergson, selon Ruyer, a subsisté. Puisque la critique de Peckham a fini par établir que Fabre se trompait, Bergson devait également se tromper sur l’instinct, puisque sa source principale avait été réfutée.

13En entrant dans le débat, Ruyer vise à la fois à défendre Bergson contre des accusations injustes, ainsi qu’à attester son adhésion au thématisme bergsonien. En défendant Bergson, Ruyer nous montre la source de ses réflexions sur l’élément axiologique en biologie et rend hommage au philosophe de la durée.

14Les thèmes instinctifs impliquent des variations et constituent la « racine » de comportements similaires chez différentes espèces. Ils sont distincts des protocoles comportementaux. Bergson utilise le thème dans le sens d’un thème musical sur lequel plusieurs variations sont exécutées. Le même thème peut être adapté par différents organismes avec différents instruments. Il peut varier en fonction du support organique et être réalisé plus ou moins parfaitement. Le thème a une existence virtuelle idéale qui ne peut être compris que dans les cas et les variantes dans lesquels il est exécuté. Mais dans tous les cas, l’élément essentiel du thème est qu’il donne un sens et une direction au comportement, il sert de guide, il semble survoler les activités. Sur ce point, Ruyer a élaboré des profondes réflexions.

15Il s’agit, pour Ruyer, d’affirmer en premier lieu la démarche bergsonienne, c’est-à-dire, qu’à ce stade, l’ensemble des thèmes renvoie à l’unité du concept clé de l’élan vital (ou conscience) qui explique deux points de l’évolution créatrice :
1. D’abord, la notion d’instinct comme connaissance, savoir-faire, ou en termes bergsoniens, une sympathie. De telles idées donnent corps à la théorie des thèmes.
2. Deuxièmement, la coïncidence entre la formation embryonnaire et le comportement instinctif en tant que processus vitaux, qui montre qu’il y a déjà, dans la formation des organes, l’exercice d’une connaissance instinctive.

16Conçue comme un domaine de conscience, « l’unité vitale » de l’élan est l’origine commune de toutes les espèces, de tous les instincts formateurs et de tous les instincts comportementaux. La conscience vitale est formulée en tant que connaissance, savoir non intellectuel, savoir non perceptif des thèmes.

17Ainsi, l’insecte sait non seulement comment paralyser sa proie, mais il sait aussi à quoi sert son aiguillon, et il n’a pas besoin de percevoir, distinguer, classer. Il n’a pas d’information sur l’objet extérieur pour entreprendre l’action. Il exécute une variation orientée par un thème. Les deux, proie comme chasseur, sont complémentaires du point de vue sympathique, sont deux activités, et entre leurs apparente solitude il y a une correspondance spontanée, qui est la divergence complémentaire de l’unité vitale et la forme idéale du thème. Ainsi, en suivant Ruyer, l’essentiel « n’est pas dans la réflexivité [de la conscience] et dans le ‘je’, il est dans la capacité à se guider selon un thème d’action ou de comportement » (Colonna 2013, p. 40)

18Les thèmes indiquent la solidarité entre les formes vivantes et leur action sans distance. La connaissance que la guêpe a de l’organisme de la chenille est une connaissance d’une unité vitale, comme si les structures des organismes formaient un puzzle thématique, s’emboîtant selon les besoins découlant de leur propre individuation. Pourtant, la complexité du comportement du Sphex a souvent conduit les scientifiques à l’idée de traduire les connaissances de la guêpe en termes d’intelligence et d’assimiler ainsi Sphex au biologiste qui connaît la chenille de l’extérieur.

19La connaissance scientifique, fondée sur une approche extérieure de son objet, ne pourra pas reconnaître les activités instinctives comme des connaissances-sympathiques et cherchera à expliquer l’attaque habile de la guêpe par des « hormones » d’une part, ou par des mécanismes innés de déclenchement d’autre part. Mais, si le Sphex paralyse le grillon c’est qu’il sait le faire. Il ne s’agit pas de dire que le Sphex sait mécaniquement le faire. Il ne s’agit pas non plus d’une question de pouvoir-faire des centres nerveux de l’insecte. Ruyer ajoute :

La sensibilisation hormonale interne évoque un comportement de recherche à demi-orientée, contrepartie observable d’une inquiétude, d’un pressentiment anxieux. Le stimulus, ou plutôt l’objet extérieur mettant fin au comportement de recherche, n’est pas un déclencheur mécanique, une clé de forme précise qui correspondrait à un automate à serrure, c’est un objet ou une situation correspondant à une certaine ‘gnosie’ instinctive, c’est à dire, à une connaissance ou à une capacité de re-connaissance. (Ruyer 1959, 167).

20Une phase de recherche, stimulée par les hormones, est parallèle à une phase d’exercice d’une connaissance non perceptive qui est pure activité thématique.

21S’éloignant d’une conception mécanique qui déclencherait des réactions automatiques et aveugles, Bergson, selon Ruyer, évoque une connaissance, illustrée par exemple, par des expériences de leurres et de simulacres, où seule une partie d’une situation stimulante est réellement efficace : le thème. En d’autres termes, le leurre n’a pas besoin d’être une réplique parfaite de la proie originale. En fait, un extrait expressif, un schéma, suffit à engager le chasseur dans l’attaque. C’est pourquoi, pour Ruyer, cette activité comporte un élément de « sens ». Comme il écrit dans L’Action à distance d’après la science contemporaine :

Même si des moyens et intermédiaires physiques interviennent comme déclencheurs, il n’en reste pas moins qu’ils doivent évoquer la mise en action de thèmes de développement ou de comportement appropriés à l’unité signifiante de la vie sociale entre cellules ou entre individus, exactement comme l’unité de sens de la phrase prononcée évoque la mise en action de thèmes mnésiques appropriés (Ruyer 1952).

22Par ailleurs, Ruyer montre comment ce qui s’applique à l’instinct s’applique également à la formation des organes. Si l’on peut dire que l’instinct est un savoir-faire (savoir utiliser le dard, etc.), la formation même de l’organe, du dard, est l’effet d’un savoir-faire du même ordre. Même si le Sphex devait utiliser son aiguillon comme un simple mécanisme, il faudrait envisager la construction et l’édification de l’organe dès l’œuf fécondé. La construction est épigénétique tant pour l’instinct que pour l’organe. Ruyer écrit dans son article sur le Sphex : « Rejeter le caractère épigénétique de l’ontogenèse de l’instinct, est inutile, puisqu’il faut de toute façon accepter le caractère épigénétique de l’ontogenèse des organes dont se sert l’instinct et des mécanismes nerveux supposés qui sont censés les commander » (Ruyer 1959, 169).

23En d’autres termes, pourquoi renvoyer les actions instinctives à des mécanismes nerveux déjà assemblés, si ces mêmes mécanismes ont dû être assemblés eux-mêmes par une connaissance morphogénétique ou un instinct agissant dans l’œuf ou dans l’embryon.

24C’est-à-dire que le cerveau d’un oiseau, par exemple, se forme tout comme l’oiseau lui-même forme un nid. Le comportement et la formation embryonnaire répondent ici aux mêmes mouvements thématiques qui définissent l’instinct comme un « savoir ». Les instincts sont complémentaires relativement aux formes organiques, précisément parce que les formes organiques sont elles-mêmes le résultat d’instincts, de « savoir agir » embryonnaires. Ruyer fait donc une distinction entre les instincts formateurs et les instincts comportementaux. Complémentaires mais indépendants, les deux sont de même nature. Ruyer écrit : « L’oiseau qui fait son nid est à la fois l’oiseau individuel (déjà fait par l’embryogenèse), et, à travers lui, l’oiseau-type spécifique. L’oiseau individu est à la fois œuvre et ouvrier ; en œuvrant à son nid il continue encore à être ouvré » (Ruyer 1959, 170).

25Bergson pense à cette même continuité dans le premier chapitre de L’Évolution créatrice. L’instinct et l’organisation sont ainsi le même travail de la vie. L’instinct ne fait que prolonger le travail d’organisation de la matière. Lorsque Bergson s’interroge sur une cause plus profonde du fait du vieillissement, il cherche une explication qui ne reproduirait pas le schéma du gain ou de la perte de substances. Le prolongement d’un changement perpétuel de forme, observé tant chez les organismes vivants que chez l’être humain, conduit à considérer que « la poussée en vertu de laquelle l’être vivant grandit, se développe et vieillit est celle même qui lui fait traverser les phases de la vie embryonnaire » (Bergson 2021, 18). La continuité du changement de forme apparaît donc comme un fait. Elle atteste également une impossibilité théorique : celle de déterminer où se termine l’embryon ou où vieillit l’organisme. Le fait d’une continuité entre l’embryon et l’organisme, la continuité insensible, infiniment divisée, de l’évolution des formes, conduit Bergson, d’une certaine manière, à porter l’évolutionnisme d’une espèce à l’autre jusqu’au changement embryonnaire. On peut difficilement distinguer, dans cette phase initiale, l’oiseau du reptile, et la série de transformations qui y est observée est comparable à l’évolution entre les espèces.

Thématisme et orientation axiologique et un point de désaccord

26L’instinct, ainsi, est thématique à toutes ses phases, il comporte un élément de sens, de savoir abstrait intérieur, de connaissance au-delà de l’actuel mécanique. L’animal « se guide » donc par la lumière, il n’est pas « guidé par elle ».

27En soutenant la théorie instinct-sympathie dans l’identité processuelle du comportement et de l’organisation, Ruyer affirme le succès du concept bergsonien de l’élan vital. Si, comme dit Bergson, « l’action est avant l’organisation », la preuve est que l’instinct est un savoir et une conscience. Il s’agit d’affirmer la thèse selon laquelle la vie est une, qu’elle forme un tout sympathique à elle-même et que cette unité préexiste aux dissociations secondaires au niveau des cellules, de la division du travail, des individus dans une colonie, et des espèces. Cette unité, en plus, se donne en tant que savoir-faire de l’instinct. Comme l’écrit Bergson dans L’Évolution créatrice : « La connaissance instinctive qu’une espèce possède d’une autre espèce sur un certain point particulier, a donc sa racine dans l’unité même de la vie » (Bergson 2021, 168). Tout se passe comme si la notion même de valeur pouvait être comprise dans les mêmes termes de savoir et d'activité directrice. Enfin, c’est la notion même d’activité qui devient ici profondément thématique et axiologique.

28Pour Ruyer, les thèmes sont des « gnoses directrices », qui contrôlent les activités. Le thème instinctif qui « arrive » dans le système nerveux de l’oiseau, tout comme le thème formatif arrive dans les esquisses embryonnaires au cours de leur première formation. Sur ce point, Ruyer suit précisément les idées de Bergson. Dans les pages où nous trouvons la théorie du thématisme, Bergson écrit que les processus vitaux sont en réalité des instincts primaires :

Quand le petit poulet brise sa coquille d’un coup de bec, il agit par instinct, et pourtant il se borne à suivre le mouvement qui l’a porté à travers la vie embryonnaire. Inversement, au cours de la vie embryonnaire elle-même (surtout lorsque l’embryon vit librement sous forme de larve) bien des démarches s’accomplissent qu’il faut rapporter à l’instinct (Bergson 2021, 168).

29Les fonctions naturelles de la cellule sont donc des instincts comme tant d’autres. Suivre le mouvement revient précisément à « se guider » par les thèmes détachés de l’unité vitale. En ce sens, Ruyer écrit, dans Néo-finalisme, que « l’embryon observable, comme le cerveau observable, [...] est en rapport avec un domaine de mémoire et de thèmes signifiants, qui s’emparent de lui et dominent les transformations structurales visibles » (Ruyer 1952, 73). C’est aussi dans ce livre que Ruyer dépasse la position de Bergson, qui avait laissé le thématisme dans le domaine de l’instinct, pour élaborer une approche thématique du cerveau humain lui-même. L’utilisation du terme « thème mnésique » dans son chapitre sur le sens de l’équipotentialité est profondément riche. C’est cette richesse qui nous amène à combiner le thématisme avec le schématisme de Matière et mémoire.

30Pourtant, dans son article sur le Sphex, Ruyer soulève une critique à l’égard de Bergson. Bergson commet une erreur, dit Ruyer, lorsqu’il recourt à la théorie de la perception dans Matière et mémoire, selon laquelle l’ensemble des images de l’univers précède la perception. Or, Bergson écrit que l’instinct est aussi une connaissance à distance, rappelant que la perception a lieu dans l’objet. Et Ruyer, dans la mesure où il considère les stimuli perceptifs qui déclenchent un comportement, estime que ces derniers ne constituent pas une information complète. Les actes instinctifs dépassent largement les stimuli qui les évoquent ; la conscience thématique est comme une « sensation visuelle obtenue, où les détails sont à la fois distincts et forment cependant une unité consciente immédiate » (Ruyer 1959, 172). C’est-à-dire qu’il n’y aurait pas un univers d’images antérieur à la perception, mais une « perception » du thème impliquée dans la formation même de l’image.

31Ruyer résume le point de départ de Matière et mémoire en disant que « les appareils sensoriels sont, comme tout le reste du corps, appareils à agir, non à faire des représentations. La perception est une sélection. L’image (en droit) du tout, se réduit à ce qui intéresse mon action » (Ruyer 1959, 171). Jusqu’ici, la compréhension du livre semble correcte. Mais, Ruyer comprend que pour expliquer la connaissance de Sphex, Bergson recourt à deux théories différentes, voire contradictoires :
1. La thèse selon laquelle la vie est une, présentée dans
L’Évolution créatrice.
2. La thèse (reprise de
Matière et mémoire) selon laquelle la perception est en principe une connaissance à distance, sans cheminement intermédiaire d’information.

32Ruyer cite le passage de L’Évolution créatrice dans lequel Bergson nous apporte l’image d’un aveugle de naissance ayant vécu parmi des aveugles de naissance. Il croirait impossible de percevoir un objet éloigné, estimant nécessaire de toujours traverser les objets intermédiaires par le toucher. Mais la vue accomplit ce miracle. Elle touche l’image à distance. Même si l’on dit que la rétine est touchée par les vibrations lumineuses, étant, en ce sens, un toucher rétinien, Bergson insiste sur une autre nature de la perception et se réfère dans une note au première chapitre de Matière et mémoire. L’idée en question est que la perception sélectionne une image et peut être considérée comme une connaissance à distance. Mais, en ce que concerne la vie, Bergson parle d’une unité présente et sans distance, connaissance immédiate qui préexiste aux dissociations secondaires, à la sélection des images.

  • 4 Contre l’idée d’une mosaïque, Ruyer va, comme Bergson, penser à l’unité primaire de l’organisme. L’ (...)

33Les deux thèses, selon Ruyer, sont très différentes. La thèse de Matière et mémoire porte sur la perception en général, et non sur la vie. La perception, ici, a un caractère presque magique d’influence à distance. La deuxième thèse porte sur l’unité primaire de la vie, et procède par différenciation, divergence. L’unité est sous-jacente aux distinctions spatiales des parties, l’organisme étant plutôt un domaine, un champ équipotentiel, et non une mosaïque.4 Pour Ruyer, la seconde thèse, à son époque, bénéficiait d’un plus grand nombre de faits et d’évidences biologiques.

34Quelques années plus tôt, dans son Néo-finalisme, Ruyer soutient que la perception, ou la sensation, n’est pas « observation pure, en tant qu’elle est l’acte d’un être déjà dans le monde, capable de saisir des significations et d’avoir le sens de l’« autre », sens aussi primitif que l’intuition de sa propre existence » (Ruyer 1952, 86). Or, il semble que la référence à la théorie bergsonienne de la perception est directe. Si pour Bergson la perception plaçait corps et matière en contact direct, en continuité, excluant une finalité spéculative de la perception, mais défendant que sa fonction pratique n’engendre pas de représentations lors de la sélection des images, pour Ruyer perception et connaissance sont impliquées, combinées, et il n’y aurait pas de place pour une telle « observation pure », sensorielle, puisque le sens de l’autre est toujours impliqué dans le champ de l’appareil perceptif.

35Il semble que le problème, pour Ruyer, soit de considérer la perception en général comme quelque chose de distinct de la formation instinctive. La perception joue un rôle important dans l’exercice de l’instinct, constituant cet exercice lui-même. Il serait impossible de concilier le statut général de la perception avec son exercice réel dans le domaine du comportement et de la morphogenèse en tant que thématiques. Tout cela est dû à l’insistance de Ruyer sur le caractère « extra sensoriel », savoir non intellectuel, de la connaissance instinctive. En évoquant le premier chapitre de Matière et mémoire, Ruyer pense au détachement de l’image intéressée, et souligne le fait que l’objet d’un intérêt n’est pas formé dans le centre visuel et projeté à l’extérieur, dans l’objet réel.

36Se pose alors le problème de la réflexion sur le rôle des stimuli perceptifs, au-delà de l’image mise en évidence par la perception. Ruyer tient définitivement compte du fait que la perception externe directrice ne peut être complètement absente, comme le suggère Bergson. Ruyer écrit : « L’instinct n’a rien de magique, quant à son évocation ; il a toujours, comme le développement, des inducteurs, le plus suivant chimiques. Mais il est bien vrai qu’une fois évoqués, les actes instinctifs débordent de beaucoup […] la perception stimulante » (Ruyer 1959, 173). L’instinct, donc, « sait » comment s’orienter par les stimuli en utilisant la connaissance sympathique ou thématique.

37D’abord, d’autre part, il faut noter le fait que Ruyer amène efficacement le thématisme au problème du cerveau et de l’homme : « La première particularité du cerveau est d’être en rapport avec le domaine des thèmes et des sens » (Ruyer 1952, 73). Mais c’est surprenant le fait qu’il ne pense pas au schématisme présent dans l’interprétation bergsonienne du cerveau et de la mémoire.

38Pourtant, il nous semble que Bergson évoque le premier chapitre de Matière et mémoire, dans le troisième chapitre de L’Évolution créatrice, dans la mesure où il n’y a pas de différence de nature entre la perception et la matière, et que l’explication philosophique de la perception est celle qui ne lui donne pas une fonction spéculative. Car toute la différenciation entre l’instinct et l’intelligence vise précisément à fournir une connaissance vitale au premier et une fonction pratique à la seconde.

39Mais si nous pensons à l’élément d’orientation, à cette axiologie du thème présenté pour expliquer l’activité instinctive, alors plus que vers la perception pure (que Bergson mobilise pour évoquer l’explication philosophique de la perception), c’est vers le schéma dynamique qu’il faut se tourner.

40Revenons au deuxième chapitre de Matière et mémoire, dans les pages dédiées au processus d’apprentissage des habitudes motrices, et nous verrons Bergson insister sur le rôle de la mémoire spontanée dans la constitution du schéma et son rôle directeur. Cette mémoire elle-même apportera toujours la représentation de l’ensemble, l’impression générale d’un processus, l’unité indivise d’une interpénétration. C’est ainsi que procède la mnémotechnique : elle favorise l’émergence de la mémoire spontanée dans la mesure où celle-ci est un enregistrement global de l’impression d’ensemble.

41Par exemple, le joueur d’échecs, comme Bergson montre dans « L’Effort intellectuel », ne mémorise pas exactement le jeu comme une séquence linéaire de coups. Il reconstitue les événements selon une physionomie de l’ensemble, une représentation abstraite unique, dit Bergson, qui implique « […] une pénétration réciproque de tous les éléments » (Bergson 2009, 163). Il mémorise un jeu par la différence d’apparence, par la différence de schéma que chaque jeu produit tout au long de son événement. Le schème réside plutôt dans l’impression générale, dans la quintessence des mouvements impliqués soit dans l’action, soit dans l’évocation du souvenir. Georges Mourélos écrit : le schéma est celui qui « [...] du fond de la réalité de l’esprit, du fond de l’intemporel, dessine un mouvement créateur constitutif de la réalité adaptative dans son effort pour reconnecter la matière à l’esprit, de la perception à la mémoire » (Mourélos 1964, 139). Jankélévitch, à son tour, écrit que le schéma « [...] est une sorte d’intention ou d’état intentionnel très plastique contenant à l’état naissant et virtuel ce que le choix motivé actualisera de préférence » (Jankélévitch 1959, 68). Il ne serait pas faux de penser que cette représentation unique, avec tous ces éléments complexes dans une action en cours, se fait comme un champ équipotentiel, comme un thème.

42En général, comme on peut le lire dans « L’Effort intellectuel », le schéma indique une « [...] certaine direction d’effort à suivre » (Bergson 2009, 165). En même temps, il fournit un critère de sélection, éliminant tout ce qui ne rentre pas dans les cadres de son thème : « le schéma organisateur rejette les images qui ne sont pas capables de le développer, et confère ainsi une individualité véritable au contenu actuel de la conscience » (Bergson 2009, 185). Nous suggérons donc que, considérés du point de vue de l’élément directeur, schéma dynamique et thématisme sont un seul et même processus, un processus désigné par Ruyer comme axiologique : domaine de conscience, champ équipotentiel, survol et orientation liés à l’unité vitale.

Conclusion

43La critique de Ruyer ne modifie cependant pas son appréciation des découvertes de Bergson : l’erreur de Bergson est mineure. Si Bergson donnait un caractère plus ou moins clos au thème, qui serait transposé « tout entier », Ruyer reconnaît la force de cette théorie, il honore Bergson, et donne un plus grand pluralisme aux thèmes, considérant des thèmes composites, comme des mots. La force que Ruyer donne au thématisme nous semble très précise. C’est attribuer au thématisme ce qui est vrai sur le schématisme dans la psychologie bergsonienne. En parallèle, le rôle directeur du thématisme souligné par Ruyer ouvre de nouveaux chemins pour comprendre l’aspect axiologique de ces thèmes, sa liaison avec le cerveau et la psychologie humaine, qui permet de concevoir avant tout une notion supérieure de l’activité comme axiologique, permettant de transformer la notion même d’axiologie.

44Si l’on considère donc que l’axiologie qui sous-tend le fonctionnement thématique trouve un modèle positif dans la morphogenèse et la vie embryonnaire, il est certain que Ruyer prend une voie pour penser l’évaluation dans une perspective positive et métaphysique. C’est peut-être la voie ouverte par Bergson.

45Dans Philosophie de la valeur (1952), Ruyer explore la nature de l’activité authentique en affirmant que, contrairement à la machine, l’activité comporte un élément d’unité. Tout comme le thématisme de Bergson, elle peut avoir des phases, présenter des actes en séquence, mais ils sont tous orientés thématiquement par un sens général de l’activité. Il écrit :

[U]n « travailleur » en chair et en os semble exister indépendamment de ses actions, de ses travaux et des objets et instruments de son travail. Mais c’est là un aspect superficiel de la situation, car l’organisme vivant est déjà une forme résultant d’une activité qui a un sens. L’activité axiologique de l’organisme, orientée vers le monde, prolonge l’activité organique et formatrice de l’organe (Ruyer 1969, 61).

46L’identité sens-valeur indique donc un renouvellement de la notion de valeur elle-même et il semble incontestable que l’origine de cette idée, la notion de cet effort axiologique traversant la formation et le comportement, traversant toute activité authentique, se trouve chez Bergson. Les valeurs doivent donc être considérées en termes d’activité authentique, prolongeant l’activité instinctive elle-même, l’activité consciente, formative et comportementale : activités axiologiques parce qu’elles sont entourées de gnoses directrices. Le dynamisme des valeurs n’est donc pas un pur fonctionnement, la valeur n’est pas une simple essence. Ce sont des gnoses directrices, propres à l’être vivant et à l’unité vitale qui l’entoure. Nous pensons donc que l’article sur le Sphex montre avant tout que la pensée axiologique de Ruyer, dans la mesure où elle comprend le biologique, l’activité et le sens, trouve son impulsion initiale chez Bergson avec la théorie de l’instinct et du thématisme.

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Bibliographie

Bergson, Henri. 2021. L’Évolution créatrice. Paris : Quadrige/PUF (Le choc Bergson).

Bergson, Henri. 2009. L’Énergie spirituelle : essais et conférences. Paris : Quadrige/PUF (Le choc Bergson).

Bergson, Henri. 2012. Matière et mémoire : essai sur la relation du corps à l’esprit. Paris : PUF.

Colonna, Fabrice. 2013. « Ruyer et la grande chaîne de l’être ». Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, 138(1) : 22-43.

Conrad, André. 2013. « L’individualité ‘cellophane’ et la personne ». Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, 138(1) : 45-58.

Gagnon, Philippe. 2016. « Ruyer, la pensée de l’espace et la métaphore fondatrice de la connaissance ». Laval théologique et philosophique, 72(3) : 465-490.

GBIF Secretariat. 2021. Taxonomie de base du GBIF - Global Biodiversity Information Facility Consulté via https://www.gbif.org/ le 2 septembre 2021.

Jankélévitch, Vladimir. 1959. Henri Bergson. Paris : Presses Universitaires de France.

Mourélos, Georges. 1964. Bergson et les niveaux de réalité. Paris : Presses Universitaires de France.

Ruyer, Raymond. 1951. « L’action à distance d’après la science contemporaine » https://www.metapsychique.org/laction-a-distance-dapres-la-science-contemporaine/.

Ruyer, Raymond. 1952. Néo-finalisme. Paris : Presses Universitaires de France.

Ruyer, Raymond. 1969. Filosofia del valor. Traducción de Agustín Ezcurdia Hijar. Mexico : Breviarios del Fondo de Cultura Económica.

Ruyer, Raymond. 1959. « Bergson Et Le Sphex Ammophile ». Revue de métaphysique et de morale, 64(2) : 163-179.

Ruyer, Raymond. 2019. « Instinct, Consciousness, Life ». Translated by Tano S. Posteraro. Angelaki 24(5) : 124-147.

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Notes

1 Il est curieux de mentionner un tel « Sphex ammophile », nom qui sera utilisé dans le titre de l’article de Ruyer. Le fait est que Sphex est le genre appartenant à la famille des Sphecedae et à la sous-famille des Sphecenae (étant encore de la tribu des Sphecini). La sous-famille des Ammophilae, par contre, bien qu’appartenant à la famille des sphecedae, dérive les genres Ammophila et, entre autres, Podalonia. Celui qui donne neuf piqûres est, en fait, Ammophile hérissée, qui est également enregistrée par Podalonia hirsuta, ayant toujours comme nom Ammophila hirsuta (cf. Ammophila hirsuta subsp. mervensis Radoszkowski, 1887 dans GBIF Secretariat (2021)). En tout cas, nous concluons que Sphex et Ammophile sont distincts.

2 Le premier chapitre du Néofinalisme présente le « cogito axiologique », c’est-à-dire la substitution du cogito cartésien par le problème du sens. Dit Ruyer : « on gagne visiblement à poser un problème de sens plutôt que d’existence » (Ruyer 1952, 1). Par cet argument, Ruyer entend établir qu’il est contradictoire de nier absolument la finalité et le sens en général. En même temps, il élabore un lien étroit entre existence, activité signifiante, évaluation et travail selon une norme, domaine du sens proprement distinct du domaine de la causalité mécanique. En empêchant une séparation entre ces notions, Ruyer oppose la notion d’un pur fonctionnement, amenant la notion de thème comme d’une « image guide », unité multiple, unité de conscience, qui survole les activités vitales.

3 Nous ne savons pas à quelles critiques Ruyer fait référence ; nous ne savons pas où ni qui a formulé la critique contre Bergson en raison de l’usage qu’il fait de la référence aux études de Fabre. Nous n’avons pas trouvé de matériel à ce sujet. Nous suivons ici les indications de Ruyer, en considérant surtout l’aspect « dramatique » qu’il introduit dans cette scène de défense en faveur de Bergson.

4 Contre l’idée d’une mosaïque, Ruyer va, comme Bergson, penser à l’unité primaire de l’organisme. L’équipotentialité dit, précisément, de cette champ unitaire, d’un domaine de conscience. Ainsi, Ruyer peut ajouter que « même après une certaine distribution spatiale des thèmes formateurs, chaque région conserve encore l’équipotentialité relativement au thème qu’elle a reçu » (Ruyer 1959, 172).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Thiago Ribeiro de Magalhães Leite, « Thématisme et axiologie : Bergson, Ruyer »Bergsoniana [En ligne], 5 | 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/bergsoniana/2198 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12b4d

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Auteur

Thiago Ribeiro de Magalhães Leite

Psychologue à l’Universidade Presbiteriana Mackenzie (2008) ; Master en Philosophie à l’Université de São Paulo (2016) avec des recherches sur le philosophe Friedrich Nietzsche ; docteur en philosophie à l’UNIFESP, avec une thèse sur le philosophe Henri Bergson. Il effectue des recherches en philosophie moderne et contemporaine (allemande et française) ; philosophie du rire et de l’humour ; axiologie, philosophie des valeurs ; psychologie empirique ; analyse institutionnelle et schizoanalyse. Il est membre de l’IAPH - L’Association Internationale pour la Philosophie de l’Humour. Il a effectué un séjour à l’École Normale Supérieure, sous la direction du professeur Frédéric Worms, où il a développé et produit une partie de sa thèse de doctorat, ainsi que participé aux activités du CIEPFC/PhilOfr (Le centre international d’étude de la philosophie française contemporaine) entre novembre 2021 et avril 2022.

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