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Nécrologie

In memoriam Dominique Henry-Gambier (1950-2022) : les comportements mortuaires paléolithiques du terrain à l’interprétation

Dominique Grimaud-Hervé, Bruno Boulestin et Catherine Schwab

Texte intégral

1Dominique Henry-Gambier nous a quittés le 17 septembre 2022 après un long et courageux combat contre la maladie, qui ne l’empêchait pas de rester attentive à l’actualité scientifique. Elle en discutait avec fougue comme à son habitude ; elle poursuivait aussi la mise au propre de ses notes et la réflexion de ses articles en cours. Et comme toujours, elle restait bienveillante à l’écoute des besoins des autres, disponible pour étudier les propositions de collaborations qu’elle n’acceptait néanmoins qu’avec parcimonie, "sous réserve de mon état de santé" disait-elle. Elle s’y consacrait pleinement et avec énormément de plaisir lorsque la maladie lui laissait un répit dont elle savait profiter avant que ses forces ne doivent de nouveau être mobilisées pour lutter. Le souvenir de ces discussions enthousiastes qui lui ont permis un moment de s’évader est précieux.

Figure 1

Figure 1

Dominique Henry-Gambier au cours de la fouille de la Grotte Cadet à Capesterre-de-Marie-Galante en Guadeloupe en 2007

photo : Patrice Courtaud

2Sa passion pour la préhistoire et la paléoanthropologie se manifeste dès le début de ses études à l’université Pierre et Marie Curie, qui vont se concrétiser par l’obtention de sa thèse en 1981 sur "L’astragale des néandertaliens" sous la direction de Bernard Vandermeersch. Elle enseigne les sciences naturelles en secondaire avant d’obtenir un poste au CNRS en 1985. Sa carrière se poursuit à Bordeaux où elle intègre l’UA 376 "Origine et évolution d’Homo sapiens" dirigée par B. Vandermeersch, qui deviendra en 1991 l’UMR 5809 "Laboratoire d’anthropologie des populations du passé" et dont la direction sera successivement assurée par Henri Duday et Anne-Marie Tillier avant d’être fusionnée avec l’Institut de Préhistoire et de Géologie du Quaternaire en 2004. C’est dans cette nouvelle UMR 5199 PACEA, menée par Jacques Jaubert, que Dominique poursuit ses travaux, en tant que Directrice de recherche au CNRS, dont elle a réussi le concours en 2003.

3Ses problématiques et les activités qu’elle va mener de front sont multiples. Dès le début de sa carrière, Dominique manifeste le besoin de participer aux campagnes de terrain, de connaître le contexte des ossements qu’elle étudie. Elle n’est pas de ces anthropologues assis derrière leur bureau, attendant que les fossiles lui arrivent sur la table. Son implication et son investissement sur les chantiers de fouilles ne sont plus à démontrer, comme en témoignent la direction du projet de Brassempouy, l’expertise du gisement de Vilhonneur, plus récemment la reprise du chantier de l’abri Pataud à la demande de ses responsables, ou encore la mise en place du programme de terrain très complexe et délicat à Cussac où son engagement a permis un excellent déroulement des études qui s’en sont suivies.

4Ses premières recherches sont donc dédiées aux Néandertaliens, qu’elle a dû comparer aux hommes du Paléolithique supérieur qui ont très rapidement focalisé toute son attention. Elle s’est intéressée à la transition Paléolithique moyen et supérieur en se consacrant plus particulièrement au peuplement gravettien. Sa réflexion l’a amenée à se pencher sur la diversité morphologique des groupes humains replacés dans leur contexte culturel et comportemental grâce aux témoins archéologiques lithiques et osseux, mais aussi à leurs pratiques mortuaires. Celles-ci pouvaient parfois être plutôt interprétées comme le résultat de conflits, ainsi qu’en témoignent les fractures ou les traces anthropiques de décharnement démontrant la violence dont pouvait faire preuve ces populations.

5Dominique a toujours travaillé en collaboration, partageant ses recherches, ses réflexions et même ses données, que parfois certains se sont accaparées sans reconnaissance aucune. Elle était ainsi faite, généreuse et confiante. Elle a su intéresser et s’entourer des spécialistes qui l’ont aidée à préciser ses résultats dans tous les domaines, aussi bien dans la révision des paramètres d’identification individuelle (diagnose sexuelle et âge au décès en particulier) et pathologiques, que ceux de la croissance, du développement et de l’alimentation des jeunes enfants (âge au sevrage par le dosage des isotopes), mais aussi de l’évolution des comportements de ces populations face à la mort de leurs immatures. Elle s’est également penchée sur l’organisation et la datation des sépultures primaires et ainsi sur la chronologie précise des restes humains qu’elle étudiait pour leur mise en relation avec les témoins archéologiques.

6Il n’est en rien exagéré de dire qu’au cours de ces quarante dernières années nos connaissances sur les vestiges humains et les comportements mortuaires du Paléolithique supérieur ont été profondément renouvelées, et que Dominique est celle qui, de très loin, y a le plus largement contribué. Pour se rendre compte du chemin qu’elle a parcouru, il suffit de rouvrir La Préhistoire française et de relire le chapitre Les sépultures des Hommes du Paléolithique supérieur, écrit par Gérard Quéchon – qui était d’ailleurs africaniste, ce qui en soi en dit long sur le désintérêt des préhistoriens pour les fossiles du Paléolithique supérieur européen jusqu’au début des années 1980 – et celui de Ginette Billy sur Les hommes du Paléolithique supérieur.

7Ces deux synthèses témoignent à leur manière de la situation que trouve Dominique au moment où elle intègre le CNRS, avec d’un côté des études anthropologiques très majoritairement déconnectées des contextes archéologiques, et d’un autre un corpus comprenant des vestiges humains pour la plupart découverts anciennement et manquant totalement de fiabilité. Elle s’attelle donc à la révision en profondeur de cet ensemble. Cette révision consiste d’abord à réexaminer les vestiges, en faisant appel aux dernières méthodes anthropologiques, notamment de détermination du sexe et d’estimation de l’âge au décès. Mais aussi à réunir et réétudier les archives de fouilles lorsqu’elles sont disponibles, à revoir les contextes archéologiques des restes humains, industries et stratigraphies, et à dater par le radiocarbone les ossements humains ou du mobilier leur étant clairement associé. Cette démarche lui a permis de confirmer la position chronologique et culturelle de nombreux fossiles, mais l’a aussi conduite à en modifier d’autres, à commencer par ceux célèbres de Cro-Magnon, et à écarter plusieurs vestiges finalement rapprochés des périodes post-paléolithiques.

8La révision du corpus et des données biologiques ne constituait qu’une partie du travail de Dominique, base indispensable qui lui a permis d’impulser une nouvelle dynamique dans l’approche des comportements mortuaires des groupes du Paléolithique supérieur. Pour ce faire, elle s’est d’abord appuyée sur les acquis de l’archéothanatologie qui se développait par ailleurs dans son laboratoire d’accueil, et qu’elle a été la première à transposer à l’étude des dépôts humains paléolithiques. Elle les a mis en application sur le terrain, à l’occasion des premières observations faites à Cussac et à Vilhonneur, ou dans l’analyse des archives comme à l’abri Pataud où cela lui a permis de faire de nouvelles propositions sur la très grande variabilité des gestes et pratiques mortuaires au Gravettien et au Magdalénien. Pour des interprétations plus générales, la force de Dominique était d’avoir une vision très large sans idée préconçue. Ses connaissances ne se limitaient pas au Paléolithique supérieur français, car elle maîtrisait de façon remarquable les données sur les vestiges humains de cette période pour l’ensemble de l’Europe jusqu’à l’Asie septentrionale. De plus, elle travaillait sur l’Épipaléolithique et le Mésolithique, et, naturellement curieuse, s’intéressait également aux périodes plus récentes. Elle a par ailleurs su intégrer dans ses problématiques les résultats de travaux d’anthropologie sociale. Ce fut d’ailleurs l’une des rares parmi les préhistoriens à collaborer avec Alain Testart, dans le cadre de projets de recherche ou à l’occasion de tables rondes. C’est cette érudition et cette capacité à combiner des savoirs différents qui lui ont notamment permis d’écrire de très belles synthèses, par exemple celles sur le comportement funéraire des Gravettiens où elle introduit et discute les hypothèses nouvelles de la pratique des morts d’accompagnement ou de crises de mortalité. Il faut encore souligner que, d’une part, contrairement à ses prédécesseurs qui ne s’intéressaient guère qu’aux squelettes les plus complets, elle a pris en compte les vestiges épars et isolés pour les intégrer dans les discussions, d’autre part elle a su sortir du paradigme "tout funéraire" pour aborder plus largement les pratiques mortuaires dans leur globalité et discuter les comportements sociaux qui pouvaient en être à l’origine, tels que la violence.

9Les apports de Dominique ont parfois trouvé une forme de concrétisation et de communication dans des présentations muséographiques. Au musée d’Archéologie nationale, à Saint-Germain-en-Laye, la galerie du Paléolithique a été rénovée entre 2002 et 2004. La vitrine de la sépulture des enfants de Grimaldi a bénéficié de l’étude qu’elle avait réalisée quelques années auparavant et publiée en 2001.

10Dominique a confirmé que les deux enfants avaient été inhumés en même temps, côte à côte, allongés sur le dos et qu’ils portaient des parures ou des pagnes, d’après l’examen des milliers de coquillages perforés et disposés en rangées. Elle a, de plus, émis l’hypothèse d’un "tapis" isolant du sol les corps, d’après la position de vestiges de pattes de cervidés. Dominique a déterminé l’âge des deux enfants, anatomiquement modernes, à partir de leurs os, leurs dents et leur stature. Elle a mis en évidence une légère déformation artificielle de leurs crânes, mais il lui était évidemment difficile de se prononcer sur la signification de ce phénomène, peu documenté pour le Paléolithique. Elle est donc restée, comme à son habitude, extrêmement circonspecte.

11Les observations de Dominique ont également contredit l’image habituelle des populations de chasseurs-cueilleurs préhistoriques capables de subvenir à tous leurs besoins. Elle a, en effet, décelé des lésions osseuses correspondant à des carences alimentaires. L’idée tout autant répandue de populations paléolithiques très pacifiques n’a pas résisté non plus. La pointe de silex fichée dans une des vertèbres du plus jeune enfant ne pouvait être imputée, selon elle, ni à un sacrifice rituel ni à un décès accidentel, mais bien à une mort violente, conséquence d’un affrontement brutal. Enfin, elle a fait dater la sépulture avec la méthode du carbone 14 et les enfants s’en sont trouvés considérablement rajeunis. Ils n’étaient pas, comme on le croyait, aurignaciens, mais vivaient 20 ou 30000 ans plus tard, à la fin du Paléolithique.

12Toujours prudente dans ses jugements et mesurée dans ses propositions, elle était très vigilante à ce que les conclusions issues de l’analyse des documents de terrain et les hypothèses interprétatives qu’elle avançait soient toujours en accord avec les données. À ce titre encore, elle n’hésitait pas à s’élever contre les travaux dont elle estimait qu’ils faisaient passer les idées préconçues au-dessus des faits, au mépris des règles du raisonnement scientifique et de l’établissement de la connaissance valide, comme lorsqu’elle a participé à la rédaction de la tribune parue à la suite de la diffusion du film et du livre Lady Sapiens.

13Enfin, Dominique avait à cœur de partager sa passion et ses connaissances avec tous. Elle n’hésitait pas à donner de son temps aux musées, en acceptant de relire les textes des panneaux ou des cartels, ou en venant bien volontiers faire une conférence, avec cette rigueur, cette générosité et cette pointe d’humour un peu caustique qui la caractérisaient. Elle ne refusait jamais de faire visiter les sites où elle était en cours de fouilles et aimait participer aux journées portes ouvertes à la science où elle pouvait transmettre et échanger avec les jeunes, sans compter les nombreux articles et multiples interventions médiatiques.

14Ses écrits nous restent pour nous rappeler sa rigueur, son exigence intellectuelle, son professionnalisme, et nous n’oublierons pas son charisme, son humanisme, son souci constant de l’autre et son amitié indéfectible.

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Bibliographie

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Table des illustrations

Titre Figure 1
Légende Dominique Henry-Gambier au cours de la fouille de la Grotte Cadet à Capesterre-de-Marie-Galante en Guadeloupe en 2007
Crédits photo : Patrice Courtaud
URL http://journals.openedition.org/bmsap/docannexe/image/12204/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 908k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Dominique Grimaud-Hervé, Bruno Boulestin et Catherine Schwab, « In memoriam Dominique Henry-Gambier (1950-2022) : les comportements mortuaires paléolithiques du terrain à l’interprétation »Bulletins et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris [En ligne], 35 (2) | 2023, mis en ligne le 04 octobre 2023, consulté le 30 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/bmsap/12204 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bmsap.12204

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Auteurs

Dominique Grimaud-Hervé

Muséum national d’histoire naturelle, Département Homme et Environnement, UMR 7194, HNHP, Musée de l’Homme, Paris, France ; dominique.grimaud-herve[at]mnhn.fr

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Bruno Boulestin

Univ. Bordeaux, CNRS, ministère de la Culture, PACEA, UMR 5199, Pessac, France

Catherine Schwab

Musée d’Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye, France

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