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Franklin Leopoldo e Silva, lecteur brésilien de Bergson : contribution à l’histoire globale du bergsonisme

Marcos Camolezi

Résumés

Cet article cherche à expliquer la façon dont l’historien de la philosophie et philosophe brésilien Franklin Leopoldo e Silva (1947-) a interprété le problème de la causalité chez Bergson. Il montre d’abord comment Bento Prado Jr. (1937-2007) a explicité la réécriture de l’« Esthétique transcendantale » de Kant dans le deuxième chapitre des Données immédiates de Bergson. Il révèle ensuite comment Leopoldo e Silva tire des conséquences d’une telle réécriture dans le terrain de la morale, comme si le troisième chapitre des Données immédiates était une sorte de réécriture de la « Dialectique transcendantale ». Enfin, à partir d’une réflexion sur la trajectoire des auteurs brésiliens étudiés, il remet en question le problème suivant : peut-on pratiquer la philosophie en faisant de l’histoire de la philosophie au Brésil ?

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Texte intégral

Je tiens à remercier Caterina Zanfi et Bruno Rates pour le suivi de cet article. Je remercie Julio Canhada pour ses commentaires et suggestions. Une version préliminaire de ce texte a été présentée au Brazil meeting of the Global Bergsonism Research Project le 25 novembre 2022. L’essentiel des réflexions que nous y apportons est issu de notre thèse de doctorat, La causalité chez Henri Bergson : formation d’une pensée au contact des sciences expérimentales (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Université de São Paulo, 2017), financée par la FAPESP (contrat n° 13/22169-7).

1Les approches globales révèlent aujourd’hui la richesse des productions intellectuelles réalisées en dehors des pays considérés comme les lieux scientifiques par excellence. Au Brésil, un débat sur les limites et les vertus des modèles pédagogiques importés par les universités brésiliennes est animé par des études qui mettent en lumière, au-delà et en deçà du tournant historiographique global, les productions nationales qui préexistent à des campagnes et missions que l’on tient actuellement pour fondatrices (voir Rodrigues 2011 ; Canhada 2023). En philosophie, ce débat fait fond sur un problème ancien auquel Kant a donné forme en interrogeant la possibilité d’apprendre la philosophie à quelqu’un, que Victor Cousin a traité comme un pilier de l’éclectisme dans l’université de l’avenir et que les courants se situant dans le sillage de l’École de Vienne ne cessent de brandir contre les approches dites continentales. Je propose cet article comme une contribution ponctuelle à ce débat : à l’intérieur des universités brésiliennes d’aujourd’hui, peut-on pratiquer la philosophie en faisant de l’histoire de la philosophie ? Ou bien, est-il possible d’y pratiquer la philosophie sans faire de l’histoire de la philosophie ?

2J’examinerai la façon dont l’historien de la philosophie et philosophe brésilien Franklin Leopoldo e Silva (1947-) a interprété le problème de la causalité chez Bergson. Je vais me concentrer sur deux de ses travaux : sa thèse de doctorat, Éléments pour l’image morale de l’homme dans la philosophie française de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, et sa thèse d’État, Bergson : intuition et discours philosophique (Leopoldo e Silva 1980 ; 1994).

3Avant de présenter ces textes, il s’agira de comprendre comment l’historien de la philosophie et philosophe brésilien Bento Prado Jr. (1937-2007) a pavé le chemin repris par Leopoldo e Silva dans son interprétation du problème de la causalité chez Bergson. Étant donné que dans mon propre travail de recherche j’interroge leurs profils interprétatifs en cherchant à prolonger leurs approches, ce texte présente un caractère d’autoanalyse de mon enfance philosophique en tant qu’étudiant de M. Leopoldo e Silva. J’aborde ce point dans la première partie de cet article, étant donné qu’il est constitutif de ma démarche, tout en me dispensant de le présenter préalablement ici.

4En revanche, je dirais d’ores et déjà un mot de la deuxième partie, consacrée à Bento Prado Jr., et de la troisième partie consacrée à M. Leopoldo e Silva. Une caractéristique qui rapproche ces deux penseurs est l’adoption du référentiel kantien pour la compréhension de la transformation de la pensée philosophique moderne que Bergson est parvenu à mettre en place. En accord avec l’attitude affichée par Bergson, dont l’œuvre fait référence à Kant plus qu’à aucun autre philosophe, ils considèrent que le philosophe prussien constitue une pierre de touche permettant de déterminer la valeur de la réflexion du philosophe français.

  • 1 Dorénavant, Données immédiates. En faisant référence à l’« Esthétique transcendantale », à l’« Anal (...)

5Bento Prado Jr. va cependant bien au-delà du simple constat de « la transformation de la problématique kantienne » (Prado Jr. 2002, 62) : en conformité avec la pédagogie philosophique dans laquelle il a été formé, il en vient à retrouver la réciprocité exactement inverse entre la démarche suivie par Bergson et celle suivie par Kant. Une telle réciprocité n’aurait sans doute pas été souhaitée par Bergson, d’où la richesse extraordinaire de l’approche de Bento Prado Jr. qui retrouve la structure inconsciente suivie par Bergson dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience et dont il témoigne dans une lettre datée de 1912.1 L’enjeu consiste à révéler comment Bergson a rasé le système que Kant a construit en trois étages (sensibilité, entendement et Raison). Bento Prado Jr. analyse l’effondrement de l’entendement sur la sensibilité en montrant comment le premier chapitre des Données immédiates fait ébranler les deux premiers principes de l’entendement (« Axiomes de l’intuition » et « Anticipations de la perception ») et comment le deuxième chapitre du livre en vient à détruire le troisième principe de l’entendement (« Analogies de l’expérience »). Il en conclut que l’« Analytique transcendantale » s’effondre sur l’« Esthétique transcendantale », dont la nouvelle rédaction s’établit avec la théorie des multiplicités présentée dans le deuxième chapitre des Données immédiates. Celles-ci intègrent à la sensibilité le pouvoir synthétique des concepts et principes.

6M. Leopoldo e Silva revient sur les vestiges du monument critique afin de vérifier si les antinomies de la liberté (troisième) et de la contingence (quatrième) tiennent encore debout. Ce faisant, il en vient à attester la pertinence de la théorie bergsonienne : à l’issue de la transformation de la problématique kantienne, d’anciennes antinomies deviennent effectivement de faux problèmes. D’un côté, M. Leopoldo e Silva teste sur la troisième antinomie de la « Dialectique transcendantale » les résultats obtenus par Bento Prado Jr. sur la troisième analogie. On comprend que la causalité kantienne est antinomique dans le domaine moral dans la mesure où, n’étant — d’après Bergson — qu’une relation de juxtaposition de fragments de l’espace, elle ne peut pas rendre compte de l’hétérogénéité, qui est fonction du temps. La théorie du moi profond et de l’acte libre proposée par Bergson représente alors une tentative — un essai, non pas un système — de poser le problème de la liberté sur un terrain défriché et stable. Si le deuxième chapitre des Données immédiates peut être lu comme une réécriture de l’« Esthétique », à laquelle l’« Analytique » vient s’intégrer, le troisième chapitre du livre constitue une sorte de réécriture de la « Dialectique transcendantale ». D’un autre côté, M. Leopoldo e Silva tâche de montrer comment Bergson sape encore un dernier principe de l’entendement pur, à savoir celui de la possibilité (quatrième analogie de l’« Analytique des principes »), en montrant que la critique du libre arbitre consiste déjà en une critique du schéma intellectuel du possible. Dès lors, si l’« expérience possible » de Kant n’est qu’une expérience définie selon des conditions spécifiques posées par la mécanique newtonienne, l’antinomie de la contingence (quatrième antinomie de la « Dialectique transcendantale ») apparaît, chez Bergson, comme un autre faux problème. C’est l’étage de la Raison, dans le système kantien, qui est ainsi ruiné.

7Enfin, les réflexions de Bento Prado Jr. et de M. Leopoldo e Silva, au plus près des textes de Bergson, m’amènent à la conclusion suivante : l’exemple donné par ces professeurs est qu’il est possible de pratiquer la philosophie en faisant de l’histoire de la philosophie dans la mesure où toute historiographie bien faite requiert une coïncidence et une sympathie avec l’intention du philosophe étudié. Si une telle idée évoque la méthode de « L’intuition philosophique » recommandée par Bergson lui-même (Bergson 2009b, 117-142), elle s’associe plutôt à la méthode dite structurale qui définit la philosophie comme explicitation de vérités dans un temps logique qui, pour suivre l’intention du philosophe, doit cependant refuser la durée de la conscience de l’auteur étudié (Goldschmidt 1953). Seulement, celles-là sont des positions qui peuvent être dégagées de leurs approches sans que pour autant ils les prescrivent. Pratiquer la philosophie en faisant de l’histoire de la philosophie implique un effort soutenu dont le résultat n’est jamais défini par avance.

Aux origines de cette enquête : essai d’autoanalyse

8Sous un soleil éclatant, M. Franklin Leopoldo e Silva m’a une fois raconté une boutade que lui avait lancée M. Paulo Arantes. « Tu es entré dans la cuisine », avait remarqué son collègue, « alors que tu pourrais rester dans le salon de la philosophie ». C’est ainsi que M. Leopoldo e Silva me conseillait après m’avoir écouté parler de mes dernières lectures : d’un côté, quelques classiques de la thermodynamique, de l’autre, d’anciens chefs-d’œuvre de Félix Ravaisson, de Jules Lachelier et d’Émile Boutroux. Il constatait que je m’inspirais de son parcours intellectuel en essayant de faire la lumière sur des textes obscurs du XIXe siècle, alors que j’aurais pu me laisser guider, à partir de Bergson, vers des textes plus séduisants de philosophie contemporaine. Mais, je n’ai pas suivi son conseil, et j’ai continué de marcher sur ses traces. En explorant les textes qu’il a lus, je comprends aujourd’hui que j’essayais de prolonger une réflexion difficile qui avait été inaugurée par son maître Bento Prado Jr. (1937-2007), à laquelle il n’avait pas non plus résisté.

9Cette réflexion porte sur la transformation radicale du concept kantien de causalité dans les Données immédiates. Cette transformation n’est pas immédiatement reconnaissable ; elle promeut, comme nous le verrons, un renversement complet de la Critique de la raison pure. La technique historiographique de Bento Prado Jr. relève de l’exploit : le traitement qu’il donne à « la transformation de la problématique kantienne » (Prado Jr. 2002, 62) me semble à la hauteur des plus grands commentaires philosophiques qui démêlent le raisonnement du philosophe étudié lorsque celui-ci passe de l’énoncé d’un problème à sa réponse sans nous fournir la démonstration.

10La question de la transformation du concept kantien de causalité est restée longtemps sans réponse : « Un kantien dirait peut-être qu’en expliquant ainsi la causalité, M. Bergson, à vrai dire, la supprime », écrit Lévy-Bruhl (1890, 534, nous soulignons) dans le tout premier compte rendu des Données immédiates. De façon directe ou indirecte, Bergson est à l’origine de la provocation car l’auteur de la recension est son camarade d’École normale supérieure et ami proche, à qui il a sans doute révélé des raisons subjectives effacées dans le processus de rédaction de la thèse défendue à la Sorbonne en 1889. Vingt ans ont passé quand Bergson témoigne encore d’« un vague sentiment que j’ai toujours eu moi-même d’une parenté entre le second chapitre de mes Données immédiates et l’Esthétique transcendantale » (Bergson 1972, 968). Bento Prado Jr. démontre toute la pertinence de ce sentiment.

  • 2 Présence et champ transcendantal est une thèse d’État (équivalant à une HDR sans grade de docteur p (...)

11Dans les années 1960, plusieurs commentateurs s’étaient déjà consacrés aux rapports entre la philosophie de Kant et celle de Bergson sans pour autant attirer l’attention sur la façon dont le deuxième chapitre des Données immédiates intègre l’« Analytique transcendantale » à l’« Esthétique transcendantale » (voir Barthélemy-Madaule 1966 ; Deleuze 2004, 10). Quand je me demande pourquoi c’est Bento Prado Jr. qui l’a fait dans Présence et champ transcendantal,2 je comprends que les missions françaises effectuées régulièrement dès la fondation de l’Université de São Paulo (USP) en 1934 ont suscité l’apparition d’un champ philosophique dont les caractéristiques échappent à un schéma d’application linéaire des modèles importés de la métropole. En effet, les deux penseurs brésiliens que je présente ici font preuve à la fois d’une maîtrise des règles de l’historiographie philosophique et d’une autonomie interprétative et stylistique. Une telle autonomie se vérifie, par exemple, dans l’intérêt qu’ils portent à une confrontation essayistique entre Bergson et la phénoménologie et l’existentialisme, dans le cas de Bento Prado Jr., et entre Bergson et le romantisme allemand, dans le cas de Franklin Leopoldo e Silva. Dans un cas comme dans l’autre, le choix de ces référentiels peu orthodoxes répond à l’impératif d’explicitation caractérisant l’orthodoxie de l’histoire de la philosophie à ce moment-là — l’idée d’une confrontation entre Bergson et la phénoménologie vient par exemple d’un cours de Victor Goldschmidt. Surtout, la littérature leur apparaît comme domaine d’expression qui non seulement peut faire l’objet du discours philosophique, mais encore qui peut lui être complémentaire. Ils interrogent ainsi les limites du discours philosophique et de son historiographie.

  • 3 Pour un recueil de textes particulièrement bien édité, voir Lebrun (2006).

12La recherche d’une synthèse bien faite entre la rigueur du commentateur et l’autonomie de l’essayiste me fait penser à l’importance que l’enseignement de Gérard Lebrun a dû avoir dès son arrivée à São Paulo en 1960. Lebrun a joué un rôle décisif dans la formation du goût pour l’essai philosophique affiché par plusieurs professeurs uspiens (Rubens Rodrigues Torres Filho, Carlos Ribeiro de Moura, Paulo Arantes, etc.). On pourrait probablement dire la même chose de leur intérêt pour Kant. En février 1965, année où son jeune collègue au département uspien de philosophie soutient Présence et champ transcendantal, Lebrun dépose un sujet de thèse à la Sorbonne, « La critique du Jugement comme fin de la métaphysique classique », pour travailler sous la direction de Georges Canguilhem. Il rentre en France l’année suivante et rédige la thèse publiée sous le titre Kant et la fin de la métaphysique : essai sur la ‘Critique de la faculté de juger’ en 1970 (Lebrun 1970).3 Quand Bento Prado Jr. affirme que « la référence à Kant est […] essentielle pour la constitution du bergsonisme » parce que « le kantisme apparaît comme la philosophie traditionnelle sous sa forme la plus pure et la plus conséquente, quand elle affirme que l’Être lui est inaccessible » (Prado Jr. 2002, 168), est-ce à son ami et collègue Lebrun que ces mots font écho ? On sait en revanche que le livre Kant et la fin de la métaphysique abonde en références à Bergson.

13Sans doute le passage de Jules Vuillemin (1920-2001) par l’Université de São Paulo, de septembre à novembre 1963, a fait redoubler l’attention que la communauté uspienne portait sur Kant au tournant de 1964. Vuillemin venait d’être élu professeur au Collège de France (1962), sa chaire de Philosophie de la connaissance ayant été créée par transformation de l’ancienne chaire de Merleau-Ponty qui appartenait elle-même à la lignée de la chaire de Philosophie moderne de Bergson. Son livre Physique et métaphysique kantiennes, publié en 1955, avait été amplement recommandé par Gilles-Gaston Granger (1920-2016), qui avait fait une carrière longue et brillante à l’USP au tournant des années 1950. Granger, normalien et ancien élève de Bachelard comme son ami Vuillemin, avait en effet consacré au livre Physique et métaphysique kantiennes une étude critique, parue dans la Revue de métaphysique et de morale, portant le titre suggestif de « Kant selon l’ordre des raisons ». Selon lui, « [l]a méthode de J. Vuillemin prolonge directement celle dont M. Guéroult » (Granger 1956, 195), lui-même ancien professeur à São Paulo devenu professeur au Collège de France, « a donné des exemples frappants ». « Le travail de J. Vuillemin comme celui de M. Guéroult est une technologie des systèmes philosophiques », continue Granger en associant l’intitulé de la chaire de Guéroult à l’approche adoptée par son ami. Plus que d’en recommander la lecture, Granger autorisait, pour ainsi dire, le livre dans le cadre de la pédagogie uspienne — ce n’est pas un hasard si Physique et métaphysique kantiennes est un instrument indispensable dans l’argumentation de Bento Prado Jr.

14Tous ces acteurs se sont croisés plusieurs fois et pour des raisons différentes. Granger et Vuillemin (et Michel Foucault), « qui s’intéressèrent à ce travail en cours d’élaboration » (Lebrun 1970, 10), font l’objet d’un remerciement dans l’avant-propos au livre Kant et la fin de la métaphysique, tout comme Bento Prado Jr. et le directeur de thèse de celui-ci, Victor Goldschmidt, au demeurant amplement cité. Dernier croisement : traduit par Bento Prado Jr. et Jacob Guinsburg, le tome consacré à Descartes dans la célèbre collection Os Pensadores (« Les penseurs ») a été édité par Granger, qui offre une introduction au volume, et par Lebrun, auteur de la préface et des notes soigneusement rédigées (Descartes 1973).

  • 4 Franklin Leopoldo e Silva fait publier un chapitre de la thèse de Bento Prado Jr. dans Discurso, re (...)

15En bref, tous ces éléments, dont je ne peux donner qu’un récit parcellaire et approximatif qui relève de ma mémoire atavique, me permettent d’expliquer la raison pour laquelle Bento Prado Jr. propose une interprétation très pointue, du point de vue technique, de « la transformation de la problématique kantienne » (Prado Jr. 2002, 62). Plus tard, que Bento Prado Jr. ait exercé une fascination intellectuelle sur M. Leopoldo e Silva, cela ne fait aucun doute. Non seulement des textes le prouvent,4 mais encore des témoignages, quelques-uns publics, d’autres livrés pendant les conversations qu’il se permettait d’avoir avec ses étudiants, y compris moi-même, parmi lesquelles certaines revenaient à évoquer Bento Prado Jr. Ce dont je me suis rendu compte seulement plus tard, c’est que l’attention que j’apporte au problème de la causalité chez Bergson est sans doute une sorte de confirmation involontaire du profil intellectuel de l’unité où j’ai été formé, tout comme des tropismes qui se transmettent à travers les maîtres.

16Enfin, la linéarité du récit que je propose dans la suite de cet article, malgré son allure objective, est elle-même le fruit d’une interprétation. La démarche de M. Leopoldo e Silva n’était sans doute pas consciente, de même pour la mienne lorsque j’ai entrepris d’étudier la causalité chez Bergson sans apercevoir l’influence de mon maître. Dans les deux travaux où M. Leopoldo e Silva prolonge Prado Jr. (sa thèse de doctorat, Éléments pour l’image morale de l’homme dans la philosophie française de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, et sa thèse d’État, Bergson : intuition et discours philosophique), les points que je désigne comme des prolongements ne sont pas présentés en tant que tels (voir Leopoldo e Silva 1980, 1991, 1994). Bien qu’il soit clair, pour l’un comme pour l’autre, que les Données immédiates ne peuvent être comprises qu’en référence à la première critique, le rapprochement de leurs textes est de mon fait en prolongeant l’idée de « réécriture ». La réciprocité n’est pas non plus exacte : Bento Prado Jr. est explicite en affirmant son idée de réécriture de l’« Esthétique » dans le deuxième chapitre des Données immédiates, tandis que M. Leopoldo e Silva ne l’est pas s’agissant d’une réécriture de la « Dialectique » dans le troisième chapitre du même livre. De plus, M. Leopoldo e Silva discute du faux problème posé par la troisième antinomie dans sa thèse de doctorat, soutenue en 1980, tandis que le problème de l’expérience possible n’est abordé frontalement que dans sa thèse d’État, soutenue en 1991.

17C’est la démarche réflexive que j’ai commencée il y a dix ans, avec la rédaction d’une version préliminaire de la présente contribution (Camolezi 2015) qui m’a permis d’interroger l’unité du profil interprétatif de la causalité chez Bergson, de Bento Prado Jr. à M. Leopoldo e Silva. Cette démarche m’a amené à discuter longuement avec M. Leopoldo e Silva de la sienne. Un tel travail est ensuite devenu si important dans ma trajectoire qu’il m’est devenu impossible de proposer une interprétation « naïve » des Données immédiates : ma lecture s’appuie sur la leur tout en révélant la dimension d’un travail collectif réalisé individuellement. En même temps, cela m’a permis de mieux comprendre la façon dont je pourrais enrichir mon travail en proposant d’autres approches du problème de la causalité.

Bento Prado Jr. et la réécriture de l’« Esthétique transcendantale »

18Dans les Données immédiates, « la reprise de la problématique kantienne » n’est pas un dédoublement, elle propose « une lecture pré-kantienne de Kant » (Prado Jr. 2002, 62-63) qui amène bel et bien à une transformation. C’est la façon dont Bento Prado Jr. lit la thèse de doctorat de Bergson :

Dans le cadre général de la critique de l’entendement indispensable à la découverte de la durée, la théorie des multiplicités est une espèce d’esthétique transcendantale. Plus précisément, elle a la prétention d’être la version définitive de l’esthétique transcendantale, par delà les équivoques de l’esthétique kantienne. La critique du criticisme joue ici un rôle fondamental : il faut lire, en filigrane, le texte de Kant dans le texte de Bergson, qui s’y oppose mais prend sens par sa référence à lui. La critique de Kant est le point culminant de la critique à plusieurs niveaux qui précède l’établissement de l’ontologie de la durée (Prado Jr. 2002, 62).

19Seulement — et tout l’enjeu est là —, une telle « transformation de la problématique kantienne » a des répercussions tant sur l’« Esthétique transcendantale », qui porte sur les conditions de la sensibilité, que sur l’« Analytique transcendantale », qui porte sur les conditions de l’entendement. Une fois que l’ensemble des conditions de possibilité de l’expérience sont changées, la manière de penser le rapport entre entendement et sensibilité change inévitablement à son tour. Il s’agit en effet d’une « fusion entre l’esthétique et l’analytique » (Prado Jr. 2002, 105) : la « philosophie de Bergson », affirme Prado Jr., « opère une réidentification entre sensibilité et entendement, faisant en sorte que l’esthétique, en se déployant, en vienne à exercer les fonctions de l’analytique » (Prado Jr. 2002, 63). Comme sur un palimpseste, les deux multiplicités soigneusement définies dans le deuxième chapitre des Données immédiates remplacent le texte des intuitions de l’espace et du temps (« Esthétique ») tout en absorbant les pouvoirs synthétiques réservés aux concepts et principes (« Analytique »).

20Bento Prado Jr. considère que l’opérateur d’une telle « réidentification » est l’analyse du principe d’impénétrabilité de la matière dans le deuxième chapitre des Données immédiates. Bergson y montre que l’idée d’un nombre quelconque exprime d’elle-même l’essence du principe physique. En effet, « ce n’est pas une nécessité d’ordre physique », affirme-t-il, « c’est une nécessité logique qui s’attache à la proposition suivante : deux corps ne sauraient occuper en même temps le même lieu » (Bergson 2011, 66). Au lieu d’apporter une connaissance qui n’est pas comprise dans l’intuition du nombre (« deux », par exemple), le principe physique de l’impénétrabilité de la matière n’en serait donc qu’un corolaire. On pourrait rappeler ici la provocation de Bergson : « [o]n croit alors ajouter quelque chose à la représentation de deux ou plusieurs objets en disant qu’ils ne sauraient occuper le même lieu : comme si la représentation du nombre deux, même abstrait, n’était pas déjà […] celle de deux positions différentes dans l’espace ! » (Bergson 2011, 66).

21Pourquoi, selon Bento Prado Jr., le rôle de l’analyse du principe d’impénétrabilité de la matière correspond-il, dans l’économie de l’Essai, au rôle de l’analyse cartésienne du morceau de cire dans l’économie des Méditations cartésiennes ? De la même manière que le morceau de cire permet à Descartes de réduire les qualités de la matière à la seule étendue, l’analyse du principe d’impénétrabilité permet à Bergson d’identifier la matière à l’espace. Ce faisant, Bergson remet en question, non pas l’utilité du concept de matière pour la physique post-newtonienne, mais plutôt son bien-fondé comme entité psychologique distincte d’autres représentations construites avec l’intuition de l’espace.

22Le début du deuxième chapitre de Présence et champ transcendantal montre que la critique bergsonienne de la notion de grandeur intensive appliquée à la psychologie (premier chapitre des Données immédiates) ébranle les deux premiers principes de l’entendement (« Axiomes de l’intuition » et « Anticipations de la perception »). La suite montre comment l’analyse du principe d’impénétrabilité de la matière (deuxième chapitre des Données immédiates) ébranle le troisième principe de l’entendement, les « Analogies de l’expérience ».

23L’enjeu est lourd de conséquences : avec la réduction de la matière à l’espace, c’est toute l’expérience externe définie par Kant qui perd sa légitimité. Ces conséquences étant néanmoins cachées dans les Données immédiates, Bento Prado Jr. a recours au livre Physique et métaphysique kantiennes de Vuillemin pour les expliciter. En effet, les « Analogies de l’expérience » constituent le « cœur de la Révolution copernicienne » (Vuillemin 1987, 277) de Kant : au moyen du concept de matière, elles permettent aux phénomènes de devenir des objets. Lecteur de Bergson, de Kant et de Vuillemin, Bento Prado Jr. remarque que l’analyse du principe d’impénétrabilité de la matière dans les Données immédiates implose les « Analogies de l’expérience », c’est-à-dire les piliers qui rendent possible l’existence du monde dans le système de l’entendement. En assumant la perspective de Bergson, il observe que Kant opère une distinction factice entre les entités mathématiques, construites au moyen des intuitions pures, et les objets, construits au moyen du concept de la matière. Kant a donc construit deux étages du système, l’« Esthétique » et l’« Analytique », que l’analyse bergsonienne du principe d’impénétrabilité de la matière réduit à une seule dimension.

24Le rapport entre l’analyse du principe d’impénétrabilité de la matière et le problème de la causalité doit être lu en filigrane, à l’échelle des conséquences de l’annulation de la différence entre espace et matière. Comme l’affirme Bento Prado Jr., « la réforme de l’esthétique transcendantale a eu pour résultat la réduction de la mécanique à la géométrie, de la causalité à l’identité » (Prado Jr. 2002, 76, nous soulignons). En explicitant la référence à Kant, il explique ainsi la parfaite réciprocité entre le travail de construction de Kant et le travail de démontage entrepris par Bergson, qui affirme : « le rapport de causalité est un rapport nécessaire en ce sens qu’il se rapprochera indéfiniment du rapport d’identité, comme une courbe de son asymptote » (Bergson 2011, 156).

25D’après les « Analogies », le sujet ne note la différence entre l’instant d’avant et celui d’après que si une force (cause) agit en arrachant le champ de l’expérience à l’inertie. Son entendement construit le monde d’une façon passive et indirecte, sur la seule base des effets des forces saisissables au moyen de mouvements. Seulement, une telle construction est impossible, montre Bergson, parce que l’action d’une force n’est saisissable que par une conscience qui dure dans un temps réel, concret et continu. Puisque l’intuition du temps selon Kant n’est, selon Bergson, qu’une intuition de l’espace à l’usage des sciences mathématiques, tout le système kantien de l’entendement ne consiste, selon la perspective bergsonienne, qu’en des variations de l’espace — au bon historien de la philosophie de reconnaître le thème original dans la symphonie de la raison pure. Aucune causalité réelle n’est donc possible suivant les conditions du projet critique : tous les étages qui s’érigent dans le système de l’entendement doivent être éclatés au ras du sol de la sensibilité (intuition du temps et intuition de l’espace). Si Bento Prado Jr. ne part pas de la piste laissée par Lévy-Bruhl — à titre de rappel, « [u]n kantien dirait peut-être qu’en expliquant ainsi la causalité, M. Bergson, à vrai dire, la supprime » (Lévy-Bruhl 1890, 534) —, il explique ainsi son bien-fondé en faisant appel à Vuillemin.

26Par un défrichement du terrain sur lequel le criticisme avait souhaité ériger l’expérience, s’ouvre ainsi la possibilité d’une expérience où l’espace est fonction du temps, non pas le contraire. Bento Prado Jr. s’en tient à dresser une preuve négative : la causalité dans les « Analogies de l’expérience » est factice. Quitte à trop anticiper la discussion qui suivra, Franklin Leopoldo e Silva y ajoute que, si l’on ne se limite pas aux conditions définies par Kant, la manifestation et la disparition des forces en dehors de la conscience doivent être perçues par cette même conscience au moyen d’une action qui intègre l’intuition de l’espace et l’intuition du temps. Cela pour la bonne raison que l’espace, même lorsqu’il est déplié comme succession d’instants et représenté comme une série temporelle, ne produit que des juxtapositions, absolument. Dans les Données immédiates, l’analyse des représentations numériques montre que, pour former une unité (« deux », par exemple), c’est la conscience dans sa durée réelle et incarnée qui passe d’une unité à l’autre. De la même manière, d’une cause à un effet dans l’espace, c’est la conscience qui doit opérer le passage : « le mouvement », souligne Bergson, « en tant que passage d’un point à un autre, est une synthèse mentale, un processus psychique et par suite inétendu » (Bergson 2011, 82, nous soulignons). La causalité réelle ne peut que coïncider avec la durée réelle.

Franklin Leopoldo e Silva, lecteur de Bergson : de l’acte moral à la création artistique

27C’est notamment par les problèmes de la liberté, du possible et de la création que Franklin Leopoldo e Silva continue à tirer des conséquences de la réécriture de l’« Esthétique transcendantale », en faisant se répercuter sur l’intégralité de l’édifice critique la transformation de la problématique kantienne dévoilée par Bento Prado Jr. À ses yeux comme à ceux de Prado Jr., « Kant représente pour Bergson le passage effectif à la modernité » (Leopoldo e Silva 1980, 163), leur opposition permettant ainsi un éclairage réciproque complet et précis. Dans ce qui suit, nous allons commencer par exposer la façon dont Leopoldo e Silva interprète le problème de la liberté dans les Données immédiates, pour ensuite montrer comment il élucide le projet bergsonien d’élargissement de l’expérience dite possible. Cela nous amènera enfin à son interprétation originale du problème de la création chez Bergson.

L’antinomie de la causalité et de la liberté comme conséquence d’un ajustement ad hoc du système de la Raison : un faux problème identifié

28Si la réécriture de l’« Esthétique » a des répercussions directes sur l’« Analytique », il ne serait pas absurde de demander quelles sont les conséquences d’une telle réécriture sur le conflit entre causalité et liberté dans la « Dialectique transcendantale ». C’est un problème posé et développé par Franklin Leopoldo e Silva tout au long de sa trajectoire. Sa thèse de doctorat, Éléments pour l’image morale de l’homme dans la philosophie française de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, s’ouvre par un chapitre (« Autour de la causalité ») interrogeant la troisième antinomie, qui porte, comme l’on sait, sur le conflit entre la causalité et la liberté. Onze ans plus tard, dans sa thèse d’État, Bergson : intuition et discours philosophique, il consacre des pages importantes à une analyse du problème de la liberté chez Bergson, qu’il développe à l’aide d’une analyse de l’idée du possible.

29Leopoldo e Silva interroge l’« interférence réciproque entre les domaines pratique et théorique » (Leopoldo e Silva 1980) en examinant les conséquences de l’« Analytique » lorsque l’opération de l’entendement est prolongée dans le domaine de la morale. C’est donc comme s’il avait repris la discussion de la « transformation de la problématique kantienne » là où Bento Prado Jr. l’avait mise de côté. Bien entendu, sa démarche est loin d’être un simple prolongement. Dans les pages dont il est question ici, aucun indice textuel consacré par l’usage universitaire n’indique que Leopoldo e Silva a essayé de s’inscrire dans la perspective ouverte par son maître. Il est néanmoins clair qu’une telle démarche a eu lieu, compte tenu de son intention explicite de tester les limites de la causalité dans les Données immédiates en adoptant le référentiel kantien qui manquait pour compléter la « réécriture » découverte par Bento Prado Jr. Cela devient encore plus clair dans sa thèse d’État, entièrement consacrée à la philosophie de Bergson, où la troisième antinomie de la « Dialectique transcendantale » illustre un raté. Il affirme :

à l’intérieur de la série causale, l’hétérogénéité connue entre la cause et l’effet, d’une part, et la possibilité de considérer les différentes séries partielles conformément à la sélection que l’on opère dans le monde de l’expérience, d’autre part, dépendent toutes les deux de l’entendement, d’après la manière dont Kant le définit dans l’« Analytique ». D’autre part, quand on parle d’un élément extérieur à la série, conçu comme cause initiale et spontanée, on est déjà dans le domaine de la Raison, faculté qui opère d’une façon distincte de celle de l’entendement et suivant des finalités autres que les siennes (Leopoldo e Silva 1980, 59-60).

30Conformément à la troisième analogie, l’expérience dite possible est entièrement conditionnée par une causalité qui n’autorise que des changements d’état de la substance, en limitant ainsi l’hétérogénéité des séries causales. À l’évidence, une telle expérience n’est possible qu’à l’intérieur d’un système mécanique, d’où l’importance capitale du noumène pour la cohérence du projet critique dans son ensemble. C’est comme si Kant avait tenté de penser « la liberté à partir du déterminisme » (Leopoldo e Silva 1994, 170), se voyant contraint de situer la liberté dans le domaine des choses-en-soi après l’avoir rendue inexplicable selon les conditions de l’expérience possible. Il s’est ainsi obligé à appareiller le système de la Raison pure, comme dans les systèmes astronomiques de l’Antiquité, en proposant une solution ad hoc à l’anomalie trouvée. A contrario, si la liberté était préservée sans restriction, la science ne pourrait en aucun cas être soumise aux conditions de l’entendement.

31Franklin Leopoldo e Silva confirme ainsi que les difficultés insolubles de la « Dialectique » sont engendrées par les conditions de l’expérience possible définies dans l’« Esthétique » et dans l’« Analytique ». Il montre donc que le troisième chapitre de l’Essai consiste à son tour en une sorte d’effacement des antinomies de la « Dialectique transcendantale ». Kant joint sa théorie de la liberté en appendice à sa conception de l’expérience déterminée par l’entendement : voilà le faux problème que la réécriture de l’« Esthétique transcendantale » parvient à dissoudre.

32Seulement, les difficultés trouvées par Kant lors de la construction du système de la Raison pure n’en sont pas moins réelles car le concept de liberté « est toujours en proie au schéma causal dont les termes ne permettent pas de penser la spontanéité du sujet » (Leopoldo e Silva 1994, 199). Alors quelle est, selon lui, la pertinence de la solution proposée par Bergson ?

Le quatrième principe de l’entendement est définitivement démoli sur le nouveau terrain de la morale : au-delà du possible, de l’existant et du nécessaire, l’acte libre

  • 5 Bergson présente une communication portant sur le possible et le réel à Oxford en 1920 ; il la cons (...)

33En situant l’apparition d’une telle expérience élargie chez Bergson par rapport à l’expérience dite possible, Franklin Leopoldo e Silva indique que la racine du faux problème de l’antinomie de la liberté se trouve dans l’imposition des limites du possible à l’expérience. Il note que Bergson n’est pas contraint comme Kant de situer l’acte moral en dehors de l’expérience car, pour lui, l’expérience de la conscience n’est pas limitée à des conditions « possibles », qu’elles soient définies d’après la mécanique newtonienne ou par le sens commun qui les forge dans la vie de tous les jours. Il nous permet ainsi de comprendre clairement deux démarches essentielles dans la construction de la philosophie de Bergson. D’abord, l’analyse critique de l’idée du possible dans « Le possible et le réel »5 termine le travail de démolition des quatre principes de l’entendement en ébranlant le quatrième et dernier principe (« Postulats de la pensée empirique en général »), qui porte sur la possibilité, l’existence et la nécessité. Comme on peut le supposer, un tel ébranlement a pour conséquence la dissolution de la quatrième antinomie, qui se révèle un faux problème. Ensuite, Leopoldo e Silva montre que l’analyse critique du possible qui est présentée dès 1920 est préfigurée dans l’analyse du libre arbitre dans le troisième chapitre des Données immédiates. Elle voit le jour d’abord sur le terrain de la morale, le libre arbitre ayant la structure intellectuelle du possible.

34Essayons d’abord de comprendre comment l’ébranlement du quatrième principe de l’entendement a pour conséquence la réécriture complète de l’« Esthétique » par Bergson. Dans le cadre de l’expérience dite possible, la succession des phénomènes est constituée par un ordre nécessaire totalisant le temps par référence à un temps objectif. Il s’agit d’une condition nécessaire de l’objectivité de l’expérience établie dans les « Analogies de l’expérience ». Bien entendu, la détermination de cet ordre est du ressort du principe synthétique de la causalité, censé être capable, explique Leopoldo e Silva, de « déterminer le lieu des perceptions organisées, qui, considérées objectivement, reviennent aux phénomènes dans la séquence temporelle de la cause à l’effet » (Leopoldo e Silva 1994, 169). Cependant, remarque-t-il avec précision, « Kant n’a retenu qu’une seule possibilité de l’expérience, précisément celle qui est structurée par le fondement de la science déterministe : celle reposant sur l’unité de la connaissance et sur un seul mode d’atteindre la vérité sur le réel » (Leopoldo e Silva 1994, 165). C’est ce qu’indique ce passage d’une discussion à laquelle Bergson participe en 1901 :

Si on lit de près la Critique de la raison pure, on s’aperçoit que Kant a fait la critique, non pas de la raison en général, mais d’une raison façonnée aux habitudes et aux exigences du mécanisme cartésien ou de la physique newtonienne. S’il y a une science une de la nature (et Kant ne parait pas en douter), si tous les phénomènes et tous les objets sont étalés sur un seul et même plan, de manière à donner une expérience unique, continue, tout entière en surface (et telle est 1’hypothèse constante de la Critique de la raison pure), alors il n’y a qu’une espèce de causalité dans le monde, toute causalité phénoménale implique détermination rigoureuse, et c’est en dehors de 1’expérience qu’il faut chercher la liberté. Mais s’il y a non pas une science mais des sciences de la nature, s’il y a non pas un déterminisme scientifique, mais des déterminismes scientifiques inégalement rigoureux, alors il faut distinguer des plans d’expérience différents ; 1’expérience n’est plus simplement en surface, elle s’étend aussi en profondeur ; enfin on peut, par transitions insensibles, sans secousse brusque, sans quitter le terrain des faits, aller de la nécessité physique à la liberté morale. Les réalités d’ordre « métaphysique », comme la liberté, ne sont plus transcendantes au monde des « phénomènes ». Elles sont intérieures à la vie « phénoménale », quoique limitées par elle (Bergson 1972, 493-494).

  • 6 En situant l’œuvre de Bergson par rapport aux écrits de Lachelier, Bento Prado Jr. et Franklin Leop (...)

35La problématique peut être traduite en une opposition entre l’attitude idéaliste de Kant et l’attitude singulièrement réaliste de Bergson — « ce livre affirme la réalité de l’esprit, la réalité de la matière », voilà la phrase avec laquelle s’ouvre l’avant-propos de la septième édition de Matière et mémoire.6 Aussi multiple que les sciences elles-mêmes, la constellation des idéalités que l’humain s’est révélé capable d’inventer établit autant de conditions de possibilité, bien au-delà de celles valables à l’intérieur du modèle newtonien — Bachelard et Vuillemin ont montré ce potentiel à la suite de Bergson, parmi d’autres, tout en adoptant des points de vue différents du sien. De bout en bout, de telles conditions de possibilité sont autant de réductions du réel — ou bien, des actualisations de sa virtualité —, chaque possible faisant appel à une seule « région de la réalité » (Prado Jr. 2002, 69). Chaque possible a néanmoins le pouvoir d’instaurer une normativité propre. À l’intérieur d’un système définissant les possibilités de sa propre expérience, la réalité, porteuse d’idéalités virtuelles infinies, peut apparaître ainsi comme fausse car capable de frustrer l’attente de la conformité de ses choses à un seul ensemble d’énoncés. Compte tenu de l’avenir de l’épistémologie française, Bergson a compris de bonne heure le mode de production d’une telle inversion : « [l]a science, entendue comme le système des concepts, sera plus réelle que la réalité sensible », affirme-t-il dans L’Évolution créatrice (Bergson 2009a, 328).

  • 7 Un tel aspect tautologique de la « possibilité » chez Kant a été discuté par Rubens Rodrigues Torre (...)

36En réfléchissant sur la phrase que nous venons de citer, Franklin Leopoldo e Silva explique que « la science, en tant que condition de possibilité du savoir, anticipe la réalité, laquelle […] paraît pour ainsi dire moins réelle : elle paraîtra réelle lorsqu’elle actualisera les possibilités du savoir » (Leopoldo e Silva 1990, 151). Dès lors, la lecture du quatrième principe de l’entendement révèle que les trois « Postulats » qui y sont décrits (de la possibilité, de la réalité et de la nécessité) sont soit des tautologies,7 soit des pétitions de principe : ils définissent les conditions du possible, du réel et du nécessaire en partant des mêmes « conditions » dont il s’agit de prouver la validité.

  • 8 Sur l’importance et la polysémie de la notion de « positif » chez Bergson, voir Camolezi (2023).

37Venons-nous-en à la préfiguration de l’analyse critique du possible dans le troisième chapitre des Données immédiates. C’est sur le terrain de la morale que Leopoldo e Silva montre comment l’ébranlement du quatrième principe est saisissable de la façon, pour ainsi dire, la plus positive.8 En effet, « la liberté » dont les philosophes ont toujours parlé est elle-même un possible dans le sens défini dans « Le possible et le réel » : soustraite aux lois de la nature, dans un règne propre, elle est un possible qui se constitue rétroactivement à partir du réel, un « mirage », comme l’affirme Bergson, « du présent dans le passé » (Bergson 2009b, 111).

38Alors comment Leopoldo e Silva définit-il la différence fondamentale entre la liberté et l’acte libre chez Bergson ? Selon lui, l’acte libre non seulement est intégré à l’expérience concrète d’une conscience incarnée — il parcourt le continuum du moi profond au moi superficiel, auquel Matière et mémoire apporte le continuum du virtuel à l’actuel —, mais il est surtout la manifestation d’une volonté qui ne préexiste pas à ses propres manifestations. Quand Bergson affirme que « nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste » (Bergson 2011, 129), il introduit déjà en 1889, dès les Données immédiates, le renversement du rapport entre « Le possible et le réel » dont les mécanismes sont mis en lumière dans le texte recueilli dans La Pensée et le mouvant.

Le concept de création apparaît comme réponse à un besoin de précision conceptuelle face à la polysémie du mot « causalité » : le modèle de la création artistique

39Dans la section « La durée réelle et la causalité » (Bergson 2011, 149-166) du troisième chapitre des Données immédiates (« De l’organisation des états de conscience : la liberté »), tenter de prouver un prétendu échec total de la causalité paraît hors de question. Tel que le définit Kant, ce principe appartient au fait des sciences qui opèrent suivant les conditions fondamentales de la mécanique newtonienne. Produit naturel de l’intelligence, le principe de causalité fonctionne lorsqu’il ne dépasse pas la région qui délimite les conditions de possibilité de son application. Aussi, ce n’est pas une tentative présomptueuse de renverser une fois pour toutes la causalité physique qu’il faudrait attribuer au projet des Données immédiates, mais plutôt la tentative de la déplacer de sa centralité dans l’univers d’une expérience élargie qui se découvre au fur et à mesure que les faux problèmes se dissolvent. Dans une telle expérience élargie, la causalité physique a donc une place : elle rend possible la science en rendant le mouvement homogène.

40À présent, on en conclut qu’il doit y avoir dans ce même univers élargi un type de rapport de production dans le temps que nous n’appellerions « causalité » que par le manque d’un meilleur mot. Tout en étant inefficace pour exprimer la différence entre deux états à l’extrémité d’une série, un tel rapport est responsable de porter réellement (produire, conduire, actualiser, réaliser concrètement) un état de la série à l’autre. Alors comment, demande Leopoldo e Silva, pourrions-nous faire encadrer l’acte libre par la causalité s’il est un exemple du second type de rapport ? La réponse à cette question est préfigurée par la réécriture de l’« Esthétique transcendantale » : valable dans le champ de l’expérience dite possible que les sciences et les philosophies élaborent depuis des millénaires, la causalité n’est pas universellement applicable. Bergson reconnaît à la fois le risque et la nécessité de la réponse, d’où la subtilité de ses propos : « si la relation causale existe encore dans le monde des faits internes, elle ne peut ressembler en aucune manière à ce que nous appelons causalité dans la nature » (Bergson 2011, 151, nous soulignons). En effet, on doit faire face à la périlleuse « nécessité », note Leopoldo e Silva, « de refuser le schéma causal même, puisque même une notion comme celle de cause libre n’est pas appropriée pour penser la spontanéité du sujet » (Leopoldo e Silva 1990, 199-200, nous soulignons).

41L’interprétation de Leopoldo e Silva rejoint ici celle d’Henri Gouhier tout en lui donnant une portée nouvelle à l’égard du criticisme (Gouhier 1961, 121 ; 1989, 48). Si la réécriture de l’« Esthétique » amène à l’effondrement de l’« Analytique » et de la « Dialectique », elle intègre à l’intuition du temps redécouverte (durée réelle) le pouvoir synthétique que l’on réservait autrefois aux seuls concepts et principes de l’entendement. Dès lors, l’acte libre est à trouver quelque part entre l’immanence de l’intuition et la réflexivité du concept — « notre intuition est réflexion », rappelle Bergson dans La Pensée et le mouvant (Bergson 2009b) —, à un point glissant entre la spontanéité du sujet et la possibilité de rendre raison. Dans les Données immédiates, une telle intégration du pouvoir synthétique du concept à l’intuition du temps (durée réelle) permet ainsi de conclure que l’acte libre n’est pas anomie, mais production interne et située de norme : « la liberté », entité abstraite, ne se pense donc qu’à travers des actes libres individuels.

42Leopoldo e Silva montre que la causalité dérangée dans son éternelle centralité réapparaît donc comme étant relative à l’espace sans pour autant se faire écarter en définitive de la vie psychologique. En même temps, la restriction de son territoire propre marque la naissance du concept de création. Soucieux des mots qu’il emploie, de la réaction qu’ils peuvent susciter sur son lecteur et des faux problèmes qu’ils peuvent engendrer en philosophie, Bergson opte en effet pour une paire conceptuelle capable de rendre compte des deux territoires coexistant dans l’expérience réelle de la conscience : causalité et création. Comme l’indique Henri Gouhier dans Bergson dans l’histoire de la pensée occidentale, que Leopoldo e Silva lit immédiatement après sa publication à Paris (Leopoldo e Silva 1994, 342), l’acte de naissance de cette paire de concepts se trouve dans la lettre à Brunschvicg du 26 février 1903. Bergson y franchit le pas :

[O]u la liberté n’est qu’un vain mot, ou elle est la causalité psychologique elle-même. Mais cette causalité psychologique doit-elle être entendue au sens d’une équivalence entre l’acte et ses antécédents multiples ? Parler ainsi serait se représenter la causalité psychologique et toute causalité en général, sur le modèle de la causalité physique […]. S’il y a une causalité psychologique réelle, elle doit se distinguer de la causalité physique, et puisque celle-ci implique que rien ne se crée dans le passage d’un moment au moment suivant, celle-là implique au contraire la création par l’acte lui-même, de quelque chose qui n’existait pas dans les antécédents. […] la création dont je parle est tout entière dans le progrès par lequel ces raisons [des actes] sont devenues déterminantes. […] La vérité est que le progrès qui a rendu les raisons déterminantes est un progrès de la personnalité entière, envisagée comme indivisible et une (Bergson 1972, 586).

43Avec Gouhier, Leopoldo e Silva entend que « [l]a philosophie de Bergson représente dès les Données immédiates un effort en vue de séparer la causalité de la création. La notion de causalité psychologique, qui dans le premier ouvrage s’oppose à celle de la causalité physique, exerce déjà cette fonction » (Leopoldo e Silva 1994, 342). Cela montre une convergence profonde, sur ce point, entre ses vues et celles de Gouhier, pour qui

Bergson semble vouloir éviter l’équivoque [avec la lettre du 26 février] : il abandonne le mot “causalité” à l’intelligence, au langage du sens commun et des sciences physiques. Ce qu’il appelait “causalité psychologique” dans Les données immédiates de la conscience devient “création”. Ce n’est évidemment pas par hasard si nous sommes alors à l’époque où Bergson prépare son livre sur une évolution dite “créatrice” (Gouhier 1989, 48).

44Or, un rapport de création analogue à celui qui s’établit entre la vie et les organismes peut se vérifier, à l’échelle de la subjectivité, dans l’art. Dans « Le possible et le réel », Bergson montre que l’œuvre n’est pas l’application d’une idée conçue d’avance car celle-ci est en fait le produit d’un mirage rétrospectif : « [j]e crois qu’on finira par trouver évident », affirme-t-il, « que l’artiste crée du possible en même temps que du réel quand il exécute son œuvre » (Bergson 2009b, 113). Avec Gouhier, Leopoldo e Silva cherche dans la création artistique la dimension où la causalité se révèle impuissante puisque l’œuvre d’art individuée exprime l’artiste sans pour autant être déterminée par lui. Méditant sur le texte « Le possible et le réel » qu’il a soigneusement traduit (Bergson 1984), Leopoldo e Silva souligne que « la création comme production infinie sera pensée à partir de la forme artistique » (Leopoldo e Silva 1994, 224) car celle-ci s’ouvre sur un horizon d’indétermination permanent — vécu concrètement par tout littéraire, par exemple, qui ne cesse jamais de réécrire ses textes — tout en portant incontestablement la marque de son créateur.

Conclusion

45À partir de la critique du concept de causalité et de la formation du concept de création chez Bergson, Franklin Leopoldo e Silva retrouve la direction que sa propre expérience intellectuelle a prise. Celle-ci le mène vers une réflexion sur le sens du « voisinage communicant » (Leopoldo e Silva 2004, 13) entre la philosophie et l’art, et plus particulièrement entre la philosophie et la littérature. À propos du problème de l’universel et du particulier dans la littérature, par exemple, il pondère :

il ne s’agit pas d’un rapport extrinsèque et nous soupçonnons que ce ne soit pas non plus une relation d’identité absolue. Le rapport de l’une à l’autre [de la philosophie à la littérature] se fait par une espèce de communication qu’on pourrait appeler passage interne, en l’absence d’un mot plus approprié. Cela configure ainsi deux espaces contigus, au premier abord communicables de manière indirecte seulement, où le passage de l’un à l’autre se ferait par leur extériorité. Il doit y avoir cependant une façon de passer de l’un à l’autre par une voie interne, sans que la communication en vienne à annuler la différence (Leopoldo e Silva 2004, 13).

46En revenant sur un sentier interprétatif ouvert par Bento Prado Jr., j’ai essayé de montrer la genèse de quelques problèmes abordés par Franklin Leopoldo e Silva au long de sa carrière. Je pense avoir pu apporter une preuve à la fois de la rigueur universitaire de leurs analyses et de leur capacité à faire revivre la puissance des textes philosophiques, qui ne restent pas lettre morte. Par un effort d’attention vigoureux, ils suivent la pensée du philosophe étudié et prennent sa défense en révélant la cohérence de problèmes dont l’obscurité n’est qu’apparente. Il me semble qu’ils représentent ainsi un fruit imprévu de la pédagogie philosophique qui les a formés : à force de lui obéir, ils la dépassent.

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Notes

1 Dorénavant, Données immédiates. En faisant référence à l’« Esthétique transcendantale », à l’« Analytique transcendantale » et à la « Dialectique transcendantale » de la Critique de la raison pure, je vais parfois utiliser uniquement les mots « Esthétique », « Analytique » et « Dialectique » entre guillemets.

2 Présence et champ transcendantal est une thèse d’État (équivalant à une HDR sans grade de docteur préalable) préparée sous la direction de l’historien de la philosophie Victor Goldschmidt et soutenue au département de Philosophie de l’Université de São Paulo (USP) en 1965. L’auteur en a conçu le projet en 1959 après avoir assisté à une conférence de Lívio Teixeira, professeur à l’USP, consacrée aux « rapports entre la philosophie et l’histoire de la philosophie dans le bergsonisme ». Ayant séjourné à Paris de 1961 à 1963 en tant que boursier du gouvernement français, il l’a rédigée entre avril et juin 1964, au lendemain du coup militaire du 31 mars 1964, et soutenue l’année suivante. Esprit brillant et érudit, son auteur s’est révélé une sorte d’anti-héros tropical. M. Paulo Arantes est l’auteur d’un livre important sur la formation de la culture philosophique à l’USP dans lequel Bento Prado Jr. figure comme un protagoniste. Voir Arantes (1994). Nous utiliserons l’édition traduite en français par Renaud Barbaras dans Prado Jr. (2002). Pour l’édition brésilienne, voir Prado Jr. 1989. Un « Samedi du livre » organisé par le Collège international de philosophie en janvier 2002 a rendu hommage à l’auteur et à son ouvrage. Bento Prado Jr., Renaud Barbaras, Jean-Christophe Goddard, Pierre Montebello et Frédéric Worms y sont intervenus. Voir Worms (2002, 329-362).

3 Pour un recueil de textes particulièrement bien édité, voir Lebrun (2006).

4 Franklin Leopoldo e Silva fait publier un chapitre de la thèse de Bento Prado Jr. dans Discurso, revue du département de Philosophie de l’USP. Voir les propos introductifs qu’il a écrits dans Prado Jr. (1978). Plus tard, dans un bilan de la recherche en philosophie à l’USP, il considère que Bento Prado Jr. est l’un des « trois professeurs brésiliens du département de Philosophie de l’USP qui semblent avoir contribué le plus à la définition d’un “style de travail” » (Canhada 2023, 33). En remettant la thèse de Bento Prado Jr. dans le contexte uspien des années 1960, il affirme : « La thèse de Bento Prado Jr., Présence et champ transcendantal : conscience et négativité dans la philosophie de Bergson, ne s’inscrit pas complètement dans le cadre rigide, qui prônait l’instauration philosophique comme renoncement à philosopher, généralement valable dans le contexte de l’analyse structurale de l’époque. L’ouvrage de Bento Prado Jr. dépasse largement la dichotomie entre essayisme et technicité philologique, et ce en partant de l’inventivité de l’hypothèse qui, sans avoir été extraite des textes bergsoniens par une interprétation analytique stricto sensu, parvient à rendre raison de la cohérence de l’œuvre du philosophe français à travers une conception originale du rapport entre ontologie et théorie de la représentation ». (Leopoldo e Silva 1994, 307). Sur le « cadre » dont parle Leopoldo e Silva, voir Canhada (2023).

5 Bergson présente une communication portant sur le possible et le réel à Oxford en 1920 ; il la considère comme l’ébauche de l’article « Le possible et le réel » paru dans une revue suédoise en 1930. Voir Bergson (2009, 99-116).

6 En situant l’œuvre de Bergson par rapport aux écrits de Lachelier, Bento Prado Jr. et Franklin Leopoldo e Silva ont mené une réflexion approfondie sur le réalisme singulier de Bergson. Leopoldo e Silva décrit le concept bergsonien d’intuition comme une « réflexion réelle » (1991, 333 ; voir aussi chap. iii, sections 2, 3, 4 et 8). Bento Prado Jr. (2002, 39-40) parle à son tour d’une « re-réflexion ». Voir Rates (2023).

7 Un tel aspect tautologique de la « possibilité » chez Kant a été discuté par Rubens Rodrigues Torres Filho (1974).

8 Sur l’importance et la polysémie de la notion de « positif » chez Bergson, voir Camolezi (2023).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marcos Camolezi, « Franklin Leopoldo e Silva, lecteur brésilien de Bergson : contribution à l’histoire globale du bergsonisme »Bergsoniana [En ligne], 5 | 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/bergsoniana/2430 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12b4g

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Auteur

Marcos Camolezi

Marcos Camolezi est docteur en philosophie, chargé d’études à l’École normale supérieure. Il collabore au projet d’édition des Oeuvres complètes de Michel Serres dirigé par Bernadette Bensaude-Vincent, Roland Schaer et Frédéric Worms. Les oeuvres de Michel Serres sont éditées par Sophie Bancquart aux Éditions du Pommier.

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